Notion de la Wallonie au XVIIe siècle

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La Notion de Wallonie au XVIIe siècle est utilisée par de nombreux historiens belges comme l'un des plus grands d'entre eux Henri Pirenne[non neutre] quand il parle de région wallonne de Belgique (voir infra), à propos des cartes de provinces de l'ordre des jésuites. Le Professeur Jean Germain étudie lui les cartes des provinces des capucins appelées Wallonia. Sur le plan linguistique, le lien de ce mot latin avec le mot français moderne Wallonie n'est pas sûr, mais le mot Wallonia en légende de ces cartes couvre cependant les territoires qui se situent tous dans la Wallonie actuelle et la partie wallonne de la Principauté de Liège, sauf dans le cas de certaines cartes qui n'englobe pas les terres liégeoises[non neutre], il désigne aussi (voir tableau ci-dessous et la note 23) les terres wallonnes conquises au XVIIe siècle par Louis XIV. Il existe aussi d'autres expressions comme provinces wallonnes ou pays wallon [1].

Sommaire

[modifier] La notion de Wallonie est ancienne dans l'historiographie belge

Pirenne a toujours insisté sur le fait que la Flandre et la Wallonie sont constitutives de la dualité de la Belgique.

[modifier] L'opinion de Pirenne et de l'historiographie belge d'aujourd'hui

Geneviève Warland, historienne et philosophe des Facultés universitaires Saint-Louis dans Le Soir du 3 octobre 2007, le rappelait tant à propos de Pirenne (évoquant - selon ses propres mots - l'agitation flamande et la réaction wallonne[2]), que de récentes études sur l'histoire de Belgique parues simultanément en français et néerlandais (Nouvelle histoire de Belgique/Nieuwe geschiedenis van België): cette dualité représente

«  la fécondité d'un double ancrage culturel et linguistique[3]. »

La chercheuse insiste aussi sur les conditions à remplir pour, selon ses propres termes: le maintien d'une Belgique cosmopolite au coeur d'une Europe cosmopolite, le maintien d'un niveau fédéral garant de l'équilibre et de la solidarité, la nécessité d'un récit historique qui fait le lien entre les interprétations, les dénis de reconnaissance et le projet commun tout en insistant sur:

«  le respect des différences comme un vecteur d'enrichissement culturel, économique et social...[4] »

[modifier] La Wallonia du XVIIe siècle n'est pas exactement la Wallonie de 2007

Il existe cependant d'autres auteurs comme Jean Stengers (qui a cependant bien établi aussi que le terme wallon s'appliqua avant 1800 tant aux habitants de langue romane des Pays-Bas que des habitants de langue romane de la Principauté de Liège), qui, sans nier cette dualité wallonne/flamande, la relativise. Ainsi Jean Stengers a pu écrire :

«  La Flandre et le pays wallon, Wallons et Flamands sont ensemble et exclusivement des sous-produits de la Belgique.[5] »

De la même manière Philippe Destatte souligne que la notion de Wallonie est née en 1886

«  dans son sens politique d'affirmation culturelle régionale, lorsque le Liégeois Albert Mockel crée une revue littéraire sous ce nom.[6] »

Bruno Demoulin et Jean-Louis Kupper rappellent dans la préface de la dernière grande Histoire de la Wallonie, cette opinion de Jean Stengers, le sentiment de Charles de Gaulle, exprimé dans les années 1960, qui estime que la Wallonie n'est pas une nation et, enfin, la conviction de Jules Destrée s'adressant, en 1912, au roi des Belges Albert Ier, à qui il écrit une lettre ouverte où il affirme que son Roi règne sur deux peuples distincts, analyse que le destinataire de la lettre ouverte approuva. Bruno Demoulin et Jean-Louis Kupper en concluent :

«  Ces trois visions différentes , sinon complémentaires, exprimées, la première par un immense homme d'Etat pénétré d'histoire, la seconde par un grand historien et la troisième par un des pères fondateurs du mouvement wallon ne sont-elles pas de nature, incontestablement, à éveiller la curiosité? Se pencher sur l'histoire, depuis les temps les plus reculés jusqu'à nos jours de cet espace wallon situé au coeur même de l'Europe, entre France et Allemagne, est donc une démarche historique passionnante... Permettra-t-elle d'éclairer la question fondamentale de l'existence ou non d'une identité wallonne, de sa nature ou de son processus de création au fil du temps? Cette problématique et bien d'autres traversent ce livre.[7] »

[modifier] L'intérêt des cartes de provinces d'ordres religieux évoquant la Wallonia

Des cartes de la Wallonia (Wallonie en latin), ont été rassemblées durant sa vie par Julien Lambert et léguées à sa mort à l'Université catholique de Louvain: des cartes des provinces des capucins. Ces Pays-Bas anciens (la Belgique actuelle moins les conquêtes de Louis XIV et la Principauté de Liège, mais celle-ci est couverte également par ces cartes), ont connu une Contre-Réforme importante; l'ensemble des religieux (des deux sexes), et des prêtres y représentaient 3% de la population selon certaines estimations (voir infra), avec également une forte présence de jésuites ayant levé aussi des cartes similiaires (sans toutefois se servir du mot Wallonia pour désigner le même territoire que celui de leurs confrères capucins).

