Henri IV du Saint-Empire

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Henri IV
Henri IV

Henri IV, né le 11 novembre 1050 et mort le 7 août 1106, est le roi des Romains de 1056 à 1084, puis empereur romain germanique jusqu'à sa mort en 1106. Il est le fils de l'empereur Henri III et d'Agnès d'Aquitaine.

À la mort d'Henri III, l'aîné de ses fils, Henri n'est encore qu'un enfant. Les ducs allemands profitent de ce moment de faiblesse du pouvoir pour s'émanciper. Henri est même enlevé par l'archevêque Annon de Cologne. C'est sa mère, Agnès d'Aquitaine qui assure la régence pendant ce temps troublé pour la monarchie germanique.

Il épouse Berthe de Turin (1051-1087), fille d'Odon, comte de Savoie et d'Adélaïde de Suse qui lui donne cinq enfants :

  • Adélaïde (1070 - 1079)
  • Henri (né et mort en 1071)
  • Agnès (1072 - 1143) , future épouse de Frédéric Ier duc de Souabe et -après sa mort - de Léopold III Babenberg d'Autriche
  • Conrad duc de Lothier (1074 - 1101)
  • Henri qui lui succéda sous le nom d'Henri V (1086 - 1125)

Après la mort de Berthe le 27 décembre 1087, Henri épouse Adélaïde de Kiev le 14 août 1089. Le mariage reste sans enfants et est annulé en 1095.


En 1064, Henri IV est majeur. Il doit affronter les problèmes en Allemagne mais aussi en Italie et se heurte à la résistance de la noblesse saxonne qu'il finit par mater en 1075 et réprimer sévèrement.

Sommaire

[modifier] La Jeunesse de Henri IV

Le 11 novembre 1050, à la résidence impériale de Goslar, naît "enfin" (selon le mot du chroniqueur Herman de Reichenau[1]) l'héritier tant désiré de l'empereur Henri III et de sa seconde épouse Agnès d'Aquitaine. Ils lui donnent tout d'abord le nom de son grand-père, Conrad. Mais l'abbé Hugues de Cluny insiste pour qu'ils le prénomment Henri ; et pour que l'abbé de la réforme clunisienne puisse être le parrain de l'héritier, on repousse le baptême, qui a lieu à Cologne, jusqu'aux Pâques suivantes.

Dès Noël 1050, Henri III a fait jurer aux princes qu'ils resteraient fidèlement soumis à son héritier. En novembre 1053, il convoque une assemblée d'Empire à Tribur pour faire élire roi le jeune Henri, alors âgé de trois ans. A vrai dire, les princes se bornent à lui jurer fidélité à la condition qu'il se révèle être un souverain juste.

Au mois de novembre suivant, Henri est nommé duc de Bavière. Il est sacré roi à Aix-la-Chapelle le 17 juillet 1054 par l'archevêque Hermann de Cologne ; le duché de Bavière revient alors à son frère cadet Conrad. A Noël 1055, à Zurich, il est fiancé à Berthe de Turin : Henri III entend ainsi créer dans les Alpes un contrepoids à son rival Godefroy le Barbu en s'alliant par mariage à la maison de Canossa-Toscane.

[modifier] La Régence

Peu avant sa mort, survenue brusquement le 5 octobre 1056 en présence du pape, Henri III exige que les princes d'Empire élisent une nouvelle fois son fils roi et le place sous la protection du pape Victor II, qui séjourne à ce moment-là dans l'entourage de l'empereur. Victor réussit d'abord à faire passer sans difficultés le pouvoir aux mains du jeune héritier et de sa mère Agnès ; il achève la réconciliation avec Godefroy le Barbu, place Henri sur le trône de Charlemagne à Aix-la-Chapelle et s'assure que les princes du sud de l'Empire lui rendent hommage. Victor II retourne en février 1057 en Italie, où il meurt peu après.

