Origine du peuple roumain

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Au vu de la langue roumaine et de la répartition géographique des latinophones en Europe du Sud-est, nul ne conteste que les roumanophones descendent des populations romanisées par l'Empire Romain dans la presqu'ile des Balkans et le bassin du bas-Danube. Mais au XIXe siècle, une controverse sur les origines du peuple roumain divisa les historiens, lorsque les élites roumaines du Banat, de Hongrie, de Transylvanie, de Bucovine (alors autrichiennes) et de Bessarabie (alors russe) réclamèrent les droits civils et religieux qui leur étaient refusés dans ces empires.

Sommaire

[modifier] Le contexte historique de la controverse

Avant la création de l'État Roumain moderne au milieu du XIXe siècle les habitants romanophones des principautés historiques de Transylvanie, de Moldavie et de Valachie, ainsi que les ceux des régions voisines et des Balkans, étaient appelés "Valaques" (Walachen, Wallachians, Valacchi, Volokhs, Vlaques, Vlahi, Olahok...), jusqu'à ce qu'Émile Ollivier et Élisée Reclus imposent la dénomination de Roumains (Rumänen, Romanians, Rumeni, Rumynyi, Roumanoi, Romanok...) dans un contexte où la France soutenait la constitution d'un "État tampon" et "tête-de-pont" francophile entre l'Autriche-Hongrie, la Russie et l'Empire ottoman. Cet ancien terme de Valaques constituait un exonyme souvent péjoratif, tandis que les intéressés eux-mêmes se nommaient Roumains en Valachie et en Transylvanie, et Moldaves ou Roumains en Moldavie.

Le nom de la Valachie, en Roumain est Ţara Românească (anciennement aussi Ţara Rumânească), ce qui signifie en Roumain pays Roumain.

Influencés par Garibaldi, Cavour et les militants pour l'unité italienne, les Transylvains, les Valaques et les Moldaves du siècle dernier ont cherché à légitimer l'État roumanophone qu'ils appelaient de leurs voeux dans la prestigieuse descendance de Rome et de son empereur Trajan, ainsi que de leurs prédécesseurs, les Daces. Ils renforcèrent ainsi l'image d'un peuple Roumain formé au Moyen Âge, à partir d'une population latinophone bien différenciée qui aurait gardé son caractère unique jusqu'à aujourd'hui.

A l'issue de la Première Guerre mondiale, que la Roumanie fit du côté de l'Entente franco-britannique, la Transylvanie, historiquement héritière de la principauté médiévale de Transylvanie, vassale pour 3 siecles du royaume de Hongrie, et jusque-là possession de la double monarchie austro-hongroise des Habsbourg, fut attribuée à la Roumanie. Elle était habitée majoritairement par une population roumaine, mais avec moins de 9% de minorités: hongrois, germanophone des "Saxons", et des slaves .

En bleu, la Dacie romaine, en rouge foncé les régions occupées par les Daces libres
En bleu, la Dacie romaine, en rouge foncé les régions occupées par les Daces libres
La Ligne Jireček (du nom de l'historien qui l'a déterminée Konstantin Josef Jireček) montre les zones de romanisation (au nord) et d'héllénisation (au sud) des Thraces, qui confirment qu'une migration à partir du sud ne pouvait se produire, car les Thraces du sud étaient hellénisés et non romanisés
La Ligne Jireček (du nom de l'historien qui l'a déterminée Konstantin Josef Jireček) montre les zones de romanisation (au nord) et d'héllénisation (au sud) des Thraces, qui confirment qu'une migration à partir du sud ne pouvait se produire, car les Thraces du sud étaient hellénisés et non romanisés

L'endroit où l'ethnogenèse du peuple roumain eut lieu (vatra străromână) est sujet à controverses:

La plupart des historiens le situent au nord de la ligne Jireček, c'est-à-dire dans les régions de Dacie (Roumanie actuelle: Banat, Olténie, Transylvanie), la Mésie (Serbie orientale et Bulgarie du nord) et la Dobroudja. C'est la thèse "sédentaire" de Theodor Capidan, A.D. Xenopol et Nicolae Iorga, qui pensent que la différenciation linguistique ultérieure en quatre dialectes:

s'est effectuée sur place, par séparation progressive des Proto-Roumains depuis l'installation des Slaves, sans migration, dans une continuité romane de l'est, similaire à la continuité gallo-romaine, et par un processus de différenciation similaire à celui qui a donné en France les langues d'Oïl et d'Oc.