La Wallonie n'existant politiquement officiellement que depuis 1980, lors de la création de la Région wallonne, les cartes qui ont été dressées de cette Région ont souvent à peine un siècle, le mot Wallonie semblant avoir été fixé seulement en 1886 par Albert Mockel (avec des précédents depuis 1846). Le terme Wallons qui désigne aujourd'hui la population de cette Région, est, lui, considéré comme plus vieux de quatre siècles [8]. Or les cartes des provinces des capucins indiquent que le territoire situé au sud de la frontière linguistique des Pays-Bas espagnols a été nommé "Wallonie" au moins en latin et peut-être (mais les auteurs sans l'exclure ne l'affirment pas non plus) en français dès le XVIIe siècle. Et le mot Flandre (dans le même contexte) s'est rapproché du sens d'aujourd'hui. Certes, l'ancienneté de la Frontière linguistique est connue et généralement admise chez la plupart des historiens belges, mais les territoires qu'elle définit du fait même de son tracé n'ont - et c'est surtout vrai pour la Wallonie - jamais eu d'existence politique avant le XXe siècle. L'histoire des ordres religieux, en particulier les capucins et les jésuites, semble cependant montrer, pour reprendre les mots de Jean Germain, que la prise en compte d' éléments identitaires d'ordre linguistique, identifiés à ces territoires définis par la frontière des langues, même en ce qui concerne la Wallonie (pas toujours nommée comme telle, parfois si, en tout cas en latin), est effective peu après 1600 . Henri Pirenne a souligné aussi ce critère populaire d'ordre linguistique pour le tracé de provinces similaires chez les jésuites, soit chez eux le souci

«  d'agir sur le peuple[9] »

Pour les mots Wallonie et Wallons:

[modifier] L'origine identitaire d'ordre linguistique de ces cartes

Au XVIe siècle, après la sécession des Provinces-Unies (en gros les Pays-Bas d'aujourd'hui), des Pays-Bas espagnols , et leur passage au protestantisme, la Contre-réforme catholique a donc massivement encadré les populations dans le Sud (en gros l'actuelle Belgique), à travers des dizaines de milliers de religieux dont certains divisèrent cette proto-Belgique en une province de Flandre et une province de Wallonie à l'image (approximativement) de ces deux réalités belges du XXIe siècle siècle. Leurs activités (culte, prédication), comprenant aussi les services classiques rendus par les couvents ("asssistance sociale", enseignement, "soins de santé" etc.), et même des aspects de ce que l'on appellerait aujourd'hui la Protection civile, expliquent qu'ils aient à ce point tenu à bien distinguer deux espaces culturels différenciés supposant des approches pastorales différentes, ce qui n'est pas le cas des espaces coïncidant avec les anciennes principautés féodales, demeurées des provinces des Pays-Bas. Jean Germain note à propos de ces territoires: "Rien ne leur permet d'ébaucher - sous une forme cartographiée - une quelconque identité linguistique ou culturelle, dont l'émergence se ferait à cette époque." [10]. Au contraire

« Les Capucins - et d'autres ordres religieux - ont eu cette occasion puisque leurs provinces se formaient sur une base identitaire d'ordre linguistique.[11] »

En utilisant « autres ordres religieux », Jean Germain, dans une note infrapaginale, vise les Jésuites dont il propose qu'on étudie également les cartes. C'est ce qu'ont fait tant Henri Pirenne que Jean-Marie Lacrosse(ce dernier dans Le débat), mettant en évidence au fondement des cartes jésuites, la même base identitaire et linguistique que pour les provinces des Capucins (voir infra note 25).

[modifier] Une Wallonie nommée en latin depuis plus longtemps qu'en français?

Jean Germain étudie ces cartes sous l'intitulé La préhistoire latine du mot Wallonie (car la Wallonie n'y est nommée qu'en latin) [12]. Il y en a six versions différentes, rééditées de nombreuses fois (l'UCL possède plusieurs exemplaires de chaque édition). Longtemps, selon Jean Germain, une seule de ces cartes fut connue d'un large public, la Provincia GalloBelgiae seu [ou] Walloniae publiée dans La Wallonie, le Pays et les Hommes[13]. Et ce seul exemplaire n'était pas jugé significatif.

