Judéo-nazaréisme

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Les Nazaréens (héb. נצרים Netzarim ou נוצרים Notzrim) furent un courant de fidèles de Jésus de Nazareth, croyant en sa messianité mais refusant, ainsi que les Ébionites, de rompre avec le judaïsme comme le fit l'Église primitive[1]

D'après Epiphane, (Panarion 29.29), la "profession de foi [des Nazaréens] est bien celle des Juifs en tout, sauf qu’ils prétendent croire au Christ. Chez eux, en effet, on professe qu’il y a une résurrection des morts et tout vient de Dieu ; ils proclament aussi un seul Dieu et son Serviteur Jésus-Christ."

Jérôme, dans son épître à Augustin, les identifie aux Minim, et les confond avec avec les Ébionites[2], qualifiant leur doctrine de "se vouloir juive et chrétienne, mais n'être ni l'un ni l'autre".

Cette secte est également condamnée par Ignace d'Antioche dans ses lettres apostoliques : «Il est absurde de parler de Jésus-Christ et de judaïser. Car ce n'est pas le christianisme qui a cru au judaïsme, mais le judaïsme au christianisme, en qui s'est réunie toute langue qui croit en Dieu.» (Lettre aux Magnésiens)

Sommaire

[modifier] La communauté primitive

Les Nazaréens sont caractérisés par leur attachement tenace à l'observance juive. S'ils devinrent hérétiques aux yeux de l'Église mère, c'est simplement parce qu'ils restaient fixés à une position démodée. Pourtant ils représentent, (bien qu'Epiphane refuse énergiquement de l'admettre), les descendants de la communauté primitive dont notre auteur sait qu'elle était désignée chez les juifs par le même nom de nazaréens. Marcel Simon, Judéo-christianisme, pp 47-48.

D'après les Actes des Apôtres, Paul fait partie de la secte des Nazaréens :

  • 24.2 Cinq jours après, arriva le souverain sacrificateur Ananias, avec des anciens et un orateur nommé Tertulle. Ils portèrent plainte au gouverneur contre Paul.
  • Paul fut appelé, et Tertulle se mit à l'accuser, en ces termes : (Très excellent Félix, ) tu nous fais jouir d'une paix profonde, et cette nation a obtenu de salutaires réformes par tes soins prévoyants ;
  • c'est ce que nous reconnaissons en tout et partout avec une entière gratitude.
  • Nous avons trouvé cet homme, qui est une peste, qui excite des divisions parmi tous les Juifs du monde, qui est chef de la secte des Nazaréens ( Ναζωραίων )
  • et qui même a tenté de profaner le temple. Et nous l'avons arrêté.

et que cette secte est très répandue :

  • 28.22 Mais nous voudrions apprendre de toi ce que tu penses, car nous savons que cette secte rencontre partout de l'opposition.

Ils lisent l'ensemble des textes juifs et l'évangile de Matthieu en hébreu, n'utilisant pas la version grecque de la Septante. D'après Épiphane il est possible qu'ils utilisent le mot grec "pais" (enfant, serviteur) plutôt que "uios" (fils) pour désigner Jésus de Nazareth.

[modifier] Les Judéo-chrétiens

Le judéo-nazaréisme ne peut se comprendre si on ignore que le judaïsme était extrêmement diversifié avant le Ier siècle. En effet, le pharisaïsme ne donnera pas naissance au judaïsme rabbinique avant le IIe siècle, et son hégémonie ne sera pas établie avant le VIIe siècle. Il y eut dans cet intervalle un intense foisonnement d'idées, chacune faisant plus ou moins d'adeptes.

Cette doctrine, messianique, s'étend chronologiquement environ entre le IIe siècle av. J.-C. (crise du sacerdoce du Temple) jusqu'au VIIe siècle. Le judéo-nazaréisme eut une postérité à travers l'islam, à la naissance duquel "il joua un tel rôle qu'on peut se demander s'il n'en est pas en grande partie à l'origine" (Simon Claude Mimouni).

La doctrine du judéo-nazaréisme apparaît dans l'opposition de certains prêtres au Culte du Temple au IIe siècle av. J.-C.. Le culte leur paraît impur ; le "maître de Justice" fut persécuté par le Temple pour s'y être opposé. Ce personnage que l'on croyait mythique pourrait être, d'après les découvertes de Jacqueline Genot, le Cohen Yossé ben Yo‘ezer.