Mais il existe aussi deux thèses "migratoires", d'ailleurs antagonistes:

  • l'historiographie hongroise et germanique, qui conteste l'ancienneté des Roumains en Transylvanie, et l'historiographie soviétique et russe, qui conteste l'ancienneté des roumanophones en République de Moldavie, affirment que le Proto-Roumain n'était parlé initialement qu'au sud du Danube, d'où les ancêtres des Roumains auraient immigré tardivement en Transylvanie et en Moldavie (théorie Rössler);
  • en réaction contre cette thèse, certains historiens roumains, mais aussi la majorité des historiens serbes et bulgares (qui n'admettent pas que des populations romanes aient pu vivre dans leurs pays avant l'arrivée des Slaves), affirment que ce sont au contraire les "Valaques" des Balkans qui ont migré, depuis la Roumanie actuelle, vers le sud, et que par conséquent, le Proto-Roumain n'a pu être parlé qu'au nord du Danube...

Comme on le voit, définir la région exacte de formation du peuple roumain et de sa langue n'est pas seulement un travail scientifique, mais aussi le sujet d'une ancienne controverse politique. En effet, les historiens hongrois du XIXe siècle soutiennent majoritairement la thèse migratoire, ce qui leur permet d'affirmer que la Transylvanie n'est pas encore habitée par les Roumains lorsque les Magyars arrivent en Europe centrale au Xe siècle. La plupart des historiens roumains défendent pour leur part la théorie de la continuité sédentaire, ce qui leur permet d'affirmer que la Transylvanie a été habitée de façon continue par les ancêtres des Roumains actuels.

[modifier] La romanisation sur place

Dans la cadre de la théorie roumaine, la romanisation des Daces s'est faite sur place (zone violette). Les Daces non-romanisés migrèrent vers la zone latinophone après la retraite romaine du pays. La romanisation des Thraces au sud du Danube (zones roses) est un processus séparé qui a donné les Aroumains. La langue albanaise n'est proche de la langue des Daces que parce qu'Illyres (ancêtres des Albanais), Thraces (ancêtres des Aroumains) et Daces (ancêtres des Roumains) étaient apparentés.
Dans la cadre de la théorie roumaine, la romanisation des Daces s'est faite sur place (zone violette). Les Daces non-romanisés migrèrent vers la zone latinophone après la retraite romaine du pays. La romanisation des Thraces au sud du Danube (zones roses) est un processus séparé qui a donné les Aroumains. La langue albanaise n'est proche de la langue des Daces que parce qu'Illyres (ancêtres des Albanais), Thraces (ancêtres des Aroumains) et Daces (ancêtres des Roumains) étaient apparentés.

Après la conquête romaine de la Dacie en 106, un processus de romanisation intense a lieu.

Les Daces auraient donc adopté la langue des conquérants, les colons romains, soit un latin vulgaire, vecteur de promotion sociale dans l'administration romaine, de la même façon que les Gaulois romanisés sont devenus gallo-romains pour les mêmes raisons.

Les arguments en faveur de cette théorie sont :

  • L'importante colonisation des Romains de la Dacie
  • Les colons romains proviennent de différentes parties de l'Empire, et le latin vulgaire seul peut leur servir de langue véhiculaire, de la même façon que l'anglais s'est imposé aux États-Unis.
  • les toponymes daces ont été conservés, par exemple le nom de plusieurs rivières (Danube: Donaris/Dunare; Alutus-Olt; Samus - Someş, Maris - Mureş, Porata/Pyretos - Prut), et le nom de certaines cités (Petrodava - Piatra Neamţ, Abruttum - Abrud, Dava-Deva), etc., noms conservés forcément par les mêmes populations.
  • la ressemblance évidente entre les habits traditionnels roumains et les vêtements daces, comme le montre la Colonne Trajane.
  • Constantin Ier a porté le titre de Dacicus Maximus en 336 exactement comme Trajan en 106, ce qui suggère la présence de Daces en Dacie même après le retrait d'Aurélien en 270-275.
  • les nombreux sites archéologiques prouvent la continuité de colonies latines au nord du Danube après l'évacuation de 271, y compris de nombreuses inscriptions en latin (par exemple, "EGO ZENOVIUS VOTUM POSUI").