La préhistoire latine du mot Wallonie (sous la forme Wallonia), est donc importante et recoupe une dualité Wallons/Flamands soulignée par Pirenne. Dans Les régions wallonnes et le travail historique de 1805 à 1905, Jacques Stiennon résume ainsi l'intervention d'Henri Pirenne au Congrès wallon de 1905 rappelant d'abord que, pour Pirenne, il n' y a pas d'histoire des Wallons ni des Flamands:

« Cependant et c'était là une déclaration d'une importance capitale, Henri Pirenne reconnaissait qu'il existait en Flandre et en Wallonie, un sentiment national distinct, une manière différente de sentir, de comprendre et de voir.[14] »

Et Pirenne de citer les écoles liégeoises des Xe et XIe siècles, la floraison de l'art wallon, les peintres considérés par lui comme wallons (Van der Weyden, Patinier) [15], les compositeurs (Roland de Lassus), l'expansion industrielle etc. Pirenne concluait

« Des deux races [16] qui habitent la Belgique, la wallonne et la flamande, aucune n'a rien à envier à l'autre. Dans des domaines différents, avec des activités différentes et avec des aptitudes variées, elles ont toutes deux produit de grandes choses. Elles ont collaboré chacune à notre histoire dans une émulation réciproque, et elles ne peuvent avoir l'une pour l'autre que de l'admiration." [17] »

[modifier] Analyse du corpus cartographique

Plebeius civis in Walonia parte Belgarum
Plebeius civis in Walonia parte Belgarum

La première mention importante du mot Wallonia ne concerne pas à proprement parler une carte mais une gravure d'un livre intitulé Habitus Variarum Orbis Gentium. Habitz de nations estrâges, publié à Malines, chez Gaspard Rutz en 1581. Sur cette gravure (ci-jointe), apparaissent trois femmes (dites de Lorraine, de Hainaut et de Picardie) et un Plebeius civis in Wallonia parte Belgarum (un Citoyen wallon). Jean Germain se pose la question de savoir si les termes in Wallonia parte Belgarum (en Wallonie, partie [du territoire] des Belges), s'opposent aux trois autres localisations ou les résument. Sans trancher.

Les autres mentions de Wallonia concernent les divisions des provinces belges par les capucins décidées dès 1616 et attestées en 1618 et 1622, évoquées sous des formes diverses, par exemple definitor Walloniae[18]. Un ouvrage ancien énumère d'ailleurs les différentes divisions administratives d'ordres religieux opposant les régions de parlers romans - toujours désignées par le mot Wallonia ou des termes analogues - et les régions de parler thiois ou flamand[19].

[modifier] Présentation des différentes cartes

[modifier] Liste et dates d'édition

  • Carte (1) Germania = Tabula totius Germaniae avec mention Provincia Walloniae (datant peut-être de 1641)
  • Carte (2) Provincia Walloniae cum confiniis Provincia Wallonica (même date supposée)
  • Carte (3) Provincia Ledoiensis [de Liège ] cum confiniis = Provincia Leodiensis
  • Carte (4) Provincia Gallo-Belgae seu Walloniae cum confiniis (datant de la fin du XVIIIe siècle siècle, soit de 1712)
  • Carte (5) Germania où figure la mention Provincia Walloniae (en regard de P. Flandriae), datant de 1654.
  • Carte (6) Provincia Flandriae cum confiniis qui comprend également la mention Provincia Walloniae datant de 1654.

[modifier] Wallonia toujours utilisé comme substantif

Le mot Wallonia ou Vallonia dans d'autres textes (notamment les textes qui accompagnent les cartes) est employé à la fois substantivement (soit le latin pour l'actuelle Wallonie si du moins il y a lien entre le mot latin et le mot français, ce qui n'est pas forcément établi), soit adjectivement (par exemple wallonica) ce qui fait penser à l'adjectif wallon dans Région wallonne (bien sûr, mutatis mutandis). En revanche, toutes les cartes usent du mot Wallonia comme d'un substantif.

[modifier] Territoires couverts par ces cartes comme relevant de la Wallonia

Le tableau qui suit, établi par Jean Germain[20], vise évidemment sous le nom de comté de Hainaut, Tournaisis, comté de Namur ... ces anciens territoires dans leur configuration d'Ancien Régime qui peut correspondre avec quelques nuances, parfois importantes, aux provinces wallonnes actuelles ou sous-régions wallonnes, plus évidemment quelques régions françaises qui, à l'époque, n'avaient pas encore été incorporées au Royaume de France par les conquêtes de Louis XIV comme Nord-Picardie[21].

