Utilisateur:HaguardDuNord/Politique culturelle française

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La politique culturelle française se distingue par sa longue histoire, la forte présence de l'État et la continuité des institutions au fil des siècles.

Les premières décisions se prennent en parallèle à l’avènement de l’État et son affirmation face au pouvoir religieux. Les actions actuelles et l’administration dont elles émanent, résultent d’une succession de ruptures politiques et institutionnelles, mêlées à la continuité des soutiens des dirigeants à travers les siècles, et largement façonner par quelques hommes et femmes

François Ier, qui met en place les fondements de la monarchie absolue, donne au royaume une langue officielle, puis Louis XIV, incarnation de l’absolutisme monarchique, fait de la France une puissance culturelle par le soutien aux arts du siècle d’or. Les républicains édictent, dans un difficile processus de libéralisation, les premières lois visant la protection du patrimoine national, l’éducation du peuple, la diffusion de la culture et l’organisation des arts tandis que les romantiques font du patrimoine bâti une question d’État. Après plusieurs tentatives, la mise en place d’une réelle politique culturelle apparaît avec la naissance du ministère des Affaires culturelles en 1959. La culture prend une part entière dans l’action gouvernementale, et le nouveau ministère centralise les différentes administrations créées depuis 500 ans. Puis, à partir des années 1970, le secteur culturel se développe, la notion de diversité émerge, et le modèle culturel français tente de se protéger de la mondialisation.

Sommaire

[modifier] Les origines

[modifier] Institutionnalisation du Français et mécénat royal

En 1257, Saint Louis soutient la fondation de la Sorbonne par Robert de Sorbon. Mais les premiers actes culturels étatiques sont signés par François Ier. L’ordonnance de Montpellier institue le dépôt légal, en 1537, et l’ordonnance de Villers-Cotterêts officialise en 1539, la constitution de la langue française, qui devient obligatoire dans les actes officiels. Il fonde le Collège des lecteurs du royaume, première institution d’État, et finance les arts de la Renaissance à travers les châteaux de la Loire et Léonard de Vinci.

Le royaume se dote ainsi d’une langue officielle, celle du roi, et aucun document ne lui échappe et l’action culturelle royale se réalise également dans la censure. À son tour, Henri IV fonde l’administration des Bâtiments du Roi et fait de la Grande galerie du Louvre un lieu de résidences et d’expositions pour les artistes. En 1635, le cardinal Richelieu fonde l’Académie française.

Le roi mécène par excellence est Louis XIV. Si ses prédécesseurs ont déjà pensionné des artistes, la cour de Versailles accueille les plus grands artistes du siècle d’or, qu’il s’agisse d’art lyrique, dramatique, ou littéraire. En 1669, est édifié l’Opéra de Paris, suivi de la Comédie-Française en 1680. Louis XIV s’attache aussi au développement de l’artisanat d’art, en instituant sous l’impulsion de Colbert, les manufactures royales, comme celle des Gobelins pour la tapisserie, et celle de Sèvres pour la céramiques, ou à travers les costumes de la « maison Molière » et de l’Opéra. Tandis que la valorisation du Français, qui s’étudie dans les collèges que les Jésuites fondent dans le royaume et à travers le monde, a pour objet d’unifier les terroirs français, le soutien aux arts permet au Roi soleil de mettre en avant le prestige de la France à l’étranger. La France est ainsi une force militaire et un modèle de culture, le royaume est à la fois craint et admiré.

[modifier] Création d’un statut de l’auteur et émergence du patrimoine national

Les années succédant à la Révolution française voient cohabiter une inspiration libérale, issue des Lumières, centré sur la libre création, une tradition monarchique, mécène de l’académisme et régulateur des arts et une aspiration démocratique, autour de la diffusion d’une culture nationale.

Les révolutionnaires prêtent une grande importance à la culture, à travers l’instruction et les arts. L’idéal démocratique passe par la diffusion du savoir. Aussi ouvrent les premiers muséums publics des beaux-arts, qui devait être un par département, notamment le Muséum des arts qui ouvre en 1793 dans le palais royal du Louvre. Les grandes écoles ouvrent leurs portes : l’École nationale supérieure des Beaux-Arts, les Conservatoires nationaux des arts et métiers et supérieur de musique, le Muséum national d’histoire naturelle...

Les réformes libèrent les activités artistiques, avec le décret de janvier 1791 sur la liberté théâtrale, celui supprimant les corporations et celui fermant les académies. L’Assemblée constituante institue la propriété intellectuelle voulue par Beaumarchais, par le décret Lakanal en 1793, tandis que Condorcet prônait une libre circulation des œuvres de l’esprit. Mais cette libéralisation de la création connaît ses limites avec la Terreur, par l’interdiction en 1793 des œuvres non conformes aux idées révolutionnaires qui conduit la politique en faveur de la création à l’échec.

Alors que la Convention appelle à la destruction systématique des symboles royaux et religieux, elle définit parallèlement le principe de conservation par le biais de la création le 13 octobre 1790 de la Commission des monuments, le vote du décret conservateur du 3 brumaire an II (1793), et la mise en place du musée des monuments français sous la direction d’Alexandre Lenoir. La France est le premier pays à légiférer sur son patrimoine, au nom de l’intérêt général. La Nation est donc à cette époque schizophrène, entre l’épuration de l’ancien temps, qualifié de vandalisme par l’Abbé Grégoire mais encouragé par les sans-culottes, et la volonté de préservation[1].

Le souci de sauvegarde du patrimoine écrit apparaît également et les institutions royales deviennent nationales comme la Bibliothèque et les Archives. Les biens confisqués à l’Église et aux nobles émigrés rejoignent le patrimoine national.

Ainsi naît, en même temps que la Nation révolutionnaire le concept de patrimoine national, héritage des siècles, témoin de l’histoire de l’histoire nationale, au delà des aspirations politiques et de la propriété privée. La culture ne se limite plus aux arts, mais acquiert une dimension de transmission comme témoin du génie national. Le patrimoine passe du cercle familial à la sphère publique, de la logique de collection (rassembler des objets pour soi et ses descendants) à celle de protection (sauvegarder au nom de la société un bien qui devient collectif par son histoire)[1].

[modifier] La diffusion de la culture démocratique

Les deux empires et la Restauration ne reviennent pas sur les décrets de la Révolution. Malgré l’instabilité du pouvoir au cours du XIXe siècle, les régimes successifs confirment même l’implication de l’État dans les Arts.