Le pouvoir est de fait assumé par la régente Agnès de 1056 à 1061. Elle se montre cependant incapable de trouver une issue satisfaisante aux querelles de succession du trône de Hongrie en 1060 ; elle permet également un schisme à la mort du pape Nicolas II, en tolérant les élections d'Alexandre II et de l'antipape Honorius II : elle n'a en effet pas fait valoir les droits du patricius Romanorum, dignité dont est investi son fils. De plus, en inféodant le duché de Souabe (ainsi que l'administration de la Bourgogne) à Rodolphe de Rheinfelden, le duché de Bavière à Othon de Northeim et celui de Carinthie à Berthold de Zähringen, elle investit elle-même les principaux futurs opposants de son fils (ce qui est certes impossible à prévoir à ce moment-là). On reproche à Agnès d'avoir fait élever son fils par des ministériels de rang inférieur et d'entretenir une relation avec son principal conseiller, l'évêque Henri d'Augsbourg. Elle n'a jamais pu "écarter le soupçon d'un amour coupable, parce que la rumeur disait qu'une relation si familière ne pouvait résulter d'un commerce honnête", selon le chroniqueur Lampert de Hersfeld[2].


[modifier] Le Coup d'Etat de Kaiserswerth

La Régence provoque tant de mécontentements que certains princes d'Empire conspirent. Annon II, archevêque de Cologne, s'empare du jeune roi en 1062 à Kaiserswerth (aujourd'hui Düsseldorf) et l'éloigne à bord d'un bateau sur le Rhin. Dès lors, l'Empire est administré par Annon, qu'Henri, plein de ressentiment, ne laisse approcher de lui. A partir de 1063, Annon doit partager ses responsabilités avec Adalbert, archevêque de Hambourg-Brême, qui prend peu à peu l'ascendant sur Henri et chasse finalement Annon de la charge.

[modifier] L'Accession à la majorité

Le 29 mars 1065, Henri est adoubé et accède ainsi à la majorité. Sa mère doit alors l'empêcher d'élever contre Annon l'épée qu'il vient de ceindre. Henri exerce désormais personnellement le pouvoir, cependant qu'Adalbert reste son mentor. Lors de la diète de Tribur de janvier 1066, Annon, aidé de Siegfried Ier de Mayence, incite les princes allemands à chasser Adalbert de la cour, mais ne peut jamais retrouver d'influence sur le roi.

Henri se marie à Berthe de Turin le 13 juillet 1066. Trois ans plus tard, il engage une procédure de divorce qui fait grand bruit, assurant que le mariage n'a pas été consommé ; mais le légat du pape Pierre Damien l'accuse de grave immoralité et refuse le divorce.

[modifier] Guerre contre les Saxons

Le principal événement politique des premières années de règne de Henri est la guerre contre les Saxons. Encore soumis à l'influence d'Adalbert, Henri a, peu après son accession au pouvoir, commencé à reprendre possession de son domaine du Harz, petit à petit délaissé pendant la longue période de la Régence. Pour s'assurer cette possession, il a érigé de nouveaux châteaux forts et les a placés sous l'autorité de ministériels souabes.

Mais la population locale reproche à ces ministériels leur dureté et leur injustice ; au roi Henri, de l'accabler en ne séjournant que dans cette province. La noblesse s'allie donc à la population pour exiger du roi qu'il démantèle ses châteaux-forts, qu'il restitue les biens prélevés et qu'il aille séjourner dans d'autres provinces de l'Empire. Le refus du souverain met le feu aux poudres : conduits par Othon de Northeim et l'évêque Burchard II de Halberstadt, les Saxons assiègent Henri à Harzburg à l'été 1073.

Henri se réfugie à Worms, ville qui lui est restée fidèle, et est contraint de conclure la paix le 2 février 1074 à Gerstungen, satisfaisant ainsi largement aux exigences saxonnes. Le conflit se ravive cependant peu après, quand la population met à sac le château de Harzburg. La bataille décisive a lieu le 9 juin 1075 près de Hombourg-sur-l'Unstrut : elle est déterminante pour Henri et les Saxons capitulent définitivement et sans conditions en octobre près de Spire.

