Via Corsica

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L’histoire romaine de la Corse dure environ treize siècles, du IIIe siècle avant J.-C. jusqu’au milieu du Xe siècle de notre ère (cf l'histoire de la province de Corse-Sardaigne). Une telle romanisation, une telle occupation de l’espace sensible dans l’élaboration de la langue corse et dans la toponymie contemporaine, nécessite des déplacements, des échanges et donc sûrement la construction ou l’aménagement de voies de circulation, de voies de communication.

Cette étude se propose donc de présenter une recherche documentaire sur les voies romaines de Corse, sujet original qui s’inscrit dans un projet européen : les voies romaines de Méditerranée.

Pour ce qui concerne la Corse, la question est neuve, car les historiens de ce siècle semblent peu convaincus : Antoine Albitreccia écrit qu’ ”une incertitude règne au sujet des routes établies dans l’île“ par les Romains. Pierre Antonetti doute de la romanisation lorqu’il écrit  :“ enfin, une vraie romanisation, ce sont des routes, de vraies routes carrossables, faites pour défier les siècles. Or sous cet angle aussi, le bilan est maigre. ” Quant à Jean Jehasse, il affirme que “ rien n’indique encore, d’après des traces archéologiques certaines, une voie romaine ” dans l’île.

Mais cette incertitude est plutôt fille de l’absence de politique systématique d’exploration des réalités romaines, que de l’histoire de l’île. En effet, la lecture des textes anciens, les recherches dans la documentation historique et archéologique permettent de rassembler un certain nombre d’éléments, riches et concrets, qui assurent de la validité de l’existence de tels axes dans la Corse ancienne, axes qu’une étude attentive et sans a priori fait redécouvrir, dans le paysage d’aujourd’hui.

Sommaire

[modifier] Première partie - Enquête sur les sources historiques

Le texte de l’Itinéraire d'Antonin est le seul texte antique concernant la Corse à évoquer une route reliant différents points de l’île, situés tous le long ou dans la région de la côte orientale de l’île. Attribué souvent au IIe siècle, sa rédaction apparaît plus tardive, comme l’a démontré Raymond Chevallier . Le problème le plus délicat reste l’interprétation du document. Pour certains auteurs, la source du texte serait la Carte d’Agrippa, réalisée sous le règne d’Auguste, pour d’autres historiens l’Itinéraire aurait pour base une carte murale réalisée au temps de Caracalla, au début du IIIe siècle, qui serait alors une compilation mal rédigée dans les premières années du règne de Dioclétien (284-305). Mais selon Raymond Chevallier, il est néanmoins établi que le texte est “ un recueil de mansiones, munies de greniers destinés à recueillir les approvisionnements servant au paiement en nature des soldats et des fonctionnaires ”.

Pour la Corse, donc, ce texte mentionne une voie de circulation dont la distance est calculée en milles. Partant de Mariana, pour aboutir à Pallas, la route comprenait les sites d’étapes suivant : Aleria, Praesidium, Portus Favonus. En voici le texte :

ANTONIN, Itinerarium Provinciarum, 85, 4
CORSICAE
A Mariana Pallas…………….mpm CXXV
Aleria…………………………..mpm XL
Praesidio……………………...mpm XXX
Portu Favoni………………....mpm XXX
Pallas………………………….mpm XXV

En Corse, De Mariana à Pallas, il y a 125 milles, De Mariana à Aleria 40 milles, d’Aleria à Praesidium 30 milles, de Praesidium au Portus Favonus 30 milles et du Portus Favonus à Pallas 25 milles ; Soit :

  • 59,2 km entre Mariana et Aleria
  • 44,4 km entre Aleria et Praesidium
  • 44,4 km entre Praesidium et Portus Favonus
  • 37 km entre Portus Favonus et Pallas

Donc 185 km entre Mariana et Pallas.

D’apparence précise, le texte laisse pourtant dans l’incertitude pour ce qui concerne la localisation exacte de certains lieux. C’est pourquoi il est nécessaire de faire un point sur les connaissances acquises à propos de chaque étape de l’Itinéraire.

[modifier] Mariana

La première station de l’Itinéraire est bien connue. Mariana fut fondée par Caius Marius en 100 avant J.-C.. Comme l’écrit Frédérique Nucci : " la ville de Mariana s’est développée sous l’Empire et a continué d’exister jusqu’au début du haut Moyen Âge. Mais c’est véritablement durant l’Antiquité tardive, vers l’époque constantinienne, que Mariana atteint sa plus grande prospérité, son plus grand degré de développement."

Ici elle apparaît comme le point de départ du trajet, ce qui lui donne une valeur importante dans l’histoire des communications en Méditerranée.