Si sous Napoléon Ier, l’art se fait encore en partie à la gloire de l’Empereur, à l’instar de l’académisme de David, les Bourbons créent le secrétariat des Beaux-Arts. Dès lors, les administrations et les artistes eux-même prennent peu à peu la place du Prince dans le soutien aux arts. Un circuit diffusant les normes de l’art académique se met en place, depuis la formation des artistes à l’École des Beaux-Arts, jusqu’à leur financement par les commandes publiques, en passant par leur légitimation par l’Académie, leur sélection à travers le Prix de Rome et leur diffusion par le Salon, créé en 1725.

Notre-Dame de Paris, vandalisée à la Révolution, popularisé par Victor Hugo, restauré par Viollet-le-Duc
Notre-Dame de Paris, vandalisée à la Révolution, popularisé par Victor Hugo, restauré par Viollet-le-Duc

Alors que le musée des monuments français est fermé en 1818, le mouvement romantique prend la défense des vielles pierres, tandis qu’émergent les théories hygiénistes préconisant la percée de grandes avenues dans le coeur de Paris[2] qui portent l’urbanisme parisien de Rambuteau puis du baron Haussmann. En 1820, Charles Nodier fait ses Voyages pittoresques et romantiques dans l’ancienne France. Victor Hugo publie un article pamphlétaire dans la Revue des Deux mondes d’octobre 1825, Guerre aux démolisseurs, où il prend parti, au nom de l’histoire et de l’art, pour la sauvegarde des monuments médiévaux[3], rarement restaurés par leur propriétaire, parfois détruits par des promoteurs. Il réitère son souhait de voir une loi en faveur de la protection de l’architecture en 1832. C’est dans cette atmosphère que la Monarchie de Juillet créé une administration des monuments historiques. Le ministre de l’Intérieur Guizot crée en 1830 la fonction d’inspecteur général des Monuments historiques qu’occupe Ludovic Vitet, à qui succède en 1834, Prosper Mérimée. À ce poste, il défend le patrimoine bâti à l’aide des architectes en chef des monuments historiques, dont Eugène Viollet-le-Duc, partisan de la restauration médiéval, lui-même en rupture avec les préceptes antiques de l’École des Beaux-Arts. La notion de monument historique est constituée, leur inventaire, initié en 1810 par le ministre de l’Intérieur, Alexandre de Laborde, est généralisé et l’entretien ajouté aux charges de l’État. Elle se construit au nom de la Patrie, contre les intérêts individuels et locaux. Le classement comme monument historique, visant à conserver les bâtiments qui ont, artistiquement ou historiquement un « intérêt national », est institué sous la Troisième République, par la loi du 30 mars 1887 sur la protection des monuments historiques, élargie par le vote du 21 avril 1906 sur la protection des monuments et des sites naturels d’intérêt artistique.

Le XIXe siècle est celui démocratisation de la société (Parlementarisme, suffrage universel direct, République) et de la libéralisation des arts, sans que ne soit entièrement abandonné le contrôle sur la création. Avec le Conseil supérieur des Beaux-Arts, à partir de 1875, les choix artistiques et législatifs ne sont plus le seul fait du Prince, mais issues d’un collège de professionnels, hauts-fonctionnaires et artistes. Ainsi, l’art soutenu n’est plus seulement académique et le Second Empire est celui du Salon des Refusés en 1863.

La Troisième République abandonne la gouvernance esthétique et commerciale des Arts par l’État. Elle favorise la conservation du patrimoine et sa diffusion au grand public, à travers une densification du nombre de bibliothèques et de musées, relayé par les communes. Les municipalités financent les équipements culturels : cirques, théâtres, opéras.

Après la création d’un ministère des Lettres, Sciences et Beaux-Arts entre janvier et août 1870, la Direction des Beaux-arts est intégrée au ministère de l’Instruction publique, et l’éducation artistique éclot, à travers notamment de la pratique du dessin dans une vision créative, à partir de 1909. Simultanément, la création de la Ligue de l'enseignement en 1866 par Jean Macé symbolise la naissance de l’éducation populaire, d’une culture pour le plus grand nombre. Le savoir en effet redevient, comme dans les préceptes de 1789, un enjeu politique et démocratique. Cette fois, il est considéré comme le socle de la nouvelle République, source de stabilité du régime et de la Nation. Ainsi naissent les lois Ferry pour l’enseignement public obligatoire, gratuit et laïque.

Les initiatives privées, d’initiatives laïques, ouvrières ou religieuses, complètent l’action gouvernementale : les universités populaires, les théâtres populaires (Théâtre du Peuple de Maurice Pottecher, Théâtre national ambulant puis le Théâtre national populaire, de Firmin Gémier...), les Orphéons, les patronages, les sociétés savantes et les associations philanthropiques. Les mouvements marxistes et les syndicats jouent, à travers les bourses du Travail, puis plus tard les comités d’entreprise, un rôle important de démocratisation culturelle, dans le but de « conscientiser » la classe ouvrière de leur oppression, car, selon Eugène Varlin, « l’émancipation matérielle des travailleurs ne peut exister sans leur émancipation morale et intellectuelle »[4].

[modifier] La culture de masse

Réclame pour le Cinématographe des Frères Lumières
Réclame pour le Cinématographe des Frères Lumières

À partir de 1850, c’est aussi l’essor des arts industriels, vantés à travers des Expositions universelles, que la France en 1855, 1867, 1878, 1889 et 1900. La culture technique, promu depuis 1792 et la création du Conservatoire national des arts et métiers par l’Abbé Grégoire, devient l’occasion de grandes fêtes populaires, éventail du savoir-faire occidental, quand les ingénieurs prennent la place des architectes.

Tandis que les villes se densifient, une industrie du spectacle émerge, avec le théâtre de boulevard, les music-halls, les guinguettes du bord de Marne, les attractions foraines. Le développement de la presse soutient également la diffusion d'une culture de masse, allant dans le sens d'une acculturation républicaine.

Le début du XXe siècle, les techniques modifient fortement les arts. La photographie, la phonographie, l'édition littéraire, la radiophonie et la cinématographie mélangent communication et culture, industrie et création. Ces médias de masse transforment profondément la perception de l’art dans la société. Les gouvernements n’agissent que pour règlementer ses outils de communication, mettant en place des commissions de contrôle pour le cinéma, monopolisant les canaux de diffusion radiophoniques et télévisuelles.

[modifier] Les premières tentatives

Entre 1936 et 1958, trois tentatives incomplètes d’impulsion politique, fondé sur une vision culturelle de la société et portée essentiellement par les milieux de l’éducation populaire, ossifient la pensée de la nécessité d’une politique publique en faveur d’une popularisation de la culture.

