Bataille de Poitiers (732)

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Bataille de Poitiers (732)
Charles de Steuben, Bataille de Poitiers, en octobre 732
Charles de Steuben, Bataille de Poitiers, en octobre 732
Informations générales
Date 25 octobre 732
Lieu Entre Tours et Poitiers
Issue Victoire franque décisive
Belligérants
Francs Omeyyades
Commandants
Charles Martel et Eudes d'Aquitaine Abd el Rahman
Forces en présence
15000-30000[réf. nécessaire] 20000-60000[réf. nécessaire]
Pertes
Inconnues Inconnues
Invasions musulmanes en Europe
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La bataille de Poitiers appelée aussi « bataille de Tours », et « bataille du Pavé des martyrs[1] » par les historiens arabes, est une victoire de Charles Martel, maire du palais du royaume franc, sur les musulmans d’Abd el Rahman.

Cette victoire importante a un retentissement immédiat, tant du côté chrétien que du côté musulman ; elle est devenue à partir du XVIe siècle un symbole de la lutte de l’Europe chrétienne face à l’envahisseur musulman.

Sommaire

[modifier] Sources

Du côté des auteurs latins des VIIIe et IXe siècles, les sources sont assez nombreuses, proches de l’évènement, et exceptionnellement détaillées pour l’époque. Ceci signale que, dès le VIIIe siècle, la bataille a du être considérée comme importante[2]. On peut citer Bède le Vénérable en 735, la chronique de Moissac ainsi que les Annales de Metz qui mentionnent l'événement, en des termes brefs et similaires, rappelant que "Charles combattit les Sarrasins un samedi du mois d'octobre". Le seul récit détaillé se lit dans la Chronique mozarabe, au milieu du VIIIe siècle, dans lequel l’auteur, un anonyme chrétien de Tolède ou de Cordoue, raconte la bataille de 732 et donne pour cause de la défaite, des dissensions au sein des Maures. Le récit de la bataille de Poitiers se situe entre les défaites arabes de Toulouse (721) et de Narbonne (737)[3].

Les chroniques arabes sont peu nombreuses. Il faut citer Abd al-Hakam (861) et des chroniques andalouses. Les trois expéditions de 721 devant Toulouse, 732 (ou 733) et 737 devant Narbonne apparaissent comme des défaites.

[modifier] Contexte

Au début du VIIIe siècle, les musulmans d’Afrique du Nord, majoritairement des Berbères islamisés,[4] ont envahi en 711 l’Espagne, puis la Septimanie, partie du royaume wisigothique qui avait échappé aux conquêtes des fils de Clovis, y compris Narbonne. Les Maures d’Afrique du Nord sont en pleine période de conquêtes : outre l’Espagne et la Septimanie, ils débarquent et annexent la Sicile en 720, la Sardaigne, la Corse et les Baléares en 724.

Les gouverneurs à la tête de la Septimanie lancent alors des expéditions ponctuelles — ghazwa — en Gaule pour s'emparer de butin. Le duc franc d'Aquitaine Eudes se retrouve en première ligne. En 721, il parvient à leur faire lever le siège de Toulouse. Mais quelques années plus tard, il s'allie à un chef musulman, un certain Munuza[5]. Celui-ci tente de se constituer une principauté indépendante en Cerdagne[6] mais son maître 'Abd el Rahman, nommé gouverneur de Cordoue en 730, ne l'entend pas ainsi. Il dirige une expédition punitive contre Munuza, qui est battu et tué. Le gouverneur omeyyade de l'Espagne s'attaque aussi à Eudes d'Aquitaine, le soutien du rebelle. Il s'enfonce donc à l'intérieur des terres franques.

Au nord de la Loire, le maire du palais Charles Martel rassemble sous son autorité les royaumes francs, et bat Rainfroy, allié d’Eudes. Il lance également une expédition pour soumettre l’Aquitaine l’année précédant la bataille de Poitiers : Eudes se retrouve donc pris entre deux feux.

[modifier] Armée musulmane

Menée par le gouverneur arabe Abd al-Rahman ibn Abd Allah al-Rhafiqi en personne, l'expédition lancée sur la Gaule est constituée de Maures (Berbères et arabes), ainsi que de contingents recrutés dans la péninsule ibérique[7]. Tous tendent au même objectif, la propagation de la nouvelle religion par le djihad[8]. Les chroniques mozarabes distinguent entre Sarrazins, Arabes venus d’Arabie et Syriens, plus anciennement islamisés, et Maures, venus d’Afrique du Nord (antique Maurétanie). Le nombre élevé de Berbères parmi les conquérants musulmans explique que ces derniers furent aussi globalement désignés sous le terme de Maures.