Henri IV et son fils
Henri IV et son fils

[modifier] Querelle des Investitures

Icône de détail Article détaillé : Querelle des Investitures.

Henri savoure à peine son triomphe sur les Saxons que déjà se prépare la Querelle des Investitures, conflit qui retient toute l'attention pendant des années. La question est de savoir qui doit investir les évêques dans leurs fonctions ecclésiastiques, mais aussi dans les charges administratives qui y sont attachées ?

[modifier] De quoi s'agit-il ?

Henri III a introduit aux synodes de Sutri et de Rome de 1046 un mouvement de réforme de l'Église, qui est soutenu par des papes réformateurs comme Clément II, élu après la destitution des papes concurrents Benoît IX, Grégoire VI et Sylvestre III. Ces réformateurs voient dans la simonie la source de tous les maux : cette pratique, consistant à attribuer des biens spirituels et des charges ecclésiastiques contre de l'argent, a été étendue à chaque charge ecclésiastique conférée à un clerc par un laïc. De nombreux synodes ont martelé que les clercs ne devaient en aucun cas accepter de charge de la part d'un laïc, avec ou sans versement d'argent[3].

Les forces réformatrices voient deux points communs entre l'investiture laïque et la simonie : d'une part, le déroulement de la cérémonie d'investiture présente de nombreuses similitudes avec celle d'inféodation ; d'autre part, elle s'apparente à l'entrée en charge des membres du bas clergé, à laquelle procède le seigneur local. Quant aux évêques et archevêques, c'est le roi lui-même qui procède à leur investiture en remettant au candidat choisi l'anneau pastoral et la crosse lors de l'investiture dite "de la crosse et de l'anneau".

Comme marque du retour à l'idéal des premiers chrétiens d'une vie dans la pauvreté apostolique, on exige une observation stricte du célibat, afin de prévenir toute tendance à l'hérédité des charges et revenus ecclésiastiques et de légitimer le regard des prélats sur la régularité des investitures (cf nicolaïsme).

Ces idéaux sont énoncés dans le programme de la réforme grégorienne et publiés dans sa lettre Dictatus papæ : l'Église doit se protéger de toute ingérence laïque (libertas ecclesiæ) et le pape assure la primauté sur tout pouvoir temporel en tant que successeur de l'apôtre Pierre, chargé par le Christ des clefs du paradis et de l'administration de l'Eglise : "Tu es Pierre, et sur cette pierre je bâtirai mon Église" (Mt, 16,18). Cette remarque vise en premier lieu le roi, qui porte par ailleurs le titre de rex et sacerdos, "roi et prêtre", c'est-à-dire protecteur de l'Église (depuis un accord passé entre Othon le Grand et le pape Jean XII en 962, aucun pape ne peut en effet être investi et sacré sans le consentement préalable du souverain, uniquement responsable devant Dieu). De nombreux évêques allemands, liés au roi par la pratique de l'investiture telle qu'elle était jusque là admise, voient d'un mauvais œil les efforts de Grégoire d'enrayer la simonie. Ils se sentent trop dépendants du pape et prennent d'abord parti pour le roi, avant finalement de se dresser ensemble contre lui.

[modifier] L'Affrontement avec Grégoire VII

La situation se dégrade encore en 1071, quand Henri IV nomme à l'archevêché de Milan un prélat auparavant excommunié par le pape Alexandre II. Milan est à cette époque le siège de Pataria, mouvement populaire, religieux et radical emmené par le chevalier Erlembald, qui investit rapidement un archevêque concurrent.
Deux ans plus tard, un nouveau pape est élu sous le nom de Grégoire VII ; il entreprend des négociations avec Henri IV, soutenu par quelques évêques de l'Empire à propos de l'investiture royale (c'est-à-dire laïque). Les négociations ayant échoué, Grégoire jette l'anathème sur le conseiller du roi.
En septembre 1075, suite au meurtre d'Erlembald, Henri investit laïquement (contrairement aux engagements pris) le clerc Tedald archevêque de Milan, ainsi que des évêques dans les diocèses de Fermo et de Spolète[4]. Grégoire envoie alors en décembre une lettre virulente à Henri, dans laquelle il l'exhorte vivement à l'obéissance :