[modifier] L’éducation culturelle

Le Front populaire conclut la Troisième République. Il rompt avec la politique « non-interventionniste » pour impulser selon Pascal Ory[5], la première politique culturelle française, centrée autour de l’éducation, pour la mise en place d’une culture républicaine populaire, tandis que l’art est utilisée par les régimes fascistes émergeant en Europe. Jean Zay propose un ministère de la vie culturelle, regroupant un secrétariat d’état à l’éducation nationale et un autre à l’Expression nationale, comprenant lettres et arts, musées, archives et bibliothèques[5]. Mais le Parlement refuse cette refonte administrative, et face à la rigueur budgétaire imposée, Léon Blum et ses ministres Jean Zay (Éducation nationale et Beaux-Arts) et Léo Lagrange (Sports et loisirs) s’appuient les mouvements d’éducation populaire, les associations de jeunesse et les initiatives privées qui ont émergé en 50 ans pour réaliser leurs objectifs.

Philippe Poirrier résume la position du gouvernement Blum comme une politique de « prise en compte » plutôt que de « prise en charge »[6], avec des actions très diversifiées. La commande publique finance les œuvres d’avant-garde, la culture populaire est valorisée à travers le Musée de l’Homme et le Musée des arts et traditions populaires, la culture scientifique également avec le Palais de la découverte, le réseau des bibliothèques publiques diffusent dans l’ensemble du territoire, l’école initie les enfants à la culture. Avec les lois emblématiques réduisant le temps de travail et instaurant les congés payés, ils créent une société de loisir.

Le Front populaire assène ainsi une nouvelle mission à l’administration de la culture, celle de la vulgarisation des grandes œuvres, et valorise la sociétés de loisirs, ne différenciant pas arts mineurs et majeurs. Il impose l’idée polysémique de démocratisation culturelle qui se développera durant le demi-siècle suivant.

[modifier] La Révolution nationale

Marc Fumaroli[7] érige quant à lui comme mètre-étalon de l'intervention culturelle, la Révolution nationale du maréchal Pétain. Sans frein parlementaire, l’administration se renforce et se modernise, appuyée par le mouvement Jeune France, proche du scoutisme catholique, et l’École des cadres d'Uriage. Les principaux acteurs des politiques culturelles de l’après-guerre y font leurs premières armes, notamment ceux de la décentralisation théâtrale de la Quatrième République : Jeanne Laurent, au secrétariat des Beaux-Arts, Jean Vilar et André Clavé dans Jeune France, Léon Chancerel et Hubert Gignoux dans le mouvement scout, Joffre Dumazedier à l'école des cadres d'Uriage. Cette décentralisation, soutenue par les convictions régionalistes de l’Action Française, se matérialise par les troupes théâtrales sillonnant la France. Des tarifs réduits sont établis pour ouvrir les spectacles au plus grand nombre. Le régionalisme s’inscrit également en 1942 dans le « recensement esthétique du pays », à travers l’inventaire de nombreux bâtiments ruraux.

L’État français prend en compte, pour la première fois, l’émergence des industries culturelles par la mise en place du Comité d’organisation de l’industrie cinématographique (COIC). En 1941, l’exportation d’œuvres d’art est également contrainte, et les découvertes archéologiques soumise à déclaration.

Pour autant, l’époque est aussi au retour de la censure des œuvres, du contrôle des artistes, des purges symbolisées par l’arrestation de Jean Zay et son exécution par la Milice. L’art est encadré et instrumentalisé, à l’inverse de la volonté du Front populaire, et les contraintes financières de l’Occupation obligent à abandonner toute volonté d’une politique ambitieuse.

[modifier] La décentralisation théâtrale

Avec la Libération, une nouvelle république naît pleine d’espoir. La Constitution de 1946, garantissant « l’égal accès de l’enfant et de l’adulte à l’instruction, à la formation professionnelle et à la culture », la Quatrième République porte dans son essence décentralisation et démocratisation culturelles, initiées contradictoirement par le Front populaire et l’État Français.

Jeanne Laurent, sous-directrice du théâtre et de la musique au ministère de l’éducation nationale encourage le théâtre populaire, à travers le TNP et le Festival d’Avignon, dont Jean Vilar est l’acteur emblématique. Elle engage aussi, dans cette optique de popularisation du spectacle vivant, la décentralisation dramatique. En 1946, elle appuie l’ouverture des premiers centres dramatiques nationaux et organise le concours des jeunes compagnies, permettant l’émergence de nouveaux metteurs en scène. Ces nouveaux talents, initiés par Copeau, tels Jean Dasté, ou au sein de l’éducation populaire et du scoutisme, comme Hubert Gignoux, prennent en main les théâtres publics de province. Les préceptes du « Cartel des Quatre » sont diffusés par ces pionniers de la décentralisation dramatique : auteurs classiques et contemporains et mise en scène centrée sur le texte.

La décentralisation culturelle dépasse le théâtre avec les bibliothèques centrales de prêt, les musées départementaux et municipaux, et la médiation culturelle entreprise par les réseaux associatifs et fédérations (Peuple et culture, Travail et culture, Foyers ruraux, Fédération nationale Léo-Lagrange, Ligue de l'enseignement...).

La Quatrième République s’intéresse aussi à la lecture publique, en créant une direction des bibliothèques et de la lecture publique dirigée par Julien Gain, administrateur de la Bibliothèque nationale de France. Elle met en place le réseau des bibliothèques centrale de prêt départementales, modernise les bibliothèques municipales, et crée les bibliobus pour desservir les campagnes.

Quant au cinéma, après l'accord Blum-Byrnes, il se voit protégé de l’arrivée des studios hollywoodiens dans les salles de l’Hexagone, par la création du centre national de la cinématographie (1946) et l’instauration de la taxe de sortie des films et l’avance sur recettes (1948), permettant une meilleure défense de la production française.

Enfin, une meilleure protection sociale et juridique est offerte aux artistes par la Caisse nationale des Lettres, de nouvelles aides à la création et la loi sur la propriété littéraire et artistique de 1957.

Pourtant, en 1955, Jeanne Laurent appelle de ses vœux, dans La République et les Beaux-Arts, une politique volontariste et inscrite dans la durée sous forme de plan pluriannuel, comprenant un soutien aux artistes. Les intellectuels commencent à espérer la nomination d’un ministre des Arts à la triple mission de conserver, éduquer et soutenir. L’éphémère ministère ministère de la Jeunesse, des Arts et des Lettres de 1947 n’a pas répondu aux espoirs : la succession des cabinets entre 1946 et 1958 n’a pas permis en effet une politique de long terme, et les faibles budgets consacrés aux arts ainsi que le manque d’indépendance du secrétariat aux Beaux-Arts, limitent les possibilités d’actions. La politisation de la culture sur fond de guerre froide ne favorise pas non plus le soutien étatique du secteur. Ce ministère, dessiné par Jean Zay, sera créé avec l’avènement d’une nouvelle République, par André Malraux.

