Rite de passage

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Initiation rituelle au Malawi.
Initiation rituelle au Malawi.

Un rite de passage (ou rite initiatique) est un rituel marquant le changement de statut social ou sexuel d'un individu, le plus généralement la puberté mais aussi pour d'autres évènements comme la naissance ou la ménopause. Le rituel se matérialise le plus souvent par une cérémonie ou des épreuves diverses.

Les rites de passage permettent de lier l'individu au groupe, mais aussi de structurer la vie de l'individu en étapes précises qui permettent une perception apaisante de l'individu par rapport à sa temporalité et à sa mortalité.

Ce phénomène a donc un enjeu important pour l'individu, pour la relation entre l'individu et le groupe, et pour la cohésion du groupe dans son ensemble.

Sommaire

[modifier] Etude

Le premier à étudier le phénomène est l'ethnologue-folkloriste Arnold van Gennep (Les Rites de Passage, 1909). D'autres théories furent développées dans les années 1960 par Mary Douglas et Victor Turner.

Selon Arnold van Gennep, le rite de passage se déroule le plus souvent en trois étapes :

  • la séparation (l'individu est isolé du groupe),
  • la marge ou liminalité (moment où s'effectue l'efficacité du rituel, à l'écart du groupe),
  • l'agrégation (retour dans le groupe).

Turner mettra pour sa part l'accent sur le fonctionnalisme des rites de passage en matière de cohésion sociale. En transformant les statuts sociaux de façon prédéfinie, les rites de passages permettent d'éviter les conflits (d'influence).

Les auteurs Geoffrey Miller, Ian Steward et Jack Cohen, indiquent aussi que les rites initiatiques servent également à détecter ceux qui ne sont pas suffisamment soumis au groupe pour les subir. Ces derniers sont alors conduits à chercher la protection d'un autre groupe (qui ne les pratique pas, ou sous une forme moins contraignante), épurant ainsi le groupe initial de ses éléments jugés peu sûrs. La circoncision est considérée par eux comme une forme socialement très importante de rite, car elle teste et met en exergue la soumission des parents plus encore que celle des enfants.

  • Arnold van Gennep, " Les rites de passage. Étude systématique des rites", A. J. Picard, Paris 1981.

Le mathématicien et le latiniste sont déjà familiers, dans leurs formations intellectuelles, avec le lieu d'où l'on vient (unde), le lieu où l'on va (quo), le lieu où l'on est (ubi ) et le lieu où l'on passe (qua ) qu'implique la notion de passage, de transition ou de transformation, selon la référence considérée dans l'espace, le temps (préliminaire, liminaire et postliminaire), l'état ou la forme. Alors, le passage est l'interface et le paradoxe de la superposition partielle dans l'intersection de deux univers habituellement disjoints de l'agrégation et de la séparation à la fois et de la coexistence indissoluble du départ et de l'arrivée, de rupture et de contact à travers une ligne de démarcation réelle ou imaginaire, physique ou psychique. À partir du matériel ethnologique et historique, van Gennep se réfère surtout au lieu, la frontière et le seuil (limen, liminis en latin) pour distinguer en rites “préliminaire” (dans la séparation du monde ancien), “liminaire” (dans le passage lui-même) et “postliminaire” (dans l'agrégation au nouveau monde) du franchissement.

Au passage matériel est superposée une transition sociale et psychique marquée par des rites, comme le seuil l’est à la frontière.

Bien plus que d'ordre pratique, le cérémonial du contrôle policier et douanier est d'ordre symbolique du passage des frontières territoriales toujours perméables aux clandestins de toutes sortes. Le rituel est une séquence d'actions entièrement prédictibles qui se déroule suivant un ordonnancement conventionnel et symbolique d'une métareprésentation ou représentation diplomatique des représentations théâtrales. La relation entre l'Anthropologie et la Sociologie de la ritualité pourrait être équivalente à celle entre "macro" et "micro", c'est-à-dire l'étude d'un grand éventail de groupements humains à une même époque ou d'un seul groupement à différentes époques de son histoire, ou encore celle où l'Anthropologie est au carrefour des sciences (logos) de l'Homme (anthropos), comme l'a demandé Marcel Mauss a travers les collaborations souhaitées. Alors, la ritualité en sociologie se déploie en une multitude de manifestations que les champs disciplinaires découpent en parcelles qui parfois se superposent, comme il est difficile de tracer une frontière nette entre la psychologie et la sociologie du "politikon zoon" ou animal social.

