Judéo-araméen

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Le terme de judéo-araméen (hébreu: ארמית aramit, « araméen ») désigne un ensemble de langues et dialectes araméens parlés par les Juifs, et influencés en mesure variable par l'hébreu. L'araméen ayant été la lingua franca du Moyen orient à l'époque de l'empire babylonien, puis perse, elle devient la langue principale des Judéens (ainsi que des Samaritains), qu'ils se trouvent en terre d'Israël ou en Diaspora, reléguant l'hébreu à la liturgie juive (dans laquelle l'araméen fait également intrusion). La prééminence de l'araméen devient telle que les Targoumim, traductions araméennes des livres bibliques (souvent enrichies d'interprétations rabbiniques), font leur apparition, y compris lors des lectures publiques de la Torah.
C'est également en judéo-araméen que sont rédigés les Talmuds, chacun d'eux montrant des particularités linguistiques et grammaticales, l'araméen judéo-babylonien étant une forme d'araméen oriental, tandis que l'araméen galiléen du Talmud de Jérusalem (ainsi que celui qu'on parlait à l'époque de Jésus) est issu d'une variante occidentale. L'araméen acquiert de ce fait une dimension particulière dans la pratique et la pensée juive, ne cédant en importance qu'à l'hébreu. La rédaction du Zohar en araméen ne fait qu'accroître cette importance.

Cependant, dans sa dimension quotidienne, l'araméen recule à son tour, au fur et à mesure de l'éloignement des communautés juives des centres araméophones d'une part, et du déclin de l'empire perse d'autre part. En Europe, il cède la place aux langues judéo-romanes et judéo-germaniques. En Orient, il est remplacé par les langues judéo-arabes et judéo-persanes en Orient. Seules quelques communautés juives, originaires du Kurdistan pour la plupart, continuent à pratiquer des variantes juives de langues néo-araméennes ; elles sont collectivement appelées Targoum, et ceux qui les pratiquent les « Juifs targoumis. »
Ces langues, dont chacune n'est pratiquée à titre individuel que par un petit nombre d'âme, sont néanmoins en voie d'extinction ou éteintes pour la plupart : la nouvelle génération les a abandonnées au profit de la langue du pays de résidence actuel.

Sommaire

[modifier] Histoire

[modifier] Araméens et araméen dans la Bible

L'araméen forme avec l'hébreu, et peut-être l'assyrien, le groupe des langues sémitiques du nord. En dépit de cette parenté, il demeure pour les Hébreux une langue étrangère.

La première mention araméenne dans la Bible, se produit dans le récit de l'alliance de non-agression conclue entre Jacob et Laban ; chacun appelle dans sa langue le tas de pierre qu'ils ont érigé en témoignage de leur amitié : Jacob l'appelle Galeed, tandis que Laban l'appelle Yegar-Sahaduta[1]. Ce récit semble donc davantage insister sur les différences que sur les similitudes entre les deux langues. Toutefois, d'autres récits insistent sur les liens entre Araméens et Hébreux :

  • Les tables généalogiques de la Genèse mentionnent Aram parmi les fils de Shem ; il est le frère d'Arpakshad, ancêtre des Hébreux[2].
  • Selon un autre récit, Kemouel, l'un des fils de Nahor, le frère d'Abraham est appelé le « père d'Aram[3]. »
  • Selon une lecture de Deutéronome 26:5, Jacob lui-même serait appelé « un Araméen errant[4]. »

L'histoire primitive des Israélites semble donc liée aux Araméens de l'est.

Au cours de la période des Rois, Israël entretenait des relations tantôt amicales, tantôt hostiles, avec les Araméens de l'ouest, dont le pays, qui sera ultérieurement appelé Syrie, jouxte les frontières de la terre d'Israël au nord et au nord-est. L'araméen semble être connu dans les classes élevées, mais demeure étranger pour les gens du peuple. Ainsi, lorsque le messager du roi assyrien délivre un message insolent au nom de son maître en hébreu, en présence de gens du peuple qui se trouvent sur les remparts, les hauts dignitaires du roi Ezéchias le prient de parler dans le « langage syrien, » qu'eux seuls comprennent[5].
Cependant, les contacts prolongés entre ces deux civilisations voisines semblent avoir laissé des traces dans le langage israélite, comme les tournures araméennes présentes dans les livres bibliques plus tardifs. Certains critiques textuels de la Bible du XIXe siècle et du début du XXe siècle ont d'ailleurs travaillé à déterminer précisément la part d'influence de l'araméen dans un texte, afin de pouvoir déterminer la période de rédaction et son rédacteur[6].

