Langues romanes orientales

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Les langues romanes orientales forment une branche des langues romanes qui, à leur tour, font partie de la famille des langues indo-européennes. Les langues faisant partie de cette branche sont le daco-roumain (dit "roumain" en Roumanie et "moldave" en Moldavie), l’aroumain (dit aussi "macédo-roumain" ou "valaque"), le mégléno-roumain (dit aussi "mégléniote" et éteint) et le parler daco-roumain dicien de Dobrogée[1]; certains linguistes y ajoutent l'istro-roumain et le dalmate, également éteints (jadis parlés sur les rives de la mer Adriatique et dans les régions proches d'elle de Romanja Planina, Vlašić, Vlašina, Valaška ou Vlahina), et proches des langues romanes orientales.

Parmi les "Valaques" du bas-Danube et des Balkans (langues romanes de l'est) les linguistes reconnaissent une zone de rencontre inter-linguistique (tranhumance) en gris, le Daco-Roumain en blanc, l'Aroumain en jaune, le Mégléno-Roumain en orange et l'istro-Roumain en vert-jaune; certains y comptent aussi le Dalmate en bleu-vert (disparu)
Parmi les "Valaques" du bas-Danube et des Balkans (langues romanes de l'est) les linguistes reconnaissent une zone de rencontre inter-linguistique (tranhumance) en gris, le Daco-Roumain en blanc, l'Aroumain en jaune, le Mégléno-Roumain en orange et l'istro-Roumain en vert-jaune; certains y comptent aussi le Dalmate en bleu-vert (disparu)

La plupart des linguistes roumains[2] considèrent que ce ne sont pas des langues autonomes, mais des dialectes du roumain.

Les langues romanes orientales résultent de la division, entre le Xe et le XIIIe siècle, d’une langue commune, appelée proto-roumain par les linguistes.

Avant que les termes modernes issus de la linguistique scientifique ne s'imposent, leurs locuteurs étaient traditionnellement appelés "Valaques" et leurs terroirs ou pays étaient appelés des "Valachies"[3].

Carte des langues romanes orientales actuelles
Carte des langues romanes orientales actuelles

Sommaire

[modifier] Traits communs

Les ressemblances entre les langues romanes orientales consistent tout d’abord dans la profondeur des changements phonétiques qui s’y sont opérés par rapport au latin, puis dans leur structure grammaticale, enfin dans leur lexique fondamental.

Il y a non seulement des traits communs hérités du latin, mais aussi des innovations communes, datant de la période du proto-roumain et même ultérieures, parallèles, par exemple la désinence -m de la première personne du singulier de l’imparfait, ou la palatalisation des labiales.

Il y a davantage de ressemblances entre les trois langues romanes orientales sud-danubiennes qu’entre celles-ci et le roumain. Parmi les variantes régionales de ce dernier, celles de l’ouest ressemblent davantage aux langues sud-danubiennes que les autres.

[modifier] Phonologie

[modifier] Évolution des voyelles

L’ordre des langues dans lequel sont donnés les exemples est : latin, roumain, aroumain, mégléno-roumain, istro-roumain, français.

  • confusion entre [u] et [u:][4] > [u] :
musca > muscă muscã[5] muscă musche mouche
  • confusion entre [i] et [e:][6] > [e] :
ligo > leg leg leg leg je lie
tres > trei trei trei trei̯ trois
medium > miez njedz ńez ml’ez mie
fervo > fierb hierbu i̯erb je fais cuire (à l’eau)
  • diphtongaison de [e] tonique > ea ou [e] > [ε] sous l’influence d’un [a] qui suit :
ligat > leagă leagã leagă leghe il/elle lie
  • diphtongaison de [o] tonique > oa ou [o] > [ɔ] :
noctem > noapte noapti noapti nopte nuit
  • fermeture des voyelles suivies de [n] intervocalique :
[a] > [ə], [ɨ] ou [ɔ] lana > lână lãnã lǫnă lăre laine
[e] > [i] venit > vine yini vini vire il/elle vient
[o] > [u] bonus > bun bunu bun bur bon
  • fermeture des voyelles prétoniques[7] :
[a] > [ə] barbatus > bărbat bãrbat bărbat bărbåt homme (mâle)
[o] > [u] dominica > duminică duminicã duminică dumireche dimanche
  • fermeture des voyelles atones finales :
[a] > [ə] ou [ε] casa > casă casã casă cåse maison
[o] > [u] afflo > aflu aflu aflu åflu j’apprends (une nouvelle)
  • [i] atone final > [j][8] ou disparition de celui-ci :
lupi > lupi [lupj] lup lup lup loups
  • disparition de [u] atone final :
lupus > lup lup lup lup loup