Cartes Tournaisis Comté de Hainaut Comté de Namur Principauté de Liège Luxembourg Duché de Limbourg Nord-Picardie Ardenne
Carte Germania (1) X X X X
Carte Valloniae (2) X X X X
Carte Leodiensis (3) X[22] X X X X
Carte Gallo-Belgae (4) X X X X X X X X
Carte Germania (5) X X X X X X X X
Carte Flandriae (6) X X X X X X X X
TOTAUX quatre six six trois six cinq trois quatre

Jean Germain conclut :

« Globalement, la couverture géographique de la « Wallonia » ou « Provincia Walloniae » des Capucins correspond à celle véhiculée par le terme Wallons des XVIIe siècle et XVIIIe siècle siècles, à savoir les habitants du Nord de la France et de l'actuelle Wallonie, hormis, partiellement, la Principauté de Liège[23]. »

Il poursuit en soulignant que les principautés féodales, dans la cartographie de l'époque, ne désignaient rien d'identitaire, mais que les provinces des ordres religieux (les capucins et les jésuites: les Jésuites dont les provinces ne sont pas étudiées par lui, mais qui en ont dessinés sur le même modèle, voir infra) se formaient sur une base identitaire d'ordre linguistique. Quant à dire que le terme Wallonie - qu'ils auraient latinisé - était déjà usité sinon d'usage, on n'oserait l'affirmer ; rien n'interdit toutefois d'imaginer le frémissement d'une prise de conscience d'une même appartenance culturelle et linguistique, transcendant un découpage géopolitique autre[24].En outre le passage de la forme latine en ia à la forme française en ie est multiplement attestée.

« Quant à dire que le terme Wallonie - qu'ils auraient latinisé - était déjà usité, sinon d'usage, dans une partie de la population de ces régions, on n'oserait l'affirmer; rien n'interdit toutefois d'imaginer le frémissement d'une prise de conscience d'une même appartenance culturelle et lingusitique, transcendant un découpage politique autre. Indépendammment de ces considérations, la dérivation en -ie/-ia a pu se faire tout naturellement comme nom de pays ou de région à partir du nom des habitants, sur le modèle Normands/Normandie ou Picards/Picardie ou encore Hannonia.[25] »

[modifier] Importance historique de ces provinces religieuses pour Pirenne et Lacrosse

En mars-avril 1997, le sociologue Jean-Marie Lacrosse, professeur à l'UCL, dans la revue Le Débat considérait que les Jésuites, notamment, ont en quelque sorte fondé la Belgique par ce découpage ethno-linguistique et culturel en Flandre/Wallonie (bien que se fondant sur les cartes jésuites, il ne parle pas explicitement de Wallonie mais du territoire qui y correspond), une Wallonie dont tous les territoires actuels de la Région wallonne (dont on exceptera, eu égard à la situation présente, la petite minorité germanophone) se retrouvent sur ces cartes.

« La province belge compte en 1626 près de 1 600 jésuites (comparativement, il y en a un peu plus de 2 000 en France et en Allemagne, et 3 000 en Espagne même). En 1612, vu son importance, elle est scindée en deux provinces : la province flandro-belge et la province gallo-belge. Pour assurer l'efficacité de la prédication, les jésuites ne tiennent aucun compte des anciennes divisions administratives : ils fixent pour la première fois, sur base d'un recensement précis, la frontière linguistique. Et ce point est capital pour bien mesurer les régressions ultérieures, ils instaurent dans leurs collèges, de chaque côté de la frontière linguistique, l'enseignement de la seconde langue.[26]. »

Les autres ordres religieux (comme les Capucins dont nous avons déjà lu les cartes), sont très nombreux selon J.-M. Lacrosse : pour 2 millions d'habitants, les estimations les plus plausibles parlent de 60 000 religieux (soit 3% de la population) répartis en 88 collégiales, 240 monastères et couvents, 173 abbayes. À côté des jésuites, ceux que l'on appelle les « jésuites des pauvres » - capucins, carmes, récollets, etc. - se consacrent avant tout aux classes populaires : prêcher, confesser, organiser processions et neuvaines, visiter les prisonniers, soigner les malades et même, dans certaines villes, éteindre les incendies. Mais l'important, c'est que voilà la nation belge constituée, selon l'auteur, aussi bien dans son unité que dans sa division[27], par une organisation territoriale qui se superpose aux subdivisions héritées de la féodalité et en les ignorant,

« pour assurer l'efficacité de la prédication.[28] »

Ces observations rejoignent ce qui est dit aussi de la catéchèse sur le même territoire[29]. Il est à noter aussi que Jean-Marie Lacrosse se laisse décrire comme « plutôt unitariste »[30].

Henri Pirenne cite des chiffres semblables à ceux de J.-M. Lacrosse pour les Jésuites (y compris les comparaisons avec les pays évoqués). Le chiffre de 60 000 religieux (des deux sexes), lui semble cependant une simple indication, mais, pour Pirenne aussi, la population est étroitement encadrée par l'Église. L'historien belge pense également que la province wallonne et la province flamande regroupent les habitants selon leur appartenance linguistique et culturelle indépendamment des appartenances politiques, même la liégeoise, (à l'instar des deux mêmes provinces chez les Capucins).