[modifier] Aleria

La ville d’Aleria, occupée depuis la conquête de 259 av. J.-C., est l’objet d’une fondation coloniale par Sylla, dictateur en 79 av. J.-C.. Installée sur un plateau qui domine une plaine alluviale où serpentent deux fleuves, le Tavignanu et le Tagnone, Aleria est dite aussi urbs dans les textes anciens, ce qui assure de son rôle de centre politique de la Corse romaine.

L’Itinéraire rejoint ainsi les deux villes romaines les plus anciennes de Corse, et il est probable qu’un monument d’Aleria, les thermes de Santa Laurina, soient une mansio, c’est-à-dire une étape, une halte. Cet édifice, réservé aux voyageurs, et situé hors les murs de l’enceinte de la ville, est la première confirmation de l’existence d’une route structurée.

[modifier] Praesidium

Ce site pose beaucoup de problèmes d’identification. Car il semble que les distances proposées par l’Itinéraire ne permettent pas de situer précisément ce point. C’est pour cette raison que René Rebuffat proposait de placer le site vers l’intérieur des terres, en remontant la vallée du Tavignanu à partir d’Aleria jusqu’à Poghju di Venacu et Riventosa. Ce choix s’appuyait sur l’identification sur photos aériennes de structures fortifiées près de Poghju, de Riventosa et sur deux collines proches de Riventosa. En seconde proposition, cet auteur propose une représentation graphique de la Corse venant en appui à son hypothèse, liant cette distorsion à une confusion faite d’une visée à partir de la mer. Il écrit “ Dans ce cas l’itinéraire Aleria - Praesidio pouvait être représenté par un trait parallèle et assez proche de celui qui symbolisait l’itinéraire Aleria - Favona. La confusion, on le voit, était alors bien facile à commettre. ”

Une autre hypothèse proposée par Karl Müller, l’éditeur du texte, va jusqu’à envisager qu’à un stade de l’histoire du texte, un glosateur, après avoir refait les comptes, ait eu un motif pour ajouter au texte la mention de Praesidium. Ce serait ainsi une glose introduite après une révision du texte.

D’autres historiens ont proposé des lieux possibles pour ce site : Jean Jehasse le place dans la région de Vezzani, car il accepte l’hypothèse d’une présence dans les montagnes de l’intérieur. Mario Ascari lui le place entre Asprivu et Abbazzia, dans le Fium’Orbu et corrige les chiffres du manuscrit, ce qui n’est pas très acceptable. Quant à André Berthelot, il propose que “ Praesidio et le Portus Favoni font double emploi ”, mais il ne précise pas pourquoi.

Tous ces essais sont liés uniquement à la question des chiffres du manuscrit : il ne prennent pas en compte les réalités du terrain. Or selon Olivier Jehasse, il paraît plus juste, dans l’attente de découvertes archéologiques probantes, de chercher une explication à travers les textes antiques et l’étude linguistique contemporaine.

Partant de la lecture d’un texte de Strabon, Olivier Jehasse propose, après une lecture linguistique de toponymes fournis par la tradition écrite concernant la Corse, et de l’étude des lieux structurants de la géographie médiévale corse, de reconnaître dans Praesidium, la mémoire d’un Charax attesté par Strabon, et l’ancêtre du nom Castellu, attesté par le géonyme Pieve di Castellu, aux confins nord du Fium’Orbu. Pour lui “ ces trois toponymes, Charax, Præsidium et Castellu, renvoient à une seule et même réalité, un fort, un camp retranché, un monument ceint de remparts. Cette permanence de sens, et cette continuation de la traduction, sont importantes pour l’histoire ancienne, car elles attestent d’un enracinement plurilinguistique dans le territoire insulaire, où l’on reconnaît la langue grecque, la langue latine et la langue corse, trois vestiges très fortement liés à la périodisation culturelle de la Corsica Classica, et trois sites réunis en un comme la prospection archéologique a permis de le confirmer ”. “ Le Praesidium n’est plus un fort à vocation militaire rejetant les Corses dans le monde des crêtes, comme au temps de Strabon, mais plutôt une structure à vocation plus sécuritaire, contrôlant non plus une frontière, mais garantissant un passage vers la côte occidentale ou méridionale, et assurant la sécurité d’une zone d’exploitation en piémont forestier ”.

Cette analyse est renforcée par le point de vue de Xavier Poli, qui écrit que le “ Praesidium, bien bâti sur l’emplacement de Charax (Palo) doit être probablement postérieur à Ptolémée ; il s’agit vraisemblablement d’un refuge fortifié, construit pour mettre les convois à l’abri d’une incursion des Syrbi ” Si on remarque des variations dans la datation, c’est que pour Xavier Poli, le texte de Ptolémée renvoie à une structuration de la Corse antérieure à l’arrivée des Romains.

