Esclavage dans le monde arabo-musulman

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Comme le christianisme, l’Islam s’étend dans un monde dont l’esclavage est une composante, et contrairement à lui, il s’y adapte. Alors que l'esclavage va officiellement contre les dogmes chrétiens (mais n'est pour autant jamais abandonné officiellement avant le XVIIIe siècle: il reste pratique courant tout au long du moyen âge et développe une forme massive avec le commerce triangulaire vers les colonies d'outre-mer à partir du XVe siècle/XVIe siècle au grand dam de la papauté), le Coran n'interdit pas formellement l'esclavage. [1]

Le calife Omar (581-644) est à l'origine d'une législation qui interdit de mettre en servitude un musulman car il fait la différence entre les « infidèles » et les croyants de l'islam (différence faite, bien que moins nette, aussi par le christianisme). Dans les faits, cette prescription, qui encourage les musulmans à chercher des esclaves hors de leurs terres, c'est-à-dire en Afrique noire et en Europe, est rapidement limitée par des conditions mises à l'affranchissement des esclaves convertis.


  • Cela explique partiellement le fait que jusqu'au début du XXIe siècle, des pays musulmans comme l'Arabie saoudite, le Soudan ou la Mauritanie acceptent l'esclavage des Noirs chrétiens et animistes.
  • Malgré les interdictions formelles concernant les musulmans, les califes et les sultans n'hésitent pas à réduire en esclavage les rebelles ou les « mauvais musulmans », notamment en Espagne au temps d'al-Andalus.

Sommaire

[modifier] Particularités de l'esclavage musulman

[modifier] D’où vient l’esclave dans le monde musulman ?

Du respect de l’interdiction d’asservir un musulman découle la nécessité de s’approvisionner en esclaves aux marges du monde islamisé : chacun des pôles du monde musulman (Bagdad, Al-Andalus, Maghreb) va mettre en place ses filières d’approvisionnement.

Marché aux esclaves au Yémen, XIIIe siècle
Marché aux esclaves au Yémen, XIIIe siècle

Le califat de Bagdad et l'Égypte ont les besoins les plus élevés en esclaves, et la richesse nécessaire pour en acquérir massivement.

  • Les guerres quasi continuelles contre l’Empire byzantin, puis les états d'Europe de l'Est et d'Europe centrale procurent pendant des siècles des captifs réduits en esclavage. L’Empire byzantin pratique de même lorsqu’il a le dessus.

D’autres circuits d’importation se développent, moins aléatoires que les expéditions militaires, donc plus lucratifs pour les intermédiaires. Des circuits de traite se créent avec leurs divers « gisements » :

  • Les esclaves européens, principalement des slaves païens (Esclavons) : apparus par petits groupes dans les Balkans vers le VIIe siècle, combattus par les Francs et les Byzantins, ils alimentent les marchés d’esclaves. Les commerçants vénitiens assurent l’acheminement vers l’Espagne musulmane et le Moyen-Orient. Cette source se tarit vers le IXe siècle avec la christianisation et l’apparition d’États slaves organisés et capables de se défendre. L'Esclavonie (la Slavonie actuelle) était nommée en arabe le « Pays des esclaves »[2]. L'approvisionnement en esclaves européens chrétiens connaît un grand essor lors des croisades, lorsque les armées musulmans défendant leurs terres en proche orient contre les croisés font des captifs qui sont souvent réduit en esclavage, s'il ne sont pas rançonnés. Une autre source d'esclaves européens s'ouvre d'abord avec la conquête de l'Espagne et des raids terrestres dans l'actuelle France, puis avec les attaques de navires chrétiens en méditerranée et des razzias sur les côtes des pays européens par les corsaires barbaresques et les Turcs qui durent jusqu'au début du XIXe siècle siècle. Ces esclaves sont principalement Italiens, Espagnols et Français, mais des attaques eurent lieu également contre l'Angleterre et jusqu'en Islande.
  • Les esclaves blancs (en arabe Mamelouks[3]), Circassiens du Caucase ou Turcs d’Asie centrale, avec Samarcande et les ports de la mer Noire comme grands marchés. L'Asie centrale était nommée par les arabes le « Pays des Turcs »[4].
  • Les esclaves noirs (en arabe Zendj[5]) du Sud Soudan ou collectés sur les côtes d’Afrique noire, organisant une première traite des noirs. Le Soudan était nommé en arabe le « Pays des noirs »[6].

