Esclavage moderne

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Alors qu'à la fin du XIXe siècle, l'esclavage ancien "classique" (où l'esclave est une personne non libre, un bien, une marchandise, un instrument économique pouvant être vendu ou acheté ; un esclavage que l'on pourrait qualifier de "physique") semble définitivement aboli dans la plupart des pays du monde, quelques consciences s'inquiètent des nouvelles formes d'esclavage qui semblent ressurgir. C'est dans ce contexte que des délégués de la première conférence pan-africaine de Londres font parvenir à la reine Victoria, un mémoire dénonçant "le système de travail des natifs africains en vigueur en Rhodésie, le système des engagés, un esclavage légalisé, et le travail forcé". Pour la première fois, la notion d'esclavage moderne apparait, dont le travail forcé serait l'un des avatars. Le 25 septembre 1926, la Société des Nations adopte une convention préconisant notamment la répression de l'esclavage et faisant référence au travail forcé, bien que ce dernier ne soit que partiellement condamné puisqu'on reconnaissait qu'il ne pouvait "être exigé que pour des fins publiques". En 1930 toutefois, le Bureau international du travail adopte une convention visant à supprimer le travail forcé "sous toutes ses formes dans le plus bref délais possible". En 1948, les Nations unies proclament dans l'article IV de la Déclaration universelle des droits de l'homme que "nul ne sera tenu en esclavage ni en servitude; l'esclavage et la traite des esclaves sont interdits sous toutes leurs formes". En 1949, l'ONU adopte également une "Convention pour la répression de la traite des êtres humains et de l'exploitation de la prostitution d'autrui", renforcée en 1956 par une nouvelle Convention qui "recommande l'abandon" de la servitude pour dettes, du servage, du mariage forcé, de la vente ou cession d'une femme par ses parents, son tuteur ou sa famille, de sa transmission par succession de la mise à disposition d'un enfant ou d'un adolescent en vue de l'exploitation de sa personne ou de son travail. En 1957, c'est l'Organisation internationale du travail qui adopte une convention visant à "supprimer le travail forcé ou obligatoire et à n'y recourir sous aucune forme". Dès lors, l'arsenal législatif et réglementaire visant à abolir l'esclavage moderne n'a cessé de s'élargir, pour y englober toutes ses nouvelles formes. La diversité des formes d'asservissement rend difficile une définition claire de ce qu'est l'esclavage moderne. Ainsi les divers textes visant à la réprimer ont des champs d'actions plus ou moins larges : certains n'intègrent que les formes contemporaines de l'esclavage "classique", d'autres ont des préoccupations plus étendues. Quelques constantes permettent toutefois de dresser un premier contour de ce que l'on désigne par "esclavage moderne", il est notamment (mais pas exclusivement) caractérisé par :

  • le travail forcé, sous la menace de sévices corporels ou psychologiques ;
  • une relation de propriété ou de quasi-propriété d'un esclave par un "employeur", où l'esclave est maintenu dans cette relation de dépendance par des sévices, ou menaces de sévices, corporels ou psychologiques ;
  • une déshumanisation de l'esclave qui n'est plus traité comme un être humain, mais comme une marchandise, et acheté ou vendu comme tel (ici l'esclavage moderne apparaît en fait comme la version contemporaine de l'esclavage classique) ;
  • des entraves physiques ou une liberté de mouvement restreinte.

Sommaire

[modifier] Les différentes formes d'esclavage moderne, la situation actuelle

Malgré les progrès incontestables en matière de textes légaux ou de conventions internationales, les situations d'asservissement restent nombreuses dans le monde. L'Organisation des Nations Unies (et ses institutions spécialisées que sont le Bureau international du travail et L'Organisation internationale du travail) estime qu'il y aurait aujourd'hui 200 à 250 millions d'esclaves adultes à travers le monde auxquels s'ajouteraient 250 à 300 millions d'enfants de 5 à 14 ans au travail[1]. Ces chiffres recouvrent toutefois des situations très diverses :