[modifier] Les multiples manifestations des rites de passage

[modifier] Pierre Bourdieu et les rites comme actes sociaux

Pierre Bourdieu, "Les rites comme actes d'institution", pp. 58-63, dans "Actes de la recherche en sciences sociales", no 43 de juin 1982 sur les "Rites et fétiches", Éditions de minuit, Paris 1982. En libre accès sur Persée

Déjà les rites du repas français sont les marques d'une distinction (Pierre Bourdieu, "La Distinction. Critique sociale du jugement", Éditions de minuit, Paris 1979. Passage de l'auteur de l'Éducation à la Culture) dont la République a effacé les marques de la naissance jusqu'au point où le premier gouvernement socialiste du premier septennat de François Mitterrand a été invité à dîner à Versailles par l'ancien gouvernement du Président Giscard d'Estaing défait aux élections du joli mois de mai 1981 pour, semble t-il, subir un examen de passage et obtenir un brevet de bonne conduite bourgeoise.

Il s'agit de la fonction sociale du rituel et de la signification sociale de la ligne, de la limite dont le rituel licite le passage et la transgression. Bourdieu, alors, particularise les rites de passage en rites de consécration, rites de légitimation ou généralisés simplement en rites d'institution. Pour Bourdieu, parler de rite d'institution, c'est indiquer que tout rite tend à consacrer ou à légitimer, c'est-à-dire à faire méconnaître en tant qu'arbitraire et reconnaître en tant que légitime, naturelle, une limite arbitraire. En marquant solennellement le passage d'une ligne qui instaure une division fondamentale de l'ordre social, le rite attire l'attention de l'observateur vers le passage, alors que l'important est la ligne.

Le rite consacre et légitime la différence dans la séparation ainsi que la similarité dans l'agrégation.

L’ordre social de Pierre Bourdieu est aux macrostructures ce que l'interaction sociale d'Erving Goffman est aux microstructures dans la mise en scène de la vie quotidienne pour La présentation de soi (1973), des Rites d'interaction (1974) aux Façons de parler (1987). Ces rites d'interaction marquent de leur sceau le niveau, le statut et le territoire sociaux des personnes qui les exhibent. L'investiture juridico-politique d'un député ou d'un chef d'État ainsi que la diplômation académique d'un élève ou d'un étudiant appartiennent autant à la magie que les amulettes. Les sciences sociales devraient prendre en compte le fait de l'efficacité symbolique des rites d'institution ainsi que le pouvoir qui leur appartient d'agir sur le réel en agissant sur la représentation du réel.

Les titres de noblesse et les titres scolaires multiplient durablement la valeur de leur porteur en multipliant l'intensité et l'étendue de la croyance en leur valeur. Dans la lignée des rites et fétiches, la traversée du champ social au champ psychologique peut s'effectuer du numéro thématique de la revue des recherches sociologiques de Pierre Bourdieu à la revue "Dialogue" des recherches cliniques et sociologiques sur le couple et la famille dont le numéro thématique 127 du 1er trimestre de 1995 est consacré aux "Rites et marques de passage".

Les lieux et les temps de passage ne sont pas toujours marqués par des indices précis, ni encore moins par des rituels pour "marquer le coup" et transformer le banal en l'exceptionnel et réciproquement. Avec le développement biologique, professionnel, psychologique et social, différents auteurs y traitent de différents passages. Le plus intéressant est peut-être le rite qui ne dit pas son nom par ignorance ou par déguisement. Il s'agirait alors et à la fois des habitudes déplacées au rang de rites dans sa signification la plus superficielle d'actes réflexes, en contraste aux conduites réfléchies des rites qui se déguisent pour s'échapper aux étiquettes d'obscurantisme, au mieux, ou de "kitsch", au pire, caractérisé par l'ostentation et le mauvais goût.