Si c'est le cas, son supplice et sa mort sont consignés dans les manuscrits de Qumran (le Testament des 12 Patriarches, notamment).

Arrêté le jour de Kippour, ce qui aux yeux de ses fidèles est la pire des vilenies, il est exécuté. Ses disciples persévèrent alors dans la voie de son opposition, dans l'attente du messie qui purifiera le Culte et chassera l'occupant des Lieux saints.

La prédication du Christ conduisit une partie des Juifs à reconnaître en lui le Messie attendu; autour de Jacques, évêque de Jérusalem, "frère du Seigneur", et chef des judéo-chrétiens attachés à la continuation du rite juif relu selon l'enseignement du Christ, se constitua une communauté diverse attendant le retour glorieux du Christ qui devait chasser définitivement l'occupant romain et fonder enfin le Royaume attendu, royaume de perfection et de justice annoncé par Isaïe.

Si la tradition apostolique dont témoignent les Évangiles canoniques soutient que le royaume du Christ "n'est pas de ce monde" et, de ce fait, est spirituel et doit se mettre en place par un changement de conduite personnelle, les mêmes Évangiles témoignent également que certains judéo-chrétiens, dans la tradition nazaréenne et se référant à l'Évangile de Matthieu, pouvaient croire en un royaume très politique et terrestre à venir dirigé par Jésus. C'est ainsi que peut exister une opposition marquée, entre la conception d'un salut individuel, d'une part, et celle d'un salut collectif, d'autre part dans les cercles judéo-chrétiens.

La persécution des judéo-chrétiens, puis la révolte juive et la destruction du Temple dispersa les chrétiens ayant quitté Jérusalem peu avant le désastre (70).

Les judéo-nazaréens virent dans ces événements les signes de la fin des temps et l'imminence du retour parousiaque et glorieux du Christ.

[modifier] Les Nazaréens

Certains Judéo-chrétiens, réfugiés à Pella en Syrie, refusèrent de rentrer à Jérusalem occupée par les païens ou les Juifs. Se radicalisant, vénérant la mémoire de Jacques, l'évêque de Jérusalem (comme en témoignent plusieurs Apocryphes dans l'esprit apocalyptique du temps), ils décidèrent de s'isoler, se "réfugier au désert", dans la tradition juive, en attendant des jours meilleurs. Ils se dénommèrent "pauvres" (Ebionites) ou nazaréens.

La mouvance nazaréenne est difficile à cerner car nombre de ses écrits furent catalogués "chrétiens" dans la mesure où ils parlaient de Jésus ; cependant, bien des auteurs ont pu remarquer que ce christianisme prétendait à une observance judaïque stricte (même s'ils rejetaient les sacrifices et le culte du Temple), en rejetant les autres chrétiens désormais tournés vers le monde païen, à ce titre considérés comme renégats. Le judéo-nazaréisme, refusant de voir en Jésus un dieu, se redéfinit donc contre les chrétiens de type "apostoliques" (du fait de leur attachement à l'idée de continuité avec l'ancienne alliance et de leur foi en Jésus en tant que prophète, les ébionites se trouvaient en effet en opposition avec Paul et sa conception du salut), contre le judaïsme désormais unifié autour du rabbinisme, et contre l'occupant romain bientôt devenu chrétien, mais considéré comme païen.

L'archéologie en Syrie témoigne de la présence de ces communautés ; la toponymie ayant pour racine "nasara", très fréquente, témoigne de la présence de ces groupes dont l'idéologie, variant dans le temps et l'espace, n'est pas unifiée : on doit donc parler de mouvance plutôt que de secte proprement dite. Le judéo-nazaréisme alimenta pendant plusieurs siècle un esprit de révolte messianique et apocalyptique.Ainsi, Paul de Samosate, conseiller de la reine Zénobie qui usurpa le pouvoir impérial romain, a sans doute été un judeo-nazaréen. Cet esprit messianique reste très présent en Orient jusqu'au VIIe siècle. Des vestiges retrouvés dans plusieurs villages peuvent témoigner de liens tissés en Syrie entre les nazaréens et des tribus arabes, notamment les Qoraïchites, tribu de Muhammad, dont la toponymie témoigne également de l'implantation en Syrie. Mahomet lui-même épousa, selon la tradition islamique, Khadidja, dite parfois juive, mais qui serait plus probablement judeo-nazaréenne dans la mesure où son oncle, Waraqa, est dit être "chrétien" (en fait, "nasraniy", traduit par chrétien) converti (gagné aux idées politico-religieuses des ébionites ?) et versé dans les Ecritures hébraïques. Un hadith rapporte même que quand Waraqa mourut, la Révélation faite à Muhammad s'interrompit pour un temps. Ce fait, rapproché de bien d'autres, porte E-M Gallez à conclure que Waraqa fut sans doute un des principaux vecteur du judéo-nazaréisme auprès des Arabes et de Muhammad, auquel il enseigna ses doctrines sur un "Jésus-Messie" (expression que contient le Coran) devant revenir à la fin des temps.

