Averroès

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Abu'l-Walid Muhammad ibn Rushd de Cordoue (né en 1126 - année supposée de sa naissance - à Cordoue en Andalousie, actuelle Espagne - mort le 10 décembre 1198, à Marrakech, actuel Maroc), latinisé en Averroès, de son nom complet Abū l-Walīd Muhammad ibn Ahmad ibn Muhammad ibn Ahmad ibn Ahmad ibn Rušd أبو الوليد محمد بن احمد بن محمد بن احمد بن احمد بن رشد , est à la fois un philosophe, un théologien islamique, un juriste, un mathématicien et un médecin arabe du XIIe siècle. Certains vont jusqu'à le décrire comme le père fondateur de la pensée laïque en Europe de l'Ouest[1].

Son ouverture d'esprit et sa modernité déplaisent aux autorités musulmanes de l'époque qui l'exilent comme hérétique et ordonnent que ses livres soient brûlés. Il demeura profondément méconnu jusqu'au XIIIe siècle qui commence deux ans après sa mort, où son importance fut cependant minimisée. Ce n'est qu'actuellement que les historiens de la philosophie reconnaissent son importance. Il commenta en entier les œuvres d'Aristote : aussi le nommait-on le Commentateur.

Dans sa philosophie, Averroès allia aux doctrines d'Aristote celles de l'École d'Alexandrie sur l'émanation, et enseigna qu'il existe une intelligence universelle à laquelle tous les hommes participent, que cette intelligence est immortelle, mais que les âmes particulières sont périssables.

Averroèsdétail de la toile du XIVe siècle, Triunfo de Santo Tomás, de Andrea de Bonaiuto
Averroès
détail de la toile du XIVe siècle, Triunfo de Santo Tomás, de Andrea de Bonaiuto

Sommaire

[modifier] Biographie

Né à Cordoue, il est issu d'une grande famille de cadis (juges) de Cordoue (malékites).

Il est formé par des maîtres particuliers. La formation initiale commence par l’étude, par cœur, du Coran, à laquelle s'ajoutent la grammaire, la poésie, des rudiments de calcul et l’apprentissage de l’écriture. Averroès étudie avec son père, le hadith, la Tradition relative aux actes, paroles et attitudes du Prophète et le fiqh, droit au sens musulman, selon lequel le religieux et le juridique ne se dissocient pas.

Les sciences et la philosophie ne sont étudiées qu’après une bonne formation religieuse. Averroès élargit l’activité intellectuelle de son milieu familial en s’intéressant aux sciences profanes : physique, astronomie, médecine. Á l’issue de sa formation, c’est un homme de religion féru de savoirs antiques et curieux de connaître la nature.

Averroès cultiva la médecine, qu'il avait étudiée sous Avenzoar, et fut médecin de la cour de Maroc; mais il s'attacha plutôt à la théorie qu'à la pratique.

L’émir Abu Yaqub Yusuf lui ayant demandé, en 1166, de présenter pédagogiquement l’œuvre d’Aristote, Averroès cherche à retrouver l’œuvre authentique. Il utilise plusieurs traductions. En appliquant les principes de la pensée logique dont la non-contradiction, et en utilisant sa connaissance globale de l’œuvre, il retrouve des erreurs de traduction, des lacunes et des rajouts. Il découvre ainsi la critique interne. Il a écrit trois types de commentaires : les Grands, les Moyens et les Abrégés. Il apparaît comme l’aristotélicien le plus fidèle des commentateurs médiévaux.

Vers 1188-1189, on assiste à des rebellions dans le Maghreb central et une guerre sainte contre les chrétiens. Le sultan Abu Yusuf Yaqub al-Mansur fait alors interdire la philosophie, les études et les livres, comme dans le domaine des moeurs, il interdit la vente du vin et le métier de chanteur et de musicien.

A partir de 1195, Averroès, déjà suspect comme philosophe, est victime d’une campagne d’opinion qui vise à saper son prestige de cadi. Al-Mansûr sacrifie alors ses intellectuels à la pression des oulémas. Averroès est exilé en 1197 à Lucena, petite ville andalouse peuplée surtout de Juifs, en déclin depuis que les Almohades ont interdit toute religion autre que l’islam. Après un court exil d’un an et demi, il est rappelé au Maroc où il reçoit le pardon du sultan, mais n’est pas rétabli dans ses fonctions. Il meurt à Marrakech le 10 ou 11 décembre 1198 sans avoir revu l’Andalousie. La mort d’Al-Mansûr peu de temps après marque le début de la décadence de l’empire almohade.

Suspecté d’hérésie, il n’aura pas de postérité en terre d’islam. L’œuvre d’Averroès sera sauvée par les traducteurs juifs. Elle passera par les Juifs de Catalogne et d’Occitanie dans la scolastique latine.

C'est l'un des plus grand penseurs de l'Espagne musulmane. Médecin, mathématicien, il s'intéresse surtout à la théologie et à la philosophie. Il commente les œuvres d'Aristote et cherche à séparer clairement la foi et la science. Ce projet inquiète les musulmans traditionalistes, mais exerce ensuite une influence considérable sur les théologiens catholiques de l'Occident.