[modifier] La naissance d’un ministère

[modifier] Naissance d’une administration

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André Malraux, premier Ministre des Affaires culturelles

Après son accession au pouvoir, général De Gaulle demande à Michel Debré d’inclure André Malraux dans son gouvernement, pour créer un ministère pour l’Art et la Culture. Il est nommé ministre d’État le 3 février 1959, puis ministre d’État chargé des Affaires culturelles le 22 juillet, et son ministère est institué par le décret du 24 juillet 1959 écrit de sa main.

La nouvelle structure doit se créer de toute pièce. Elle regroupe des services qui dépendent jusqu’alors de divers ministères : l’Éducation nationale (Direction générale des Arts et Lettres, Direction de l’Architecture, Direction des Archives de France), l’Industrie et du Commerce (Centre national de la cinématographie), et les activités culturelles du Haut-Commissariat à la Jeunesse et aux Sports. Plus tard, en 1975, la Direction du livre rassemble également divers services gouvernementaux. Mais les activités culturelles à l’international restent aux mais du Quai d’Orsay. Le ministère ne convainc pas et son administration se constitue face à une vague de démission, compensée par les fonctionnaires coloniaux récemment rapatriés.

Dès lors, l’État mécène du monde des Arts cède sa place à une politique culturelle généralisée, « moment de convergence et de cohérence entre, d’une part, des représentations du rôle que l’État peut faire jouer à l’art et à la "culture" à l’égard de la société, et, d’autre part, l’organisation d’une action publique »[8]. La création d’un ministère dédié est un outil pour De Gaulle de réconciliation nationale, après 20 ans de crises (guerres mondiale et coloniales), par la refondation d’une communauté nationale unie par l’esprit. Elle illustre aussi que le rayonnement de la France dans le monde doit se faire également sur le plan intellectuel. Mais, comme le souligne Emmanuel Wallon[9] cette politique de l’Etat « échappe le plus souvent à l’organe censé incarner la souveraineté populaire, le parlement », durant la Cinquième République, encore davantage que sous les précédentes.

Le premier combat de Malraux est d’asseoir son ministère. Il doit convaincre ses collègues de ses capacités ministérielles, son administration de la possibilité d’indépendance des arts et de la culture au dépens de l’éducation, et le milieu culturel de la légitimité d’un ministère dirigeant l’action culturelle. Pour ce faire, il use de sa personnalité, de ses réseaux artistiques, de sa reconnaissance internationale, pour développer une politique artistique de prestige. Homme de l’écrit, il s’est bâti une réputation d’orateur à travers ses discours, tel celui de Bayeux, et en use avec grandiloquence. Il construit peu à peu son ministère, créant en 1961 la Direction du Théâtre, de la musique et des spectacles. Il s’appuie sur le Plan quinquennal de modernisation économique et social pour asseoir ses choix, et sur le Président de la République pour des rallonges budgétaires.

[modifier] La culture selon Malraux

La politique culturelle du Ministère est définie comme un désir de démocratisation de la culture, même si André Malraux n’a jamais employé ce mot. Une volonté égalitaire qui se concrétise par deux politiques : la protection sociale pour les artistes et l’accès pour tous à la culture. Le décret du 24 juillet 1959 créant le ministère, lui donne la « mission de rendre accessibles les œuvres capitales de l’humanité, et d’abord de la France, au plus grand nombre possible de Français ». Il s’agit moins de faire venir tout le monde à la culture, que de permettre à tous ceux qui le désirent, d’y accéder. Le déploiement des centres dramatiques, l'ouverture des Maisons de la Culture dans plusieurs villes (Grenoble, Amiens, Bourges...), et l'implantation des comités régionaux des affaires culturelles (ancêtres des DRAC) illustrent un effort d'irrigation du territoire axée sur les arts nobles, généralisation du travail de Jeanne Laurent. La diffusion télévisuelle de la tragédie Les Perses d’Eschyle le 31 octobre 1961, confirme cette même volonté d’une haute culture au plus grand nombre.

En revanche, cette démocratisation se fait sur le refus des dispositifs pédagogiques. Pour Malraux, l’action culturelle doit être fondée sur le « choc esthétique », qui consiste à croire aux qualités intrinsèques de l’œuvre pour procurer une émotion au public, sans qu’il y ait besoin de médiation. Ainsi déclare-t-il : « Il n’est pas vrai que qui que ce soit au monde ait jamais compris la musique parce qu’on lui a expliqué la Neuvième Symphonie. Que qui que ce soit au monde ait jamais aimé la poésie parce qu’on lui a expliqué Victor Hugo. Aimer la poésie, c’est qu’un garçon, fût-il quasi illettré, mais qui aime une femme, entende un jour : "lorsque nous dormirons tous deux dans l’attitude que donne aux morts pensifs la forme du tombeau" et qu’alors il sache ce qu’est un poète »[10]. Il sépare la mission du « faire connaître » qu’il donne à l’université de celle de « faire aimer », qu’il assigne aux artistes[11].

Logiquement, l’éducation populaire est dès lors écartée du giron de la culture. Un système fort de soutien à la professionnalisation des artistes est mis en place. Selon Olivier Donnat[réf. nécessaire], en accentuant l’action culturelle de l’État gaulliste, le but était également d’affaiblir l’influence du Parti communiste auprès des artistes et d’introduire une division entre l’action culturelle et le mouvement d’éducation populaire, devenant animation socio-culturelle chapeauté par le Haut Commissariat à la jeunesse et aux sports.

Malraux plaque sa vision de la Culture au ministère, considérant que l’amour de l’art vient par la confrontation vivante aux œuvres. Il va à l’encontre de l’académisme et défend l’avant-gardisme. Il installe un nouvel Etat-providence, mécène initiateur et régulateur, dans lequel la démocratisation se concrétise dans la confrontation du peuple aux Arts. Malraux poursuit donc le travail de Jeanne Laurent en complétant les centres dramatiques nationaux des Maisons de la Culture qui adopte la pluridisciplinarité (théâtre, danse, cinéma, musique). Elles devaient s’installer dans chaque département, par la seule décision de l’État, sans concertation avec les acteurs locaux mais en demandant leur contribution financière. Elles ne seront qu’une dizaine, symbole de la centralisation excessif voire maladif du ministère malrucien. Dans cette optique de diffusion et de conservation des chefs d’œuvres, il subventionne la Cinémathèque française d’Henri Langlois qui s’installe dans le Palais de Chaillot.

Pour autant, Malraux ne pense pas la culture uniquement par le service public, et organise des systèmes d’aide au secteur privé, tel le décret du 23 octobre 1964, instaurant un fonds de soutien au théâtre privé à travers une taxe sur chaque billet vendu.