[modifier] Campagne précédant la bataille

Après la défaite devant Toulouse, Abd el Rahman lance un nouveau raid, mais en passant à l’ouest des Pyrénées : il envahit l’Aquitaine et razzie le pays. Eudes réunit une armée pour le contrer mais est battu entre la Dordogne et la Garonne (bataille parfois dite de Bordeaux). Abd el Rahman continue son avancée, marche sur Poitiers, pille et incendie l’abbaye Saint-Hilaire. Il se dirige ensuite vers Tours, dans l'intention de piller l’abbaye Saint-Martin-de-Tours. Cependant, Charles Martel, à qui Eudes a fait appel après sa défaite, marche vers Tours après avoir réuni une armée de fantassins francs. Pour les historiens chrétiens, c’est pour défendre le sanctuaire de Tours que Charles Martel entre en guerre, c’est pourquoi, à partir du XVIe siècle, cette bataille est aussi appelée bataille de Tours[9]. Il décide d'attendre que les Sarrasins soient lourdement chargés de butin pour les attaquer.

[modifier] Bataille

[modifier] Localisation et date

Les sources concordent pour placer la rencontre sur le territoire de la cité de Poitiers, donc dans le Nord du Poitou. Le nom arabe de la bataille, d’après une source du XIe siècle, Chaussée ou Pavé des Martyrs[10], permet de la préciser et de la situer sur l’ancienne voie romaine entre Poitiers et Tours, et donc sur la rive droite du Clain[11]. Tous les historiens sont d’accord pour ne pas la situer à proximité immédiate de Poitiers, car la forêt de Moulière aurait gêné les cavaliers arabes[12]. Une partie des historiens s’accordent pour placer l’emplacement de la bataille à proximité du hameau de Moussais (renommé Moussais-la-Bataille), sur l'actuelle commune de Vouneuil-sur-Vienne, entre Tours et Poitiers. D’autres historiens préfèrent placer à Cenon-sur-Vienne, situé au confluent de la Vienne et du Clain, le lieu exact de cette bataille.

Les nombreux détails donnés par les chroniqueurs permettent de la dater avec précision : selon les chroniqueurs européens, elle a eu lieu un samedi du mois d’octobre. Selon les chroniqueurs arabes, elle a eu lieu au début du mois de ramadan 114 de l’Hégire, soit après le 23 octobre 732. Le premier samedi est le 25, ce qui place donc la bataille le 25 octobre 732[13]. Quelques historiens préfèrent placer la bataille de Poitiers l’année suivant le pillage de Bordeaux, l’étendue de territoire à conquérir depuis les Pyrénées leur semblant trop vaste : cependant, actuellement, on considère qu’il s’agit d’expéditions de razzia, et couvrir la distance entre les Pyrénées et la Vienne en moins de quatre mois semble raisonnable[14].

[modifier] Déroulement

Pendant une semaine, des escarmouches ont lieu, aux confins du Poitou et de la Touraine[15]. Après ces escarmouches, l’affrontement décisif a lieu, sur deux jours. Abd el Rahman lance sa cavalerie sur les Francs. Ceux-ci, formés en palissade « comme un mur immobile, l'épée au poing et tel un rempart de glace », les lances pointées en avant des boucliers, attendent le choc[16]. Il semble que l'image ait quelque chose de juste dans la mesure où c'est bien la solidité des lignes franques qui impressionna les troupes arabo-berbères. La mêlée s'engage et les Francs parviennent à faire refluer leurs opposants. Mais ceux-ci n'ont pas l'occasion d'attaquer une seconde fois car de son coté Eudes prend l'ennemi à revers et se jette sur le camp musulman. Croyant leur butin et leurs familles[17] menacés, les combattants Maures regagnent leur campement. Ils subissent de lourdes pertes et 'Abd el Rahman est tué.