C’est pourquoi cette dernière analyse emporte la conviction, et l’on peut proposer de placer le Praesidium sur le territoire de la commune de Serra di Fium’Orbu, où un toponyme Charace, semble désigner l’espace évoqué par tous ces textes.

[modifier] Portus Favonus

Ce site est identifié par la plupart des historiens comme le Port Philonios de Ptolémée, et correspond à la crique de Favona, sur le territoire de la commune de Conca. Avec d’autant plus de raisons que des prospections archéologiques sous-marines ont permis la découverte de divers vestiges antiques, dont un reste d’épave et divers tessons. On peut d’ailleurs ajouter que l’enquête dialectologique dans cette commune atteste bien de la concordance géographique des deux noms.

[modifier] Pallas

Ce site suscite lui aussi de grandes divergences entre les auteurs. La plupart des historiens identifient en effet le lieu avec Bonifaziu, à l’extrême sud de la côte orientale, en face de la Sardaigne. Mais cette position n’est pas acceptable, si l’on s’en tient aux distances, auxquelles il manque plus de 20 km, ce qui est une erreur impossible, vu la logique des étapes précédentes.

René Rebuffat place Pallas à la pointe de Sperone, car selon lui, “ la carte de Ptolémée, localise avec beaucoup de précision au voisinage de Sperone une ville de Palla, où il est bien tentant de reconnaître la Palmas/Plalas,Pallas de l’Itinéraire, d’autant que la forme Palmas s’exprime aisément comme une lectio faciliter, et la forme Plalas comme une inadvertance à partir de la forme Pallas ”.

G. Moracchini-Mazel considère, elle aussi, que Palla est l’établissement portuaire du Piantarella au large du Cap Sperone, ce que reprend Roberto Zucca, dans son ouvrage. Par contre, Jean Jehasse considère qu’il faut rechercher Palla en arrière du golfe de Sant’Amanza, André Berthelot et François Ceccaldi, proposent l’anse de Port Novu, plus au nord, et A.Ambrosi propose le golfe de Santa Ghjulia.

Quant à Olivier Jehasse, il propose de reconnaître dans Pallas le Balas d’où vient le Blesinoi de Strabon, et le place “ dans les environs de Porti Vecchju”. Il pense que l’analyse morphologique de Pallas “ autorise un rapprochement avec le radical du Blesinoi connu par Strabon, et que le texte de Ptolémée transmet sous une troisième version ”

Ainsi il est possible d’affirmer que c’est bien Santa Ghjulia qui est la position la plus en rapport à la fois avec les textes et avec la géographie historique de cette région. Car il semble sûr que Bonifaziu ne peut être Pallas, puisqu’il s’agit à l’évidence du site de Marianon, tel que Ptolémée le dénomme .

[modifier] Annexes

[modifier] Les textes antiques

Strabon, Géographie, V,2,7,entre 231 et 65 av.-C. (trad. O.Jehasse) "Kurnos, appelée par les Romains Korsika, n'offre qu'un habitat misérable, car elle est escarpée et dans la majeure partie absolument inaccessible, au point que les indigènes qui tiennent les crêtes et vivent de brigandage sont pires que les bêtes féroces. Quand les généraux romains font une incursion et tombent sur quelque fort, ils ramènent une grande quantité d'esclaves que l'on peut voir à Rome (...). Il existe cependant un certain nombre de sites d'habitats -oikesima et des sortes de cités'-polismata, chez les Blesinoi, à Charax, Enikoniai et Ouapanes. Selon le Chorographe, elle mesure 160 milles en longueur, 70 en largeur. Selon d'autres, son périmètre serait de 3 200 stades. ”

Ptolémée, Guide Géographique, III,2,1-7, IIe siècle, (trad. O.Jehasse)

“ L’île de Kurnos, appelée aussi Korsika ou Korsè, est entourée au couchant et au nord par la mer Ligustique, à l’orient par la mer Tyrrhénienne, au sud par la mer qui la sépare de l’île de Sardo. Et la côte est décrite suivant l’ordre que voici :

(….) -Description des côtes méridionales : Cité de Palla 31°20’ 39°10’ Port Syracusain 31°20’ 39°25’ Cité de Rhoubra 31°20’ 39°30’ Promontoire Graniakon 31°30’ 39°40’ Cité d’Alista 31°20’ 39°55’ Port Philonios 31°30 39°55’

- Description du côté oriental Embouchure du Fleuve Sacré 31°30’ 40°00’ Colonie d’Aleria 31°30’ 40°05’ Embouchure du fleuve Rhotanos 31°30’ 40°10’ Port d’Artemis 31°20’ 40°35’ Cité de Marianè 31°20’ 40°40’ Promontoire Ouagon 31°30’ 40°45’ Cité de Mantinon 31°20’ 41°00’ Cité de Klunion 31°20’ 41°10’

N. B : la description est organisée du sud vers le nord avec l’apparition d’une côte méridionale où l’on retrouve le Port Philonios / Favonus, et les deux cités d’Aleria et de Mariana, dont seule Aleria porte le titre de colonie.