[modifier] Portée de l'œuvre d'Averroès

Par l'intermédiaire d'ibn Rushd, c'est tout le mouvement du transfert des études, de la longue et lente appropriation de la philosophie gréco-arabe par l'Europe qui s'est accompli — une histoire multiséculaire, celle de la transmission et du renouvellement de la philosophie et de la science des maîtres grecs, commencée au IXe siècle dans la Bagdad des califes abbassides, poursuivie au XIIe siècle dans la Cordoue des Almohades, puis continuée dans les pays de la Chrétienté, dans et hors des universités des XIIIe, XIVe et XVe siècles, sans nier toutefois le rôle de Byzance dans la transmission de l'héritage grec.

George Sarton, le père de l'histoire des sciences, écrit :

« Averroès doit sa grandeur à l'énorme remue-ménage qu'il a provoqué dans l'esprit des hommes pendant des siècles. L'histoire de l'averroïsme s'étale sur une période de quatre siècles jusqu'à la fin du XVIe siècle, cette période mérite peut-être plus que toute autre d'être appelée le Moyen Âge, car elle est la véritable transition entre les méthodes anciennes et modernes[2]. »

Certains affirment qu'Aristote ne fut connu en Europe que par des traductions latines faites sur la traduction arabe d'Averroès — ce qui ne l'empêche pas d'être représenté en statue sur le portail de la cathédrale de Chartres au XIIe siècle ; les commentaires d'Averroès jouissaient d'une autorité presque égale à celle du maître. Sa doctrine, combattue par saint Thomas d'Aquin, fut condamnée en 1240 par l'Université de Paris, et en 1512 par le cinquième Concile du Latran. Averroès ne s'accordait pas toujours dans ses commentaires avec Alexandre d'Aphrodisie, ce qui divisa toute l'école en deux sectes, celle des Averroïstes et celle des Alexandristes.

[modifier] Philosophie

L'extraordinaire et vaste culture d'Averroès va lui permettre de donner un statut et un rôle très précis à la philosophie, au côté de la religion. Son point de vue extrêmement élaboré et profondément aristotélicien va constituer un chef-d'œuvre de cohérence.

Philosophe, médecin, astronome, il est aussi cadi, c'est-à-dire homme de loi, juge. Et c'est sur le terrain juridique que le cadi de Séville va porter la première offensive contre les détracteurs de la philosophie. Le chef de file de ces derniers ayant vécu un siècle plus tôt et à l'autre extrémité du monde musulman, c'est à Al-Ghazali qu'ibn Rushd va pourtant répondre. L'ouvrage d'al-Ghazali, le Tahafut al-falasifa (incohérence des philosophes) est comme une référence pour le mysticisme musulman et est précisément celle des ash'arites qui sévissent en Andalousie à l'époque d'ibn Rushd.

Avec le Kitab fasl al-maqal (livre du discours décisif), il répond d'une manière totalement nouvelle à un très ancien problème que l'on retrouve dans le sous-titre de l'ouvrage : celui de la « connexion entre la Révélation et la philosophie ». Expérience inédite, la réponse est placée sur le terrain juridique, celui de la science de la Loi musulmane : Ibn Rushd ancre la philosophie dans la réalité sociale. Il s'agit de fonder en droit l'existence du philosophe dans la cité musulmane, ce qui aboutit à cet évènement singulier dans l'histoire : la philosophie se trouve ainsi légitimée aussi bien aux yeux du droit de la société, qu'à ceux de la loi religieuse.

Ainsi, ibn Rushd constate que le Coran s'adresse à tous les musulmans : aussi bien de faible que de haute culture. Le caractère universel de la Révélation ne saurait précisément être universel s'il ne s'adressait pas à eux selon leur niveau de culture. Il y a le sens premier, simple et imagé pour le commun des mortels et un discours plus soutenu ; il arrive qu'une contradiction apparaisse entre ces deux types d'énoncés et c'est précisément là que doit intervenir la philosophie : le philosophe, par le raisonnement, doit déceler le sens profond, caché du Texte.

Ibn Rushd va pouvoir donner à la philosophie, dans une fatwa, son caractère « obligatoire », comme le veut la Loi musulmane. Ne pas éclairer le Texte par une réflexion philosophique serait nuire à la Foi du Fidèle.

Dans le Tahafut al-Tahafut (incohérence de l'incohérence), l'ouvrage d'al-Ghazali est critiqué point par point, les propos sont sanctionnés par une fatwa qui les caractérise comme « blâmables », et la philosophie d'Aristote restaurée dans sa plus pure version. Averroès à toujours mis en avant le fait de comparer le monde où il vivait et la religion qu'il devait respecter pour être en accord avec l'importance de l'islam durant son époque.