"L'évêque Grégoire, serviteur des serviteurs de Dieu, au roi Henri, salut et bénédiction apostolique (si toutefois il veut bien se soumettre au Siège apostolique, comme il sied à un roi chrétien) [...]"[5]

[modifier] La Diète de Worms

En janvier 1076, Henri réunit autour de lui la majorité des évêques lors de la diète de Worms ; la plupart des évêques d'Allemagne et de Lombardie entrent alors en dissidence avec le pape qu'ils reconnaissaient jusqu'alors, et déclarent Grégoire destitué. Les évêques et les archevêques se considèrent en effet comme des princes de l'Empire, dotés de privilèges importants ; que l'attribution des charges ecclésiastiques relève du pape leur paraît une menace pour l'Église de l'Empire, pierre d'angle de son administration. Ils rédigent donc depuis Worms une réponse à Grégoire VII, le sommant de quitter sa fonction :

" Henri, roi, non par usurpation, mais par la juste ordonnance de Dieu, à Hildebrand [prénom de Grégoire VII avant son accession au siège pontifical], qui n'est plus le pape, mais désormais le faux moine [...] Toi que tous les évêques et moi-même frappons de notre malédiction et de notre sentence, démissionne, quitte ce siège apostolique que tu t'es arrogé. [...] Moi, Henri, roi par la grâce de Dieu, te déclare avec tous mes évêques : démissionne, démissionne ! "[6]

On justifie cette révocation en prétendant que Grégoire n'a pas été élu régulièrement : il a en effet été tumultueusement élevé à cette dignité par le peuple de Rome. De plus, en tant que Patricius de Rome, Henri a le droit de nommer lui-même le pape, ou du moins de confirmer son élection (droit dont il n'a pas usé). On prétend encore que Grégoire aurait juré de ne jamais se faire élire pape, et qu'il fréquente intimement les femmes.


[modifier] Le concile de Synode de Rome (1076)

La réponse de Grégoire ne se fait pas attendre ; il prêche au synode de Carême de 1076[7] :

" que m'a été donné de Dieu le pouvoir de lier et de délier, sur Terre comme au Ciel. Confiant dans ce pouvoir, [...] je conteste au roi Henri, fils de l'empereur Henri, qui s'est élevé avec un orgueil sans bornes contre l'Église, sa souveraineté sur l'Allemagne et sur l'Italie, et je délie tous les chrétiens du serment qu'ils lui ont ou qu'ils pourraient encore lui prêter, et leur interdis de continuer à le servir comme roi. Et puisqu'il vit dans la communauté des bannis, puisqu'il fait le mal de mille manières, puisqu'il méprise les exhortations que je lui adresse pour son salut, [...] puisqu'il se sépare de l'Église et qu'il cherche à la diviser, pour toutes ces raisons, moi, Ton lieutenant, je l'attache du lien de la malédiction. "[8]

Grégoire VII déclare Henri IV déchu et l'excommunie ; s'étant rebellé contre la souveraineté de l'Église, il ne peut plus être roi. Celui qui refuse ainsi l'obéissance au représentant de Dieu et fréquente d'autres excommuniés est de fait déchu de sa souveraineté. En conséquence, tous ses sujets sont déliés de l'allégeance qu'ils lui ont prêtée.

Cette excommunication du rex et sacerdos, dont les prédécesseurs ont, en tant que patricius Romanorum et dans une conception sacrée et théocratique du roi, arbitré l'élection d'un pape, est à l'époque inimaginable et suscite une vive émotion dans la Chrétienté occidentale. On rédige quantité de pamphlets pour ou contre la suprématie de l'empereur ou du pape, en se référant souvent à la théorie des deux pouvoirs de Gélase Ier (pape de 492 à 496) ; la chrétienté allemande est profondément divisée.