[modifier] Seconde Partie : les acquis de la recherche contemporaine

[modifier] Étude cadastrale, cartographique et toponymique

Une occupation romaine de plusieurs siècles sur la plaine orientale a nécessairement laissé des traces dans les cadastres et les noms de lieux.Aussi, l’enquête se poursuit dans cette direction et explore plusieurs directions convergentes.

[modifier] Cadastrations et Centuriations

Dans l’Antiquité, les Romains aménageaient leur territoire en établissant des cadastres. Le projet de colonisation s’établit d’abord par une confiscation de l’espace, puis une géométrisation suivant des axes relevant du sacré afin de contrôler tout un territoire. Il s’agit de la centuriation.

La cadastration met en place au sein de la centuriation les limites des propriétés ou des lots destinés à être accordés aux bénéficiaires. L’établissement des cadastres est un projet à la fois économique, social et religieux où Rome impose sa civilisation. Pour Roger Charre “ cette technique d’aménagement cadastral… a une triple fonction : c’est une méthode d’exploration, de repérage et d’appropriation d’un territoire ” . Et c’est dans un territoire organisé et aménagé que l’on retrouve souvent les grands itinéraires.

Le plan cadastral s’organise généralement par rapport à deux tracés perpendiculaires, le cardo maximus ( axe nord-sud) et le decumanus maximus (axe est-ouest) et permet ainsi d’obtenir un quadrillage en parcelles carrées ou rectangulaires, dont l’unité classique est la centurie ( = 50 ha).

Ce quadrillage servait à l’établissement des chemins ; les limites principales des centuriations sont constituées de routes et de chemins de liaison.

Il faut rechercher et étudier les paysages actuels pour mieux comprendre les aménagements du passé ; les marques des anciennes organisations perdurent à l’intérieur des parcellaires contemporains.

[modifier] la documentation scientifique

Ce chapitre s’appuie essentiellement sur les travaux successifs de Roger Charre, Jean et Laurence Jehasse et Antoine Peretti. Les premières orientations cadastrales de la plaine orientale sont repérées par Roger Charre en 1983-1984 dans la revue Archeologia Corsa n° 8-9. Dans son article intitulé “ Les cadastres antiques d’Aleria, Identification ” ; Roger Charre met en évidence l’existence de cinq réseaux orthogonaux (réseaux N 15° Est, N 2° Est, N 82° Est, N 65° Est, N 27° Est ). Ces différents cadastres ont été identifiés après une analyse de la structure du parcellaire contemporain, du réseau des routes, des chemins et des vestiges archéologiques de la plaine d’Aleria ; l’étude montre que c’est à partir d’Aleria qu’ont été établies ces cadastrations.Dans la même revue, reprenant les travaux de R. Charre, Jean et Laurence Jehasse proposent des hypothèses de datations pour ces orientations.

Enfin les recherches d’Antoine Peretti se révèlent également intéressantes.S’appuyant sur les résultats précédents, l’historien a tenté de retrouver les éventuels cadastres antiques dans le Fium’Orbu. A. Peretti a reconnu lors de ses recherches deux “ Strade Romane ” dans sa région d’étude ; elles sont situées, l’une au sud de Migliacciaru et l’autre à l’ouest de l’étang de Gradugine. A quelle orientation cadastrale appartiennent elles ? Le parcellaire N 2° Est concentré entre le Fium’Orbu et l’Abbatescu, au sud de Migliacciaru, avec une légère extension à l’ouest semble être le réseau correspondant à l’orientation de ces vestiges routiers. D’après Jean et Laurence Jehasse ce cadastre daterait du milieu du Ier siècle avant J.-C. La datation est proposée en fonction des monuments et de l’organisation de l’espace d’Aleria. Les recherches cadastrales se sont poursuivies dans les années 1990. Jean et Laurence Jehasse proposent en 1991-1992 dans la revue Archeologia Corsa n° 16-17, “ Trois cadastrations et centuriations en Corse orientale. La Plaine et le Piémont ” il s’agit d’un travail d’analyse des cadastres N 27° Est, N 82° Est, N 2° Ouest.

Afin de compléter et d’approfondir l’analyse sur les cadastres il a été indispensable d’utiliser les cartes topographiques de l’I.G.N au 1/25000ème. Peu maniables, ces cartes permettent toutefois de repérer les grandes orientations conservées en relevant les routes et les chemins qui sont encore liés à des voies ou à des limites cadastrales de l’Antiquité. Ces cartes donnent aussi un aspect général, le cadre géographique de la région étudiée et permettent d’inscrire dans le paysage les vestiges des occupations anciennes, et d’identifier les Itinéraires. Elles font naître une relecture de la tradition historique.