[modifier] L'esclavage classique et ses réminiscences contemporaines

L'esclavage classique perdure toujours aujourd'hui, bien qu'officiellement aboli dans tous les pays du monde depuis plus de 20 ans (la Mauritanie n'y a officiellement mis fin par décret que le 5 juillet 1980). Certains auteurs font état de rumeur concernant la persistance de marchés aux esclaves dans certains pays, notamment au Soudan et en Mauritanie (où l'on estimait qu'en 1994 11 millions d'habitants, soit 45 % de la population, sont esclaves)[2] ou dans les pays du Golfe Persique[1].

voir aussi: Esclavage au Soudan, Esclavage en Mauritanie

[modifier] La traite d'esclaves

Fortement liée à l'esclavage traditionnel, la traite d'esclaves existe encore aujourd'hui. On peut la définir comme le déplacement ou le commerce d'êtres humains, à des fins commerciales, par la force ou la ruse. Ce sont le plus souvent les femmes et les enfants qui sont victimes de ces pratiques. Les migrantes sont ainsi forcées à travailler comme employées de maison ou comme prostituées. Des statistiques officielles américaines d'avril 2002 estiment qu'environ 700 000 personnes feraient l'objet de traite entre 2 pays chaque année (ces chiffres excluent donc la traite à l'intérieur d'un pays).

La traite peut servir à alimenter des filières de prostitution dans le monde entier : on estime à 2 millions le nombre d'esclaves prostitués en Thaïlande, pour répondre notamment aux besoins du tourisme. La traite sert également à alimenter des ateliers de production et des activités économiques, ainsi en Afrique de l'Ouest, des enfants sont recrutés pour du travail dans des conditions d'exploitation, et sont ainsi transportés clandestinement dans l'ensemble de la région. En Chine et au Viêt Nam, des femmes sont emmenées dans des îles du Pacifique pour y travailler dans des ateliers clandestins à la fabrication de produits destinés au marché nord américain. Au Mexique, des hommes font l'objet de traite et sont emmenés aux États-Unis pour y travailler dans des exploitations agricoles[3].

Les enfants sont des victimes importantes de la traite moderne (trafic d'enfants), aussi bien pour être exploités comme travailleurs que comme esclaves sexuels. Selon le BIT et Interpol on peut distinguer 5 grands courants internationaux d'enfants destinés à la prostitution : de l'Amérique Latine vers l'Europe et le Moyen-Orient ; D'Asie du Sud et du Sud-Est vers l'Europe du Nord et le Moyen-Orient ; de l'Europe vers le monde arabe ; d'Afrique noire vers l'Europe, le Canada et le Moyen-Orient ; et enfin le trafic transfrontalier à l'intérieur de l'Europe.

La traite d'êtres humains est toutefois à distinguer de ce que font les passeurs. La traite implique l'usage de la force ou de la tromperie, dans le but de réduire en esclavage alors qu'un passeur aide à franchir une frontière en échange d'une rémunération. Dans certains cas, les deux phénomènes peuvent toutefois être liés et difficiles à distinguer l'un de l'autre (cf. servitude pour dettes).

[modifier] La servitude pour dettes

La servitude pour dettes touche plus de 20 millions de personnes dans le monde[2],[4]. Les circonstances qui conduisent à de telles situations sont diverses : emprunt destiné à financer un traitement médical, une dot, etc. L'emprunteur est ensuite astreint à travailler sans congé pour le compte du prêteur jusqu'au remboursement de la dette. Les rémunérations étant toujours très basse, il arrive régulièrement que la dette ne soit pas éteinte avant le décès de l'emprunteur et passe ainsi aux générations suivantes. D'autres personnes peuvent s'être engagées à payer leur entrée clandestine dans un pays par leur travail jusqu'à ce que leur dette soit remboursée. Toutefois les "salaires" sont tout juste suffisants pour survivre, si bien que le remboursement peut s'étendre sur des années.