En parallèle, la protection du patrimoine s’accélère avec l’instauration des parcs nationaux (1960) et parcs naturels régionaux (1967), la protection de quartiers anciens (1962) et la planification de l’urbanisme par les SDAU et POS) (1967) en période de reconstruction par les secteurs sauvegardés (1962).

[modifier] Remise en cause

Paru en 1991, L'État culturel de Marc Fumaroli[7], critique toutes les interventions postérieures aux années 1930. Partisan d'un libéralisme culturel comme celui de la IIIe République, où l'Etat n'a qu'un rôle restreint à la conservation du patrimoine national et à la régulation, le « système des Beaux-Arts » critiqué par Jeanne Laurent. Il voit chez Malraux l'application d'un « constructivisme culturel ». Cette étatisation de la culture a égélament été critiqué en 1958, pour d'autres raisons, par la gauche, craignant que le Coup d'État permanent s'étende aux arts, sous la coupe de l'aventurier de gauche converti au gaullisme, qu'est le ministre des Affaires culturelles.

Fumaroli ironise surtout sur la vision religieuse de la culture adoptée par Malraux, souhaitant que les Français soient touché par la grâce, au sein des cathédrales modernes que sont les Maisons de la Culture où les missionnaires prêcheraient pour cette sorte de religion civile du Contrat social de Rousseau. Ce credo malrucien est contredit en 1966, par Pierre Bourdieu, dans L’Amour de l’Art[12]. Cette enquête, si elle légitime la volonté de démocratisation, puisque l’accès aux grandes oeuvres est un privilège des classes aisées, réfute l’hypothèse de l’irrationalité de l’amour de l’art. Le sociologue soutient que le problème est dans l’accès physique que dans l’accès individuel. La différence de fréquentation se fait au niveau de la socialisation familiale et scolaire, justifiant ainsi les efforts de correction dans la transmission des valeurs par l’enseignement artistique rejeté par Malraux.

1968 voit la remise en cause de la politique culturelle publique. Cette année-là, deux événements illustrent la position délicate de Malraux et la rupture entre le ministre et les artistes : le 9 février, le ministre propose un remplaçant à la tête de la Cinémathèque française, suite à la démission d’Henri Langlois s’opposant au non-versement de ses subventions par le ministère des Finances. Le milieu de la cinéphile parisienne voit y un coup d’état au sein d’une association subventionnée mais indépendante. Un Comité de défense se créé autour de François Truffaut et Jean Renoir, et deux manifestations sont organisées le 14 février et le 18 mars, toutes deux réprimées par les forces de police. Le 22 avril, Langlois retrouve son poste mais les traces de cette affaire se ressentent lorsque les cinéastes en pointe dans cette lutte relayent la contestation étudiante au festival de Cannes aboutissant à son annulation. Autre remerciement, concluant les événements en août, celui de Jean-Louis Barrault, directeur de l’Odéon-Théâtre de France, après qu’il ait laissé occuper le théâtre par le Comité d’action révolutionnaire, contestant au théâtre national le qualificatif d’« avant-garde ».

La rupture entre le ministre et les artistes est consommée. Les comédiens du SFA rejoignent le combat des manifestants dans leur critique d’un élitisme bourgeois et d’un art officiel. L’ORTF essuie une grève. Les directeurs de centres dramatiques nationaux et de maisons de la culture se réunissent le 21 mai au Théâtre de la Cité, et réclament le 25 dans l’appel de Villeurbanne, inspiré par Roger Planchon et Francis Jeanson, un art engagé, politique, généralisé et enseigné. Jean Vilar est interpelé aux cris de « Vilar, Béjart, Salazar », durant le Festival d’Avignon, suite à la censure de La Paillasse aux seins nus présenté par Gérard Gélas lors du premier festival « off ». De l’autre, face à ces lieux subventionnés qui deviennent des foyers de protestation contre le pouvoir gaulliste, à l’image du théâtre de l’Odéon, occupé, les membres du RPF critiquent à leur tour le bien fondé d’une politique jugé trop laxiste, qui subventionne des agitateurs, s’opposant à ceux qui les financent. Malraux, qui a toujours revendiqué le rôle d’agitateur social des créateurs, reste fidèle à De Gaulle, prenant la tête de la grande manifestation gaulliste de soutien au général.

Les municipalités de Caen, Thonon-les-Bains et Saint-Étienne profitent des événements de 1968 pour rompre municipaliser leurs Maisons de la Culture la même année.

Enfin, le ministère en restant sur la seule optique de la création favorise l’image d’une culture élitaire, en décalage avec la société. Il n’accompagne pas les industries culturelles qui naissent à cette époque, et n’embrasse pas les activités culturelles des Français.

[modifier] La pérennisation

[modifier] La culture au cœur de la vie

Malgré ces importantes critiques de la part des universitaires, de la jeunesse, des artistes, du personnel politique et de la société, apparues à la fin des années 1960, l’administration de la rue de Valois n’est pas remise en cause par les dirigeants après le départ de De Gaulle et Malraux. Pour autant, les années 1970 sont celles de l’inconstance : 9 ministres se succèdent, du ministre d’État au secrétaire d’État, dont les charges, les dénominations et les tutelles fluctuent.

La commission culturelle du VIe plan critique fortement les actions de Malraux et notamment les Maison de la Culture, considérées comme élitistes, étatistes et trop ponctuelles. Elle constate l'échec de la démocratisation culturelle et amorce l’idée d’une politique culturelle qui dépasserait son secteur de prédilection pour une vision plus large, devant conduire la société à se transformer en lui transmettant des valeurs mais en l’écoutant également. Porté par les idées progressistes de mai 68 et du libéralisme, encouragé par l’échec de la démocratisation, un désir de liberté et de modernité prend corps dans la culture comme dans la société. C’est ainsi qu’apparaît, au sein de la « nouvelle société » social-démocrate de Jacques Chaban-Delmas, le « développement culturel » incarné par Jacques Duhamel, influencé par Michel de Certeau et Joffre Dumazedier. En rupture avec l’héritage malrucien, il associe les collectivités locales à l’action de l’État, déclarant que « la politique culturelle ne peut être le fait de l’État seul ; un rôle capital revient aux collectivités locales »[13], et met en place un dialogue avec la DATAR les autres ministères qui engagent des fonds dans la culture avec le Fonds d’intervention culturelle en 1971. Il organise des relations contractuelles entre le ministère et les institutions télévisuelles, cinématographiques et dramatiques, et élargit le principe du 1% artistique contraignant tout projet de bâtiment public à inclure 1% de son budget à une œuvre plastique. Il réintègre également la pédagogie dans l’action culturelle.