Par la suite, les tableaux d’assemblage des communes concernant l’ étude ont été consultés également. Ne pouvant analyser toutes les communes de la plaine orientale, le choix s’est porté sur les communes les plus importantes, les plus riches en renseignements historiques. C’est ainsi qu’ont été étudiées les territoires côtiers des communes de Lucciana, Vescuvatu, Cervioni, Aleria, Ghisonaccia, Prunelli di Fium’Orbu, Serra di Fium’Orbu, Conca, et Lecci di Porti Vecchju ). Les tableaux d’assemblage ont ainsi permis de repérer des orientations, des routes et des chemins qui s’inscrivent dans le cadre défini par les premières recherches autour d’Aleria.

La recherche s’est enfin pratiquée au sein même des communes ; c’est souvent au cœur du terroir que l’on apprend des choses utiles à la connaissance du passé. Mais il est symptomatique de constater que souvent, ni les habitants des communes, ni les employés de mairie ont pu donner des renseignements sur les éventuelles voies romaines en Corse. Il est clair que les données scientifiques ne sont pas encore maîtrisées par les membres des communautés villageoises concernées. C’est pourquoi il a fallu faire appel à une autre science, celle de la toponymie.

[modifier] La toponymie

La toponymie est riche en informations, car elle exprime les rapports des hommes et de la nature et vient éclairer toute leur vie économique et sociale.François Melmoth dit que “ les routes sont créatrices de mots. Partout où elles sont passées, elles ont laissé des noms aux villages ou aux lieux dits. Ainsi, les voies anciennes sont encore visibles sur nos cartes grâce aux toponymes qu’elles ont inspirés ” .

D’où l’intérêt d’étudier les toponymes en Corse où l’étude toponymique semble une aide indispensable car l’histoire de l’élaboration de la langue corse rend la recherche des toponymes latins, témoins de l’occupation romaine, plus facile .

En l’état actuel de l’enquête qui ne porte que sur les traces écrites, il semble que les toponymes associés aux voies romaines ( Croce, Migliari, Strada, Termini…) soient peu recensés le long de la côte orientale de l’île. Toutefois, un toponyme reste intéressant a étudier : c’est celui du hameau de Migliacciaru sur la commune de Prunelli-di-Fium’Orbu. D’après Antoine Peretti au XVIe et XVIIIe siècles, “ Migliacciaru ”, situé au sud de Ghisonaccia, est un véritable nœud routier au cœur des grands domaines génois. “ Une tradition orale persistante lui attribue le même rôle sous l’Antiquité ”. Migliacciaru est ainsi considéré comme un centre important sous l’Empire.

La signification de ce toponyme pourrait dériver du terme “ milliaire ” voulant marquer une borne routière indiquant une halte ou un relais important. Pour les bornes et numérotations des bornes, Raymond Chevallier propose les toponymes suivant : Migliari, Migliarinalo, Miglio dritto, Milliarino .Mais, l’absence de découvertes archéologiques conduisent A. Peretti à qualifier ce toponyme comme un terme relatif à la culture du mil ou du millet.

Une autre interrogation peut également se porter sur le lieu dit “ Migliarine ” situé sur la commune de Castellare di Casinca. Recensé sur la section A du cadastre de la commune, l’intérêt de ce toponyme proche du lexique recensé par Raymond Chevallier sera étudié ultérieurement . Ainsi, deux toponymes importants viennent souligner à deux endroits différents de la côte orientale, des traces linguistiques d’une structuration sans aucun doute d’origine romaine.

[modifier] La documentation archéologique

[modifier] La structure des voies

  • Quelles sont les données qui conditionnent l’établissement des voies ?

"Les facteurs géographiques naturels, facteurs humains – répartition et densité de la population -, économiques, géopolitiques – importance stratégique des lieux traversés – moyens de circulation et niveau technologique… ” “ L’étude d’un itinéraire routier doit donc comporter en premier lieu l’analyse des rapports avec l’environnement et des caractéristiques du milieu naturel, définies par la géomorphologie, la lithologie, la pédologie, le climat, la végétation et l’hydrographie. ”

  • Quelles sont les principales caractéristiques des voies romaines ?

La plupart des voies romaines présentent des tronçons rectilignes ; sur une longue distance on observe une succession de segments de droite qui semblent se corriger et rattraper sans cesse la direction générale. Seule l’archéologie peut véritablement renseigner sur la structure, l’architecture interne du monument routier ; c’est en établissant une stratigraphie que l’on peut analyser les différentes states : à la base un radier de grosses pierres posées à plat au hasard suivie d’une couche de terre pour égaliser la surface raboteuse ; puis, un rudus de cailloux concasses sur place calibrés et damés puis sablés et compactés. Les matériaux employés sont généralement de provenance locale en fonction de la nature du terrain.