La servitude pour dette est théoriquement abolie dans le monde entier, toutefois cette pratique est encore généralisée dans certaines régions du monde. Ainsi l'Inde a aboli la servitude pour dette en 1975, sous l'impulsion d'Indira Gandhi et le Pakistan a voté une loi en ce sens en 1992, pourtant ces législations demeurent peu appliquées[4]. Le Comité Contre l'Esclavage Moderne (CCEM) estime à plusieurs dizaines de milliers de personnes en France contraintes de travailler dans des ateliers clandestins pour rembourser une dette exorbitante contractée le plus souvent pour prix de leur entrée dans le pays.

[modifier] Le travail forcé

Le travail forcé constitue sans doute la forme la plus connue de l'esclavage moderne, entre autres parce que c'est la plus répandue dans les pays occidentaux. On parle de travail forcé lorsque des personnes sont recrutées dans l'illégalité par des États, des partis politiques ou des particuliers, et forcées à travailler pour eux, le plus souvent sous la menace de sévices ou d'autres punitions.

D'après les estimations du Comité Contre l'Esclavage Moderne, quelques milliers de jeunes domestiques seraient "employées" illégalement en France dans des conditions d'asservissement. Ces situations d'esclavage se caractérisent notamment par une confiscation des papiers d'identité, des horaires de travail pouvant aller jusqu'à 21 heures par jour, 7 jours sur 7 pour des rémunérations faibles ou nulles, l'isolement (de la famille, des voisins), le tout pouvant être accompagné de brimades physiques et d'abus sexuels. Des études du CCEM montrent que ce type de travail forcé en France concerne principalement des victimes originaires d'Afrique et d'autres pays pauvres. Les tortionnaires, provenant souvent eux aussi des pays du Sud, appartiennent aussi bien aux catégories socioprofessionnelles supérieures (notamment des hauts fonctionnaires) qu'à des classes plus modestes. Leurs actes peuvent être expliqués comme un héritage de l'esclavage traditionnel : ils relèvent d'une culture, d'une tradition où la condition servile n'a pas été abolie, de droit ou de fait.

[modifier] Les camps de travaux forcés

Travail de prisonnier à la construction de Belomorkanal, 1931-1933
Travail de prisonnier à la construction de Belomorkanal, 1931-1933
Icône de détail Article détaillé : Camp de travail.

Un autre exemple historiquement significatif de travail forcé était celui des prisonnier politiques, les peuples des pays conquis ou occupés, les membres de minorités persécutés, et les prisonniers de guerre, surtout pendant le vingtième siècle. L'exemple le plus connu est le système des camp de concentration dirigé par l'Allemagne nazie en Europe pendant la Deuxième Guerre mondiale, le Goulag, les camps dirigés par l'Union Soviétique,[5] et le travail forcé utilisé par l'armée de l' Empire du Japon, surtout pendant les Campagnes du Pacifique (tel que le Chemin de fer de la Mort). Moins renommé sont les près de 4.000.000 prisonniers de guerre allemands utilisés comme « travail de réparation » par les Alliés pendant plusieurs années après la reddition allemande. Le système des Laogai (« la réforme par le travail ») de la Chine est un exemple actuel.

A peu près 12 million de travailleurs forcés, la plupart étaient des ouvriers de l'est et des Polonais, ont été employé dans l'économie de guerre allemande par l'Allemagne nazie.[6],[7] Plus de 2000 compagnies allemandes ont profité du travail d'esclave pendant l'ère nazie, y compris DaimlerChrysler, Deutsche Bank, Siemens, Volkswagen, Hoechst, Dresdner Bank, Krupp, Allianz, BASF, Bayer, BMW et Degussa.[8],[9]

[modifier] Le travail des enfants

Le travail des enfants est considéré comme de l'esclavage lorsqu'il se fait dans des situations dangereuses ou impliquant exploitation. Selon le Bureau international du travail (BIT), 250 millions d’enfants de 5 à 14 ans travailleraient actuellement dans le monde, dont 50 à 60 millions dans des conditions dangereuses. On trouve par exemple en Inde, des enfants travaillant dans des fabriques de verre non aérées auprès de fourneaux dont la température approche les 1 600 °C. En Tanzanie certains travaillent 11 heures par jour dans les plantations. Des usines de tapis en Inde ou au Pakistan, sont accusées de faire travailler des enfants jusqu’à 20 heures par jour, 7 jours sur 7. Dans le meilleur des cas, ces enfants sont sous-payés, mais la plupart d’entre eux ne reçoivent pas de salaire pour leur peine, et certains sont parfois victimes de mauvais traitements.

