Titus Andronicus

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Titus Andronicus (ou la lamentable tragédie romaine de Titus Andronicus, en anglais The Most Lamentable Romaine Tragedy of Titus Andronicus) est peut-être la première tragédie de William Shakespeare, et certainement la plus sanglante. Elle décrit un cycle inextricable de vengeance entre Titus, général romain imaginaire, et son ennemie Tamora, reine des Goths.

[modifier] La pièce

La première représentation s'est déroulée le 24 janvier 1594[réf. nécessaire] et connut un grand succès populaire. Le contexte politique de la victoire sur l'Invincible Armada espagnole, du rapprochement d'Elisabeth avec les milieux aristocratiques et populaires violemment anti-papistes expliquent en grande partie le succès de la pièce, à un moment où le nom de Rome, répété hypnotiquement 200 fois dans la pièce, ne suscite aucune espèce de compassion, mais une détestation commune du peuple des faubourgs et des armateurs londoniens[réf. nécessaire], qui s'enrichit considérablement des prises pirates sur les convois du Roi très catholique de retour des Amériques. Son aspect sanglant, qui rappelle notre grand guignol, est une surenchère sur l'inspiration de ses compagnons et rivaux, Christopher Marlowe et Kyd, qui vient de donner sa "tragédie espagnole" dans le même théâtre à la scène très petite, "the Rose", avec aussi un grand nombre de personnages, qui sont donc entremêlés les uns dans les autres dans les actions de violence collective.

Mais ce petit groupe de poètes des faubourgs de Londres, qui adopte les tendances dissidentes de son auditoire, est récemment en butte aux pressions des autorités ecclésiastiques anglicanes. Marlowe a été assassiné dans des circonstances obscures, à un moment où la rumeur d'athéisme court à son sujet ; Kyd vient d'être questionné par la Chambre étoilée à ce sujet, c'est-à-dire qu'il a subi la torture et qu'il est incarcéré quand Shakespeare compose Titus Andronicus. Hors, il n'hésite pas[réf. nécessaire] à mettre en scène une provocante déclaration d'athéisme à travers le personnage du noir Aaron. Shakespeare ne fait plus là que s'inscrire dans une tendance de son public, il prend de vrai risques personnels, bravant les autorités ecclésiastiques pour affirmer l'indépendance de la poésie et du théâtre[réf. nécessaire].

Le texte fut publié cette même année dans une édition anonyme. Ce fut le plus grand succès public de Shakespeare, longtemps rejouée, et traduite en allemand par des compagnies itinérantes. Bien plus tard, lorsque la diplomatie de Jacques Ier d'Angleterre tâchera de faire oublier ce parti-pris anti-catholique, le mélange d'horreur et de pathétique sera déclaré non conforme aux canons du goût classique, les multiples mutilations des personnages et situations excessivement morbides choquèrent ensuite les critiques romantiques, après avoir ravi le grand public. La pièce a pour cela longtemps été considérée comme mineure dans l'œuvre shakespearienne, voire apocryphe.

Pourtant, le génie shakespearien est entièrement là[réf. nécessaire], dans cette première pièce entièrement en vers décasyllabiques, aussi peu limpide dans son intrigue et dans ses dénouements que les pièces à venir, mais saisissante par l'invention géniale[réf. nécessaire] des personnages qui naissent de l'organisation très complexe du vers et de ses sens multiples, de leur rythme qui varie constamment en relançant le jeu de l'acteur par la surprise, l'assonance étrange, la discordance voulue.

La pièce a la particularité de ne pas être centrée autour du rôle titre, comme le seront Hamlet, ou Lear. Titus, mais aussi son frère Marcus, Tamora, la reine des Goths, Aaron, son amant noir, sont autant de point de vues sur cette sombre affaire de vengeances entrelacées, tous aussi énigmatiques dans leurs motivations véritables et chacun portant en germe les plus magnifiques inventions de l'œuvre à venir. Titus, le vieux général blasé contemple et organise sa catastrophe avec les vertiges de Lear sur la falaise, sans qu'on puisse décider jamais s'il est entièrement fou ou possédé par la cruelle raison du stoïcisme sénéquien. Marcus est un insondable commentateur des événements, ou le pire des pervers, organisateur de ces crimes en série, c'est indécidable. Tamora est une grande réussite de Shakespeare dans les personnages féminins, elle est une reine barbare de grande allure, une mère complice de fils délinquants, une amante capiteuse chargée d'un érotisme direct et charmant, une chipie sadique, une joueuse effrénée dans la conquête du pouvoir, jusqu'à la mort, des multiples facette qu'on ne trouve pas dans les autres personnages féminins de Shakespeare. Aaron est un Othello inverse, le pire des hommes, athée, immoral, et comploteur s'avère finalement le seul capable d'un sentiment humain véritable, donner sa vie pour sauver celle de son fils, alors que la pièce ne cesse de donner le triste spectacle de relations filiales malmenées. Et c'est ce personnage qui offre le bouquet final de poésie, les vers les mieux balancés de pensées profondes et lucides, avant que tombe le rideau.

Titus Andronicus a retrouvé sa justification au XXe siècle, grâce par exemple à la mise en scène marquante de Peter Brook en 1955, avec Laurence Olivier et Vivien Leigh. Cette pièce, dit Peter Brook, parle des émotions les plus modernes – de la violence, la haine, la cruauté, la souffrance.

[modifier] Commentaire

« Qu'importe, Lavinia, que tu n'aies plus de mains, car c'est en vain qu'on les use au service de Rome » (Acte III, scène 1).

Voici la formule, tirée de l'œuvre elle-même, qui la résume avec autant d'exactitude que les mots peuvent atteindre. Ces mains, ruines de batailles féroces et sans regard, ces mains dont chaque blessure fut un vivat à la nation, ont vu pour toute récompense, pour toute récolte au travail écorché, cent autres humiliations tracer leur rouge sillon dans leur paume froide et usée. Et pourtant ce furent les mains les plus braves, les plus chargées de mérite, qui furent tranchées pour toute médaille que deux têtes chéries depuis le berceau de l'enfance.

L'œuvre de Shakespeare est de toutes les époques et de tous les espaces, elle est un lourd marteau brisant les naïves illusions. Elle nous enseigne que, quelque acte ait pu briller dans le passé, d'une existence, il n'est pas de mérite qui vive plus qu'un battement d'ailes.

[modifier] Adaptations