En Corse, vu l’état actuel des recherches archéologiques sur le monde romain, on ne peut connaître la structure physique des éventuelles voies romaines.

[modifier] Les rues urbaines

Lorsque Rome crée une ville, ou un nouveau centre colonial, avant même de construire des monuments, ou des habitations, les arpenteurs viennent pour tracer la ville, prévoir son ordonnance générale, articuler ses différents quartiers, mettre en place ses organes essentiels. Le schéma classique de la fondation d’une ville romaine comporte des rites rigoureux :

  • l’observation de la direction du soleil levant, au jour de la fondation, à partir du point de station de l’appareil de visée, appelé groma. Cette direction est celle d’une des deux rues principales, le decumanus maximus (orientation est-ouest).
  • La détermination de la direction perpendiculaire à la précédente et passant par le point de station de la groma, qui est celle de la seconde rue principale, le cardo maximus.
  • Le tracé d’un réseau de rues parallèles aux deux rues principales et équidistantes les unes des autres, les decumani et les cardines minores. Ceci permet un découpage en îlots d’habitations plus ou moins réguliers, les insulae.

En général les rues principales étaient pavées, leurs sous-sol parcouru par des égouts, et bordées de trottoirs. La largeur moyenne des rues (sans trottoirs) variait de 4 à 7 mètres. Ainsi, la ville romaine apparaît comme une création de nature spirituelle selon un rite d’origine étrusque puisqu’elle représente, projetée sur le sol, une image du monde, du cosmos. C’est pourquoi il est apparu nécessaire de ne pas négliger dans cette étude l’étude de la voirie urbaine des deux principales villes de Corse, Aleria et Mariana, ce qui permet de conforter les indices recueillis jusqu’à présent.

[modifier] La voirie urbaine de Mariana

D’après Jean Jehasse, “ l’axe du decumanus de la dernière centuriation romaine est bien attesté d’est en ouest à Mariana : par le chemin bordé de tombeaux et l’ancien rempart de la colonie – l’ensemble paléochrétien – la ligne Murotondu, Bagnoli, Penitelle et la chapelle San Silvestru. L’orientation de N 20° est confirmée par celle de San Parteu, et par le cardo majeur qu’on peut établir à partir de San Giustu ”.

Toujours visible sur le terrain, le decumanus maximus est l’axe fondateur de la ville de Mariana. Cette voie structurant la ville antique semble se prolonger à l’ouest vers la montagne et à l’est vers la mer. Son existence et son importance ne font aucun doute, d’autres vestiges repérés dans la plaine laissant clairement entrevoir des parallèles à cet axe bien visible.

[modifier] La voirie urbaine d’Aleria

C'est, après une visite sur le terrain, l'analyse des plans, des cadastres et grâces aux travaux inédits de Jean et Olivier Jehasse que l’on peut intégrer l’organisation de la voirie urbaine d’Aleria à la question des voies romaines de Corse.

Le decumanus maximus de la ville d'Aleria apparaît d’après les dernières analyses faites par Jean et Olivier Jehasse, l'axe fondateur de la structuration de l’espace de la cité. C’est à partir de cet axe est-ouest que s’organise tout l’ensemble de la voirie de la ville.

On constate la présence de plusieurs voies nord-sud, coupant perpendiculairement l’axe majeur de la ville, (cartes p 116, 117 et 118). Et on peut également constater que le decumanus maximus de la ville d’Aleria structure et soude à la fois l’espace urbain mais aussi l'espace extérieur de la cité. Se prolongeant à l’ouest vers la montagne et à l’est vers le port de la ville, ce decumanus partage la plaine en deux parties .

L'Itinéraire d'Antonin est donc une perpendiculaire à l’axe principal de la ville. Il semble, que malgré des modifications subies au cours des siècles au cœur de la ville, dans la campagne et la région alentour, l’axe fondateur a été maintenu, et c'est lui que l’on retrouve dans plusieurs routes et chemins construisant le paysage tout autour de la butte d'Aleria.

Il a été possible de vérifier sur photographies aériennes et sur le terrain que les rues de la cités se prolongent par des axes organisant le territoire ” écrit R. Charre dans l’étude évoquée plus haut.

[modifier] Les ouvrages d’arts

Les ponts romains comptent parmi les monuments les plus célèbres ; il s’agit de points de passage obligés, leur construction est liée souvent à des considérations d’ordre stratégique et économique.