A noter que si d'autres sources, plus traditionnelles, comme le livre d'Aïcha, font de Waraqa un chrétien nestorien, le Messie qu'il professe a cependant peu à voir avec celui des chrétiens, ceux-ci étant considérés par l'islam comme polythéistes, puisqu'ayant divinisé Jésus.
Or, pour le nazaréisme comme pour l'islam, Jésus n'est qu'un roi-Messie attendu pour instaurer un royaume parfait et régner pendant 40 ans . Le judeo-nazaréisme s'allia donc, par la prédication, avec plusieurs tribus arabes, se constituant une force armée redoutable.

Il reste peu de chose des ouvrages composés par les ébionites (fragments de l’Évangile des ébionites, Kérygmes de Pierre et autres sources utilisées par la littérature pseudo-clémentine).

Ils disparurent vers le Ve siècle. Cependant, des mouvements religieux se réclamant des ébionites subsistent encore.

[modifier] L'Islam et le Troisième Temple

L'étude du judéo-nazaréisme a conduit à envisager avec un nouveau regard la question des origines de l'islam. Divers spécialistes en proposent aujourd'hui l'explication suivante (récusée par les musulmans) :

Au début du VIIe siècle, l'esprit apocalyptique est porté à l'extrême dans l'opposition entre l'empire byzantin et l'empire perse ; beaucoup de chrétiens de leur côté relisent l'Apocalypse et identifient les signes des temps dans le Livre saint. L'avancée des troupes byzantines suivies par la reprise de Jérusalem par l'empereur Héraclius provoque en 622 un exode de Judeo-nazaréens et de Qoraïchites partant à Yatrib, future Médine (c'est l'Hégire, qui marque le début du calendrier islamique). Ces exilés, qui se nommèrent Muhadjirun ("émigrés", premier nom porté par les musulmans) se réfugièrent à Yatrib d'où ils priaient tournés en direction de Jérusalem (les premières mosquées musulmanes ont en effet une qibla tournée vers Jérusalem et non vers La Mecque ; celle de Médine est dite ainsi "de la double direction"). On ne peut s'empêcher de faire le lien entre la renomination de Yatrib en Médine et Modiin, la ville d'origine des frères Macchabées pendant l'occupation grecque de la Terre Promise. Renommer une ville, et établir un nouveau calendrier retranscrit souvent un projet politique d'envergure qu'il faudrait donc lire selon l'histoire biblique qui est restée très présente dans le Coran. Dans l'esprit des Nazaréens, une ère nouvelle devait s'ouvrir dès la reconquête de Jérusalem.

Selon Alfred Louis de Prémare (les Fondations de l'islam, 2002), il faut relire complètement les sources d'origine islamique sur lesquelles on s'appuyait jusqu'à présent, pour les intégrer dans une perspective plus ouverte (il existe des écrits non musulmans décrivant la période et permettant de mieux comprendre le corpus islamique qui a subi de longues transformations ultérieurement à ces événements) dans la mesure où bien des données peuvent être douteuses (on dispose de plus d'un million et demi de hadiths très souvent contradictoires) ; la Vie de Muhammad d'Ibn Hisham en particulier, qui est une commande califale très politique, et qui remplace celle d'Ibn Ishaq qui s'est perdue, n'est pas fiable, en tout cas vérifiable. La vie de Muhammad restera donc en grande partie mystérieuse ; le seul fait établi est qu'il essaya, en 629, de prendre Jérusalem, dans l'optique nazaréenne de libération de la Terre sainte. Il échoua. Cependant, son successeur Umar y parvint, et sa préoccupation fut alors de bâtir hâtivement un "Cube" en bois dans les dimensions du Saint des Saints du Temple de Salomon, là même où le Temple avait été jadis bâti.