« Déjà détachée de la Province Rhénane en 1564, la Province Belgique était devenue si considérable qu'il fallut en 1612 la scinder en deux. On ne tint compte dans l'établissement de ces circonscriptions ni des divisions administratives ni même des divisions politiques. Destinée à agir sur le peuple, la Compagnie répartit ses cadres suivant la frontière linguistique qui coupait le pays en deux parties presque égales. Toute la région flamande, tant des Pays-Bas que de la Principauté de Liège, forma la Province Flandro-Belge, tandis que la Province Gallo-Belge engloba la région wallonne.[31]. »

Enfin, tant pour Pirenne que pour Lacrosse, cet encadrement étroit des populations par l'Église catholique est historiquement et politiquement très significatif en raison de la faiblesse des structures spécifiquement politiques:

« Notons d'ailleurs la coïncidence des dates: au moment où, avec Henri IV, la nation française se stabilise définitivement dans la monarchie absolue, les Pays-Bas méridionaux se soudent à l'Église catholique.[32] »

Les structures politiques locales, soit les diverses provinces des Pays-Bas méridionaux dessinées sur le modèle des principautés médiévales (il ne s'agit pas ici des provinces ecclésiastiques mais du Comté de Namur, du Comté de Hainaut etc.), perpétuent le morcellement féodal. Elles sont "dominées" (selon le mot technique de l'historiographie belge), par les Rois d'Espagne et les Empereurs d'Autriche, qui les gouvernent avec les titres des anciens dynastes. [33] Le Roi ou l'Empereur sont comtes de Namur, ducs de Luxembourg etc.), mais "de loin", ce qui est de fait permissif vis-à-vis de leurs autonomies comme l'a souligné Robert Devleeshouwer notamment pour les Empereurs d'Autriche:

« Ce qui me frappe dans le passé des espaces belges, c'est leur niveau de vie relativement (j'insiste) élevé par rapport aux contrées avoisinantes et, lié à cette situation (cause et/ou conséquence?), le fait que les structures dominantes y ont été peut-être moins coercitives. C'est notamment le cas du XVIIIe siècle. Le pouvoir autrichien s'y heurte à la résistance des structures locales. Celles-ci sont de nature archaïque, mais elles n'empêchent pas les populations de produire bien et abondamment (toutes proportions gardées, bien entendu).[34] »

D'où, à nouveau, l'importance, soulignée tant par Pirenne que Jean-Marie Lacrosse de provinces d'ordres religieux dans une nation alors "profondément catholique" [35]

[modifier] Évolution de ces provinces de 1600 à la Révolution française

Le Professeur Jean-François Gilmont de l'UCL a étudié la place de ces provinces à la fois dans la perspective de l'histoire de l'Église catholique et de la Wallonie en général et il met également en évidence les capucins et les jésuites dans Les structures ecclésiastiques de la Wallonie, XVIe-XVIIIe siècle[36].

[modifier] Chez les jésuites

Territoire sous règne français et conquêtes de 1552 à 1798 montrant les conquêtes « wallonnes » et "flamandes" de Louis XIV
Territoire sous règne français et conquêtes de 1552 à 1798 montrant les conquêtes « wallonnes » et "flamandes" de Louis XIV

Les Jésuites entrent aux Pays-Bas en 1542, notamment à Louvain (collège reconnu en 1565), et à Tournai en 1554 (collège reconnu en 1561). Leur province regroupant les Pays-Bas espagnols et la Principauté de Liège est dite de Germanie inférieure[37] Leurs succès commencent en 1584 et

«  des raisons administratives imposent au début du XVIIe siècle, une nouvelle scission de leur province de Germanie inférieure. En 1610, une première solution est tentée. Les collèges mosans (Dinant, Liège, Maastricht, Ruremonde et Bois-le-Duc sont regroupés avec ceux de Luxembourg, Mons et Valenciennes en une vice-province dotée d'une autonomie limitée.[38] »

Dans cette solution, des collèges du Diocèse de Liège sont regroupés avec ceux d'autres diocèses.