[modifier] Les rites anonymes de Jean Lemaire

Jeunes garçons turcs le jour de leur circoncision.
Jeunes garçons turcs le jour de leur circoncision.

Jean Lemaire, "Des rites de passage qui ne disent pas toujours leur nom", pp. 3-7, dans "Dialogue", no. 127 "Rites et marques de passage", Paris, 1er trimestre, Paris, 1995.

Ils sont ceux qui ne disent pas toujours leur nom où le marquage introduit le paradoxe du visible-invisible dans l'oscillation cybernétique d'une Gestalt figure-fond. Ce marquage se caractérise par:

  • l'analité dans la maîtrise assurée et le contrôle étroit des pulsions, scatalogie souvent retrouvée dans les rites de bizutage ou d'initiation;
  • la créativité pour remplacer des manifestations tombées en obsolescence ou en disgrâce;
  • la dimension festive;
  • l'accord du groupe;
  • un sens nouveau dans des formes anciennes;
  • un glissement insidieux de l'habitude au rite;
  • la répétition immuable et la théâtralisation des comportements à motifs utilitaristes, concrets et pratiques au départ.

Dans ces rites qui ne disent pas toujours leur nom, il y a des rites profanes et des pseudo-rites. Les rites profanes se fondent sur des croyances autres que celles des religions reconnues et instituées, tandis que les pseudo-rites de l'habitude sont des formes vides comme des coquillages ramassées sur la plage. Si la notion de rite est diluée et devenue un magma conceptuel, une matière métaphorique incessamment mobile et d'une application très générale, il s'agirait maintenant de la circonscrire et de l'inscrire dans son entourage anthropologique, éthologique, historique, psychologique et social. Qu'il soit profane, religieux ou social, tout rite marque un passage dans l'esprit et les faits.

[modifier] La notion de rite de passage de Pierre Erny

En route pour le boukout (Baïla, Casamance)
En route pour le boukout (Baïla, Casamance)

Pierre Erny, "La notion de rite de passage", dans " Rites de passage: d'ailleurs, ici, pour ailleurs, pp. 21-29, (coll. Pratiques sociales transversales), Éres, Paris, 1994.

Dans le recueil de textes portant le titre “Rites de passage: d'ailleurs, ici, pour ailleurs” composé de trois parties: "l'ethnologie des rites de passage", "les passions du quotidien et les ritualités ordinaires" et "les témoignages et pratiques sociales". Le texte présenté est dans la première partie de l'ethnologie des rites de passage. Historiquement, le rite est d'origine religieuse et désigne l'ensemble des cérémonies du culte, à l'exemple du "rite romain" et du "rite byzantin" pour les catholicismes d'Occident et d'Orient.

Ensuite, le rite se singularise vers des actes religieux particuliers, des lithurgies particulières pour passer au cérémonial d'une société secrète ou d'un groupement, à l'exemple des bâtisseurs, compagnons et apprentis, lors de l'entrée et la sortie par la consécration. La sociologie s'est emparée du terme en lui conférant un sens plus large d'une conduite réglée ou ordonnancée à caractère sacré ou symbolique. L'éthologie des comportements communs aux membres d'une espèce a évacué le sacré au profit du symbolique et la dissolution commence en assimilant le rite à une manière de faire habituelle, répétitive, mécanique et stéréotypée. Un rite est caractérisé par:

  • un substrat corporel;
  • une conduite spécifique individuelle ou collective;
  • un code de règles et de situations où des improvisations mineures peuvent se faire dans ce cadre;
  • une reproduction ou représentation répétitive d'une autre conduite;
  • une signification et une valeur vécues et partagées par les acteurs, auteurs et spectateurs;
  • une efficacité hors du champ newtonien des forces et mouvements;
  • un effet psychique de l'ordre du placebo fondé sur la croyance.

À partir de la notion de rite, Pierre Erny arrive aux rites de passage à travers les catégories de van Gennep fondées sur le lieu du seuil ou "limen" articulées en préliminaires, liminaires et postliminaires. Ce passage tourne principalement autour de la dialogique, dualité, dialogue ou dialectique mort-vie, disparition-apparition. "Aufhebung" est l'expression hégélienne amphibie qui rend mieux compte du seuil, de la ligne, de la frontière ou limite en signifiant à la fois apparition, disparition et conservation avec le premier sens d'émergence.