[modifier] L'araméen déplace l'hébreu

L'araméen devient la langue vernaculaire du peuple d'Israël, lors de la destruction de son indépendance et de la déportation ou de l'exode d'une importante partie de sa population. Selon le lieu et les idées politico-religieuses, il remplace totalement l'hébreu ou s'hybride avec lui.

Les raisons immédiates de cette transition linguistique ne sont pas évidentes d'un point de vue historique, et l'Exil à Babylone, souvent cité, n'est en rien un facteur décisif : au cours de celui-ci, et après lui, les prophètes semblent s'être adressés au peuple en hébreu ; la seule phrase en araméen du Livre de Jérémie (10:11) est adressée aux Gentils. Cependant, un changement est bien à l'œuvre parmi les masses. Sous le règne des Achéménides, l'araméen devient la langue officielle des provinces entre l'Euphrate et la Méditerranée[7] ; il s'impose dans le quotidien et dans le foyer, et Néhémie exprime son mécontentement quant au fait que les enfants issus de mariages mixtes « ne peuvent plus parler dans la langue des Juifs[8]. »
La durée de ce processus d'araméisation n'est pas connu. Vers l'an 300 AEC, l'araméen fait sa première apparition dans la littérature juive : les Chroniques, relatant l'érection du second Temple de Jérusalem, utilisent non seulement l'édit araméen originel[9], mais la narration elle-même est écrite en araméen[10]. Le Livre de Daniel commence en hébreu, mais à l'occasion du discours des sages babyloniens au roi, il continue et se conclut en araméen[11]. L'utilisation de ces deux langues indique leur usage par les cercles dans lesquels et pour lesquels ces livres avaient été rédigés : en effet, ces deux langues étaient communément parlées au temps du second Temple, l'hébreu dans les académies et par les élites, l'araméen dans la rue et par le peuple[12].

Le judéo-araméen, s'il finit par s'étendre aux classes supérieures, ne remplace jamais complètement l'hébreu. Toutefois, si celui-ci est conservé dans les écoles et parmi les lettrés désireux de conserver la langue nationale, il est néanmoins exposé à l'influence de l'araméen. Il se développe alors une nouvelle forme d'hébreu, appelée hébreu mishnaïque (ou, en hébreu, lashon Hazal, la « langue de nos Sages de mémoire bénie »), et préservée dans la littérature tannaïtique, laquelle incarne les traditions des IIIème et IIème siècles avant l'ère commune.
Le judéo-araméen fait cependant une apparition dans cette littérature, sous la forme d'une sentence de Yosse ben Yoezer[13]. Il s'insinue puis s'impose dans divers documents officiels, comme les contrats de mariage, les billets de divorce, les messages de Jérusalem à destination des autres provinces, etc. Une liste des jours où le jeûne est proscrit, la Meguilat Ta'anit, éditée avant la destruction du Second Temple, est rédigée en judéo-araméen. Au Ie siècle EC, Flavius Josèphe considère le judéo-araméen si complètement identique à l'hébreu, qu'il cite des mots araméens comme étant hébreux[14], et décrit le langage des propositions de Titus aux Jérusalémites comme de l'hébreu, alors qu'il s'agissait vraisemblablement d'araméen[15]. C'est en judéo-araméen que Josèphe rédige la Guerre des Juifs, avant de la traduire en grec, afin de rendre le livre accessible aux Parthes, aux Babyloniens, aux Arabes, aux Juifs vivant au-delà de l'Euphrate, et aux habitants d'Adiabène. Que la diaspora juive de Babylone soit araméophone, est démontré par le fait que les formules de Hillel sont préférentiellement exprimées dans cette langue.

[modifier] Les Targoums, traductions araméennes de la Bible

Icône de détail Article détaillé : Targoum.

Le plus ancien monument littéraire de l'araméisation de la terre d'Israël aurait dû être les Targoumim, versions araméennes des Écritures, s'ils n'avait pas été remaniés ultérieurement.

En tant qu'institution du judaïsme, le Targoum remonte aux premiers siècles de l'ère du Second Temple. Bien que rien ne corrobore la tradition selon laquelle Ezra en aurait été l'inaugurateur, le besoin de suppléer la lecture publique de la Torah dans les synagogues par une traduction araméenne s'est sans doute fait sentir dès son époque, ou peu après. La Halakha tannaïte considère le Targoum comme une institution étroitement corrélée à la lecture publique de la Bible, et établie de longue date. C'est d'ailleurs en se basant sur le fait de ce besoin, qu'on déduit que tous les sermons et harangues basés sur les Écritures se disaient en judéo-araméen, et qu'on formule l'hypothèse que Jésus et ses disciples les plus proches prêchaient et enseignaient en araméen[16].

