Abu Yazid

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Abû Yazîd, également orthographié Abou Yezid ou Abou Yazid, de son nom complet Abû Yazîd Mukhallad ibn Kayrâd[1] et surnommé « l'homme à l'âne », né en 873 et mort le 19 août 947, est un Berbère zénète de la tribu des Banou Ifren[2],[3],[4].

Abou Yazid naît chez les Banou Wargu — les Banou Wargu et les Merendjissa appartiennent à la grande famille des Banou Ifren — selon les propos rapportés d'Ibn Hazm par Ibn Khaldoun[4]. Il suivit le dogme du kharidjisme et devint le chef de la plus importante rébellion menée contre les Fatimides au milieu du Xe siècle.

Sommaire

[modifier] Biographie

[modifier] Jeunesse

Abû Yazîd passe son enfance à Tozeur (Tunisie) où son père Mukhallad (fils de Kayrâd)[4] est un marchand transsaharien. Il reçoit un enseignement kharijite de tendance sufrite. Abû Yazîd, un boiteux érudit de théologie kharijite, part à Tahert — capitale des Rostémides et principal centre kharijite à tendance ibadite — où il débute son enseignement.

[modifier] Prise du pouvoir par les Fatimides

En 909, le propagandiste ismaélien Abû `Abd Allâh ach-Chî`î, à la tête des tribus kutama qui sont venues à bout des Aghlabides, part vers Sijilmassa pour y rencontrer enfin son imam, `Ubayd Allâh al-Mahdî, qu'il n'a jamais vu. Au passage, il détruit le royaume rostémide de Tahert (26 août 909[5]).

Le 6 janvier 910, `Ubayd Allâh al-Mahdî arrive triomphalement à Raqqâda vêtu de soie noire tandis que son fils porte un costume semblable de soie orange. Tous les notables arabes ou non sont là pour le recevoir et lui prêter serment d'allégeance. La loi islamique est promulguée et tous les interdits renforcés. Le 15 janvier, il prend le titre de calife et de « commandeur des croyants » malgré l'existence du calife abbasside. C'est la première fois que deux califes règnent au même moment.

Cela amène Abû Yazîd à prêcher le renversement du fatimide `Ubayd Allâh al-Mahdî. Après la mort d'Al-Mahdî, Abû Yazîd part en campagne, avec sa femme et ses quatre fils, à la tête des tribus zénètes et Houaras des Aurès chaouis (Banou Zendek, Banou Berzal, Maghraoua et Azzaba)[6]. Il propose une forme de gouvernement formé d'un conseil de cheikhs en remplacement du califat fatimide. Il réussit à amalgamer toutes les oppositions au chiisme des Fatimides et obtient le soutien des sunnites malékites de Kairouan et l'indifférence du calife de Cordoue `Abd al-Rahman. En 934, il lance sa rébellion à partir des Aurès. Il cherche alors de l'aide auprès des Omeyyades d'Andalousie.

En 942, Abû Yazîd profite de l'absence du gouverneur de Baghaï[7] pour venir, à la tête de ses partisans, ravager les environs de cette place forte. Il s'empare sans coup férir de Tébessa et de Medjana[8]. Mermajenna[9] est prise et Abû Yazîd y reçoit en présent un âne gris dont il fait sa monture. C'est pourquoi on le désigna ensuite sous le sobriquet de « l'homme à l'âne[10]. ». Il prend ensuite Laribus[11] qu'il livre au pillage[réf. nécessaire].

[modifier] Règne d'Al Qa'im

Al-Qâ'im bi-Amr Allah succède à son père comme imam ismaélien et calife fatimide. Abû Yazîd se dirige alors vers Béja qu'il prend après une brève bataille contre les troupes fatimides. La ville est incendiée, les habitants hommes et enfants massacrés et les femmes réduites à l'esclavage. Cette nouvelle provoque de nombreux ralliements à la cause d'Abû Yazîd : autant pour échapper à ses coups que dans l'espoir de participer au butin.

Abû Yazîd prend Tunis avec l'aide des habitants et attend des renforts au bord de la Medjerda. Il subit un premier revers en approchant de Sousse, 4000 de ses partisans étant tués au cours d'une bataille. Il prend néanmoins la direction de Raqqâda que les troupes fatimides abandonnent à son approche pour se réfugier à Kairouan. Khalîl Ben Ishâq qui a la charge de défendre Kairouan essaie de traiter avec Abû Yazîd plutôt que de le combattre. Il va commettre l'imprudence de se rendre dans le camp de son adversaire. Abû Yazîd le fait arrêter et le met à mort. La ville privée de chef ne tarde pas à se rendre (octobre 944). Comme à l'habitude et malgré les ambassades des notables de la ville, celle-ci est mise à sac.