La troisième composante de conservation est spécifique à la tribu des Souabes dont est issu Hegel. Freud, dans l'article de 1905 sur la "Négation" (Neinung) l'a utilisé à propos du déni (Verneinung) qui, à la fois, supprime et conserve la répression (Verdrängung) tout en la désignant. La complexité des rites de passage est peut-être dans le paradoxe de la collusion, de la confusion (fondre ensemble l'un dans l'autre) ou de la superposition des univers visible-invisible, montrer-cacher, vie-mort et apparition-disparition. Rites sacrés ou profanes, pseudorites et rites névrotiques, ils ont en commun l'angoisse endiguée et canalisée chez les individus et les sociétés par l'exécution minutieuse de la représentation cérémonielle qui permet de vivre avec elle.

Dans “Citadelle”, Antoine de Saint-Exupéry a écrit que les rites sont dans le temps ce que la demeure est dans l'espace, c'est-à-dire un refuge et un repère pour se situer et s'identifier.

Ces rites de passage de Pierre Erny se particularisent en rites profanes chez Claude Rivière avec tout "événement" familial et public, national et international ou simplement une réunion festive pour célébrer et marquer quelque chose.

[modifier] Les rites profanes de Claude Rivière

Claude Rivière, “Les rites profanes”, PUF, Paris, 1995.

Dans ces rites, la part symbolique est moindre que la part ludique et ils sont ceux des manifestations festives associatives, familiales, nationales ou internationales, comme les jeux olympiques et les expositions universelles qui succèdent aux anciennes foires. Ces manifestations festives marquent un événement ou le passage des saisons et se fondent sur le calendrier d'où le sacré est évacué au profit du symbolique devenu un prétexte pour la rencontre par le jeu.

Ces rites profanes, en regard de la pratique médicale, peuvent exhiber une violence cérémonielle des rites initiatiques étudiés par Anne Dutruge en qualité de médecin de campagne et ethnologue de la population rurale en Haute-Savoie.

[modifier] Les rites initiatiques et la pratique médicale

Anne Dutruge, "Rites initiatique et pratique médicale dans la société française contemporaine", L'Harmattan, Paris 1994,

Ils sont dans la société française contemporaine et ils sont révélés par le docteur Anne Dutruge, médecin de campagne en Haute-Savoie et docteur en ethnologie. La population et les coutumes rurales des Alpes françaises sont aussi les objets des soins attentifs de Anne Dutruge, curieuse, aux écoutes de ses patients. Pour elle, le corps et l'esprit sont immergés dans un contexte social, un environnement physique et un milieu de vie dans lequel l'histoire collective et la mémoire individuelle se confondent en se fondant l'une dans l'autre.

Les pratiques médicales et les gestes et comportements médicaux dans l'interaction soignant-patient sont de véritables rites initiatiques, surtout concernant le sexe de l'individu dans la circoncision médicale, l'Interruption Volontaire de Grossesse (IVG) et l'épisiotomie. La fonction initiatique de ces trois pratiques contemporaines dans la société française moderne est largement éclairée à la lumière des rites dans de nombreuses sociétés dites traditionnelles. Le protocole du diagnostic, du pronostic et de la thérapeutique constitue déjà une ritualité par le caractère répétitif, immuable et d'ordonnancement.