Lorsque le second Temple fut détruit, et que les derniers restes d'indépendance nationale disparurent, le peuple juif entra dans une nouvelle phase de son histoire, et devint presque complètement araméophone. La communauté juive d'Alexandrie parlait certes en grec, et ceux de la péninsule arabique en arabe ; dans différents pays, des poches demeurent où l'on parle en hébreu; cependant, la grande masse de la population juive dans les deux grands centres du judaïsme deux grands centres, la terre d'Israël et la Babylonie, parlait en judéo-araméen. Or, ce sont ces dernières communautés qui ont joué le rôle le plus significatif dans l'histoire juive, ayant permis à la tradition de survivre et se développer ; les Juifs hellénophones furent de plus en plus soumis à l'influence du christianisme, et les Juifs qui parlaient d'autres langues disparurent de la scène de l'histoire.

[modifier] La langue des Talmuds

Au cours de ces siècles où la langue nationale de la terre d'Israël est substituée par le judéo-araméen, la littérature de la Tradition est élaborée.

[modifier] Dialectes modernes

Des langues judéo-araméennes sont encore connues par la localité d'origine des locuteurs, situés pour la plupart au Kurdistan, avant leur retour en Israël. Ils portent une variété de noms, signifiant pour la plupart « notre langue » ou « [langue des] Juifs, » certains faisant référence à la région ou la localité d'origine (comme Barzani) ou se basant sur un trait grammatical distinctif (comme Galigalou, signifiant « mien-tien »).

Parmi ces langues et dialectes :

  • le Barzani — originellement parlé aux alentours de Bijil et Barzan, dans le Kurdistan irakien ;
  • le Hulaulá — originellement parlé dans la province iranienne du Kurdistan ;
  • le Lishana Deni — originellement parlé aux alentours de Zakho, dans le Kurdistan irakien.
  • le Lishan Didan — originellement parlé dans l'Azerbaïdjan iranien.
  • le Lishanid Noshan — originellement parlé aux alentours d'Arbil, dans le Kurdistan irakien.

[modifier] Notes et références

Cet article comprend du texte provenant de la Jewish Encyclopedia de 1901–1906 , article "ARAMAIC LANGUAGE AMONG THE JEWS" par W. Bacher & R. Gottheil, une publication tombée dans le domaine public.

  1. Genèse 31:47
  2. Genèse 10:23
  3. Genèse 22:21
  4. Il s'agit de la lecture faite par le Rashbam, que suit la Bible du Rabbinat. Ce n'est cependant pas celle de Rachi, que suit la traduction JPS de la Bible, ni celle d'Abraham ibn Ezra, qui juge cette lecture grammaticalement incorrecte. Pour eux, cette phrase se lit : un Araméen (Laban) a chassé mon père
  5. 2 Rois 18:26 et passage parallèle dans Isaïe 36:11
  6. Par exemple, König, « Einleitung in das Alte Test. » p. 149 ; Holzinger, « Einleitung in den Hexateuch, » passim ; D. Giesebrecht, « Zur Hexateuch-Kritik, » dans le Zeitschrift de Stade, i. 177 et suivantes, ainsi que xiii. 309 et xiv. 143 ; S. R. Driver, « Journal of Philology, » xi. 201-236
  7. Cf. Ezra 4:7
  8. Néhémie 13:24
  9. Cf. Ezra 4:8-22 ; 5:1-6 & 12 ; 7:12-26
  10. Ezra 4:23, 5:5, 6:13-18)
  11. Daniel 2:4, 7:28
  12. D'autres explications ont été proposées pour expliquer l'apparition de l'araméen dans les Livres de Daniel et d'Ezra. Paul Haupt suppose que Daniel a été originellement écrit en hébreu, mais que la perte de certaines portions aurait été palliée par une traduction araméenne — voir A. Kamphausen, « The Book of Daniel » ("S.B.O.T."), p. 16 ; J. Marquart, « Fundamente der Israel. und Jüd. Gesch. » p. 72.
  13. Mishna Edouyot 8:4
  14. Flavius Josèphe, Antiquités vol. 3. chap. 10, § 6
  15. id., B. J. vol. 6, chap. 2, § 1
  16. Cf. Dalman, « Die Worte Jesu »

[modifier] Voir aussi

[modifier] Bibliographie

Sokoloff, Michael,

  • A Dictionary of Jewish Babylonian Aramaic: Bar Ilan and Johns Hopkins 2002
  • A Dictionary of Judean Aramaic: Bar Ilan 2003
  • A Dictionary of Jewish Palestinian Aramaic of the Byzantine Period: Johns Hopkins 2002/3


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