Le lendemain, au point du jour, Charles donne l'ordre d'attaquer, mais le camp est vide, les musulmans se sont enfuis dans la nuit. C’est donc une victoire par « forfait »[18]. Selon d'autres sources, Abd el Rahman n'aurait pas été tué à la bataille de Poitiers mais aurait simplement reflué vers ses bases arrières de Narbonne. Poursuivi par les troupes franques de Charles Martel, il aurait été tué et son armée exterminée à Louchapt au pied de la falaise du Sangou, dans le Lot, en 733. L'Hôtel de ville de la commune de Martel aurait été construit sur le lieu même de la bataille.[réf. nécessaire]

[modifier] Explications de la défaite arabe

Selon l'historien André Clot[19], une des raisons de la défaite réside dans l'éloignement des musulmans de leurs bases. Une autre raison est que l'armée musulmane était composée en majorité de Berbères d'Afrique du Nord venus avec leur famille ce qui gênait les manœuvres de l'armée et retardait son avance, les hommes ayant souci de protéger leurs femmes et leurs enfants. D'autre part, toujours selon André Clot, lors du combat final, le duc d'Aquitaine aurait attaqué le camp ou étaient rassemblées les familles entrainant la débandade des musulmans.

[modifier] Conséquences

Cette défaite marque le terme de l’expansion musulmane médiévale en Occident et a d’importantes conséquences. En répondant à l’appel à l’aide du duc Eudes d'Aquitaine, Charles Martel a profité de l’avancée des troupes musulmanes pour intervenir dans une région qui refusait de se soumettre à son autorité. Fort de sa victoire, Charles s’empare de Bordeaux et met un pied en Aquitaine, sans la soumettre immédiatement : à la mort d’Eudes, ce sont ses fils qui lui succèdent. Cependant, son appui est indispensable à la lutte contre les Sarrasins : il intervient dans la vallée du Rhône et en Provence les années suivantes, où il soumet le patrice Mauronte (737), allié des Sarrasins. Il bat à nouveau ceux-ci au sud de Narbonne, sur les bords de la Berre, en 737[20]. Ainsi, la victoire de Poitiers entraîne non pas le départ définitif des musulmans, comme en témoigne l’échec du siège de Narbonne, dirigée par un gouverneur omeyyade jusqu’en 759, mais l’intervention systématique des Francs, seuls capables de s’opposer à eux. En définitive Eudes d'Aquitaine, comme a pu l'écrire Michel Rouche, reste le véritable vaincu de Poitiers. La victoire de Poitiers justifie également, quelques années plus tard, l’élimination des Mérovingiens[21].

Selon l'historien allemand Karl Ferdinand Werner, la Provence fut bouleversée par les exactions de Charles Martel. Karl Werner écrit que le surnom "Martel-Marteau" pourrait venir de là et non de la victoire contre les musulmans[22].

Si l’expansion musulmane est stoppée, les raids musulmans continuent pendant plusieurs décennies. Ainsi, Charlemagne bat vers 800, à la bataille du bois des Héros (en Saintonge), une troupe musulmane qui razziait le pays. Des forteresses provençales servent de base à des incursions dans le pays jusqu’à la fin du Xe siècle (cf. bataille de Tourtour).

[modifier] L’importance réelle de la victoire

Le débat historique sur l’importance réelle de la bataille est apparu à la fin du XIXe siècle, au moment où elle connaissait une grande popularité. Les historiens qui tendent à augmenter son importance ont mis en avant une série d’arguments.

[modifier] Une bataille imaginaire ?

Les incertitudes quant au lieu et à la date de la bataille ont poussé certains à douter de l'existence de cette bataille. Les progrès de la critique historique ont levé ces doutes.

Cependant, encore actuellement, certains tirent arguments de la faible quantité de sources (par rapport aux sources pour l’Antiquité, ou aux périodes postérieures) pour nier son existence (voir plus bas, partie Le symbole historique).

[modifier] L'arrêt d'une invasion ?

L'historienne Françoise Micheau diminue l'importance de l'événement en précisant que l‘expédition d’Abd el Rahman avait pour but essentiel le butin, et non la conquête. « Il s'agissait pour les Arabes de Cordoue d'une expédition (en arabe "ghazwa") visant à piller les richesses de la Gaule, mais non d'une « invasion » »[23]. Les sources des VIIIe et IXe siècles ne fournissent en effet que cette explication, et ce n’est qu’à partir du XIIe siècle que l'argument de la conquête est avancée.

Jean Deviosse et Élisabeth Carpentier nuancent cet argument en rappelant que les razzias étaient à la fois un moyen de connaître le terrain, et que plusieurs années de razzias réussies aboutissaient toujours à une conquête définitive[24] : ce fut le cas de la conquête espagnole (711-720), mais aussi de la Perse auparavant. En 721, lors du siège de Toulouse, les envahisseurs sont équipés de catapultes, preuve qu'ils entendent conquérir la ville[25].