[modifier] La Pénitence de Canossa

Icône de détail Article détaillé : Pénitence de Canossa.

Après cette excommunication, beaucoup de princes allemands qui soutenaient auparavant Henri, se détachent de lui ; à l'assemblée de Tribur en octobre 1076, ils le contraignent à renvoyer les conseillers condamnés par le pape et à faire pénitence avant le terme d'un an et un jour (soit avant le 2 février suivant). Henri doit en outre se soumettre au jugement du pape lors de la diète d'Augsbourg, pour que les princes renoncent à élire un nouveau roi[9].

Pour intercepter le pape avant sa rencontre prévue avec les princes, Henri décide en décembre 1076 de traverser les Alpes enneigées pour se rendre en Italie. Comme ses adversaires lui barraient l'accès aux cols allemands, il doit passer par le Col du Mont-Cenis pour s'entretenir avec le pape avant la diète d'Augsbourg, et ainsi faire lever son excommunication (obligeant par là les princes de l'opposition à se soumettre à lui). Henri n'a pas d'autre moyen de recouvrer sa liberté politique de roi.

Grégoire craint l'approche d'une armée impériale et souhaite éviter une rencontre avec Henri ; il se retire à Canossa, château bien fortifié de la margravine Mathilde de Toscane. Henri obtient avec son aide et celle de son parrain Hugues de Cluny, une rencontre avec Grégoire. Le 25 janvier 1077, fête de la Conversion de saint Paul, Henri se présente en habit de pénitent devant le château de Canossa. Au bout de trois jours, soit le 28 janvier, le pape lève l'excommunication[3], qui tournait pourtant à son avantage, Rodolphe perd la main droite et est frappé mortellement à l'abdomen ; il succombe le lendemain, 15 octobre 1080. La perte de la main droite, la main du serment de fidélité prêtée à Henri au début de son règne, est utilisée politiquement par les partisans d'Henri (c'est un jugement de Dieu) pour affaiblir un peu plus la noblesse d'opposition.

Après la mort de Rodolphe, l'opposition a du mal à se trouver un nouvel anti-roi ; elle met un an à s'unir autour du faible Hermann de Salm, qui est élu par les Souabes et les Saxons réunis à Ochsenfurt, puis couronné le 26 décembre à Goslar par l'archevêque Siegfried Ier de Mayence, alors qu'Henri séjourne déjà en Italie. Quand celui-ci, devenu empereur, revient et fait irruption en Saxe avec son armée en 1085, Hermann s'enfuit d'abord chez les Danois. Il revient pourtant, s'unit au duc Welf IV et bat l'empereur à Pleichfeld-sur-le-Main en 1086, prenant ainsi Wurtzbourg. Fatigué de ne jouer qu'un misérable rôle, pion entre les mains de plus puissants que lui, Hermann de Salm se retire dans son domaine. Il perd la vie le 28 septembre 1088 dans une rixe privée.

[modifier] Henri en Italie

En mars 1080, Grégoire VII excommunie de nouveau Henri, qui soumet alors la candidature de Wibert, archevêque de Ravenne, à l'élection de l'(anti)pape. Il est élu le 25 juin 1080 au synode de Bressanone par la majorité des évêques allemands et lombards, sous le nom de Clément III[10].

Henri et l'antipape Clément III. Mort de Grégoire VII
Henri et l'antipape Clément III. Mort de Grégoire VII

La société se trouve donc à ce moment-là scindée en deux : Henri est roi et Rodolphe anti-roi, Grégoire pape et Clément antipape. Dans les duchés aussi le pouvoir est contesté : en Souabe, par exemple, Berthold de Rheinfelden, fils de Rodolphe, s'oppose à Frédéric de Hohenstaufen, fiancé d'Agnès, fille d'Henri, qui l'a nommé duc.

Après sa victoire sur Rodolphe, Henri se tourne en 1081 vers Rome, afin de trouver là aussi une issue au conflit ; il réussit, après trois sièges successifs, à prendre la ville en mars 1084. Henri se doit alors d'être présent en Italie, d'une part pour s'assurer le soutien des territoires qui lui étaient fidèles, d'autre part pour affronter Mathilde de Toscane, fidèle au pape et son ennemie la plus acharnée en Italie du nord.