[modifier] Que fait l’esclave dans le monde musulman ?

À la différence des sociétés coloniales européennes, qui cantonnent les esclaves aux seules tâches d’exécution, les esclaves sous le califat accèdent parfois à des postes prestigieux : en plus des classiques travaux domestiques, artisanaux ou agricoles, les esclaves peuvent devenir favoris, conseillers, chambellans, et surtout soldats. Mais la majorité des esclaves sont tout de même cantonnés aux tâches d'exécution. L'autre différence est l'esclavage à destination des harems : même si dans toute les sociétés esclavagistes, la femme esclave est souvent asservie sexuellement par son maître, les femmes vendues aux harems sont aussi des esclaves de plaisir (danse, chants, sexe).

Aucune civilisation précédente n’avait tenté de créer des milices d’esclaves. Les cas d’esclaves que l’on arme ne sont évoqués par les anciens auteurs qu’en cas de crise extrême, et s’accompagnent d’affranchissement. L’avantage d’armer une population déracinée, sans autre attache que son maître et donc réputée dévouée, l’emporte aux yeux des dirigeants musulmans sur le danger d’une telle pratique.

  • Les mamelouks turcs sont les soldats les plus appréciés : acquis jeunes, ils sont formés et encasernés, autant pour créer un esprit de corps militaire que pour les isoler de la population. Le mot mamelouk qui veut simplement dire esclave blanc deviendra synonyme de soldat turc. Les mamelouks arrivent même au pouvoir suprême en Egypte pendant certaines périodes.
  • La garde personnelle du calife Al-Mutasim (843-842) comptait de nombreux esclaves soldats (entre 4 000 et 70 000 selon les sources).
  • Le calife Jafar al-Mutawakkil (846-861) met des esclaves turcs à tous les postes de son gouvernement, mais finit assassiné par sa garde mamelouk. Trois de ses quatre successeurs subissent la même fin.
  • Ahmad Ibn Touloun, turc envoyé au Caire en 868, se constitue une armée de Grecs, de Soudanais et de Turcs et se rend indépendant en Égypte (dynastie des Toulounides).
  • À l’autre extrémité du monde musulman, les Esclavons armés prennent une part active aux luttes qui divisent l’Espagne en taifas, et se créent même un royaume à Valence.

Enfin, le califat de Bagdad connaît entre 869 et 883 sa grande révolte d'esclaves noirs, la révolte des Zanj dans les plantations du sud de l’Irak. À la différence de la révolte de Spartacus contre Rome, cette révolte d'esclaves a un fondement idéologique, car elle est animée par un mouvement qui prône violemment un islam égalitaire, le Kharidjisme. Les soldats noirs envoyés contre eux désertent et rallient la révolte ; les mamelouks régnants mettront des années pour en venir à bout.

[modifier] Castration et asservissement sexuel[7]

Une des grandes particularités de l'esclavage arabo-islamique est la mutilation sexuelle quasi-systématique des esclaves mâles, et l’utilisation assumée des esclaves femmes comme objet sexuel.

Les hommes réduits en esclavage étaient châtrés pour devenir les fameux « eunuques ». Cette pratique a pour conséquence la disparition des populations déportées, essentiellement africaines, à l’opposé des esclaves aux Amériques dont les descendants sont très nombreux.

Cette absence de descendants d’esclaves participe sûrement l’absence de débat sur la reconnaissance de l’esclavagisme arabo-musulman, ainsi que les traces endémiques d’esclavage dans ces sociétés.

Pour les femmes, si dans le reste du monde, les maîtres abusaient évidemment de leurs esclaves, seul le monde arabe a rempli spécifiquement les maisons closes de femmes-esclaves spécialement déportées pour cela. Pour cette raison, le prix d’une femme-esclave était bien plus élevé que celui d’un homme.

Ailleurs, les femmes esclaves étaient comme les autres d’abord une force de travail et non un objet de divertissement.