Le paysage culturel s’élargit. Le patrimoine naturel est pris en compte, avec la nomination en 1971 de Robert Poujade comme ministre délégué auprès de Premier ministre, chargé de la Protection de la nature et de l’Environnement, et la loi littoral de 1975, tandis que l’architecture entre pleinement dans le domaine culturel par la loi de 1977, même si deux ans plus tard, la direction de l’Architecture est rattaché au ministère du Cadre de vie. La culture scientifique et technique s’y ajoute également avec les CCSTI dont la Cité des sciences et de l'industrie de la Villette.

Cette évolution ne se fait pas sans heurts. La nomination de Maurice Druon comme successeur de Duhamel représente un retour à la vision conservatrice d’une politique des Beaux-Arts. Déclarant que « les gens qui viennent à la porte de ce ministère avec une sébile dans une main et un cocktail Molotov devront choisir »[14], il provoque une manifestation d’artistes dénonçant la mort de la liberté d’expression. Il est remplacé par Alain Peyrefitte l’année suivante.

Avec l’élection de Valéry Giscard d’Estaing, le ministère des Affaires culturelles devient secrétariat d’État à la culture, traduisant la volonté que l’État soit moins présent dans ce domaine. À sa tête, Michel Guy, qui a créé le Festival d'automne de Paris à la demande de Pompidou en 1962, redonne un second souffle. Il défend le retrait partiel de l’Etat dans la société culturelle, et développe un soutien aux créateurs, ce qui apparaît comme un « printemps culturel » pour les artistes, et un retour à l’élitisme pour certains. Malgré un mandat relativement court de 2 années, un président peu partisan d’une action gouvernementale dans la culture, et un budget réduit, il laisse une trace importante. Il intègre la lecture publique à ses missions au sein de la Direction du livre, crée l’Office national de diffusion artistique (ONDA), chargé d’aider les petites structures à accueillir des troupes de de moyen format, initie l’inspection générale de la danse, associe les collectivités locales à la politique de l’État par les chartes culturelles, inclut une obligation de diffusion artistique à la télévision.

Ses successeurs sous la présidence giscardienne voient réduire leurs attributions et leur budget, et augmenter la place des investisseurs privés par le biais du mécénat et de la croissance des industries culturelles. L’État adopte une approche libérale de régulateur plutôt que d’acteur, plus gestionnaire que audacieuse se focalisant sur la protection du patrimoine : Michel d’Ornano crée l’Institut français de restauration des œuvres d'art (IFROA), Jean-Philippe Lecat établit une direction et d’une année dédiées, ainsi qu’une mission du patrimoine ethnologique. Ce sont les villes qui prennent le relais, particulièrement après la victoire de la gauches aux élections de 1977 avec des programmes laissant une place souvent importante à la culture.

[modifier] De la démocratisation à la démocratie culturelle

La Très grande bibliothèque, décidée par François Mitterand
La Très grande bibliothèque, décidée par François Mitterand

Quatre ans plus tard, avec l’arrivée de François Mitterrand à l’Élysée, et de Jack Lang rue de Valois, la culture redevient un axe majeur de la politique gouvernementale. Mitterrand a la même conception quasi mystique de la grandeur de la culture que Malraux, et Lang, homme de théâtre délégué à l’action culturelle du Parti socialiste, défend la nécessité d’une action forte de l’État.

La rue de Valois redevient ministère de la Culture à part entière, et voit son budget doubler en quelques années, consacré notamment les grands travaux présidentielles qui font la part belle à la culture pour tous (Le Grand Louvre, la Très grande bibliothèque, l’Opéra Bastille, la Cité de la musique) et l’architecture (ministère de Bercy, Arche de la Défense...). Sur l’héritage de Jacques Duhamel et Michel Guy, son champ s’élargit aux activités culturelles de loisir, non sans polémique, à l’image d’Alain Finkielkraut qui y voit une Défaite de la pensée[15]. Ainsi, les arts nobles et mineurs disparaissent, à l’instar de la bande dessinée et du rock désormais soutenus, et les pratiques amateurs sont autant mises en avant que la création. Ainsi le décret relatif à l’organisation du ministère, inchangé depuis 1959, précise le 10 mai 1982 : « Le ministère chargé de la culture a pour mission : de permettre à tous les Français de cultiver leur capacité d’inventer et de créer, d’exprimer librement leurs talents et de recevoir la formation artistique de leur choix (...) ». Ce même décret ouvre également la notion de patrimoine national en incluant comme mission « de préserver le patrimoine culturel national, régional ou des divers groupes sociaux pour le profit commun de la collectivité tout entière » et « de contribuer au rayonnement de la culture et de l’art français dans le libre dialogue des cultures du monde »[16]. Et l’Institut du monde arabe voit le jour en 1987. L’État socialiste impose ainsi une acception plus sociale de la notion de culture, basée sur l’épanouissement personnel, face à la conception artistique centralisateur du pouvoir gaulliste. Pour autant, les créateurs d'art contemporain ne sont pas délaissés, et plusieurs commandes publiques d'avantgardistes suscitent des polémiques (pyramide du Louvre, colonnes de Buren...)

Les lois de décentralisation restent limitées en matière de Culture transférant les bibliothèques centrales de prêt et les archives aux conseils généraux, mais l’État organise sa déconcentration avec les DRAC, les fonds régionaux d’art contemporain (FRAC) et d’acquisitions pour les musées (FRAM), et l’établissement de plans État/collectivités. La décentralisation théâtrale est accentuée par le biais des scènes nationales, regroupant à partir de 1991, les maisons de la Culture de Malraux, les centres d’action culturelle de Duhamel et les centres de développement culturel de Lang. Elles reçoivent les missions d’accueil et de diffusion pluridisciplinaire (danse, théâtre, musique, arts plastiques...).

Jack Lang ajoute une dimension événementielle et festive à la célébration de la culture par la création de la Fête de la Musique, la Fête du cinéma, les Journées nationales du patrimoine, le Printemps des poètes, le bicentenaire de la Révolution... Par ses actions médiatiques et populaires, Lang assoit la légitimité du ministère auprès de l’opinion publique.

Les années 1980 sont aussi celles de l’affirmation des industries culturelles. L’art dépasse l’espace de la création pour devenir pleinement comme composante de l’économie, à travers l’édition, le cinéma et la musique. L’État régule et soutient ce secteur, par le biais de la Loi Lang sur le prix du livre, l’Institut pour le financement du cinéma et des entreprises culturelles (IFCIC), les quotas radiophoniques de diffusion de chansons francophones, la loi du 23 juillet 1987 sur le mécénat, l’exclusion des oeuvres d’art de l’assiette de l’impôt sur les grandes fortunes, etc. Les structures juridiques des établissements publics se diversifient, avec les GIP culturels, les SEM, les diverses formes d'établissement public et les Régies. L’emploi culturel se consolide, croissant de 8 000 postes en 12 ans[17]. Le culturel devient une alternative pour lutter contre la crise, tel le projet Culture Commune en 1990, association intercommunale de développement artistique et culturel, visant à revitaliser le bassin minier du Pas-de-Calais.