En Corse, entre Mariana et le sud de la côte orientale, le franchissement des cours d’eau est une nécessité, à cause de la présence de nombreux ruisseaux et de plus d’une dizaine de fleuves assez larges pour obliger à concevoir des moyens de franchissement à sec. Mais aujourd’hui, aucun vestige véritable n’a été recensé, bien qu’il faille retenir deux informations historiques intéressantes.

Un toponyme, “ I Ponti ”, situé à l’est de la ville antique de Mariana, laisse envisager la présence d’un ou de plusieurs ponts antiques à cet endroit ; d’autant plus que M. L. Leschi et A. Chauvel , dans leur travaux du début du siècle, signalent des restes de piles et des vestiges de pont. Ils les localisent à 500 mètres à l’est de la ville.

D’autre part, certains vestiges antiques repérés dans le Fium’Altu ont été identifiés selon Laurent Casanova comme pouvant être les vestiges conservés de piles d’un pont romain . Dans l’attente d’études complémentaires, on peut affirmer que ce pont, s’il a existé, jouait très certainement un rôle dans la structuration de l’Itinéraire d’Antonin, et que son existence est rendue encore plus probable par le nom du fleuve qui suggère une profondeur trop élevée pour ne pas obliger à construire un ouvrage de franchissement.

A l’époque romaine, le pont n’est pas l’unique moyen pour franchir les cours d’eau. On note l’existence de bacs, pontons ou rates, manœuvrés à la rame ou à la draille par des ratiarii.. Les gués naturels, endroit de moindre profondeur d’eau d’une rivière, étaient très utilisés. Il semble, d’après la tradition orale, qu’en Corse de nombreux gués étaient encore utilisés au début du XIXe siècle pour franchir les fleuves de la plaine. Leur recensement montre qu’hormis à Aleria, ils étaient souvent éloignés du tracé rectiligne supposé pour la voie, ce qui fait plutôt préférer l’hypothèse de bac pour le franchissement de certaines rivières. Malgré tout même si cette question demande à être précisée, il ne paraît pas souhaitable d’éliminer l’hypothèse de l’existence de ponts d’époque romaine le long de l’Itinéraire, ponts qui ont aujourd’hui disparu, à cause de leur architecture en bois ou aussi à cause du changement des cours des fleuves insulaires, qui ont varié souvent au cours des siècles, comme le montrent les études de géomorphologie conduites le long des rivages orientaux de l’île .

[modifier] Les milliaires

Monument emblématique des voies romaines, aucune borne milliaire n’a été retrouvée dans la plaine orientale à ce jour ; contrairement à la Corse, on a retrouvé en Sardaigne près d’une centaine de milliaires. Les routes romaines sardes sont bien attestées et reconnues dans toute cette île .

Les bornes milliaires indiquaient les distances à parcourir, mais elles étaient aussi la marque, le long des routes de la puissance romaine. Leur nom (mil(l)iarim) vient de celui du mille, le module qui sert à jalonner les voies, soit mille pas romains ou 1478,50 m. Le double pas (passus ; gradus = le pas) était en effet égal à 1,48m, soit 5 pieds ou perche.

Les milliaires, le plus souvent, se présentent comme des colonnes cylindriques ou ovalisées, parfois parallélépipédiques, de calcaire, grès, granit ou basalte, dont la base est cubique et en saillie pour permettre un enracinement plus solide, et dont la hauteur varie de 2 à 4 m, le diamètre de 0,5 à 0,8 m. Mais, les milliaires peuvent également être accolés contre un rocher ou une construction ; ils peuvent aussi correspondre à un pilier d’une villa, à de simples poteaux indicateurs, à des pierres destinées à aider les cavaliers à se mettre en selle, à des troncs d’arbres… On retrouve pour les bornes modernes et contemporaines les mêmes utilisations.

On a pu voir que l’origine des milliaires peut être diverses ; aussi, l’absence de bornes milliaires en Corse, peut s’expliquer par l’utilisation de milliaires en bois. Ainsi, l’absence de vestiges devient compréhensible. René Rebuffat a proposé une série de réflexions sur la recherche des milliaires perdus : certains, en bois, étaient fragiles, munis d’inscriptions peintes, qu’on trouve aussi sur des milliaires palimpsestes ou corrigés.

Dans la recherche des emplacements des milliaires, il est important de s’intéresser à tous les éléments du paysage. Car, même disparus, il subsiste une croix, un embranchement, un passage de limite, un toponyme… ou un fourré de buissons. Le long de la plaine orientale, un toponyme de milliaire a été conservé : Migliarine, situé sur la commune de Castellare di Casinca. Il serait intéressant d’entreprendre des recherches archéologiques sur ce lieu afin d’approfondir la connaissance sur les milliaires corses. D’autre part le toponyme Migliacciaru, sur la commune de Prunelli di Fium’Orbu peut, dans une acception de sa signification, faire référence lui aussi à un monument de ce type.