  • La circoncision médicale est un raccourcissement préputial par la pratique chirurgicale laissant le gland partiellement ou totalement à découvert dont la seule prophylaxie est le phimosis ou rétrécissement préputial qui empêche la découverte du gland et provoque des surinfections par accumulation de sécrétions évitable avec un simple décalottage forcé. La pauvreté prophylactique et la surabondance des représentations aussi bien médicales que populaires conduisent la pensée vers le sens du marquage, de l'inscription corporelle par un rite initiatique universel à travers les temps et les continents, sous une forme ou une autre, pour des raisons et d'autres. La violence de l'inscription suggère le caractère rituel initiatique de la reconnaissance sociale et de l'acceptation légale du nouveau statut d'une personne sexuée et capable d'activités sexuelles.
  • L'Interruption volontaire de grossesse (IVG) est socialement et légalement reconnue comme avortement provoqué par des moyens médicaux en milieu hospitalier ou clinique dans les limites de la disponibilité technique en regard du degré de grossesse. Au geste médical sûr et simple se greffent autour des conduites bien plus du ressort de la ritualité du marquage initiatique ou narcissique ou encore de la prise du pouvoir sur le partenaire. Le marquage initiatique, chez les jeunes femmes, de la fécondité et de la féminité est dans l'importance de l'inscription sur le corps, la violence et l'ambigüité du geste qui cache autant qu'il révèle, la procédure légale de préparation et le caractère institutionnel. Le marquage narcissique est dans l'affirmation-négation d'une identité et d'une féminité en tant que mère. La prise de pouvoir sur le partenaire est l'affirmation de sa maîtrise dans au moins un domaine, celui de la procréation.
  • L'épisiotomie est une incision périnéale, généralement chez une primipare, c'est-à-dire à la première grossesse, pour faciliter l'expulsion et prévenir des séquelles postparturientes dont l'efficacité et la systématisation font poser des questions sur la valeur médicale vis-à-vis la valeur culturelle où, comme dans les sociétés traditionnelles, l'initiation passe par le sexe de l'individu. Comme tout acte préventif et violent, l'épisiotomie renvoie à une conduite impulsive inscrite dans l'ordre du rituel initiatique sur le corps de la femme lors de son premier accouchement. Se rapportant à la sexualité de ces rites initiatiques, la ritualité profane pourrait, avec utilité et fécondité, s’enrichir de la perspective psychanalytique qui éclairerait l’interface entre le sujet, l’appareil psychique groupal et le groupe social.

[modifier] La ritualité profane : une perspective psychanalytique de Bernard Duez

Bernard Duez, "La ritualité profane: une perspective psychanalytique", pp. 73-100 dans “Cahiers internationaux de sociologie”, vol. XCII de janvier-juin, PUF, Paris 1992.

La différence entre les ritualités sacrée et profane est dans l'articulation plus-ou-moins implicite ou explicite avec le mythe sacré à travers le symbolique. À l'exposé de rituels privés et sociaux, rituels pathologiques et rituels d'intégration symbolique de l'enfant dans le groupe familial, rituels judiciaires et autres, Bernard Duez montre comment le rituel constitue une interface entre le sujet, l'appareil psychique groupal et le groupe social.

Le rite profane exprime une opposition entre un ordre institué (de la prescription et de l'assignation) et le travail de la pulsion anarchique qui a pour fonction de réinstituer un désordre suffisant pour que le groupe ne se sclérose pas dans un processus d'échange de type endogamique qui le conduirait à sa disparition. Ce travail du désordre est générateur d'un ordre nouveau. Cette "pulsion anarchique" permet pour le ou les sujets de représenter et se représenter dans le groupe la négativité radicale, celle qui ne se représente dans l'espace psychique que par défaut, absence, néant ou non-être, irreprésentable, innommable, non-lieu ou simplement refoulement. Ces expériences correspondent pour le sujet à des actualisations, des représentations d'expériences de détresse souvent très précoces. La répétition rituelle de ces vécus semble devoir être comprise dans un équivalent traumatique.

Ce qui fait traumatisme pour le sujet est une expérience à laquelle il ne peut assigner une place dans sa psyché, la situation traumatique entraînant une effraction du cadre psychique par la poussée pulsionnelle. Lorsqu'un événement fait effet de traumatisme, il se distingue par son éternelle présence, son aptitude à s'actualiser de façon inopinée à tout moment de la vie du sujet ou par sa forclusion radicale qui l'exclut de toute représentation et le condamne à se répéter à l'infini dans le réel. La répétition rituelle est une tentative de se contrôler, de l'intégrer dans la vie psychique. Cette présence de la négativité dans le rite profane incite, en marge des rituels pathologiques, à privilégier l'exposé de ce qui est le rite originaire, là où peuvent le mieux se ressaisir ces dimensions archaïques et leur organisation.