«  Dès l'année suivante, la tentative fut jugée malheureuse et une scission totale fut préconisée. Les intéressés eux-mêmes souhaitèrent que la division se fasse selon le critère de la langue. Le choix de la dénomination des deux nouvelles provinces est significatif des sensibilités de l'époque. Les jésuites des Pays-Bas espagnols proposèrent les noms de Belgique inférieure et Belgique supérieure (...) Le Supérieur général craignit les allusions déplaisantes à cet inférieur et proposa de les appeler Flandro-Belgique et Gallo-Belgique (...) Les terres wallonnes se rejoignent donc au-delà des particularismes politiques. L'action pastorale des religieux s'organisait en fonction de la Wallonie entière. Mais le refus d'un traitement propre à la principauté de Liège ne fut pas accepté par tous les jésuites. Vers 1648, il y eut une démarche des États de Liège auprès d'Innocent X pour obtenir l'érection d'une province séparée. La supplique était soutenue par Louis XIV (...) L'affaire, sans doute liée à des conflits politiques locaux ne semble pas avoir eu de suites.[39] »

Louis XIV conquit ensuite (en orange sur la carte ci-dessus), toute la Flandre française, l'Artois et le Hainaut français , enlevant ainsi aux Pays-Bas espagnols des terres tant « wallonnes » que « flamandes ». Il voulut que ces conquêtes fassent partie d'une province distincte des deux provinces jésuites des Pays-Bas (wallonne et flamande), et dépende des jésuites de France. Les jésuites lui résistèrent (les capucins, eux, cédèrent, voir infra), Louis XIV avait déjà appuyé la demande parallèle des Liégeois de la Principauté quelques années auparavant. Les jésuites maintinrent l'unité de leur province mais on trouva un accommodement : les supérieurs furent Français ou, à tout le moins, choisis parmi des jésuites nés dans les régions réunies à la France. Cette situation perdura jusqu'à l'expulsion des jésuites de France (1765) et des Pays-Bas autrichiens (1773).

[modifier] Chez les capucins

Principauté de Liège et  Pays-Bas autrichiens en 1786: la carte fait voir la dualité politique des Pays-Bas wallons (voir les villes)
Principauté de Liège et Pays-Bas autrichiens en 1786: la carte fait voir la dualité politique des Pays-Bas wallons (voir les villes)

Les capucins n'entrent aux Pays-Bas espagnols qu'en 1585. Chez eux, comme chez les jésuites, une province fut d'abord établie pour l'ensemble de ces possessions espagnoles et la principauté de Liège n'en faisait pas partie (comme principauté indépendante), mais elle était cependant commer enfoncée dans les Pays-Bas, les coupant en deux. Au départ, cette province fut qualifiée soit de Germanie inférieure, soit de Flandre, soit de Pays-Bas ou encore de "Province Belgique".

Mais ensuite, comme les jésuites, l'Ordre des capucins connut une croissance tout à fait importante nécessitant une réorganisation administrative:

« Impressionnés par l'exemple jésuite, les capucins décidèrent en 1616 une division de leur province selon le critère de la langue des populations, sans respecter les frontières de la principauté de Liège. Les titres adoptés par les nouvelles entités sont plus proches de nos sensibilités: province wallonne et province flamande. Les capucins usaient aussi de l'expression de province gallo-Belgique, mais moins couramment que les jésuites.[40] »

Au moment des conquêtes françaises (Dunkerque - ville "flamande" - Lille, ValenciennesCondé, Wattignies - villes "wallonnes" - par exemple...), les capucins acceptèrent rapidement de créer une province regroupant ces conquêtes et des régions flamandes situées au au nombre de ces annexions de Louis XIV. Ici, par conséquent, la raison politique l'emporta sur l'élément linguistique. Il y eut une autre différence, cette fois pour la principauté de Liège. Après la constitution de la province située en France voulue par Louis XIV, les Liégeois entrèrent ern conflit avec les capucins. Les terres wallones de la principauté de Liège possédaient sept des seize maisons de la nouvelle province wallonne à laquelle avaient été enlevées les conquêtes françaises:

« S'estimant injustement écartés de la direction de leur province, les capucins liégeois provoquèrent plusieurs conflits plus ou moins ouverts de 1686 à 1704. Ils firent même appel au nonce de Cologne. Et finalement, en 1704, une nouvelle scission fut décidée. La province wallonne conservait les maisons de Mons, Ath, Enghien, Soignies, Charleroi, Namur, Eupen, Arlon, Luxembourg et, plus tard, de Tournai. La province liégeoise se voyait attribuer les maisons de Liège, Huy, Dinant, Verviers, Spa, Thuin, ainsi que Stavelot et Malmedy... [41] »

[modifier] Une Wallonie unie « en filigrane »

Pour ce qui est des structures ecclésiastiques des deux plus importants ordres religieux des Pays-Bas espagnols, Jean-François Gilmont conclut que

«  la manière d'agir des religieux tels que les jésuites et les capucins montre que le souci pastoral poussait à rassembler tous ceux qui travaillaient en Wallonie, qu'elle dépende du roi d'Espagne ou du Prince-évêque de Liège, pour ne pas parler des autres princes de moindre importance. Cette unité ne se dégage cependant qu'en filigrane et les tendances centrifuges l'emportent souvent.[42] »