[modifier] Évolution des consonnes

[k] focus > foc foc(u) foc(u) foc(u) feu
[p] caput > cap capu cap cåp tête
[t] totus > tot tot(u) tot(u) tot(u) tout
  • conservation de [s] intervocalique :
casa > casă casã casă cåse maison
  • disparition de [b] et de [v] intervocaliques :
caballus > cal cal cał cheval
ovis > oaie oaie u̯ai̯e oie mouton
    • exception commune :
habere > avere aveare veari (a)ve avoir
mola > moară moarã moară more moulin
  • évolution de [ll] intervocalique:
[ll] > [w] ou [v] stella > stea(uă) steauã steau̯ă stevu étoile
[ll] > [l] callis > cale cale cali cåle voie
[k] > [ʧ] ou [ts] caelum > cer tseru ţer tser ciel
[t] > [ʧ] ou [ts] *fetiolus[9] > fecior ficioru fitšor fiţor jeune homme
[t] > [ts] titia > ţâţă tsãtsã tsǫtsă ţiţe sein
[g] > [ʤ], [dz], ou [z] generum > ginere dzinire ziniri ziner gendre
[d] > [ʤ], [ʒ] ou [z] deorsum jos gios jos zos en bas
  • évolution de [kw] et [gw] + [e] ou [i] pareille à celle de [k] et [g] :
[kw] + [e] ou [i] > [ʧ] ou [ts] cinque > cinci tsintsi tsints cinci/ţinţ cinq
[gw] + [e] ou [i] > [ʤ], [dz], ou [z] sanguem > sânge sãndzi sǫnzi sănze sang
  • [kw] + [a] > [p] :
aqua > apă apã apu åpe eau
  • [gw] + [a] > [b] :
lingua > limbă limbã limbă limbe langue
  • conservation des groupes [bl], [pl] et [fl] :
*blastemo > blestem blastim blastim je maudis
plenus > plin plin ạmplin plir plein
flore > floare floare floari fleur
  • palatalisation de [l] dans les groupes [kl] et [gl] > [kʎ] et [gʎ], sa disparition en roumain :
clamo > chem cljem cl’em cl’em j’appelle
ingluto > înghit (ã)ngljit (ă)ngl’it j’avale
  • [gn] > [mn]:
lignum > lemn lemnu lemn lemne bois (le matériau)
  • [ks] > [ps]:
coxa > coapsă coapsã cuisse
  • [kt] > [pt]:
lacte > lapte lapti lapti låpte lait
*cubium > cuib cuibu cui̯b cul’b nid

[modifier] Accentuation

L’accent est libre, ayant une valeur phonologique : cântă ['kɨntə] (« il/elle chante ») vs. [kɨn'tə] (« il/elle chanta »).

