Lyrisme

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Apollon avec une lyre.
Apollon avec une lyre.

Le lyrisme, du grec λυρα : lyre, désigne, dans toutes les œuvres littéraires, l’enthousiasme, l’inspiration, l’élan des sentiments personnels, qui sont les éléments spéciaux de la poésie lyrique. La lyre étant l’instrument de musique par excellence (celui d’Apollon, puis d’Orphée), lyrisme désigne tout aussi bien, en musique, l’art du chant (vocal, mais également instrumental).

[modifier] Littérature

En littérature, le lyrisme peut se retrouver partout, à la chaire ou à la tribune, dans la prose comme dans la poésie ; il se manifeste par des mouvements de style qui, bien amenés et bien soutenus, donnent à l’éloquence son expression la plus haute et la plus belle, mais qui, employés hors de propos et sans chaleur véritable, font l’effet de ridicules déclamations. Ces élans lyriques ont leur place même dans la poésie narrative, lorsque celui qui parle est assez ému des faits qu’il raconte pour laisser éclater l’impétuosité de ses sentiments.

Le lyrisme se trouve, dans une mesure modérée, dans les grandes scènes dramatiques. Corneille ne l’a pas seulement introduit épisodiquement, sous des rythmes particuliers, comme dans les stances du Cid ou de Polyeucte, il le laisse souvent éclater jusque dans le dialogue. On peut citer le passage du Cid où Rodrigue exprime l’ardeur guerrière que lui inspire l’aveu de l’amour de Chimène :

Est-il quelque ennemi qu’à présent je ne dompte ?
Paraissez Navarrois, Maures et Castillans,
Et tout ce que l’Espagne a nourri de vaillants ;
Unissez-vous ensemble et faites une armée ;
Pour combattre une main de la sorte animée, etc.

Un élan lyrique plus touchant, dans la plus dramatique des situations, est celui du vieil Horace comparant la mort de deux de ses enfants à la fuite honteuse imputée au troisième :

Tout beau ne les pleurez pas tous.
Deux jouissent d’un sort dont leur père est jaloux.
Que des plus nobles fleurs leurs tombes soient couvertes !
La gloire de leur mort m’a payé de leur perte, etc.

Dans le même auteur et dans le même chef-d’œuvre, les imprécations de Camille sont un exemple du plus vif accès lyrique que puisse admettre la scène.

Racine n’a pas manié avec moins de bonheur l’élément lyrique au théâtre. Il lui a trouvé dans Athalie l’emploi le plus naturel qui puisse en être fait, non les chœurs, accessoire lyrique que comportent tant de sujets, mais de la prédiction de Joad, qui donne en spectacle l’inspiration lyrique dans sa réalité même, avec ses rythmes libres et variés et les accords de la musique pour la soutenir. Racine ne s’est pas fait faute de se livrer à la veine lyrique dans des sujets dramatiques qui lui semblaient moins favorables. Phèdre, en particulier, offre d’admirables explosions de sentiments personnels, qui semblent suspendre l’action dramatique pour nous faire pénétrer jusqu’au fond de l’âme de celle qui en est l’héroïne ou plutôt la victime. La grande scène de la confidence à Ænone est tout en mouvements lyriques :

Phèdre et Hippolyte, sujet ayant inspiré le lyrisme de Racine
Phèdre et Hippolyte, sujet ayant inspiré le lyrisme de Racine
Que ces vains ornements, que ces voiles me pèsent !.,,
Dieux ! que ne suis-je assise à l’ombre des forets !...
Ariane, ma sœur, de quel amour !

Le lyrisme n’est pas moins soutenu dans le grand monologue où elle exprime l’horreur de sa faute :

Où me cacher ? Fuyons dans la nuit infernale...

Il a des retours d’une intimité toute personnelle dans ces vers :

Hélas ! du crime affreux dont la honte me suit
Jamais mon triste cœur n’a recueilli le fruit.

Il n’y a que les maîtres pour employer le lyrisme à propos dans les œuvres dramatiques, et surtout pour le contenir dans une juste mesure. Tristan L'Hermite offre, avec sa Panthée, un exemple où la tentative de faire reposer le ressort dramatique de la pièce sur le seul lyrisme voue celle-ci à l’échec. L’aptitude d’un auteur au lyrisme peut donc l’empêcher de réussir au théâtre. Les romantique ont prodigué, au théâtre, des développements lyriques qui ont souvent le désavantage de suspendre l’action pour faire briller le talent du poète, en substituant l’expression éclatante des sentiments qui lui sont propres au langage naturel du personnage en situation.