[modifier] Voir aussi

[modifier] Sources

  • Christophe Derenne et Colette De Troy (coord.), Belgique, disparition d'une nation européenne, Luc Pire, Bruxelles, 1997
  • Jean Germain, « La préhistoire latine du mot Wallonie » dans Luc Courtois, Jean-Pierre Delville, Françoise Rosart & Guy Zélis (directeurs), Images et paysages mentaux des XIXe siècle et XXe siècle siècles de la Wallonie à l'Outre-Mer - Hommage au professeur Jean Pirotte à l'occasion de son éméritat, Academia Bruylant, Presses Universitaires de l'UCL, Louvain-la-Neuve, 2007, pp. 35-48 (ISBN 978-2-87209-857-6)
  • Jean-François Gilmont, Les structures ecclésiastiques de la Wallonie: XVIe-XVIIe siècles in Église et Wallonie, Tome II, Jalons pour une histoire religieuse de la Wallonie, Editions vie ouvrière, Bruxelles, 1984, pp. 70-84. [ISBN 2-87003-179-3]
  • Omer Henrivaux, « Le catéchisme, source importante pour l'étude de la mentalité et de l'unité wallonne » dans Jalons pour une histoire religieuse de la Wallonie EVO, Bruxelles, 1984 pp. 103-126 (ISBN 2-87003-179-3)
  • (nl) P. Hildebrand, De Kapucijnen in de Nederlanden en het Prinsbisdom Luik, Anvers, 1945
  • Jean-Marie-Lacrosse, « La Belgique telle qu'elle s'ignore » dans Le Débat, numéro 94, mars-avril 1997, pp. 12-40
  • Henri Pirenne, Histoire de Belgique, Tome IV et Tome V, Max Lambertin, Bruxelles, 1927 et 1926.

