Tahar Haddad

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Tahar Haddad
Tahar Haddad

Tahar Haddad (الطاهر الحداد), né en 1899 à Tunis[1],[2],[3] et décédé le 7 décembre 1935, est un penseur, syndicaliste et homme politique tunisien qui a milité pour l'évolution de la société tunisienne au début dut XXe siècle. Il est connu pour avoir lutté activement pour le syndicalisme, l'émancipation de la femme et l'abolition de la polygamie dans le monde arabo-musulman.

Tahar Haddad est un contemporain et ami du poète Abou el Kacem Chebbi.

Sommaire

[modifier] Biographie

Né dans une famille de marchands originaires d'El Hamma dans le Sud tunisien et installée dans la capitale tunisienne, Tahar Haddad étudie dans un koutab avant d'entrer à l'Université Zitouna en 1911[2]. Il suit des études de droit et en sort diplômé en 1920.

Opposé à une carrière de notaire qu'il juge trop limitative[2], il adhère et devient un membre actif du Destour[4] mais quitte vite le parti, agacé par ses inerties internes[2]. Il débute alors une carrière de journaliste tout en s'engageant dans le mouvement syndical tunisien qui émerge à cette époque. Il fonde avec Mohamed Ali El Hammi, en juin 1924, l'Association de coopération économique et participe à la mise en place de la Confédération générale des travailleurs tunisiens (CGTT) en décembre de la même année[4]. En 1927, il publie un premier ouvrage sur la CGTT intitulé Les travailleurs tunisiens et l'apparition du mouvement syndical.

L'année suivante, il entre à la faculté de droit de Tunis mais ses études sont interrompues après deux ans[4] en raison de la publication en 1930 de son ouvrage le plus connu et intitulé Notre femme dans la charia et la société dans lequel il présente son programme de réforme sociétale. Ses idées essuient un vif refus de la part des franges les plus conservatrices de la société et lancent même une campagne d'intrigues contre lui de la part de membres du Destour et de la hiérarchie conservatrice de la Zitouna[2]. La polémique entre modernistes et conservateurs est à la base de thèses par des personnalités tels que Mohamed Salah Ben Mrad et Amor Berri Medani qui rédigent des textes contredisant la pensée de Haddad[4].

Trois ans après cette publication, Haddad s'exile et est alors frappé par une crise cardiaque. Il meurt de la tuberculose le 7 décembre 1935 dans l'isolement le plus complet. Ce n'est que plusieurs années plus tard qu'il sera réhabilité et sa contribution reconnue. En effet, ses idées sont prises en compte lors de la conception et de la promulgation, le 13 août 1956, du Code du statut personnel[5].

[modifier] Héritage

Tahar Haddad a certes eu des adversaires mais également beaucoup de supporters. On a dit de lui que c'était « une personalité dotée d'une capacité intellectuelle exceptionelle qui est restée sans pareil dans la société tunisienne depuis Ibn Khouldoun il y a 600 ans »[6]. Dans son livre Tahar Haddad paru en 1957, Aboulkacem Mohamed Karou déclare que « Haddad a milité avec sa plume et son esprit, sa poésie et sa prose comme personne avant lui et personne d'autre jusqu'à présent [...] Il a sacrifié sa vie pour défendre la liberté d'expression et de recherche »[7].

Sa nièce apparentée, Radhia Haddad[8], deviendra une militante féministe et nationaliste. Elle est notamment une membre fondatrice de l'Union nationale de la femme tunisienne.

[modifier] Pensée

Les idées de Tahar Haddad sont le prolongement du courant réformiste initié au XIXe siècle par Kheireddine Pacha, Ibn Abi Dhiaf, Mohamed Snoussi et d'autres penseurs qui ont tous défendu l'idée de modernisme[4]. Ses propositions en faveur de la condition féminine et de la réforme sociale en Tunisie se démarquent de la simple manière de reproduire le modèle européen et puisent ce qui s'accorde avec la charia[4]. Dans son ouvrage majeur, Haddad prend position contre les préjudices liés au statut des femmes, qui sont selon lui injustement attribués à l'islam, et appelle à un retour de l'ijtihad[2]. Il est convaincu que la religion islamique peut s'adapter à tout lieu et tout temps. C'est pourquoi, selon lui, une réforme sociale radicale s'impose. Ses idées convergent avec celles du penseur égyptien Kacem Amin (1863-1908), auteur de La nouvelle femme.