Pour le groupe social institué, le traumatisme est le surgissement de cette négativité interne provenant d'un ou des sujets. Pour le sujet individuel, le traumatisme est l'excès de tension interne liée à la pulsion comme expression psychique du somatique. Pour l'un comme pour l'autre, l'effet traumatique semble être lié à l'impossible représentation d'un fait dans un système symbolique donné. Les rites pathologiques se déploient dans les champs de la névrose, la psychose, la perversion et l'antisocialité.

[modifier] Le phénomène rituel de Victor W. Turner

Victor W. Turner "Le phénomène rituel. Structure et contre-structure" , PUF Paris, 1990. Traduction française de "The Ritual Process. Structure and Anti-Structure ", 1969

Ce serait une “ritographie”, s'il y a d'éventuelles “ritologie” et “ritonomie”. En effet, c'est un descriptif de 206 pages dont les deux premiers chapitres sont d'ordre méthodologique des techniques de travail sur le terrain folklorique et exotique des mœurs africaines concernant la fertilité. Concernant les rites de passage, le plus intéressant commence au chapitre 3 avec la “liminarité” et la “communitas” de la stratification sociale et des marques de statut.

Cette partie des rites séculiers du folkloriste américain a probablement inspiré Erving Goffman puisqu'il a participé au colloque organisé en 1974 à Burg Wartenstein. L'exposé se fonde sur les catégories de van Gennep avec la séparation des rites préliminaires, la marge liminaire du rivage quitté sans avoir encore abordé le rivage de destination, et les rites postliminaires de l'accueil et de l'agrégation au nouveau rivage.

Le titre anglais originel de processus rituel, structure et contre-structure est beaucoup plus clair et explicite. La structure est de l'ordre sociétal d'un agencement géométrique et cristallin de haut en bas. La contre-structure se rapporte à la sociabilité tentaculaire, rampante et arborescente ou une certaine façon de se disputer et puis de se reconcilier, pour se lier les uns aux autres de proche en proche sur le terrain, dans un agencement en réseau de bas en haut. Le processus concerne plus la syntaxique (relation signe-signe) et la sémantique (relation signifiant-signifié) qui sont deux des trois voies des théories de la communication avec la pragmatique des relations entre les signes et leurs effets dans les applications psychothérapeutiques pour prévenir et atténuer les détresses et les séquelles lors des passages de vie et pour réparer les traumatismes psychiques au cours des événements de vie.

[modifier] Rites de passage et identité

La transition la plus étudiée est indubitablement l'adolescence qui correspond aux passages biologique et social de l'enfant à l'adulte à travers l'état-limite ou l'entre-deux de la responsabilité-irresponsabilité pénale, la capacité-incapacité reproductive et l'autonomie-hétéronomie sur les plans biologique, juridique, psychologique et social.

De la naissance à la mort, le déroulement d'une vie est la somme et la chronique d'une multitude de passages où chaque passage est la rupture d'une identité quelconque comme la naissance d'un enfant est la rupture d'une épouse qui devient mère, d'une "fille de..." qui devient "mère de..." et d'une "mère de..." qui devient une "grand-mère de.." pour le genre féminin comme pour le genre masculin. Un autre exemple illustratif de passage dans l'enfance est la rupture entre le privatif de la famille et le public des premiers jours à la garderie.

Le passage de l'école primaire à l'école secondaire correspond à la préadolescence où le sujet passe, à travers les vacances scolaires estivales, du groupe des "grands" à l'école primaire au groupe des "petits" à l'école secondaire. Chaque passage représente le paradoxe de l'entre-deux de l'interpénétration, de la superposition, de l'alternation et de l'altercation des univers dissemblables.

Ce passage est aussi à la fois l'abandon de l'ancienne identité qui de "figure" devient "fond", dans une Gestalt ou "totalité figure-fond" et l'acquisition d'une nouvelle identité qui prend la place de "figure". Le rite de passage est une cérémonie de reconnaissance et d'approbation publiques de l'abandon de l'ancienne identité et de l'acquisition de la nouvelle identité.

C'est un accompagnement d'apprentissage dans l'abandon de l'ancienne identité et l'acquisition de la nouvelle identité.