[modifier] Morphologie

  • conservation du genre neutre, mais réorganisé, devenu au singulier identique au masculin, et au pluriel identique au féminin : un animal, două animale (« un animal, deux animaux ») ;
  • dans la formation du pluriel des noms et des adjectifs, les désinences -e et -le au féminin, -i au masculin, -uri au neutre : case (« maisons »), stele (« étoiles »), lupi (« loups »), locuri (« lieux ») ;
  • conservation de la désinence -e de génitif-datif au féminin singulier et de vocatif au masculin singulier : unei fete (« d’une fille », « à une fille »), Hei, băiete ! (« Hé ! Le garçon ! ») ;
  • nombreuses alternances phonétiques[10] : băiat (« garçon »), băii (« garçons »);
  • article défini postposé et déclinaison des articles : lupul (« le loup »), lupului (« du loup », « au loup »), un lup (« un loup »), unui lup (« d’un loup », « à un loup ») ;
  • existence de l’article démonstratif (cel, cea, cei, cele) et de l’article possessif-génitival (al, a, ai, ale) : Alexandru cel Mare (« Alexandre le Grand »), Casa noastră este mică, dar a părinţilor mei este mare. (« Notre maison est petite, mais celle de mes parents est grande. ») ;
  • formation du comparatif avec mai : mai mare (« plus grand(e) ») ;
  • formation des numéraux cardinaux de 11 à 19 avec spre: doisprezece (« douze ») ;
  • formation des numéraux ordinaux : article possessif-génitival + numéral cardinal avec article défini : al doilea (« le deuxième ») ;
  • déclinaison des pronoms personnnels : par exemple, les formes toniques d’accusatif évoluées de *mene, *tene : mine (« moi »), tine (« toi ») ;
  • la désinence de féminin-neutre pluriel -le des adjectifs-pronoms possessifs : mele (« mes/miennes »), tale (« tes/tiennes »), sale (« ses/siennes ») ;
  • conservation des quatre conjugaisons du latin : a cânta (« chanter »), a părea (« paraître »), a bate (« battre »), a dormi (« dormir ») ;
  • le subjonctif avec  : Vreau mă asculţi. (« Je veux que tu m’écoutes. ») ;
  • verbes appelés « à suffixe » à l’indicatif présent et au subjonctif présent, 1re et 4e conjugaisons : capturez (« je capture ») (1re conj.), mă căsătoresc (« je me marie ») (4e conj.) ;
  • le passé composé avec l’auxiliaire a avea (« avoir ») pour tous les verbes : am mâncat (« j’ai mangé »), am venit (« je suis venu(e) ») ;
  • le futur avec l’auxiliaire a vrea (« vouloir ») : voi bea (« je boirai ») ;
  • la voix pronominale à valeur passive : Se face uşor. (« Ça se fait facilement. ») ;
  • les formes am (« j’ai ») (1re personne du singulier) et are (« il/elle a ») (3e personne du singulier) du verbe a avea.

[modifier] Syntaxe

  • restriction de l’emploi de l’infinitif et son remplacement par le subjonctif dans les propositions subordonnées ayant le même sujet que la proposition principale : Vreau să plec. (« Je veux partir. »), Am venit ca să rămân. (« Je suis venu(e) pour rester. ») ;
  • posibilité de ne pas exprimer le sujet par un pronom personnel, mais de l’inclure, de l’exprimer par la désinence du verbe : Vorbeşte. (« Il/Elle parle. ») ;
  • expression du même complément d’objet personne par un nom et par le pronom personnel complément d’objet conjoint qui lui correspond : O iubeşte pe Maria. (« Il/Elle aime Marie. »), Îi arată directorului dosarul. (« Il/Elle montre le dossier au directeur. ») ;
  • ordre des mots relativement libre ;
  • concordance des temps relativement libre.

[modifier] Lexique

  • certains mots latins conservés seulement dans les langues romanes orientales : a(d)sterno > aştern (« j’étends (un tissu sur une surface) »), lingula > lingură (« cuiller ») ;
  • sens spécifiques de certains mots latins conservés seulement dans ces langues : anima > inimă (« cœur »), tener > tânăr (« jeune ») ;
  • certains mots latins absents seulement dans les langues romanes orientales et remplacés par d’autres, toujours latins, ou non latins :
    • grandis remplacé par mare (« grand ») (toujours latin)
    • ploro remplacé par plango (latin) > plâng (« je pleure »)
    • centum remplacé par sută (« cent ») (slave) ;
  • mots communs supposés provenir du substrat traco-dace, parce que la plupart existent en albanais aussi : cătun (« hameau »), copac (« arbre »), moş (« vieillard »), sâmbure (« noyau (de fruit) »), ţap (« bouc ») ;
  • mots et morphèmes lexicaux communs d’origine slave :
    • babă (« vieille femme »), coasă (« faux »), nevastă (« épouse »), a plăti (« payer »), slab (« maigre »)
    • le préfixe négatif ne- : nefericit (« malheureux »)
    • le suffixe -iţă, formateur de noms féminins à partir de noms masculins, et de diminutifs féminins : şcolăriţă (« écolière »), fetiţă (« fillette »).