  • Droits civils : Il montre que l'islam considérait à l'origine la femme comme l'égal de l'homme en termes de droits et de devoirs.
  • Propriété privée : La plupart des femmes rapportaient leurs biens à leurs maris ou à leurs pères. Haddad rejette cette tradition et appelle les femmes à revendiquer leur droit à un contrôle complet sur leurs biens.
  • Justice : Les femmes n'avaient pas le droit d'occuper des postes au sein du système judiciaire et d'être simple témoin. Il explique que rien dans l'islam n'empêche les femmes d'obtenir ces droits.
  • Éducation : Il indique qu'il est totalement absurde d'offrir aux seuls hommes le droit de représenter la « moitié de l'humanité ». Les femmes devraient avoir le droit de terminer leurs études et de participer pleinement à la vie active.
  • Mariage :
    • Consentement : Il appelle à libérer la femme de la tradition du mariage arrangé voire forcé. Il met aussi en lumière le fait qu'il n'existera jamais une famille heureuse si les parents continuent d'arranger les mariages de leurs filles contre leur volonté.
    • Confinement : Il condamne le système de punition morale connu sous le nom de Dar Jwad (appelé Beita Ettaa dans les pays du Machrek) : une mari mécontent de son épouse pouvait la répudier ou l'envoyer dans une maison, la Dar Jwad, pour la soumettre à de sévères punitions jusqu'à ce qu'elle s'excuse et soit prête à reprendre la vie conjugale.
    • Divorce : Au nom de l'islam, il dénonce les abus contre les femmes car un mari pouvait répudier son épouse sans motifs ou explications, quittant souvent celle-ci et ses enfants pour une autre femme. Il suggère donc que les désaccords soient portés devant une cour de justice habilitée à dissoudre le lien marital.
  • Polygamie : Il explique la référence coranique en faveur de la polygamie et appelle à son abolition en la considérant comme une pratique pré-islamique.
  • Héritage : Il critique le système inégalitaire de l'héritage qu'il juge discriminatoire : une femme ne reçoit en effet que la moitié de ce que reçoit l'homme.

[modifier] Écrits

  • Notre femme dans la charia et la société publié en 1930 (réédité en 1972 par la Maison tunisienne de l'édition)
  • Pensées
  • Recueil de poèmes
  • Les travailleurs tunisiens et l'apparition du mouvement syndical publié en 1927 (réédité en 1966 par la Maison tunisienne de l'édition)
  • L'éduction islamique et le mouvement de réforme à la Zitouna

[modifier] Notes et références

  1. Ahmed Khaled, La postérité du traité moderniste de Tahar Haddad, Tunis, 2002
  2. abcdef (en) Portrait de Tahar Haddad (Tunisian Community Center)
  3. Certaines sources situent à tort sa naissance à El Hamma (gouvernorat de Gabès) d'où était originaire sa famille.
  4. abcdef (fr) Samir Sobh, « Tahar Haddad, le féministe », La Gazette du Maroc, 14 août 2006
  5. (fr) Noureddine Sraïeb, « Islam, réformisme et condition féminine en Tunisie : Tahar Haddad (1898-1935) », CLIO HFS, n°9/1999, 21 mars 2003
  6. Ezzedine Bel Haj, Ajjins al-Latîf, éd. Charikat Mitbât Al-Ittihâd, Tunis, 1936 cité par Mohamed Anouar Bousnina dans sa préface de Ahmed Eddari, Défense de Haddad ou réfutation des livres de refoulés, p. 13
  7. Ahmed Eddari, Défense de Haddad ou réfutation des livres de refoulés, p. 14
  8. Décédée le 17 novembre 2003, Radhia Ben Ammar épouse à 18 ans le cousin maternel de Tahar Haddad.

[modifier] Bibliographie

  • Ahmed Khaled, La postérité du traité moderniste de Tahar Haddad, Tunis, 2002 (ISBN 9973412206)

[modifier] Lien externe

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