Les arguments contre cette théorie sont :

  • la courte période d'occupation (juste 165 ans)
  • Les Romains ont conquis en premier temps juste une partie de la Dacie (la Transylvanie, l'Olténie, le Banat, des parties de la Munténie, la Moldavie du sud, la Serbie orientale et la Bulgarie septentrionale). En outre, beaucoup de Daces vivent dans des régions reculées montagneuses, avec peu de contact avec les Romains. Le processus de romanisation peut s'être étendu à d'autres régions que les seuls centres urbains.
  • Après le retrait des Romains, la tribu dace des Carpes, vivant en Moldavie, conquiert les zones abandonnées, mais sans imposer son langage ou renverser le processus de romanisation.
  • Très peu de documents écrits confirment que des peuples romans vivent en Dacie durant la période intermédiaire entre le retrait romain et le Xe siècle. Les documents écrits de cette époque relatent prioritairement, ou exclusivement, les faits relatifs aux zones où ils sont compilés.
  • Il n'existe aucune trace évidente d'influence germanique dans la langue roumaine, alors que, aux Ve et VIe siècles, la Dacie est habitée par des tribus d'origine germanique. Par contre, le passage des populations nomades n'a pas beaucoup d'influence durable sur les populations autochtones.
  • Selon Eutrope (livre IX, 15), Aurélien abandonne la Dacia Traiana, et réorganise une nouvelle Dacia Aureliana à l'intérieur de l'ancienne Mésie Supérieure, en 270-275, en la colonisant avec des Romains arrivant de l'ancienne Dacia Traiana.

Quelques historiens du XIXe siècle (serbes, croates, bosniaques, bulgares, macédoniens et grecs) soutiennent généralement cette théorie, car elle a cadré avec l'histoire officielle de leurs pays, qui a affirmé que les slaves seraient arrivés sur un substrat illyrien ou thrace non-romanisé (malgré quatre à six siècles de présence romaine), que les Aroumains sont en fait des Grecs latinisés, et que les Valaques de l'Hongrie, de l'ex-Yougoslavie et de Bulgarie descendent de bergers Roumains venus des Carpates (sic!).

[modifier] Bibliographie

  • Gilles Veinstein et Mihnea Berindei : L'empire Ottoman et les pays roumains. EHESS, Paris, 1987
  • Demetrie Cantemir : Chronique de l'ancienneté des Romano-Moldo-Valaques (Berlin, 1708, réédité Bucarest 1901).
  • Georges Castellan : Histoire des Balkans. Fayard, Paris 1991.
  • Georges Castellan : Histoire des Roumains. P.U.F., Paris (plusieurs rééditions).
  • Neagu Djuvara : Les pays roumains entre orient et Occident. P.U.F., Paris, 1989.
  • Catherine Durandin : Histoire des Roumains. Fayard, Paris. ISBN 2-213-59425-2.
  • Jean-François Gossiaux : Valaques et/ou Aroumains en Bulgarie. CNRS-IDEMEC, Aix, 2003.
  • Nicolas Trifon : Les Aroumains. Un peuple qui s'en va. Paris. ISBN 2-909899-26-8.
  • Nicolae Iorga : Histoire des Roumains et de la romanité orientale. Université de Bucarest, 1945.
  • Nicolae Iorga : Histoire des (A)roumains de la péninsule des Balkans. Université de Bucarest, 1919.
  • Claude Karnoouh: L'invention du peuple, chroniques de la Roumanie. Arcantère, Paris, 1990.
  • Jules Michelet : Légendes démocratiques du nord. P.U.F. Paris, 1968.
  • Gilles de Rapper et Pierre Sintès : Valaques, Aroumains, Sarakatsanes. CNRS-IDEMEC, Aix, 2003.
  • Karl Sanfeld : Linguistique balkanique. Klincksieck, Paris, 1930.
  • Alexandre Xenopol : Histoire des roumains de la Dacie Trajane. Cartea Româneasca, Bucarest 1925.

[modifier] Voir aussi

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