[modifier] Différences

La compréhension mutuelle entre les langues romanes orientales n’est que partielle. C’est dû tout d’abord à leur isolement prolongé l’une de l’autre. Seuls l’aroumain et le mégléno-roumain sont relativement proches l’un de l’autre. Par conséquent, les langues romanes orientales ont subi des influences étrangères différentes, surtout en ce qui concerne le lexique : grecque et albanaise sur l’aroumain, slave macédonienne sur le mégléno-roumain, croate sur l’istro-roumain, slave, hongroise et celle des autres langues romanes (latin savant, français, italien) sur le daco-roumain.

En détail sur les différences, voir les articles Roumain, Aroumain, Mégléno-roumain et Istro-roumain.

[modifier] Bibliographie

Sala, Marius et al., Enciclopedia limbilor romanice, E. Ş. E., Bucarest, 1989

[modifier] Notes et références

  1. Linguistes qui les considèrent comme des langues autonomes : G. Giuglea, Alexandru Graur, Ion Coteanu.
  2. Gustav Weigand, Ovid Densuşianu, Sextil Puşcariu, Alexandru Rosetti, Theodor Capidan, etc.
  3. Selon les historiens Giurescu, Iorga et Xenopol, il y a eu historiquement une dizaine de "Valachies": les trois principautés à majorité roumanophone de Transylvanie, Moldavie et Valachie jadis respectivement cartographiées "Valachie intérieure", "Bogdano-Valachie" et "Hongro-Valachie", et par ailleurs le despotat de Dobrogée, les "Vlašina", "Vlašić", "Vlahina" et "Romanja Planina" de l'ancienne Yougoslavie, la "Megali Valacheia" de Grèce septentrionale et de Macédoine, et la "Valachie morave" (Moravsko Valaško) à l'est de l'actuelle République tchèque. Toutefois il faut remarquer que les trois principautés à majorité roumanophone résultent elles-mêmes de la fusion de "Valachies" antérieures plus petites (nommées "ţări" ou "ţinuturi" en roumain et "Vlachföldek" en hongrois) telles que les voévodats ou pays de Maramureş, Oaş, Crasna, Lăpuş, Năsăud, Gurghiu, Bihor, Montana, Amlaş, Cibin et Făgăraş en Transylvanie, Onutul, Străşineţul, Baia (Mulda), Soroca, Hansca, Bârladul et Tinţul (Tigheciul) en Moldavie, Severin, Motru, Jaleş, Gilort, Lotru, Argeş et Muscel en Valachie.
  4. [u] long.
  5. Pour l’écriture de l’aroumain nous appliquons l’alphabet adopté au Symposium pour la standardisation du système d’écriture aroumain de Bitola (1997), et pour le mégléno-roumain – la notation de Theodor Capidan dans Meglenoromânii, vol. III, Dicţionar meglenoromân, Bucureşti, Monitorul Oficial şi Imprimeriile Statului, Imprimeria Naţională, Depozitul General Cartea Românească.
  6. [e] long.
  7. Située avant la voyelle accentuée du mot.
  8. [j] à peine perceptible, appelé aussi « chuchoté ».
  9. L’astérisque marque les mots non attestés et reconstitués par les linguistes.
  10. Changement de la nature de certains sons du radical d’un mot au cours de la flexion (déclinaison et conjugaison).