Après la prise de Rome, Wibert est intronisé sous le nom de Clément III le 24 mars 1084. Un nouveau schisme commence : il dure jusqu'en 1111, quand le dernier anti-pape wibertiste, Sylvestre IV, renonce officiellement au siège pontifical.

Une semaine après l'intronisation, le dimanche de Pâques, 31 mars 1084, Clément sacre Henri et Berthe empereur et impératrice[11].

Au même moment, Grégoire VII se retranche dans le château Saint-Ange et attend une intervention des Normands, qui marchent sur Rome, emmenés par Robert Guiscard et soutenus par les Sarrasins. L'armée d'Henri est très affaiblie et n'affronte pas les assaillants. Les Normands libèrent Grégoire, pillent Rome et l'incendient. Après les désordres perpétrés par ses alliés, Grégoire quitte discrètement la ville et se retire à Salerne, où il meurt le 25 mai 1085[11].

Immédiatement après le sacre, Henri quitte Rome pour Augsbourg. Il réussit peu à peu à renforcer sa position dans l'Empire, notamment en s'assurant le soutien de l'Église par de judicieuses investitures d'évêques. Il associe son fils aîné Conrad à la couronne en le faisant sacrer en 1087.

Le 14 août 1089, il épouse en secondes noces Praxedis, fille du grand-prince Vsevolod Ier de Kiev et veuve du margrave Udo de Stade ; il entend ainsi probablement renforcer la paix conclue avec les princes et évêques saxons. Praxedis prend le nom d'Adélaïde (en allemand Adelheid), et ne joue d'abord aucun rôle politique.

La même année, le mariage entre Welf V, fils du duc de Bavière Welf IV, et Mathilde de Toscane crée une concentration de pouvoir dangereuse en Allemagne du Sud et en Italie du Nord. Henri doit se rendre en Italie et y reste jusqu'à la fin du conflit entre "son" pape Clément III et Urbain II, successeur de Grégoire VII ; aux Pâques de 1091, il prend Mantoue et se tourne en 1092 vers Canossa, place forte de la margravine Mathilde. C'est ici que la roue tourne : la fortune des armes délaisse l'empereur Henri.

Guelfe IV d'Este fait barrer les cols des Alpes, et le contraint ainsi à tenir garnison de 1093 à 1096 dans la région de Vérone sans pouvoir retourner dans le Saint-Empire.

Son fils aîné Conrad, qu'il avait couronné vice-roi le 30 mai 1087 à Aix-la-Chapelle, se détache de lui en 1093 et rallie le parti du pape Urbain II. Conrad se fait couronner roi d'Italie par l'archevêque à Milan et rencontre le pape en 1095 à Crémone, se fait son maréchal, lui garantit sa protection, et le reconnaît comme le légitime souverain pontife. En contrepartie, le pape l'assure de son appui et lui promet la couronne impériale.

La deuxième épouse, Adélaïde de Kiev, qu'Henri a fait incarcérer à Vérone pour adultère, parvient à s'évader en 1094 auprès de Mathilde de Toscane. Elle le met en accusation lors des synodes de Constance et de Plaisance en 1094-95 et se plaint d'avoir été victime des pires outrages pour la pousser à divorcer d'elle-même. On colporte ainsi que le prince Conrad aurait été forcé par son père à coucher avec sa propre belle-mère.

À la suite de ces procès, le pape Urbain II excommunie Henri IV derechef.

Selon le chroniqueur Bernold, Henri aurait été à ce point déprimé qu'il aurait alors songé au suicide. Seulement la rupture soudaine entre Guelfe V et Mathilde lui ouvre de nouvelles perspectives : lors de négociations à Padoue, il parvint à conclure une alliance avec les Guelfes, leur assurant le duché de Bavière en échange de son retour en terre d'Empire après sept ans d'absence : l'an 1097, Henri peut célébrer la Pentecôte à Ratisbonne. De son côté, son fils Conrad ne parvient pas à se faire reconnaître des princes allemands ; en Italie même, toutes ses entreprises tournent court, et son autorité étant devenue insignifiante, il perd l'appui du pape. Conrad meurt à Florence, oublié de tous, le 27 juillet 1101.

