Napoléon et les Juifs

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L'accession de Napoléon Bonaparte au pouvoir a été un événement fondamental pour l'émancipation des Juifs dans toute l'Europe. Ils eurent accès à l'égalité des droits civiques et à la liberté de circulation, et furent intégrés à la nation.

Sommaire

[modifier] Bonaparte et les Juifs

Napoléon Bonaparte rencontre pour la première fois de sa vie une communauté juive en Italie, le 9 février 1797, dans la ville d'Ancône pendant la campagne d'Italie. Les Juifs y vivaient dans un ghetto confiné et bouclé la nuit. Ils portaient des bonnets jaunes et des brassards avec l'étoile de David qui permettaient de les identifier.

Bonaparte ordonne alors de leur enlever le bonnet jaune et le brassard et d'y substituer la cocarde tricolore. C'est la première décision symbolique du futur empereur qui donna par la suite des instructions plus concrètes pour que la communauté accède enfin à la liberté de culte et de circulation. Des mesures qui s'appliquent par la suite aux Juifs de Rome, Venise, Vérone et Padoue.

Le jeune Bonaparte abolit les lois de l'Inquisition, et les Juifs sont enfin libres. Il ne fait cependant qu'appliquer les lois de la République française.

[modifier] Les Juifs reconnus par l'Empire

De nombreux hommes politiques et des citoyens se plaignaient de la non intégration des Juifs à la vie nationale. Ils ne portaient à l'époque pas de nom de famille, les mariages mixtes étaient rares etc. Ce qui conduit en 1806 en Alsace à une flambée de violence contre la communauté juive. On leur reproche les intérêts usuraires exigés par certains prêteurs et le ministre de la justice réclame même des mesures contre eux.

Le 30 mai 1806, l'empereur prend alors un décret prévoyant, dans son article 2, « qu'il sera formé au 15 juillet prochain, dans notre bonne ville de Paris, une assemblée d'individus professant la religion juive et habitant le territoire français ». L'assemblée juive réunit donc 95 députés nommés par les préfets au niveau des départements. Un décret du 10 juillet 1806 adjoint 16 représentants des Juifs du royaume d'Italie. Les délibérations ont duré pendant presqu'un an, du 6 juillet 1806 jusqu'au 6 avril 1807, sous la présidence du banquier Bordelais Abraham Furtado.

Les trois premiers points de débat sont relatifs au mariage et au divorce : un Juif peut-il épouser plusieurs femmes ? Admettent-ils le divorce sans qu'il soit prononcé par les tribunaux ? Les mariages mixtes sont-ils licites ? Après de longues heures de discussions, il en ressort que les citoyens juifs doivent se soumettre au Code civil français de plus « ils doivent défendre la France jusqu'à la mort ». La mesure est votée à l'unanimité.

Il supprima par la suite les taxes spéciales imposées aux Juifs en Allemagne et il leur donna, pour la toute première fois, l'égalité civique et politique.

En ce qui concerne les mariages mixtes, les députés se divisent et les rabbins y sont opposés. Quant à l'usure, elle est abandonnée sur le plan dogmatique mais non sur le terrain pratique. Napoléon imagine ressusciter le Grand Sanhédrin qui a conduit à la création du Consistoire Central des Israélites de l'Empire. Il pensait qu'il faut transformer les principes qui se dégagent de ces discussions en véritables lois religieuses. Cette création devait conduire à l'organisation administrative des Juifs de l'Empire, afin d'avoir un meilleur contrôle sur eux et surtout s'assurer leur soumission à l'Empereur et à la France.

Le 9 février 1807, la première séance a lieu. Elle comprend 45 rabbins et 26 laïcs. Le rabbin de Strasbourg, David Sintzheim la préside. Napoléon lui envoie ses instructions de Pologne.

