Représailles après la mort de Karl Hotz

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En 1941, un militaire allemand, Karl Hotz est abattu par des résistants à Nantes. Les autorités allemandes fusilleront des prisonniers en représailles.

Sommaire

[modifier] Résumé

Le 20 octobre 1941, le lieutenant-colonel Karl Hotz, qui avait de 1929 à 1933 supervisé les travaux de comblement de l'Erdre, devenu Cours des 50-Otages, à Nantes dans le cadre de la dette de guerre allemande et était revenu avec l'occupation comme autorité administrative, est abattu rue du Roi-Albert à Nantes par trois résistants : Gilbert Brustlein, Marcel Bourdarias et un ancien officier des Brigades internationales d'origine italienne (naturalisé Français en 1932) Spartaco Guisco, tous trois venus de Paris, envoyés par Jules Dumont et Albert Ouzoulias responsables des Bataillons de la Jeunesse. Tandis que le pistolet de Guisco s'enraye, Brustlein tire deux balles dans le dos de l'officier à proximité de la cathédrale. Les deux hommes qui ont cherché en vain une cible la veille, ignorent qui est leur victime ce matin-là. Ils réussissent à prendre la fuite.

Avis du général von Stülpnagel, Paris, 21 octobre 1941
Avis du général von Stülpnagel, Paris, 21 octobre 1941

Les autorités nazies décident une répression exemplaire de cet acte qu'elles qualifient de terroriste. Le lendemain, une proclamation indique qu’au moins 50 otages seront fusillés si les tireurs ne se livrent pas. Deux jours plus tard, 48 personnes sont abattues en représailles. L'arrestation à Paris, quelques jours plus tard, des auteurs de l'attentat par la police française [1] diffère celle de cinquante autres otages dont Hitler réclamait l'exécution.

Parmi les 48 otages fusillés, 27 sont des internés du Camp de Châteaubriant, supposés communistes, et ils sont exécutés sur place, à la carrière de la Sablière, 17 sont de la région nantaise et sont exécutés à Nantes et 4 sont exécutés à Paris. Le ministre de l'Intérieur Pierre Pucheu a tout fait pour que soient désignés des communistes plutôt que des « bons Français ».

Au Camp de Châteaubriant, 27 otages seront fusillés, parmi eux figure Guy Môquet. Il s'agit du plus jeune des fusillés (17 ans). Il refuse que ses camarades intercèdent en sa faveur. « Je suis communiste autant que toi » déclare-t-il au dentiste Ténine.

Les plus connus des autres fusillés étaient Charles Michels, député communiste du XVe arrondissement de Paris et Jean-Pierre Timbaud, secrétaire de la fédération des métaux CGT de la région parisienne. Il y avait également deux trotskistes : Marc Bourhis et un communiste qui avait rompu avec le PCF à la suite du Pacte germano-soviétique, le maire de Concarneau Pierre Guéguin.

Cette exécution, en même temps que d'autres à Nantes et à Bordeaux, suscita une énorme émotion dans le pays, et une grève symbolique de cinq minutes est organisée à travers toute la France le 30 octobre.

[modifier] Déroulement des événements

Avis de la Préfecture de la Loire-Inférieure, Nantes, 21 octobre 1941
Avis de la Préfecture de la Loire-Inférieure, Nantes, 21 octobre 1941
  • 20 octobre à 8 h : Karl Hotz, est abattu par des résistants.
  • 20 octobre à 10 h : trois officiers allemands viennent au Camp de Châteaubriant demander la liste des détenus.
  • 20 octobre à 14 h : Adolf Hitler ordonne l'exécution de 50 otages ; ils seront 48, dont 27 étaient emprisonnés à Châteaubriant.
  • 22 octobre à 14 h : trois camions allemands viennent chercher 27 otages au Camp de Châteaubriant.
  • 22 octobre à 15 h 50, 16 h et 16 h 10 : 27 otages sont fusillés à la carrière de la Sablière.
  • 23 octobre : les corps sont dispersés dans 9 cimetières.

[modifier] Les Allemands et la politique des otages

À partir du 19 juin 1941, les autorités d'occupation allemandes de Nantes garantissent la sécurité des troupes d'occupation en prélevant à tour de rôles des notables — élus, présidents d'association, etc. — consignés en un lieu physique pour quelques heures ou simplement d'astreinte à leur domicile. Après novembre 1941, cette pratique tombe en désuétude sans qu'aucun otage n'ait été passé par les armes[2].