La légende veut que le Mahdî avait prévu une révolte inspirée par le kharijisme et qu'elle viendrait se briser sur les murs de Mahdia, aussi Al-Qâ'im attend-il le moment où la prophétie va se réaliser[12]. Abû Yazîd met le siège à Mahdia (944). Une colonne de secours menée par un chef sanhadja, Ziri ibn Menad, permit aux assiégés de tenir. En janvier 945, il est à l'emplacement prévu par la prophétie et entreprend le siège de la ville. La famine s'installe dans les deux camps. Abû Yazîd expulse les non combattants que ses troupes massacrent. Les troupes disparates d'Abû Yazîd se dispersent d'autant qu'il n'y a plus rien à piller. La foule enthousiaste du début commence à se sentir flouée. Al-Qâ'im profite de l'affaiblissement de ses adversaires pour effectuer une sortie de la ville assiégée. En août 945, Abû Yazîd prend la fuite en abandonnant ses troupes. Al-Qâ'im reprend rapidement Tunis, Sousse et Kairouan tandis qu'Abû Yazîd reconstitue son armée.

Les chefs des tribus kutama et sanhadja rassemblent une armée pour secourir les Fatimides. Aux abords de Béja, ils doivent affronter Ayûb, l'un des fils d'Abû Yazîd, qui les prend par surprise et les disperse. Ayûb, encouragé par cette facile victoire, se dirige vers Tunis qu'il reprend aux Fatimides. En janvier 946, Ayûb part à la conquête de Sousse. Il s'ensuit un siège acharné. Le 19 mai, pendant ce siège, le calife Al-Qâ'im meurt. Le combat reprend avec Ismâ`il Al-Mansûr qui succède à son père.

[modifier] Règne d’Al-Mansûr

Ismâ`il al-Mansûr succède à son père comme imam ismaélien et calife de la dynastie fatimide alors sur le point d'être vaincue. Il commence par tenir secrète la mort de son père pour laisser l'impression qu'il n'y a rien de changé. Il envoie une flotte apporter du soutien et des vivres aux habitants de Sousse. Ces renforts permettent de desserrer le siège de la ville. Abû Yazîd se replie sur Kairouan où se trouvent ses femmes et ses enfants. Les habitants de la ville lui refusent l'entrée et ferment les portes à son approche. Il se retire alors à Sbiba.

Le calife Ismâ`îl fait son entrée à Kairouan fin mai 946. Il accorde une amnistie générale aux habitants de cette ville. Les femmes et les enfants d'Abû Yazîd sont respectés. Ismâ`îl fait pourvoir à leurs besoins. Abû Yazîd mène des raids pour couper les routes menant de Kairouan à Mahdia et Sousse. Ismâ`îl offre à son adversaire de lui rendre ses femmes et ses enfants contre son départ définitif. Abû Yazîd fait mine d'accepter mais à peine a-t-il retrouvé ses épouses qu'il reprend le combat. Ismâ`îl réunit donc une armée nombreuse pour en finir avec cet adversaire déloyal. Une bataille s'engage avec l'armée régulière au centre et sur l'aile droite des troupes de berbères kutama. Abû Yazîd attaque cette aile droite et vient se heurter aux troupes régulières plus aguerries. C'est une déroute pour les kharidjites : on aurait envoyé à Kairouan 10 000 têtes d'ennemis[13].

Commence alors une chasse à l'homme : Abû Yazîd fuit à travers les montagnes et passe à Belezma[14]. Il pense pouvoir résister dans la place forte de Tobna[15] mais doit fuir encore. Le gouverneur de M'Sila se met au service du calife dans sa chasse à l'homme. Il lui amène un jeune chef de partisans qui se disait le Mahdî et qu'on avait fait prisonnier dans les Aurès à la tête d’une bande. Le calife ordonna de l’écorcher vif : « Ainsi faisait-il de tous ceux qu’il prenait ». D’autres prisonniers eurent les mains et les pieds coupés[13]. Abû Yazîd envoie son fils Ayûb chercher du secours en Espagne tandis que lui-même se réfugie dans les montagnes auprès de tribus berbères qui lui sont restées favorables.