De plus, Deviosse fait remarquer l'organisation tactique de l'expédition de 732. Il s’agit d’une opération combinée entre la marine et la cavalerie arabes. Une flotte débarque une armée arabe en Camargue, qui remonte la vallée du Rhône et va jusqu’à assiéger et prendre Sens[26], pendant que d’un autre côté, Abd el Rahman passe les Pyrénées du côté le plus éloigné. Il compte ainsi obliger ses adversaires à se diviser et parcourir de longues distances pour l’arrêter. Il rappelle également qu’Abd el Rahman a demandé à ses hommes d’abandonner une partie du butin pour être plus efficaces lors de la bataille (demande rejetée par ses hommes), et surtout, qu’il a accepté la bataille, ce qu'il aurait pu refuser s’il ne venait que pour le butin, qui était déjà considérable. On objectera que le gouverneur n'avait sûrement d'autre choix que l'affrontement s'il voulait rentrer tranquillement en Espagne[27].

[modifier] Une victoire parmi d'autres

Les chroniques arabes espagnoles mentionnent deux autres défaites des Musulmans en Gaule :

  • en 721, le gouverneur arabe al-Samh meurt sous les murs de Toulouse face à Eudes, prince d'Aquitaine
  • en 737, les Francs écrasent une armée arabe venue secourir Narbonne assiégée

En fait, la bataille de Poitiers semble s'inscrire dans un contexte général d'essoufflement de la conquête arabe, après un siècle de victoires. En effet, si les Arabes parviennent à conquérir les grandes îles de Méditerranée occidentale en 720-724, ils échouent dans leur troisième siège de Constantinople (717-718), et sont vaincus en Orient également. La taille même de l’Empire pose des difficultés pour le gouverner : des révoltes kharidjistes éclatent en Mésopotamie et en Syrie (724-743), qui provoquent l’abandon de Damas par le calife pour Rusafa, ou encore en 740 au Maroc. Les Omeyyades sont renversés en 750 par les Abbassides. Cordoue devient le centre d'un émirat autonome dont le pouvoir se limite à la péninsule ibérique. « Ces crises du milieu du VIIIe siècle scellent la fin des conquêtes arabes en Gaule, comme dans l'Empire byzantin et en Asie centrale »[28].

Deviosse réplique toutefois que la victoire a du être importante pour deux raisons :

  • la victoire est telle que les envahisseurs abandonnent leur butin ;
  • aucune autre expédition d’envergure n’a pu atteindre le cœur de la Gaule par la suite.

Enfin, et peut-être surtout, pour Élisabeth Carpentier, la victoire est importante pour les Francs du Nord de la Gaule. Vu d’Occident, la progression de la conquête musulmane est inexorable. Or, le premier combat des Francs contre les Arabes est une victoire (Eudes commande les Aquitains), suivie d’autres victoires, et empêche toute nouvelle attaque par la suite. Cette victoire n'est donc pas le mythe qu’on en a fait, et si Charles Martel ne sauve pas la France qui n’existe pas encore, il change le destin de la Gaule, et donc de la France qui lui succède. Cette bataille n’est pas un mythe, mais un symbole historique[29].

[modifier] Le symbole historique

La bataille a tout de suite un retentissement très important. Elle justifie l’élimination des Mérovingiens et légitime donc la famille de Charles Martel, les Carolingiens. Bède le Vénérable, moine d'Angleterre, la mentionne comme un châtiment de Dieu[30], ce qui est un autre aspect de son aura : pour l’Église cette guerre est légitime, c’est aussi une guerre pour la défense de la chrétienté, et elle éclipse la bataille de Toulouse, qui à l’époque avait eu un écho important, affaibli par la défaite d’Eudes en 732 et son ambiguïté (allié aux musulmans)[31]. De l’autre côté, la bataille revêt également une grande importance : l’Anonyme de Cordoue (un chrétien sujet des Ommeyades), qui écrit vers 750, la présente ainsi comme un affrontement entre Nord et Sud, entre Orient et Occident.

Cependant, si la bataille reste célèbre tout au long du Moyen Âge, elle n’acquiert pas immédiatement le statut de symbole. L’Espagne musulmane n’est pas une menace pour les Francs des IXe aux XIe siècles. De plus, la figure de Charles Martel s’efface derrière celle de Charlemagne, qui a lui même combattu les Maures. Enfin, l’Église, principale productrice de livres, ne cherche pas à mettre en avant un bâtard qui a mis la main sur de nombreux biens d’Église[32].