La vague d'attentats initiée le 21 août 1941 par Fabien à la station de métro parisienne Barbès-Rochechouart, va amener les Allemands à modifier leur politique d'otages en privilégiant pour tout attentat la piste « judéo-bolchevique » , même en l'absence de toute revendication. Cette politique sera parfaitement formulée par l'ambassadeur allemand à Paris Otto Abetz en décembre 1941 :

« Même lorsqu'il est clairement prouvé que les auteurs d'attentats sont des Français, il est bon de ne pas mettre cette constatation en relief, mais de tenir compte de nos intérêts politiques et de prétendre qu'il s'agit exclusivement de juifs et des agents à la solde des services de renseignements anglo-saxons et russes.[3] »

Du 22 juin au 22 octobre 1941, seulement quatre Allemands ont été tués par la Résistance mais d'autres attentats, matériels, même s'ils ont un faible impact, montrent qu'il ne s'agit pas d'actes isolés, mais bien d'une vague d'attentats. La première attitude du commandant militaire de la Wehrmacht en France (Militärbefelshaber in Frankreich, MBF), Otto von Stülpnagel consiste à demander au gouvernement de Vichy d'exercer lui-même la répression. C'est ainsi que le nouveau ministre de l'intérieur Pierre Pucheu va créer des tribunaux d'exception : les « Sections spéciales » qui envoient à la guillotine, après jugements sommaires, une poignée d'internés plus ou moins communistes.

Les Allemands prennent ensuite eux-même en charge l'exécution d'otages. Les trois premiers sont fusillés le 6 septembre, les dix suivants le seront le 16 septembre. Cette répression apparait trop douce à Hitler qui trouve Stülpnagel trop mou et lui envoie la directive d'exécuter au moins cent otages par Allemand tué[4]. Stülpnagel, arguant que les troupes allemandes ne sont pas menacées, ne se hâte pas d'engager une politique de représailles. Il ne tient pas à se mettre à dos une population qui travaille pour le plus grand bénéfice de la puissance occupante. Il ne veut pas non plus mettre en porte-à-faux le gouvernement de Vichy qui collabore de façon satisfaisante. « Des exécutions massives ne sont pas encore justifiées par la situation. Elles pourraient entraîner la résistance de toute la population française, ce qui pour des raisons politiques, militaires et économiques, pourraient conduire à d'importantes difficultés [...] » écrit-il le 11 septembre au haut-commandement de l'armée de terre [5].

Hostile aux exécutions massives, Stülpnagel n'en est pas moins contraint d'appliquer la politique dictée par Berlin et le 28 septembre, il publie, à destination des chefs de régions militaires un « code des otages » dans lequel il demande l'établissement de listes d'otages constituées avec les priorités suivantes :

« 
a) Les anciens élus des organisations communistes et anarchistes, ainsi que les permanents.
b) Les personnes qui se sont adonnées à la diffusion de l'idéologie communiste par la parole ou par les actes, par exemple par la rédaction de tracts (intellectuels).
c) Les personnes qui ont montré par leur comportement qu'elles étaient particulièrement dangereuses (par exemple, agresseurs de membres de la Wehrmacht, saboteurs, receleurs d'armes).
d) Les personnes arrêtées pour distribution de tracts.
e) Les personnes arrêtées récemment à la suite d'actes de terreur ou de sabotage en raison de leurs relations avec l'entourage des auteurs supposés desdits actes.[6] »

Avis paru dans L'Œuvre du 23 Octobre 1941 : liste des 48 fusillés du 22 octobre 1941
Avis paru dans L'Œuvre du 23 Octobre 1941 : liste des 48 fusillés du 22 octobre 1941

En vertu de ces directives de principe, le 20 octobre, après la mort par suite d'attentat du Feldkommandant Hotz, les autorités militaires de la région militaire B installée à Angers sont invitées à constituer une liste de 200 noms parmi lesquels sera faite une sélection de 100 otages à exécuter. Mais tous les noms récupérés par les différents services allemands mis à contribution ne suffisent pas. Des officiers dépêchés à Choisel (c'est le nom de lieu précis où se trouve le Camp de Châteaubriant) se font remettre le registre des internés, ce qui leur permet d'établir une liste de 200 noms.

En fait, Hitler qui a eu connaissance de l'attentat communique ses directives à Stülpnagel par Keitel et Warlimont interposés : Il faut exécuter immédiatement de 100 à 150 otages. Stülpnagel applique la directive avec une première vague de 48 exécutions, 27 à Châteaubriant, 17 à Nantes et 4 à Paris. Les services du ministre de l'intérieur Pierre Pucheu avait communiqué une liste de 61 noms du Camp de Châteaubriant, supposés communistes, afin d'épargner « de bons français ». Dans cette liste se trouveront 17 des 27 fusillés du Camp de Choisel, car Stülpnagel avait scrupuleusement appliqué les règles que lui-même avait fixées [7].