Le rite de passage est aussi ce guide de voyage et d'apprentissage et un accompagnement d'un compagnonnage de route dans l'abandon de l'ancienne identité et l'acquisition de la nouvelle identité, une main tendue des proches et lointains pour traverser les eaux troubles de la vie.

  • "[...] Aucun apprentissage n'évite le voyage. Sous la conduite d'un guide, l'éducation pousse à l'extérieur. Pars: sors. Sors du ventre de ta mère, du berceau, de l'ombre portée par la maison du père et des paysages juvéniles. Au vent, à la pluie: dehors manquent les abris. Tes idées initiales ne répètent que des mots anciens. Jeune: vieux perroquet. Le voyage des enfants, voilà le sens nu du grec pédagogie. Apprendre lance l'errance". (Michel Serres, "Le Tiers-Instruit", p. 28, François Bourin, Paris, 1991).

[modifier] Exemples de rites

La scarification fait partie des rites de passage dans certaines tribus de Papouasie-Nouvelle-Guinée.
La scarification fait partie des rites de passage dans certaines tribus de Papouasie-Nouvelle-Guinée.
  • Dans beaucoup de sociétés traditionnelles la circoncision, qui s'effectue à la puberté ou juste avant, marque le passage du statut de garçon à celui d'homme (comme dans la société musulmane). Dans certaines sociétés où la vie communautaire est la règle, le jeune déménage par la même occasion du quartier des femmes dans lequel il vivait depuis sa naissance vers le quartier des hommes.
  • Chez les chrétiens les principaux rites sont le baptême, la communion et le mariage.
  • Chez les juifs, pour les garçons c'est la Brith milah (circoncision) puis la Bar Mitsva à l'âge de la puberté, pour les filles le Zeved habat, la Bat Mitsva puis le mariage.
  • Chez les amish il y a un rite de transition appelé Rumspringa par lequel le jeune amish est amené à quitter sa communauté pendant quelques mois et à aller vivre de façon moderne. A l'issu de cette période, le jeune doit choisir entre rester dans le monde moderne ou revenir vivre dans sa communauté (seul un léger pourcentage décide de ne pas revenir parmi les siens)
  • Chez les hindous la première cérémonie est l'Upanayanam (ou cérémonie du cordon) par laquelle l'enfant de 7 à 8 ans est investi par le cordon brahmanique qu'il doit porter et par laquelle il est initié au mantra.
  • Au Japon il y a le Genpuku pour les adolescents de 12 à 16 ans et le Seijin shiki, cérémonie qui a lieu à 20 ans.
  • Chez les amérindiens le rite était la Quête de vision, généralement précédée d'un jeûne et par l'absorption d'enthéogènes.
  • Dans certaines sociétés primitives, l'adolescent doit accomplir certaines épreuves telles que courir nu a travers un troupeau, participer à des combats de groupe ou sauter de la cime d'un arbre. Dans d'autres sociétés traditionnelles, le rite est effectué par un marquage corporel, des tatouages ou des scarifications.

Dans le monde occidental il existe un grand nombre de rites plus ou moins solennels et codifiés comme les remises de diplômes, le service militaire, le bizutage, la totémisation scoute... La différence entre ces rites et les rites de passage se situe dans la systématicité du rite dans la société donnée. De manière générale, on observe une diminution des rites de passage solennels (de type religieux notamment) et l'apparition de ces rites moins codifiés en remplacement.
Les comportements ordaliques peuvent aussi être considérés comme des rites de passage de remplacement.

[modifier] Voir aussi

Le thème du prochain numéro de la revue XYZ est "rites de passage".

[modifier] Liens internes

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[modifier] Bibliographie

  • Pierre Bourdieu, «Les rites comme actes d'institution», pp. 58-63, dans Actes de la recherche en sciences sociales, nº 43 de juin 1982.
  • Arnold van Gennep, Les Rites de passage, 1909
  • Victor W. Turner, Le phénomène rituel
  • Michèle Fellous, À la recherche de nouveaux rites : rites de passage et modernité avancée, éditions L'Harmattan, février 2001 (Collection "Logiques sociales")

[modifier] Liens externes