Dans la prose, le lyrisme est souvent un des caractères naturels de l’éloquence. L’orateur, plein de son sujet, s’abandonne aux mouvements impétueux de ses sentiments et oublie un instant son. auditoire pour s’adresser aux objets de sa pensée, personnifiés devant lui. Nul ne s’est laissé aller comme Bossuet à ces entraînements lyriques. On en a remarqué quelques-uns dans ses oraisons funèbres, où il fait sans doute d’éloquents retours sur lui-même, mais où les conventions du genre gênent ou retiennent l’essor oratoire. Il faut chercher le Bossuet lyrique dans ses sermons, improvisations ou ébauches, dont l’éloquence prend à tout propos les mouvements de l’ode. Parle-t-il contre le luxe dont on fait parade jusque dans les églises, il s’écrie : « Peuple auguste, sacrés autels, et vous, hostie que l’on y immole, mystères adorables que l’on y célèbre, élevez-vous aujourd’hui contre moi si je ne dis pas la vérité ! On profane tous les jours votre sainteté en faisant triompher la pompe du monde jusque dans la maison de Dieu. » Parle-t-il de la passion du Christ, il a sous les yeux, comme dans une hallucination, les plaies et le sang, et les interpelle ainsi : « Ô plaies, que je vous adore ! flétrissures sacrées, que je vous baise ! Ô sang qui découlez, soit de la tête percée, soit des yeux meurtris, soit de tout le corps déchiré ; ô sang précieux, que je vous recueille ! Terre, terre, ne bois pas ce sang !... » On dirait un pieux délire.

Fénelon, dans ses sermons, ne tourne pas moins facilement au lyrisme ; ses discours sur les missionnaires qui parlent pour l’Orient sont des hymnes en l’honneur de la foi qui donne à l’Église, dans de nouvelles régions, des enfants innombrables. Mais si l’on veut trouver dans Fénelon un jet lyrique plus continu, il faut relire la dernière partie de l’Existence de Dieu, où, du sein même des argumentations les plus métaphysiques sur l’unité, la simplicité, l’éternité et l’immensité de l’Être divin, s’échappent des hymnes d’adoration et d’extase : « En vous voyant, ô simple et infinie Vérité, je deviens muet ; mais je deviens, si je l’ose dire, semblable à vous. Ma vue devient simple et indivisible comme vous... D’un seul regard, je vois l’Être et j’ai tout vu ; j’ai puisé dans la source, je vous ai presque vu face à face. C’est vous-même : car qui êtes-vous, sinon l’Être ? Moi, néant, moi, ombre de l’Être, je vois celui qui est !... Il m’étonne, et j’en suis ravi ; je succombe en le voyant, et c’est ma joie ; je bégaye, et c’est tant mieux de ce qu’il ne me reste plus aucune parole pour dire ni ce qu’il est, ni ce que je ne suis pas, ni ce qu’il fait en moi, ni ce que je conçois de lui ! » La philosophie mystique jette donc naturellement le transport des sentiments personnels dans la dialectique.

Jean-Jacques Rousseau a aussi volontiers recours aux mouvements lyriques en dépit de l’emploi trop brusque de la prosopopée, à laquelle ceux-ci empruntent d’ordinaire leurs effets, qui donne quelquefois aux passages les plus admirés un caractère factice et un tour déclamatoire. Mais n’est pas Rousseau qui veut et ses imitateurs ne lui ont pris d’ordinaire ses procédés que pour les déprécier. Plusieurs philosophes et écrivains de l’époque révolutionnaire, et la plupart des orateurs de la Convention, Robespierre en tête, ont abusé du style lyrique jusqu’à le rendre ridicule. Sous l’Empire, Germaine de Staël en a fait un emploi brillant et souvent heureux. Chateaubriand l’a naturellement admis dans ses pompeux poèmes en prose. Lamennais, surtout dans les Paroles d’un croyant, en a tiré plus d’une fois des effets puissants. George Sand, écrivant Lélia, Spiridion, etc., portait le dithyrambe dans le roman social ou philosophique, sous l’influence lointaine de Rousseau. Des historiens distingués comme Michelet ou des exégètes religieux, comme Ernest Renan, n’ont pas dédaigné d’y recourir.

Le style lyrique a fini par perdre une grande partie de sa faveur. À mesure que la raison l’a emporté sur enthousiasme, la prose a davantage recherché la simplicité qui n’excluait ni la force ni l’éclat.

[modifier] Musique

Lyrisme, en musique classique, s’applique d’abord à l’art vocal. « Art lyrique » est aujourd’hui synonyme d’art du chant et, en particulier, d’opéra. Par ailleurs, lyrisme s’applique aussi pour désigner une qualité spécifique de melos instrumental privilégiant le ton de la confidence, de la nostalgie, etc.

Une musique peut être avant tout lyrique (par exemple, celle d’un Wolfgang Amadeus Mozart ou d’un Franz Schubert et, au XXe siècle, d’un Karol Szymanowski ou d’un Georges Enesco), ou au contraire rythmique (par exemple, celle d’un Béla Bartók et, surtout, d’un Igor Stravinsky ou d’un Serge Prokofiev).

[modifier] Sources

wikt:

Voir « lyrisme » sur le Wiktionnaire.

  • Gustave Vapereau, Dictionnaire universel des littératures, Paris, Hachette, 1876, p. 1290-1