Ibn Rushd est peut-être le philosophe qui a le mieux saisi cette philosophie, et il est d'ailleurs connu, à son époque et pour la postérité, comme le Grand Commentateur (i.e. des textes aristotéliciens).

[modifier] Théologie

Son livre Bidâyat ul-mudjtahid wa nihâyat ul-Muqtasid fait référence en matière de jurisprudence comparée. Il y cite et discute les avis des différents madhhabs (écoles) en matière de fiqh (jurisprudence islamique).

[modifier] Postérité

Ses commentaires de l'œuvre d'Aristote ont été traduits en latin vers 1230 (Michael Scot) et en hébreu et eurent une influence majeure sur les penseurs du Moyen Âge tant dans l'Andalousie maure que dans toute l'Europe. Réussissant à concilier la philosophie aristotélicienne et la foi musulmane, il a réussi à devenir un grand penseur du monde islamique, et contribué à la diffusion des cultures grecque et arabe dans le monde occidental.

Le premier lycée privé musulman de France métropolitaine, ouvert à Lille en septembre 2003 le réhabilite en portant son nom, devenu symbole d'ouverture d'esprit à l'humanité entière, sans barrières culturelles ni préjugés communautaires.

Le cinéaste Youssef Chahine met en scène Averroès dans son film Le Destin en 1997.

En tant que figure philosophique, il a inspiré à Jorge Luis Borges, une de ses nouvelles La Quête d'Averroes du recueil El Aleph.

Créées en 1994, les Rencontres d’Averroès se proposent de penser la Méditerranée des deux rives en invitant à Marseille des personnalités autour de tables rondes.

[modifier] Publications

[modifier] Publications anciennes

On a d'Averroès (voir sur gallica) :

  • des Commentaires sur Aristote, publiés en latin, Venise, 1595, in-folio ;
  • un recueil d'écrits sur la médecine, connu sous le titre de Collyget, corruption du mot arabe signifiant le livre de tous, Venise, 1482 ;
  • des Commentaires sur les canons d'Avicenne, Venise, 1484 ;
  • l' Incohérence de l'incohérence des philosophes d'al-Ghazali, etc.

[modifier] Annexes

[modifier] Articles connexes

[modifier] Liens externes

[modifier] Bibliographie

[modifier] Bibliographie ancienne

[modifier] Bibliographie contemporaine

Commentaire sur De Anima,manuscrit français, troisième quart du XIIIe siècle
Commentaire sur De Anima,
manuscrit français, troisième quart du XIIIe siècle
  • Averroès, L’intelligence et la pensée. Grand commentaire du De Anima, livre III (429 a 10 – 435 b 25), traduction, introduction et notes par Alain de Libera, Paris, Flammarion, GF 974, 1998.
  • Averroès et l'averroïsme, XIIe-XVe siècle : un itinéraire historique du Haut Atlas à Paris et à Padoue : actes du colloque international organisé à Lyon, les 4 et 5 octobre 1999 dans le cadre du "Temps du Maroc", par l'Unité mixte de recherche 5648, CNRS, Université Lumière Lyon 2, EHESS ; avec la collaboration des associations Regard Sud et les Amis de la maison de l'Orient ainsi que de l'Institut universitaire de formation des maîtres du Rhône ; actes réunis et édités par André Bazzana, Nicole Bériou et Pierre Guichard. - Lyon : Presses universitaires de Lyon, coll. « Histoire et archéologie médiévales » n° 16, 2005. 348 pp., 24 cm. ISBN 2-7297-0769-7.
  • Jean-Baptiste Brenet, Transferts du sujet - la noétique d'Averroès selon Jean de Jandun , Paris, Libr. Philos. Vrin, 2003, ISBN-ISSN-ISMN 2-7116-1653-3
  • Emanuele Coccia, La trasparenza delle immagini. Averroè e l'averroismo. Bruno Mondadori, Mailand 2005, ISBN 884249272
  • Antonio Petagine, Aristotelismo difficile: l’intelletto umano nella prospettiva di Alberto Magno, Tommaso d'Aquino e Sigieri di Brabante. Vita e Pensiero, Mailand 2004, ISBN 88-343-5023-5
  • Colette Sirat, Marc Geoffroy, L' original arabe du grand commentaire d'Averroès au "De anima" d'Aristote, Paris, Vrin, 2005
  • Paul Mazliak, Avicenne & Averroès : Médecine et biologie dans la civilisation de l'Islam, Vuibert/Adapt, 2004, (ISBN 2711753263)

[modifier] Biographie romancée

[modifier] Source partielle

« Averroès », dans Marie-Nicolas Bouillet et Alexis Chassang (dir.), Dictionnaire universel d'histoire et de géographie, 1878 [détail des éditions] (Wikisource)

[modifier] Notes et références

  1. Majid Fakhry (2001). Averroes: His Life, Works and Influence. Oneworld Publications. (ISBN 1851682694)
  2. George Sarton, Introduction to the History of Science
    (cf. Prof. Hamed A. Ead, Averroes As A Physician)
Les grandes figures de l'islam médiéval

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