[modifier] L'empire consolidé

Après son retour en terre d'Empire, ayant déposé le prince renégat Conrad et, contre sa promesse de ne pas se venger, fait couronner son fils cadet âgé de douze ans comme vice-roi, s'étant d'ailleurs réconcilié avec les Guelfes, la situation d'Henri IV commence à se rétablir. En Souabe, il parvient à conclure une alliance entre les Hohenstaufen et les Zähringen, et obtient la nomination de plusieurs évêques de son parti. Cela tient avant tout à sa conversion à une « politique de consensus » attendue depuis longtemps : à la suite de plusieurs bans assidus, les barons d'empire sont associés à ses décisions. Il renonce même à nommer un nouvel antipape à la mort de Clément III en 1100 (ce que persistaient à faire les opposants italiens à Grégoire).

Le pape grégorien Pascal II n'en est pas ému pour autant : il bannit de nouveau (et pour la quatrième fois) Henri en 1102, faisant craindre à son fils Henri pour sa succession.

En 1103 Henri proclame de nouveau la paix de Dieu, que son père Henri III avait déjà fermement soutenue, et décrète la paix par tout le Saint-Empire. Il reprend ainsi à son compte le plus noble devoir d'un roi, à savoir le maintien de la paix. Il prépare simultanément un pélerinage à Jérusalem pour s'exonérer du bannissement. Mais la prise de pouvoir par son fils Henri contrecarre ce projet.

[modifier] Henri V prend le pouvoir

Henri IV (à gauche), incarcéré, remet les régalia à son fils Henri V (miniature de la Chronique d'Ekkehard d'Aura, après 1106).
Henri IV (à gauche), incarcéré, remet les régalia à son fils Henri V (miniature de la Chronique d'Ekkehard d'Aura, après 1106).
Henri V rend visite à son père au donjon de Böckelheim (miniature de 1450).
Henri V rend visite à son père au donjon de Böckelheim (miniature de 1450).

Déçu par le comportement de son fils aîné Conrad, Henri IV l'avait fait destituer par la diète de Mayence en mai 1098, et avait reconnu son fils cadet Henri, qu'il devait faire sacrer vice-roi (mais non co-régent) l'année suivante sous le nom d'Henri V, comme successeur au trône. De par l'expérience acquise avec son fils aîné, Henri se fait promettre par son fils cadet et nouveau vice-roi de ne pas attenter à sa personne et de se tenir à l'écart des affaires de l'État. Mais dès la fin de l'année 1104, le futur Henri V, craignant pour sa succession, prend parti contre son père : pour conforter sa légitimité à reprendre le trône d'un père excommunié, il rejoint les partisans du pape après qu'on lui ait promis la couronne impériale.

Henri V se ligue d'abord avec la haute noblesse d'Allemagne contre son père, lequel bénéficie de l'appui de la bourgeoisie et des ministériels. Le pape Pascal II prend parti pour le fils une fois que ce dernier a confirmé son renoncement solennel, conformément aux vœux du pape, à l'exercice d'un pouvoir absolu dans l'Empire et par delà, qu'il abandonne les positions prises sur les investitures. Pascal lève l'excommunication sur le fils et le délie du serment fait à son père. À la fin de l'année 1105, Henri V parvient par une trahison à faire incarcérer son père au donjon de Böckelheim-an-der-Nahe (près de Bad Kreuznach). Le 31 décembre, au palais impérial d'Ingelheim, il le force à abdiquer, se fait remettre le 6 janvier 1106 les régalia impériales à Mayence et reçoit l'hommage des princes électeurs. Il succède ainsi à son père sous le nom d'Henri V.