Les armées du calife délogent Abû Yazîd qui part vers le désert. Le calife perd la trace de son adversaire. Fin janvier 947, il apprend qu'Abû Yazîd se prépare à faire le siège de M'Sila. Il fait aussitôt demi-tour pour lui venir en aide. Abû Yazîd n'a plus d'autre solution que de se réfugier dans les montagnes de Kiyana[16]. En août 947, le siège de la montagne où s’est réfugié l’komme à l’âne se termine : il est capturé à demi-mort de ses blessures. Le calife le fait soigner pour pouvoir l’exhiber lors de son retour en triomphe mais Abû Yazîd meurt. Son cadavre est empaillé pour être rapporté à Mahdia comme preuve de la victoire du calife. C'est après cette victoire que le calife se donna le surnom d'Al-Mansûr[17] (le vainqueur). Le mouvement est totalement désorganisé mais des tribus zénètes hostiles continuent de menacer l'empire. Elles seront un peu plus tard repoussées du Maghreb central (actuelle Algérie) par Ziri alors nommé gouverneur de la province en récompense par les Fatimides. Cet évènement marque l'avènement de la dynastie des Zirides sur l'est du Maghreb alors que l'ouest du Maghreb est sous le contrôle de la dynasite des Banou Ifren et des Maghraoua, en général des Zénètes, jusqu'à l'arrivée des Almoravides au XIe siècle[18].

Dans son article[19], W.K.R. Hallam indique que le héros Bayajidda de la culture des Haoussas représente une personnification folklorique de partisans d'Abû Yazîd qui auraient fui l'Afrique du Nord après leur défaite.

[modifier] Divers

Abu Yazid dira que les Berbères ont apostasié douze fois mais, lorsqu'ils ont prêté serment d'être musulmans avant la conquête de l'Andalousie, ils se sont investis pleinement dans sa cause[20].

Son fils serait le principal témoin du récit de l'histoire des Zénètes et en sera le conteur principal d'après Ibn Khaldoun.

[modifier] Notes et références

  1. En arabe : ʾabū yazīd muḫallad ben kyarād (أبو يزيد مخلد بن كيراد)
  2. (fr) Louis Piesse, Itinéraire historique et descriptif de l'Algérie comprenant le Tell et le Sahara, éd. Hachette, Paris, 1862
  3. (en) Martijn Theodoor Houtsma, E.J. Brill's First Encyclopaedia of Islam. 1913-1936, éd. Brill Academic Publishers, Leiden, 1993
  4. abc Ibn Khaldoun, Histoire des Berbères (traduction de Slane), éd. Berti, Alger, 2003, p. 849 (ISBN 9961690277)
  5. Charles-André Julien, Histoire de l'Afrique du Nord, des origines à 1830, éd. Payot, Paris, 1994, p. 393 (ISBN 9782228887892)
  6. Ibn Khaldoun, op. cit., p. 852 (ISBN 9961690277)
  7. Baghaï est une ancienne ville romaine dans la wilaya algérienne de Khenchela (35° 31′ 19″ N 7° 06′ 52″ E / 35.521818, 7.114334).
  8. Medjana est une ville de la wilaya algérienne de Bordj-Bou-Arreridj (36° 07′ 49″ N 4° 39′ 55″ E / 36.130388, 4.665155).
  9. Cité non située
  10. (fr) La révolte d'Abou Yézid, l'homme à l'âne (Tunisie d'antan)
  11. El Orbos connue aussi sous le nom de Laribus est une ancienne ville romaine située à côté de la ville tunisienne de Dahmani dans le gouvernorat du Kef (coordonnées ?).
  12. Ibn Khaldûn, Le livre des exemples. Volume I, éd. Gallimard, coll. La Pléiade, Paris, p. 688 (ISBN 2070114252)
  13. ab (fr) La révolte d'Abou Yézid, l'homme à l'âne (Tunisie d'antan)
  14. Ksar Bellezma est une ville dans la wilaya algérienne de Batna (35° 40′ 34″ N 5° 54′ 08″ E / 35.676124, 5.902233).
  15. Tobna (en latin Tubunae) est une place forte antique en ruine au sud de Barika dans la wilaya algérienne de Batna (35° 21′ N 5° 21′ E / 35.35, 5.35).
  16. Les montagnes de Kiyana est un lieu mal identifié près de Bichara dans la wilaya de Bordj Bou Arreridj et près de ce qui deviendra plus tard la Kalâa des Béni Hammad.
  17. En arabe : manṣūr (منصور)
  18. Ibn Khaldoun, op. cit., p. 858 (ISBN 9961690277)
  19. W.K.R. Hallam, « The Bayajidda legend in Hausa folklore », Journal of African History, vol. VII, n°1, 1966
  20. Ibn Khaldoun, Histoire des Berbères (traduction de Slane), éd. Berti, Alger, 2003

[modifier] Bibliographie

[modifier] Voir aussi

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