[modifier] Survol par région

[modifier] Al-Andalus (Espagne)

Avec les conquêtes musulmanes (al-Andalus), la traite concerne l'Espagne et les côtes du bassin méditerranéen. Répondant aux tentatives de reconquête des chrétiens du nord de la péninsule ibérique, les califes de Cordoue lancent des expéditions de représailles, source de prisonniers : en 985, les musulmans pillent Barcelone et en 997 Saint-Jacques-de-Compostelle. En 1185, une attaque musulmane sur Lisbonne fait de nombreux captifs. La piraterie des barbaresques menace le littoral et occasionne des captures d'esclaves : c'est le cas au sac de Rome en 846, de Gênes en 933 et de Tarragone en 1185. En Europe orientale, les raids musulmans contre l'empire byzantin sont encore une source d'approvisionnement en esclaves, source utilisée aussi par les marchands italiens depuis la fin du XIIe siècle et qui ne tarisse qu'après la conquête ottomane dans la deuxième moitié du XVe siècle.

Les esclaves européens du monde musulman viennent aussi des marchés de Verdun ou de Kiev pendant le Haut Moyen Âge. Les marchands musulmans ou juifs (les Radhanites) viennent y acheter de la main d'œuvre servile. Un recensement fait état de 10 000 esclaves européens amenés à Cordoue entre 912 et 961. La traite dure longtemps car les maîtres musulmans ont sans cesse besoin de renouveler leurs esclaves : ces derniers n'ont pas d'enfants (mariage interdit et eunuques).

Une autre source d'esclaves pour al-Andalus est la côte septentrionale de l'Afrique, d'où des noirs captivés au cours de raids sont emmené en Espagne (musulmane comme chrétienne) par des marchands musulmans et catalans.

[modifier] Tunisie

Icône de détail Article détaillé : Esclavage en Tunisie.

[modifier] Égypte

L'Égypte islamique a largement fait usage des esclaves soldats, les Mamelouks, capturés ou achetés parmi les chrétiens et les tribus païennes, puis instruits au métier des armes et affranchis. En 1260, leur chef Baybars prit le pouvoir. Les Mamelouks le conservèrent jusqu'à la conquête par les Turcs en 1516-1520.

Il faut remarquer que même lorsqu'ils furent les maîtres de l'Égypte, les mamelouks conservèrent leur mode de recrutement, à partir d'esclaves.

[modifier] Maroc

Le dernier marché aux esclaves du Magreb est fermé au Maroc par les français lors de l'intauration du Protectorat en 1920.

[modifier] Empire ottoman

L'esclavage et la traite continuent avec les attaques des Turcs ottomans : par les pirates musulmans au XIVe siècle, dans les Balkans au XVe siècle et lors des expéditions navales turques en Espagne et en Italie, au siècle suivant.

Les Ottomans ont créé à partir du XVe siècle des unités d'élites avec des esclaves chrétiens, les janissaires, de yeniç eri, « soldat de victoire » en turc. Ces esclaves étaient encasernés très jeunes, entraînés et convertis à l'Islam. Ils formaient ainsi une communauté extrêmement soudée, armée redoutée qui comme les mamelouks se mit à intervenir dans la vie politique d'Istanbul. Néanmoins, cette pratique d'esclavage contribuait au dynamisme et à la propagation de l'islam.

Enfin, la pratique des eunuques, héritée de Byzance se poursuit à la cour du sultan, ainsi que la capture de femmes pour la domesticité et les harems.

[modifier] Inde

L'Inde connaît au XIIIe siècle une dynastie des esclaves fondée par Qûtb ud-Dîn Aibak en 1206 et qui garde le pouvoir sur la vallée du Gange jusqu'en 1290. Les sultans musulmans du Deccan opèrent de nombreuses razzias d'esclaves en Inde.

[modifier] Indonésie

On a retrouvé une incription en Indonésie, le plus peuplé des pays musulmans, prouvant l'imporation d'esclaves noirs africain.

La traite d'esclave dans le monde musulman irait jusqu'en Chine.