Sur les 250 millions d’enfants qui travaillent – pour la moitié d’entre eux à temps plein –, 61 % vivent en Asie (dont un million dans le commerce du sexe), 32 % en Afrique et près de 7 % en Amérique latine. Deux millions de jeunes sont aussi concernés en Europe, notamment en Italie, en Allemagne, au Portugal et au Royaume-Uni. D'après le Sunday Telegraph, des centaines d'enfants arrivent chaque année en Grande-Bretagne pour travailler dans les restaurants, les ateliers textiles ou pour se prostituer. Ils viennent d'Asie, d'Afrique et d'Europe de l'Est[10]. Selon un rapport de l'organisation Human Rights Watch, des dizaines de milliers de très jeunes adolescents, souvent originaires du Mexique ou des pays « latinos », travaillent aux États-Unis, principalement dans les fermes des États du Sud.

[modifier] Les autres formes d'esclavage moderne

peuvent exister, qui surviennent au sein même des familles, hors de tout circuit "commercial" ou mafieux. Ce peut être par exemple l'exploitation sexuelle des enfants à des fins commerciales : des mineurs font l'objet d'une exploitation commerciale dans le cadre de prostitution, de trafic, de pornographie ; ils sont parfois enlevés ou achetés (cf. traite), ou encore forcés à se prostituer par leurs propres familles. Le mariage précoce et/ou forcé peut également apparaître comme une forme d'esclavage moderne : des femmes ou des jeunes filles sont mariées sans leur consentement et forcées à vivre en état de servitude, et peuvent aller jusqu'à faire l'objet de sévices corporels.

Ces différentes formes d'esclavage moderne sont souvent très liées entre elles et difficiles à distinguer l'une de l'autre. Elles sont toutefois très souvent liées à l'existence de réseaux de types mafieux et au crime organisé pour qui l'esclavage est une importante source de profits. Les victimes sont en général des personnes en situation d'extrême pauvreté et de grande vulnérabilité.

Si l'on comptabilise les esclaves adultes et enfants, leur nombre s'élève à près de 500 – 550 millions, soit environ 10 % de la population mondiale. Ce chiffre, rapporté à la population totale des pays les plus développés fait apparaître un ratio de 4 esclaves par ménage (en supposant qu'un ménage dans un pays développé compte en moyenne 4 personnes, et en faisant l'hypothèse que ces esclaves modernes travaillent – directement ou indirectement – pour les plus riches), soit un ratio proche de celui que donnait Carcopino concernant les esclaves à Rome du temps de Trajan : environ 4 par ménage…[2],[11]

[modifier] Voir aussi

[modifier] Sources

  1. ab selon Maurice Lengellé-Tardy dans "L'esclavage moderne" (Que sais-je ? PUF)
  2. abc cité par AntiSlavery International.
  3. stophumantraffic.org
  4. ab L'Histoire, n° 280, octobre 2003
  5. The Gulag Collection: Paintings of Nikolai Getman.
  6. Final Compensation Pending for Former Nazi Forced Laborers
  7. Forced Labor at Ford Werke AG during the Second World War
  8. American Jewish Committee (2000). "German Firms That Used Slave Or Forced Labor During the Nazi Era", webpage of Jewish Virtual Library. Retrieved October 21, 2007.
  9. German Companies Adopt Fund For Slave Laborers Under Nazis
  10. « Des centaines d'enfants esclaves arrivent chaque année en Grande-Bretagne (presse) » dans Le Monde, 04/06/2006
  11. Comité Contre l'Esclavage Moderne (CCEM), statistiques

[modifier] Liens internes

Dans le domaine de la prostitution

[modifier] Bibliographie

[modifier] Liens externes