Jack Lang associe également art et apprentissage, en opposition à l’esprit malrucien. Outre un ministère l’Éducation nationale et de la Culture, qu’il a mené pendant moins d’un an, sous le gouvernement Pierre Bérégovoy, c’est aussi l’époque du développement de l’enseignement du théâtre, du projet « Collège au cinéma », des classes à projet artistique ou culturel. De grandes écoles sont créées : École nationale du Patrimoine, l’IDHEC, les Conservatoires nationaux supérieurs de musique de Paris et de Lyon, l’École du Louvre

Depuis 1986, le Ministère de la Culture est celui de la communication, actant l’émergence de l’audiovisuel. Cependant, le champ d’action est limité, puisque la Délégation du développement des médias (DDM) est restée sous l’égide de Matignon.

[modifier] Entre décentralisation et mondialisation culturelle

La décennie qui débute avec la victoire de la droite en 1993, est celle de la cohabitation.

Jacques Toubon ne revient pas sur la politique de la gauche et oriente ses actions autour de l’aménagement du territoire, la sensibilisation et l’action internationale, mais se heurte, comme tous ses successeurs, à l’austérité financière. Il cherche à contrebalancer les grands projets mitterrandiens par des la construction de l’Auditorium de Dijon et le musée du Costume de Moulins. Mais sous son ministère, l’Etat se voit assigner une nouvelle tâche, celle de la défense de l’exception culturelle. Cette notion, que les gouvernements rapprochent de la diversité culturelle, est apparue lors les négociations de l’Uruguay round du GATT, en 1993, où Jacques Toubon conteste l’influence culturelle américaine. Le gouvernement Balladur parvient à convaincre une majorité des pays de la Communauté européenne de faire prévaloir que la culture n’est pas une marchandise comme une autre, et qu’à ce titre, les produits culturels ne doivent pas être libéralisés. Cinq ans plus tard, c’est le gouvernement Jospin qui se trouve face à la contestation des milieux culturels à l’occasion des négociations de l’accord multilatéral sur l’investissement (AMI). Il fait prévaloir les idées française auprès de l’Union européenne, qui les adoptent finalement au sommet de Seattle de 1999, puis au sein de l’UNESCO.

A l’échelle nationale, la décentralisation porte désormais ses fruits. Ce mot recouvre trois phénomènes[18] :

  • la décentralisation de l’offre artistique, ou aménagement culturel du territoire, volonté déjà ancienne, symbolisée par le réseau des bibliothèques et des musées municipaux et départementaux et la décentralisation théâtrale ;
  • la décentralisation politique, impulsée par les lois Deferre, se traduisant par le transfert de compétences de l’État vers les collectivités territoriales d’une partie de la gestion des activités culturelles ;
  • la décentralisation financière, illustrée par la prise d’importance des collectivités locales depuis une quarantaine d’années dans le financement des structures culturelles et artistiques, et le progressif désengagement de l’État en parallèle des vagues de décentralisation politique.

Ces phénomènes, qui émergent dans les années 1970, se développent fortement sous les septennats mitterrandiens puis les lois Voynet, Chevènement et enfin Raffarin. Dès lors, la politique culturelle basée sur l’omniprésence de l’État est remise en cause. Cette décentralisation se traduit par l’augmentation du nombre d’acteurs et de financeurs. Peu à peu, les collectivités territoriales ont acquis des compétences obligatoires ou complémentaires en terme d’action culturelle, complétant la main de l’État et des ses services déconcentrés, les DRAC et les FRAC). Les actions locales se font moins comme soutien au créateurs que comme financement de structures culturelles, appui au tourisme, volonté de rayonnement politique, défense des cultures régionales, source de lien social ou outil d’une restructuration urbaine. La multiplication des festivals thématiques illustrent le foisonnement les initiatives locales, issues des désirs d’élus ou de l’esprit de passionnés, de ceux d’influence internationale comme à Cannes, Avignon, Orange, Lorient ou Aurillac, aux milliers d’ampleur locale. La gestion des monuments historiques est elle aussi proposée à décentralisation, à l'instar du Château du Haut-Kœnigsbourg transféré au conseil général du Bas-Rhin.

Selon une étude de 1996, l’État couvre 50% du financement public de la culture, dont les 2/5 au travers le ministère de la Culture, l’autre moitié étant couverte par les collectivités locales, au premier rang desquelles se trouvent les communes (38% contre, 8% par les conseils généraux et 4% par les Conseils régionaux[18]. Cette affirmation des acteurs locaux laisse toutefois encore une place à l’État, alors qu’en Allemagne, pays ou l’état fédéral a traditionnellement moins de poids, le gouvernement n’est présent qu’à hauteur de 7% des dépenses publiques culturelles.

Le budget du ministère de la Culture est de plus désormais soumis à une forte rigidification. La multiplication des équipements et institutions et l’ampleur croissante du patrimoine à protéger, font que la quasi-totalité des ressources du ministère sont prédéterminées, empêchant tout nouvelle politique d’ampleur. Urfalino conclue que « le ministère de la Culture est condamné à gérer l’existant »[8]. Seuls les quelques grands projets présidentiels, qui ont jalonné le paysage culturel français, et surtout parisien, auraient vocation à perdurer, pour succéder à l’Opéra Garnier du Prince Napoléon, du musée d’art contemporain de Georges Pompidou, du musée d’Orsay et de la Cité des Sciences et de l’Industrie de Valéry Giscard d’Estaing, du Grand Louvre de François Mitterrand, ou du Musée du quai Branly de Jacques Chirac.

L’importance des collectivités dans le financement culturel peut avoir des effets négatifs. Il est plus difficile de défendre des artistes d’avant-garde ou les genres plus exigeants et élitistes (opéra, ballet…) quand on doit en répondre quotidiennement auprès de ses électeurs. L’utilisation politique des financements devient plus aisées, comme l’ont illustré par exemple les polémiques autour des actions culturelles des mairies frontistes et le cas Châteauvallon.

Ces quatre décennies sont aussi celles de l’affirmation culturelle, du développement du secteur, de la multiplication des festivals locaux, du tourisme.

La multiplication des acteurs, la professionnalisation du secteur, la perte de pouvoir de l’Etat, la mondialisation culturelle grandissante sont autant de raisons qui rendent nécessaires une « refondation », que Philippe Douste-Blazy confie en 1995 à travers une mission à Jacques Rigaud.