[modifier] Afrique noire

L'approvisionnement en esclaves noirs se fait par les deux extrémités du Sahara :

[modifier] Extrémité orientale

Dès le VIIe siècle, plusieurs expéditions musulmanes montent vers la Nubie, en suivant le Nil. Les vainqueurs exigent des esclaves comme tribut : en 642, le roi de Nubie Kalidurat doit livrer 360 esclaves par an aux musulmans. Selon le même processus, une série de raids musulmans menacent l'Abyssinie chrétienne. Les Arabes traversent la Mer Rouge et s'installent sur la côte éthiopienne, en fondant d'abord quelques comptoirs de traite négrière (archipel des Dahlaks, Aydab et Souakim par exemple). Les marchands arabes y échangent les produits apportés par des marchands asiatiques contre des esclaves noirs. En effet, des inscriptions javanaises et des textes arabes montrent qu'aux IXe et Xe siècles Java entretenait des échanges commerciaux avec la côte est de l'Afrique, qui incluaient l'achat d'esclaves "jenggi", c'est-à-dire originaires du "Zenj", nom que les Arabes de l'époque donnaient à la côte est de l'Afrique.

Puis les Arabes pénètrent davantage dans les terres et finissent par installer de petits sultanats autonomes en Éthiopie : celui d'Adal par exemple exportait les esclaves du pays. Ces sultanats disparurent au XVe siècle. Au XVIe siècle, les raids viennent à nouveau d'Égypte où les Turcs s'installent. Le négus d'Éthiopie appelle les chrétiens d'Occident à l'aide. L'Espagne, l'Italie et le Portugal envoient des hommes. Les Portugais voulant contrôler la route des Indes orientales attaquent les comptoirs arabes : en 1517, ils incendient le comptoir arabe de Zeilah. Christophe de Gama mène une expédition en Abyssinie vers 1542-1543. Les renforts portugais repoussent les Turcs vers le nord de l'Abyssinie.

[modifier] Extrémité occidentale

Avec l'avancée de l'islam, l'esclavage se développe. Dès le VIIe siècle, sans parler de conquêtes, les premiers raids arabes dans le Sahara approvisionnent les marchés aux esclaves. Au XIe siècle, le trafic caravanier augmente et les chefs de tribus africaines se convertissent. En 1077, Abou Bahr Ben Omar lance une expédition sanguinaire au Ghana. Mais les Berbères Almoravides du Maroc n'arrivent pas à s'installer durablement. En 1222, Sundjata Keïta abolit l'esclavage en créant l'Empire du Mali (Charte du Manden).

Au XVIe siècle, les expéditions menées par les gouverneurs d'Alger se multiplient dans le Sahara central. L'effondrement de l'empire Songhaï entraîne une chasse aux esclaves dans les pays du Niger.

Jusqu'au XIXe siècle, les corsaires nord-africains capturent des esclaves sur les côtes des pays européens et les navires européens. Entre 1530 et 1780, au moins 1 200 000 Européens furent emmenés en esclavage en Afrique du Nord (seul le nombre d'hommes est à peu près quantifiable, tandis que le nombre de femmes victimes de cette traite est très difficile à quantifier et généralement largement sous-estimé).

[modifier] Notes

  1. «Le Coran n'étant pas contraignant, l'abolition relève de la seule initiative personnelle du maître. Cette ambiguïté est constitutive de l'approche coranique : encourager ceux qui font le bien, mais ne pas alourdir la peine de ceux qui ne font rien. Plusieurs versets entérinent au demeurant l'infériorité de l'esclave par rapport à son maître Malek Chebel L'esclavage en terre d'islam Fayard, septembre 2007
  2. arabe : bilād aṣ-ṣaqāliba بلاد الصقالبة, le pays des esclaves; c.f. Maurice Lombard, L'islam dans sa première grandeur, Éd; Champs Flammarion, 1980. p 214
  3. arabe : mamlūk, مملوك pl. mamālīk, مماليك, possédé
  4. arabe : bilād al-atrāk, بلاد الأتراكة, Pays des Turcs ; Maurice Lombard, Ibidem
  5. arabe : zanj, زنج, nègre
  6. arabe : bilād as-sūdūn, بلاد السودونة, Pays des noirs ; Maurice Lombard, Ibidem
  7. http://www.herodote.net/articles/article.php?ID=290 sur le site d’histoire Heredote citant l'anthropologue Malek Chebel dans L'esclavage en terre d'islam chez Fayard

[modifier] Voir aussi

[modifier] Article connexe

[modifier] Liens externes

[modifier] Bibliographie