Le Grand Sanhédrin doit organiser le culte juif, prévoir un tiers de mariages mixtes et, entre autres, fixer les conditions d'exercice du commerce. Cette assemblée ne réalise pas tous les souhaits de l'empereur mais elle accomplit l'essentiel de ce que l'on attendait d'elle. Le 7 mars 1807, la communauté juive remercie Napoléon: « Béni soit à jamais le Seigneur Dieu d'Israël, qui a placé sur le trône de France, un prince selon son cœur. Dieu a vu l'abaissement des descendants de l'antique Jacob et a choisi Napoléon le Grand pour être l'instrument de sa miséricorde. À l'ombre de son nom, la sécurité est rentrée dans nos cœurs et nous pouvons désormais bâtir, ensemencer, moissonner, cultiver les sciences humaines, appartenir à la grande famille de l'État, le servir et nous glorifier de ses nobles destinées. ».

Le règlement du culte juif est publié le 17 mars 1808. Les Juifs y sont organisés du point de vue religieux en circonscriptions territoriales, dotées chacune d'un consistoire composé de Juifs laïcs. Ces consistoires doivent dresser la liste des Juifs étrangers, exhorter les Juifs à l'exercice des professions utiles, surveiller l'application du règlement du culte et faire connaître aux autorités le nombre de conscrits de la circonscription. Un consistoire centralisé est institué à Paris. À la différence des pasteurs et des prêtres, les rabbins ne sont pas rémunérés par l'État. Ils perçoivent une rémunération à partir des côtisations des fidèles.

Un décret destiné « à la réforme sociale des Juifs » et joint au règlement du culte, est proposé par le ministre de l'Intérieur, Champagny et trois commissaires impériaux. Il porte sur une meilleure intégration de la communauté juive en France mais prévoit toute une série de cas arbitraires pouvant entraîner l'annulation des créances et ordonne aux commerçants juifs de se faire délivrer par les préfets une patente annuelle et révocable. De plus, les Juifs doivent satisfaire en personne à la conscription et n'ont plus la possibilité de payer un remplaçant comme les autres citoyens. Ce décret est souvent appelé le « décret infâme ». Valable 10 ans, il est aboli en 1818 sous Louis XVIII.

Avec le décret de Bayonne du 28 juillet 1808, Napoléon oblige les citoyens juifs de France à avoir un nom de famille définitif et à le déclarer à la mairie. La législation de l'Empire complète l'œuvre de la Révolution française en accélérant considérablement l'assimilation des Juifs, Napoléon leur donne une place dans la société. Elle place d'ailleurs le judaïsme sur un plan comparable mais pas encore identique aux religions catholique et protestante.

La volonté de l'Empire était alors véritablement d'assimiler les Juifs à la communauté française. Le 29 novembre 1806, il écrit à Champagny alors ministre de l'intérieur : « [Il faut] atténuer, sinon détruire, la tendance du peuple juif à un si grand nombre de pratiques contraires à la civilisation et au bon ordre de la société dans tous les pays du monde. Il faut arrêter le mal en l'empêchant; il faut l'empêcher en changeant les Juifs. [...] Lorsqu'on exigera qu'une partie de la jeunesse aille dans les armées, ils cesseront d'avoir des intérêts et des sentiments juifs ; ils prendront des intérêts et des sentiments français. » Il demanda alors au Grand Sanhédrin de contraindre les conscrits juifs à rejoindre la grande armée.

Alors à Sainte-Hélène, Napoléon confie au baron Gourgaud « Il y avait beaucoup de Juifs dans les pays sur lesquels je régnais ; j'espérais, en les rendant libres, et en leur donnant des droits égaux à ceux des catholiques et des protestants, les rendre bons citoyens, et les forcer à renoncer à l'usure, et à se conduire comme le reste de la communauté. Je crois que j'aurais fini par réussir. [...] Outre cela, j'aurais attiré une grande richesse en France, parce que les Juifs sont très nombreux, et qu'ils se seraient empressés de venir en foule dans un pays où ils auraient joui des privilèges bien supérieurs à ceux que leur accordent les autres gouvernements. »

[modifier] Bonaparte et un État juif en Palestine ?