Le ministère Trautmann s’inscrit dans l’héritage de Lang. Elle travaille sur l’éducation à l’art, la médiation culturelle et l’élargissement des publics. Elle soutient les musiques actuelles et les arts de la rue et du cirque, installe la Maison du Cinéma dans le Centre culturel américain de Bercy et soutient la relance du Centre national de création et de diffusion culturelles de Châteauvallon. Élue locale (comme maire de Strasbourg durant 10 ans, elle a fait du budget culturel l’un des plus importants en France), elle accentue la déconcentration des budgets et développe les contrats de plan avec les collectivités et les chartes des missions de service public du spectacle vivant.

En 2000, Catherine Tasca devient ministre de la Culture et de la communication, et un secrétariat d’État au patrimoine et à la décentralisation culturelle est confié à Michel Duffour.

[modifier] Notes et références

  1. ab Dominque Audrerie, La notion et la protection de patrimoine. Paris : Presses universitaires de France, Que sais-je ?, 1997
  2. Tel Hippolyte Meynadier, Paris au point de vue pittoresque et monumental, ou Éléments d'un plan général d'ensemble de ses travaux d'art et d'utilité publique. Paris : Dauvin et Fontaine, 1843
  3. « Il faut qu’un cri universel appelle enfin la nouvelle France au secours de l’ancienne. [...] Tandis que l’on construit à grands frais je ne sais quels édifices bâtards, qui, avec la ridicule prétention d’être grecs ou romains en France, ne sont ni romains ni grecs, d’autres édifices admirables et originaux tombent sans qu’on daigne s’en informer, et leur seul tort cependant, c’est d’être français par leur origine, par leur histoire et par leur but. ». Cité dans Victor Hugo et le débat patrimonial, Roland Recht (dir.). Paris : Somogy, Institut national du patrimoine, 2003.
  4. cité par Jean Bruhat, in Eugène Varlin, Paris, 1975
  5. ab Pascal Ory, La Belle illusion, Culture et politique sous le signe du Front populaire (1935-1938). Paris : Plon, 1994
  6. Philippe Poirrier, L’État et la culture en France au XXeme siècle. Paris, Le Livre de Poche, 2000
  7. ab Marc Fumaroli, L’État culturel. Essai sur la religion moderne. Paris, Éditions de Fallois, 1991
  8. ab Philippe Urfalino, L’invention de la politique culturelle. Paris : La Documentation française, 1996
  9. Dans « Parlement », Dictionnaire des politiques culturelles de la France depuis 1959, Emmanuel de Waresquiel (dir.), CNRS Editions / Larousse, Paris, 2001
  10. André Malraux, Discours de l’inauguration de la maison de la culture d’Amiens, 1966
  11. « il appartient à l’Université de faire connaître Racine, mais il appartient seulement à ceux qui jouent ses pièces de les faire aimer. Notre travail, c’est de faire aimer les génies de l’humanité et notamment ceux de la France, ce n’est pas de les faire connaître. La connaissance est à l’Université ; l’amour, peut-être, est à nous » Allocution au Sénat, décembre 1959, cité par Frédéric Gimello-Mesplomb, L’État et la politique culturelle. Lire en ligne
  12. Pierre Bourdieu et Alain Darbel, L’amour de l’art. Les musées d’arts européens et leur public. Paris : Editions de Minuit, 1966
  13. cité par Alexandre Mirlesse et Arthur Anglande, Quelle politique culturelle pour la France, débat HEC-ENS, 26 avril 2006
  14. cité par Philippe Poirrier, La Politique culturelle en débat. Anthologie, 1955-2005. Paris : La Documentation Française, 2006
  15. La Défaite de la pensée. Paris : Gallimard, Coll. Blanche, 1987
  16. Journal officiel du 10 mai 1981
  17. selon « Jack Lang », Site du Ministère de la culture
  18. ab Alain Lefebvre, Sur et sous la décentralisation culturelle, résumé d’une intervention lors du Festival de Vic-Fezensac le 26 juillet 2003, Couac.org

[modifier] Sources

[modifier] Voir aussi

[modifier] Bibliographie

Ouvrages historiques
  • Jean Caune, La culture en action. De Vilar à Lang : le sens perdu. Grenoble : PUG, 1999 (réédition)
  • Vincent Dubois, La politique culturelle : genèse d’une catégorie d’intervention publique, Belin, Paris, 1999
  • Marc Fumaroli, L’État culturel. Essai sur la religion moderne. Paris : éditions de Fallois, 1991.
  • Pascal Ory, L’entre-deux-mai : histoire culturelle de la France, mai 1968 - mai 1981. Paris : Éditions du seuil, 1983. (ISBN 2020065207)
  • Pascal Ory, L’aventure culturelle française : 1945-1989. Paris : Flammarion, 1989. (ISBN 2080660756)
  • Philippe Poirrier, Histoire des politiques culturelles de la France contemporaine. Dijon : Bibliest - Université de Bourgogne (2ème), 1998. (ISBN 2950979521)
  • Philippe Poirrier, Bibliographie de l’histoire des politiques culturelles : France, XIXe-XXe siècles. Paris : Ministère de la culture, 1999. (ISBN 0110911417)
  • Philippe Poirrier (textes rassemblés et présentés par), Les politiques culturelles en France. Paris : La Documentation française, 2002.
  • Jean-Pierre Rioux, Pour une histoire culturelle. Paris : Édition du Seuil, 1997
  • Guy Saez (dir.), Institutions et vie culturelles. Paris, Notices de la Documentation française, La Documentation française, 2005 (2è éd.) (ISBN 2110055731)
  • Philippe Urfalino, L’invention de la politique culturelle. Paris : La Documentation française, 1996. (ISBN 2110036001)
  • Emmanuel de Waresquiel (dir.), Dictionnaire des politiques culturelles de la France depuis 1959. Paris : Larousse / CNRS éditions, 2001
Essais ou études
  • Pierre Bourdieu et Alain Darbel, L’amour de l’art. Les musées d’arts européens et leur public. Paris : Éditions de Minuit, 1966
  • Jean-Baptiste Barrière, L'IRCAM avatars d'une critique culturelle, Circuit, 1999
  • Jean-Michel Djian, La Politique culturelle, la fin d'un mythe, Gallimard, 2005
  • Benoît Duteurtre, Requiem pour une avant-garde, Robert Laffont, 1995
  • Maryvonne de Saint-Pulgent, Le Gouvernement de la culture, Gallimard, 1999
  • Michel Schneider, La comédie de la culture, Seuil, 1993
  • Jeanne Laurent, Arts et pouvoirs en France de 1793 à 1981 : histoire d’une démission artistique. Saint-Étienne : Cierec (les travaux du cierec; 34), 1983. (ISBN 2901559018)
  • Jacques Rigaud, L’exception culturelle. Culture et pouvoir sous la Ve République. Paris : Grasset, 1996.

[modifier] Liens internes