Charles Martel et Poitiers connaissent un regain de popularité avec les croisades, les thèmes de la défense de la chrétienté, de la défense de la foi, de victoire sur l’infidèle ayant alors évidemment plus d’écho, et au XVIe siècle, au moment où l’Empire ottoman menace l’Europe[33]. On peut aussi évoquer l’épée de Charles Martel, miraculeusement retrouvée par Jeanne d’Arc à Sainte-Catherine-de-Fierbois. Même Voltaire, qui moque les exagérations autour du récit de la bataille, conclut dans son Essai sur les mœurs

« Sans Charles Martel (...), la France était une province mahométane. »

Au XIXe siècle, le nationalisme français voit en la bataille de Poitiers un évènement fondateur de la nation, et les anticléricaux préfèrent Charles Martel à Clovis, moins compromis avec l’Église. La conquête des colonies en terres musulmanes popularise également la victoire contre des musulmans. Enfin, à l’heure des théories raciales, cette victoire d’Européens blancs sur des Africains musulmans est aussi revendiquée par les Anglais et les Allemands, ces derniers rappelant que les Francs étaient un peuple germanique[34].

Au XXe siècle, Anatole France écrit que «le jour le plus funeste de l'Histoire de France» fut «le jour de la bataille de Poitiers, quand, en 732, la science, l'art et la civilisation arabes reculèrent devant la barbarie franque»[35].

En 1942, Adolf Hitler déclare : « Si à Poitiers Charles Martel avait été battu, le monde aurait changé de face. Puisque le monde était déjà condamné à l'influence judaïque (et son sous-produit le christianisme est une chose si insipide !), il aurait mieux valu que l'islam triomphe. Cette religion récompense l'héroïsme, promet au guerrier les joies du septième ciel… Animé d'un esprit semblable, les Germains auraient conquis le monde. Ils en ont été empêchés par le christianisme»[36].

En France, l’image de l’arrêt d’une invasion à Poitiers reste populaire : on peut citer, pendant la Seconde Guerre mondiale, les résistants qui créent la brigade Charles Martel en Indre et Indre-et-Loire (brigade devenue ensuite la 25e DI des FFI), et l’affaire de la douane de Poitiers contre les magnétoscopes japonais. Durant la guerre d’Algérie, les commandos de l’Organisation de l’armée secrète (OAS) prirent également le nom de Charles Martel. De nos jours, l’importance de ce symbole reste fort, car la confrontation entre l’Occident et l’islam perdure[37] (voir par exemple le titre de l’affiche « Martel 732, Le Pen 2002 » choisi par le Front national lors de l'élection présidentielle française de 2002[38]).

L’importance de la bataille est, encore de nos jours, telle dans l’imaginaire des peuples européens et arabes, qu’un historien va jusqu’à nier son existence[39], attribuant son invention aux chroniqueurs français de la fin du Moyen Âge, qui auraient ainsi cherché à masquer la défaite de Nouaillé (1356).

Selon Françoise Micheau et Philippe Sénac "bien des voix se sont élevées pour tenter de ramener la bataille à sa juste place. En vain, car, érigé en symbole, l'événement est passé à la postérité et avec lui son héros Charles Martel. Il appartient à ce fonds idéologique commun qui fonde la nation française, la civilisation chrétienne, l'identité européenne sur la mise en scène du choc des civilisations et l'exclusion de l'Autre"[40]. L'historienne Suzanne Citron souligne le rôle de la bataille dans l'"inconscient des pulsions racistes anti-arabes et dans l'illusion d'une supériorité de la civilisation catholique et blanche"[41].

[modifier] Voir aussi

[modifier] Articles de Wikipédia

[modifier] Liens externes

[modifier] Sources

  • Françoise Micheau, « 732, Charles Martel, chefs des Francs, gagne sur les Arabes la bataille de Poitiers », in 1515 et les Grandes dates de l'histoire de France, sous la direction d'Alain Corbin, Seuil, 2005.
  • Élisabeth Carpentier. Les Batailles de Poitiers. Charles Martel et les Arabes. en 30 questions. Geste éditions, La Crèche, 2000. Collection dirigée par Jean-Clément Martin, ISBN 2-84561-007-6