Le 27 octobre 1941, Hitler renonce à la seconde vague de 50 otages. Entre temps, le premier ministre Darlan avait déclaré qu'il ferait tout pour découvrir les coupables. Pétain et ses ministres avaient demandé un acte de grâce au führer. Stülpnagel avait également fait valoir aux yeux d'Hitler la parfaite loyauté de Jacques Benoist-Méchin, secrétaire d'État à la présidence du conseil et de Pucheu [8].

Il y avait un caractère à double tranchant dans ces exécutions dont toutes les parties étaient conscientes. Elles avaient un effet de terreur sur la population, mais aussi renforçaient la haine contre l'occupant en montrant sa cruauté, malgré les efforts des Allemands et de Vichy pour souligner qu'ils se cantonnaient à tuer des Juifs et des communistes et non des « bons Français » au sens de Vichy. Cette politique conduisait donc à des dilemmes parmi la Résistance. Le Parti communiste menait en effet une campagne d'assassinats systématiques d'officiers allemands. Même au sein du parti, ces actes étaient critiqués à cause des exécutions d'otages qu'ils provoquaient. Mais en contrepartie, ces représailles mobilisaient davantage la population contre l'occupant, amenant toujours plus de personnes à s'engager dans la Résistance[9].

[modifier] Liste des fusillés




[modifier] Évocations dans la littérature

Un poème de René-Guy Cadou, intitulé Les fusillés de Châteaubriant, évoque les derniers moments des exécutés :

Ils sont appuyés contre le ciel
Ils sont une trentaine appuyés contre le ciel
Avec toute la vie derrière eux
Ils sont pleins d'étonnement pour leur épaule
Qui est un monument d'amour
Ils n'ont pas de recommandations à se faire
Parce qu'ils ne se quitteront jamais plus
[...]
Ils sont exacts au rendez-vous
Ils sont même en avance sur les autres
Pourtant ils disent qu'ils ne sont pas des apôtres
Et que tout est simple
Et que la mort surtout est une chose simple
Puisque toute liberté se survit.
Icône de détail Article détaillé : La rose et le réséda.

Il est plus difficile, sans la dédicace, de saisir que le poème La rose et le réséda[10] de Louis Aragon parle aussi de ces fusillés. Mais ce poème dit bien que leur sacrifice sera utile[11].

à Gabriel Péri et d’Estienne d’Orves
comme à Guy Môquet et Gilbert Dru

Celui qui croyait au ciel
Celui qui n'y croyait pas
Tous deux adoraient la belle[12]
Prisonnière des soldats
[...]
Répétant le nom de celle
Qu’aucun des deux ne trompa
Et leur sang rouge ruisselle
Même couleur même éclat
[...]
Dites flûte ou violoncelle
Le double amour qui brûla
L'alouette et l'hirondelle
La rose et le réséda

Le poème souligne par de nombreuses répétitions des deux premiers vers que dans la Résistance, l'union sacrée transcendait les clivages religieux.

[modifier] Réactions

Un tract fut largué entre le 30 octobre et le 4 novembre 1941 sur la France. Il comportait une déclaration de Franklin Roosevelt au sujet des otages, et de l'autre côté une déclaration de Winston Churchill[13]. Sur le principe d'exécution d'otages qui n'étaient pas eux-mêmes combattants, Roosevelt déclare que « Les peuples civilisés ont depuis longtemps adopté le principe qu'aucun homme ne doit être puni pour les actes d'un autre homme. » Il déclare également qu'il pense lui-même que ces actions ne peuvent que renforcer l'opposition à l'Occupation : « Les nazis auraient pu apprendre de la dernière guerre l'impossibilité de briser le courage des hommes par la terreur. »

[modifier] Notes et références

  1. Berlière-Liaigre, Le Sang des communistes, pp. 167-192
  2. Jean-Marc Berlière et Franck Liaigre, Le sang des communistes, Fayard, 2004, p. 53
  3. Ahlrich Meyer, L'occupation Allemande en France, 1940-44, Toulouse, Privat, 2002, p. 62
  4. Berlière et Liaigre, p. 62
  5. Berlière et Liaigre, p. 64
  6. cité par Berlière et Liaigre, p. 65.
  7. Jean-Marc Berlière et Franck Liaigre, Le sang des communistes, Fayard, 2004, p. 67-85
  8. Jean-Marc Berlière et Franck Liaigre, p. 87-88
  9. Vivre libre ou mourir, documentaire diffusé sur France 2 le lundi 18 février 2008 à 20 h 50
  10. La rose et le réséda, texte intégral, crdp.ac-creteil.fr, [lire en ligne]
  11. bacdefrancais.net, La rose et le réséda, Aragon
  12. L'expression : « la belle » désigne la France.
  13. Collections du mémorial de Caen

[modifier] Autres sources

[modifier] Articles connexes

[modifier] Lien externe