Cette construction d'Umar (à ne pas confondre avec la mosquée du même nom construite, elle, à la fin du VIIe siècle) sur l'esplanade même du Temple de Salomon n'est pas due au hasard mais témoigne que le proto-islam considérait ces lieux comme saints à la suite du judaïsme et du judéo-nazaréisme (pour les Chrétiens, le nouveau Temple de Dieu est le cœur de chacun), bien avant que soit répandue l'histoire légendaire du fameux "voyage nocturne" de Muhammad qui, constituée du temps des califes, donna une explication a posteriori de la sainteté des lieux qui remplaça celle donnée jusque-là par le judéo-nazaréisme, avec lequel l'islam naissant avait entre-temps rompu.

Selon le judéo-nazaréisme, la libération de Jérusalem, la reconstruction du 3e Temple aurait dû remplir les conditions nécessaires à un retour du Christ et l'instauration de son royaume. Le Christ n'étant pas revenu, la doctrine des judéo-nazaréens fut disqualifiée et le nouveau pouvoir arabe dut reconsidérer les justifications à son emprise étendue en Orient. L'islam naquit de cette rupture avec le judéo-nazaréisme, de l'occultation de cette vieille doctrine, laquelle transparaît cependant encore parfois dans le Coran, dont les traductions du professeur Luxenberg montrent que la langue initiale du texte provient d'un lectionnaire rédigé en syriaque. Le Coran n'aurait donc pas été rédigé en arabe d'Arabie du Sud comme cela est souvent avancé.

A la suite de Patricia Crone, les recherches récentes d'Alfred-Louis de Prémare, de Jacqueline Genot, de Christof Luxenberg, d'Edouard-Marie Gallez tendent donc à renouveler les perspectives de l'histoire du Moyen-Orient des premiers siècles ; une explication des origines de l'islam résiderait dans l'étude du judéo-nazaréisme dont l'importance et l'influence idéologique ont été trop souvent négligées.

En 2004, Édouard-Marie Gallez a soutenu une thèse, le Messie et son prophète, à l'Université Marc Bloch de Strasbourg, qui a reçu les félicitations du jury. D'après celui-ci, le judéo-nazaréisme aurait joué un rôle proéminent dans la naissance du proto-islam, notamment à travers Waraqa ibn Nawfal, l'oncle de Khadija, que l'auteur identifie à des judéo-nazaréens.

[modifier] Bibliographie

  • Le Messie et son prophète, E-M Gallez, 2 tomes, éditions de Paris, 2005
  • Simon-Claude Mimouni, Les chrétiens d'origine juive dans l'Antiquité, Albin Michel, "Présences du judaïsme", 2004
  • Simon-Claude Mimouni, Le Judéo-Christianisme ancien Essais historiques Préface par André Caquot, Cerf, 1998
  • Les Fondations de l'islam, A-L de Prémare, éditions du Seuil, 2002
  • Enquêtes sur l'islam, A-M Delcambre (et alii), Desclée de BRouwer, 2004
  • Le prêtre et le prophète (Waraqa), aux sources du Coran, J. Azzi, Maisonneuse et Larose, 2001
  • Die syro-aramäische Lesart des Koran, Christoph Luxenberg, Das Arabische Buch, 2000
  • Une lecture juive du Coran, Haï Bar-Zeev, Berg International Editeurs, 2005
  • Nazarene Jewish Christianity [Le judéochristianisme nazaréen], Pritz R.A., Jérusalem-Leiden, Brill, 1988
  • The Dead sea scrolls and the first christians, Robert Eisenman, 1996

[modifier] Notes et références de l'article

  1. [1] Ce groupe représente la doctrine originale de Jésus (Yeshoua) le Messie, et rapportée par Ses frères et disciples après Sa mort ( This group of people represent the original doctrine taught by Jesus (Yeshua) the Messiah, and was carried on by His brothers and disciples after His death).
  2. Jewish Encyclopedia: Jerome's Account

[modifier] Voir aussi

[modifier] Articles connexes

[modifier] Liens et documents externes