[modifier] La mort d'Henri IV

Après son abdication forcée, Henri parvient à fuir d'Ingelheim, poussant de nouveau le Saint-Empire au bord de la guerre civile. Il se rend en 1106 à Liège sous la protection de son vassal, le prince-évêque Otbert, où il célèbre la Pâque. Mais au mois de juillet il tombe malade et meurt, âgé de 55 ans, le 7 août 1106, toujours sous le coup d'une excommunication qui le prive du droit à une sépulture chrétienne. En signe de pardon, il fait remettre à son fils son épée et son anneau, les derniers symboles du pouvoir royal qui lui restent. Il lui accorde la bénédiction paternelle pour son règne à venir, demande la grâce de ses partisans et sollicite d'être inhumé aux côtés de ses aïeux dans la cathédrale de Spire.

Pourtant c'est d'abord dans la cathédrale de Liège qu'on l'inhume : après avoir fait prélever le cœur et les entrailles, l'évêque Otbert de Liège lui consacre des funérailles solennelles. Mais les évêques d'Allemagne protestent énergiquement et appellent à la désanctification du temple abritant la sépulture. On proclame donc que la cathédrale sera profanée tant que les restes d'un excommunié y reposeront. Dès le 15 août 1106, on déterre le sarcophage car Henri V lui-même tient à faire transférer le corps de son père à Spire : il est déposé le 3 septembre 1106 dans la crypte de la cathédrale de Spire. Mais même la cathédrale impériale est à présent menacée de déchéance. On déterre donc derechef le cercueil et pendant presque cinq ans il sera conservé dans la chapelle Sainte-Afra de la cathédrale, parce qu'elle n'a pas encore été bénie.

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La couronne mortuaire d'Henri IV conservée au trésor de la cathédrale de Spire.

Finalement en 1111 Henri V part pour l'Italie, obtient du pape Pascal II la relaxe posthume de l'excommunication pesant sur son père et la permission de lui donner sépulture chrétienne. Le 7 août 1111, cinq ans jour pour jour après sa mort, le cercueil d'Henri IV est solennellement extrait de la chapelle Sainte Afra et déposé auprès de celui de son père Henri III dans le caveau familial des Saliens de la cathédrale de Spire.

Un chroniqueur anonyme composera cette épitaphe: « Tu as quitté le royaume des troubles pour le royaume de la paix ; le royaume éphémère pour le royaume éternel ; le royaume terrestre pour le royaume céleste. C'est à présent que tu règnes vraiment, porteur d'un diadème que ton héritier ne te dérobe pas et qu'aucun opposant ne t'envie ».[12]

[modifier] Références

  1. Cité dans Boshof, Les Saliens, p 159.
  2. Lampert, Annales, p 73.
  3. ab Francis Rapp, Les relations entre le Saint-Empire et la papauté, d'Otton le Grand à Charles IV de Luxembourg (962-1356), clio.fr, consulté le 7 novembre 2007
  4. Joseph Rovan, Histoire de l'Allemagne, Seuil, 1994, p 119
  5. Cité dans Canossa 1077 – Erschütterung der Welt, Essays, p 72.
  6. Cité dans Sources pour l'histoire de l'empereur Henri IV, p 65.
  7. Sous la direction de J.-M. Mayeur, Charles et Luce Pietri, André Vauchez, M. Venard, Histoire du christianisme, tome 5, Desclée, 1991-2001, pp 72 et 122
  8. Cité dans Sources pour l'histoire de l'empereur Henri IV, p 289.
  9. Jean-Marie Martin, Canossa, Encyclopaedia Universalis, DVD, 2007
  10. J.-M. Mayeur, Charles et Luce Pietri, André Vauchez, M. Venard, p 72
  11. ab encyclopedie-universelle, « Le pape Grégoire VII: La querelle des Investitures » sur [1]. Consulté le 2 avril 2008
  12. D'après Jericke, op. cit., p. 61.

[modifier] Voir aussi

Précédé par Henri IV du Saint-Empire Suivi par
Henri III
empereur
romain
germanique
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