[modifier] Notes et références

  1. (plus rarement utilisée avant le XVIIIe siècle), voir Albert Henry, Histoire des mots WALLON et WALLONIE, Institut Jules Destrée, Charleroi, 1990, p. 18.
  2. Henri Pirenne, cité par Geneviève Warland, Histoire de Bedlgique, tome I, 1930, p. 392
  3. Le Soir p. 17, 3/10/2007. Il est important de donner le contexte de cet extrait. L'historienne rappelle que la crise politique vécue par la Belgique en 2007 est le reflet d'une impasse historique au sens premier du terme, mais aussi d'un manque de sens historiographique: "Ce qui fait défaut, c'est l'idée d'un récit partagé. Non pas au sens d'une histoire patriotique qui gommerait les conflits pour nous projeter dans un futur radieux prolongeant nos gloires passées, mais bien d'une compréhension commune et renouvelée de ce qui a pu faire la spécificité de ce que l'historien allemand Karl Lamprecht, qualifiait de microcosme de l'Europe dans les années 1890. Cette image de la Belgique résumant ses traits cosmopolites - la fécondité d'un double ancrage culturel et linguistique, une Constitution apparue comme l'une des plus libérales (...) l'ouverture sur l'étranger et le dynamisme économique - a été reprise par l'historien belge Henri Pirenne, dans sa magistrale Histoire de Belgique.
  4. Geneviève Warland, article cité
  5. Histoire du sentiment national en Belgique des origines à 1918, Tome II Le siècle de la nationalité belge, Racine, Bruxelles, 2002, p. 201 [ISBN 2-87386-249-1]
  6. Philippe Destatte, L'identité wallonne, Institut Jules Destrée, Namur, 1997, p. 32.
  7. Bruno Demoulin, Histoire de la Wallonie, De la préhistoire au XXIe siècle, Privat, Touluse, 2004 [ISBN 2-7089-4779-6]
  8. Albert Henry, Histoire des mots WALLON et WALLONIE le signale d'abord pour le XVe siècle chez Jean de Haynin dans ses mémoires rédigées entre 1466 et 1477, chez Jean Molinet en 1474, 1478, 1480, 1481 etc. p..30. Il le signale également chez Jean Lemaire de Belges, Shakespeare, Cervantès, Bossuet, le Dictionnaire de Trévoux etc. Voyez également la page intitulée Histoire du terme Wallon...
  9. voir infra la note 31
  10. La préhistoire latine du mot Wallonie in Luc Courtois, Jean-Pierre Delville, Françoise Rosart & Guy Zélis (directeurs), Images et paysages mentaux des XIXe siècle et XXe siècle siècles de la Wallonie à l'Outre-Mer, Hommage au professeur Jean Pirotte à l'occasion de son éméritat, Academia Bruylant, Presses Universitaires de l'UCL, Louvain-la-Neuve, 2007, pp. 35-48 (ISBN 978-2-87209-857-6), p. 47
  11. Jean Germain, ibidem
  12. Jean germain, op. cit.
  13. La Wallonie, le Pays et les Hommes, Tome I, La Renaissance du livre, Bruxelles, 1977, p. 73.
  14. Jacques Stiennon in La Wallonie, le Pays et les Hommes, Tome II (lettres,arts, culture) Bruxelles, 1975, p. 461
  15. Jacques Stiennon in La Wallonie, le Pays et les Hommes, ibidem
  16. à l'époque le mot est synonyme de peuple
  17. Pirenne cité par Jacques Stiennon, op. cit.,p. 462
  18. P. Hildebrand, De Kapucijnen in de Nederlanden en het Prinsbisdom Luik, Anvers, 1945.
  19. Chronogrophica descriptio provinciarum et conventuum Fratrum Minorum S. Francisci Capucinorum... iussu A.R.P. Ioannisa Montecalerio, Rome 1643, Turin, 1649 [atlas: 57 cartes] et 1668, Milan 1712 (ou 1721).
  20. Jean Germain, op. cit., p. 45
  21. On aura une idée de ces cartes en consultant une carte conservée en Région wallonne : http://patrimoine.met.wallonie.be/Cartoth%E8que/.
  22. L'article de Jean Germain souffre d'une incohérence au sujet de l'appartenance de Tournai/Tournaisis à la Wallonia dans la carte "Leodiensis" (3): il mentionne bien le Tournaisis dans la carte, p. 46 mais non Tournai dans la même carte, p. 47.
  23. Jean Germain, La préhistoire latine de Wallonie, op. cit., in Luc Courtois, Jean-Pierre Delville, Françoise Rosart & Guy Zélis, Images et paysages mentaux des XIXe siècle et XXe siècle siècles de la Wallonie à l'Outre-Mer, Hommage au professeur Jean Pirotte à l'occasion de son éméritat op. cit., p. 47.
  24. Ibidem.
  25. Jean Germain, article cité, p. 47
  26. Jean-Marie-Lacrosse, La Belgique telle qu'elle s'ignore, in Le Débat, numéro 94, mars-avril 1997, pp. 12-40, p. 17.
  27. J.-M. Lacrosse, La Belgique telle qu'elle s'ignore, op. cit., p. 19.
  28. Jean-Marie Lacrosse, op. cit.
  29. Omer Henrivaux dans Le catéchisme, source importante pour l'étude de la mentalité et de l'unité wallonne in Jalons pour une histoire religieuse de la Wallonie EVO, Bruxelles, 1984 pp. 103-126 [{ISBN|2-87003-179-3}}, considère que l'adoption d'un même catéchisme par les régions wallonnes actuelles est un signe de leur unité, même s'il faut faire une excepton pour la Gaume et Tournai, cette dernière exception étant cependant contredite par le témoignage de Pierre Dedoyart, Développement du petit catéchisme qui est en usage dans les diocèses de Cambrai, de Liège et de Namur, Maastricht, 1788, p. XLIV.
  30. Une Belgique qui s'ignore in Belgique, disparition d'une nation européenne livre coordonné par Christophe Derenne et Colette De Troy, Luc Pire, Bruxelles, 1997, pp. 17-30, p. 20 (ISBN 2-930088-78-8).
  31. Henri Pirenne, Histoire de Belgique, Tome IV, Max Lambertin, Bruxelles, 1927, p.369.
  32. Jean-Marie Lacrosse, article cité, p. 16
  33. D'autres principautés, mais très petites, sont même indépendantes comme le Duché de Bouillon ou la Principauté de Stavelot-Malmedy, la Principauté de Liège étant à cet égard la seule entité politique autonome d'un poids réel.
  34. Robert Devlesshouwer, Quelques questions sur l'histoire et la Belgique in Critique politique n° 2, mars-avril-mai 1979, pp 5-38, p. 18
  35. Henri Pirenne, op. cit., Tome V, p.440
  36. in Église et Wallonie Tome II intitulé Jalons pour une histoire religieuse de la Wallonie, Editions Vie Ouvrière, Bruxelles, 1984, pp. 70-84 et en particulier pp. 79-84 [ISBN 2-87003-179-3]
  37. A.Poncelet, Histoire de la Compagnie de Jésus dans les anciens Pays-Bas, 2 Vol., Bruxelles, 1927-1928 t. I, pp. 111-118 et pp. 427-433
  38. Jean-François Gilmont, op. cit., pp. 79-80
  39. Jean-François Gilmont, op. cit. pp. 80-81
  40. Jean-François Gilmont, op. cit. , p.82
  41. Jean-François Gilmont, op. cit., pp. 82-83
  42. Jean-François Gilmont, op. cit. p. 83

[modifier] Bibliographie