Pendant le siège de Saint-Jean-d'Acre en 1799, Bonaparte aurait, selon Ben Weider et Blumenkranz[1] préparé une proclamation dans laquelle il annonçait la fondation d'un État juif en Palestine, mais il ne la publia pas[2]. Le siège d'ailleurs fut un échec et le plan ne fut jamais mis en œuvre. D'autres historiens, dont Nathan Schur dans Napoleon and the Holy Land, croient que cette proclamation si elle a jamais existé était uniquement destinée à la propagande et que Bonaparte n'envisageait pas sérieusement la création d'un État juif[3]. Selon les historiens Richard Ayoun[4] et Henry Laurens[5] il ne fait aucun doute que ce document est un faux.

Pour Henry Laurens : « L'ironie de l'histoire a fait que Bonaparte, qui s'est voulu le défenseur de l'Islam et de l'arabisme, est passé injustement à la postérité comme l'un des fondateurs du sionisme, ce qu'il n'a jamais été et qu'il n'a jamais prétendu être »[5].

[modifier] Les réactions des puissances étrangères

Le premier à s'élever contre ce projet de Grand Sanhédrin est le tsar de Russie Alexandre Ier, Il dénonce violemment la liberté accordée aux Juifs et il ira jusqu'à demander à l'Église orthodoxe de protester avec la plus grande énergie contre le projet de Napoléon. Il désigne l'Empereur comme « l'Antéchrist et l'ennemi de Dieu. »

Le Saint Synode de Moscou proclame : « Dans le but de détruire les bases des églises de la chrétienté, l'Empereur des Français a invité dans sa capitale toutes les synagogues judaïques et il a le projet de fonder un nouveau Sanhédrin hébreu. Qui est le même tribunal qui osa jadis condamner à la croix le Seigneur Jésus. »

En Autriche, l'irritation est très grande ; en Prusse, l'église luthérienne est très hostile et en Italie, les réactions sont bien moins virulentes mais restent globalement défavorables. La réaction de Londres est quant à elle sans équivoque : « Nous repoussons la politique et la doctrine d'une telle Assemblée. »

Le tsar de Russie a eu gain de cause et Napoléon accepta de signer, le 17 mars 1808, un décret restrictif qui limitait les libertés accordées aux Juifs en espérant que le tsar le soutiendrait dans sa guerre contre l'Angleterre. Mais au bout de trois mois, l'empereur annule le décret et plus de la moitié des départements rétablirent la liberté totale pour leurs citoyens juifs.

[modifier] Les Juifs en Europe

Tous les pays sous autorité française appliquèrent les réformes de Napoléon. Ainsi au Portugal, l'État permit aux Juifs une liberté totale et il leur permit d'ouvrir des synagogues qui étaient fermées depuis plus de 300 ans. En Italie, au Pays-Bas et en Allemagne, les Juifs ont pu pour la première fois participer en hommes libres à la société de leur pays respectif.

Après la défaite de Waterloo, la réaction rétablit dans de nombreux pays les discriminations contre les Juifs. Toutefois en France, les Bourbons de retour ne prennent aucune mesure discriminatoire et au contraire abolissent le décret infâme de 1808 à son expiration en 1818.

Le pape Pie VII fit rétablir les ghettos et imposa de nouveau le port d'un signe distinctif.

[modifier] Références

  1. Sous la direction de Bernhard Blumenkranz, « Histoire des Juifs en France », 1972, Édouard Privat éditeur
  2. Ben Weider, « Napoléon et les Juifs », 1997, Société napoléonienne Internationale
  3. Jacques Aron, « Une histoire corse : Napoléon et les Juifs », mai 2006, Union des progressistes juifs de Belgique
  4. "Napoléon méprisait les juifs...Il s'agit d'un faux", Richard Ayoun, Les juifs de France de l'émancipation à l'intégration (1787-1812), Harmattan, 1997, p.143
  5. ab Henry Laurens, Le projet d'Etat juif attribué à Bonaparte, Orientales, CRNS, 2007, pp. 123-143, voir aussi

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