[modifier] Notes et références

  1. arabe : balāṭ aš-šuhadāʾ, بلاط الشهداء
  2. Élisabeth Carpentier. Les Batailles de Poitiers. Charles Martel et les Arabes en 30 questions. Geste éditions, La Crèche, 2000. Collection dirigée par Jean-Clément Martin, ISBN 2-84561-007-6, p 17
  3. Françoise Michaud et Philippe Sénac, La bataille de Poitiers, de la réalité au mythe p.15 dans Histoire de l'islam en France, Albin Michel, 2007
  4. Pierre Guichard, Al-Andalus 711-1492 p 22, Ed.Hachette, 2000, ISBN 978-2012790308
  5. Il est aussi nommé Manuza, ou Othmān
  6. Françoise Micheau, « 732, Charles Martel, chefs des Francs, gagne sur les Arabes la bataille de Poitiers », in 1515 et les Grandes dates de l'histoire de France, sous la direction d'Alain Corbin, Seuil, 2005, p.36
  7. Carpentier, op. cit., p 42
  8. Carpentier, op. cit., p 42
  9. Élisabeth Carpentier, op. cit., p 14-15
  10. en arabe Balaat al-Shuhada بلاط الشهداء (source :Karim Bouakline Al Gharnati)
  11. Carpentier, op. cit., p 15
  12. Jean Deviosse. Charles Martel. Paris, Tallandier, 1978 (réédité en 2006). ISBN 2-84734-270-2, p 162-165
  13. Pierre Guichard, Al-Andalus 711-1492, Ed.Hachette, 2000, ISBN 978-2012790308 p 34
  14. Carpentier, op. cit., p 17
  15. Carpentier, op. cit., p 16
  16. Adriaan Vehulst, La construction carolingienne tiré de Histoire de la France des origines à nos jours sous la direction de Georges Duby, Larousse, 2007, page 194.
  17. André Clot, l'Espagne musulmane, Ed. Perrin, 2004, ISBN 2-262-02301-8, p 33
  18. Carpentier, op. cit., p 16
  19. André Clot, l'Espagne musulmane, Ed.Perrin, 2004, ISBN 2-262-02301-8, p 33
  20. Carpentier, op. cit., p 18
  21. Carpentier, op. cit., p 18
  22. Karl Ferdinand Werner,Histoire de la France,tome 1, pp.191,192, Fayard, 1984
  23. Françoise Micheau, « 732, Charles Martel, chefs des Francs, gagne sur les Arabes la bataille de Poitiers », in Alain Corbin (dir.), 1515 et les Grandes dates de l'histoire de France, Seuil, 2005, p.35
  24. Deviosse, op. cit., p. 168-169 ; Carpentier, op. cit., p. 44
  25. Deviosse, op. cit., p 170
  26. Charles Martel, p 162 et suivantes
  27. En 1346, alors qu'il conduit une expédition de pillage en France, Édouard III d'Angleterre est aussi contraint au combat à Crécy face à l'ost du roi Philippe VI pour regagner l'Angleterre
  28. François Micheau, opt. cit., p.36
  29. Carpentier, op. cit. p 46-47
  30. Carpentier, op. cit., p 20
  31. Carpentier, op. cit., p 19
  32. Carpentier, op. cit., p 34-35
  33. Carpentier, op. cit., p 35-36
  34. Carpentier, op. cit., p 36-38
  35. «Monsieur Dubois demanda à Madame Nozière quel était le jour le plus funeste de l'Histoire de France. Madame Nozière ne le savait pas. C'est, lui dit Monsieur Dubois, le jour de la bataille de Poitiers, quand, en 732, la science, l'art et la civilisation arabes reculèrent devant la barbarie franque»,Anatole France, Oeuvres IV, La vie en Fleur (1922), Gallimard, 1994, p.1118
  36. Adolf Hitler, Libres propos sur la guerre et la paix recueillis sur l’ordre de Martin Bormann, Flammarion, 1954, 28 août 1942, p. 297
  37. Carpentier, op. cit., p 47
  38. Des Sarrasins aux Beurs, une vieille méfiance, Le Monde Diplomatique http://www.monde-diplomatique.fr/2004/02/RUSCIO/10999
  39. Nas E Boutammina. La Bataille de Poitiers (732) n’a jamais eu lieu. Éditions Albouraq, Beyrouth, 2006. ISBN 2-84161-291-0, paru dans la collection Ombres et Lumières, qui se propose d’éclairer à la « lumière de l’Islam » les zones d’ombres volontairement maintenues afin d’amoindrir la grandeur de l’Islam
  40. Françoise Micheau et Philippe sénac,La bataille de Poitiers, de la réalité au mythe, p.15 dans Histoire de l'Islam et des musulmans en France, Albin Michel, 2006
  41. Suzanne Citron, Le mythe national, Editions ouvrières, 1989, p.185