[modifier] Nouvelles propositions sur le tracé de l’Itinéraire d’Antonin

Cette route corse est attestée par un texte antique et l’on connaît les communes traversées, les sites d’étapes et les distances qui les séparent. Ces éléments sont autant de jalons qui permettent de restituer le tracé de la voie ou du moins la direction générale qu’elle empruntait. Afin de suivre sur le terrain le tracé de la voie, il faut dans cette partie rattacher entre elles les informations rassemblées et les données issues de la recherche.

[modifier] De Mariana à Aleria

Au départ de Mariana différentes hypothèses sont à relever :

Les fouilles de la nécropole d’I Ponti entreprises par G.Moracchini-Mazel, située à l’est du site archéologique de Mariana, en rive gauche du Golu, se sont révélées intéressantes.L’archéologue a découvert dans une tranchée d’environ 2,50 mètres à 3 mètres de profondeur l’existence d’une voie empierrée de galets sur 0,30 mètres.“ C’est une voie qui venait du nord et franchissait le Golu en direction du sud ” . Cet empierrement en galets peut être considéré comme le départ d’une voie. Ainsi, grâce à l’archéologie on peut donner tout son sens au lieu dit “ I Ponti ” et y voir le départ d’un itinéraire en direction du sud. Mais il existe la possibilité d’un autre départ de Mariana.

D’après Geneviève Moracchini Mazel et d’après une étude cadastrale précise, on constate l’existence d’une seconde voie antique au sud de l’église de la Canonica en gardant toujours un axe nord-sud, cette dernière est parallèle à l’hypothétique voie partant du lieu dit I Ponti. ( carte p 109). Selon une tradition orale, il y a encore une cinquantaine d’années environ, on pouvait traverser le Golu à l’endroit même où, cette possible voie franchissait le fleuve. D’après les habitants il y aurait eu un gué au sud de la Canonica et pour eux cela expliquerait l’absence de vestiges de ponts.

D’après R. Chevallier, pour les villes importantes, on observe souvent le phénomène de patte d’oie aux portes (ou aux ponts) c’est-à-dire des voies disposées deux par deux en lignes parallèles à l’approche des villes ; cela permet souvent de distinguer des phases successives d’extension. Une patte d’oie suppose un écran antérieur ou contemporain : elle est donc postérieure aux remparts de la ville. M.Roblin a signalé que des voies antiques pouvaient atteindre indépendamment les unes des autres le centre de la cité, obligées parfois à un léger parallélisme en fin de parcours . Ce phénomène semble se confirmer à Mariana, où on peut observer deux voies parallèles à la sortie sud de la ville.

Le départ de Mariana est maintenant connu ; la voie continue ensuite en direction du sud. (carte p 110) Elle passe par plusieurs communes et, franchit le Golu, le Fium’altu, la rivière d’Alesani, la Bravone jusqu’au Tavignanu.

La distance proposée par l’Itinéraire entre Mariana et Aleria correspond à peu près à la distance actuelle. Seule différence, la route actuelle ne passe pas par Mariana, mais à 6 Km à l’ouest de la cité.

Plus précisément, de Mariana au Fium’altu on peut considérer une voie relativement droite, ce que confirme l’étude de la carte I.G.N de Vescovatu au 1/25000ème. (carte p 111). Cette voie passe par le lieu dit “ Migliarine ” sur la commune de Castellare-di-Casinca ( section A ) ; ce toponyme signifie, nous l’avons vu précédemment, une halte ou un relais.(carte p 112)

Vu le tronçon rectiligne de la route actuelle pour atteindre Aleria, on peut considérer la voie antique comme étant parallèle au tracé de la route moderne ; il y a pu avoir un mouvement de translation latérale, ce phénomène arrive encore de nos jours, où il arrive que l’on construise une nouvelle route parallèle à la première ; mais on peut penser également que les deux tracés n’en font qu’un.

L’examen des photographies aériennes semblent confirmer qu’il existait certainement dans l’antiquité un Itinéraire direct entre Mariana et Aleria. . “ La route moderne (entre Mariana et Aleria), au bas des collines, est probablement un tracé traditionnel, car elle suit tout naturellement la limite du terrain ferme et du terrain alluvial et l’Itinéraire a pu choisir ce parcours : aussi son indication est-elle vraisemblable, et il faut la retenir provisoirement sans l’entourer de trop de conjectures dans l’attente de vérifications plus précises et de rapprochement probants ” .

[modifier] D’Aleria à Praesidium

L’arrivée à Aleria pose un certain nombre de problèmes (carte p 115) : la voie passe-t-elle par la ville d’Aleria, doit-on considérer les thermes de Santa Laurina comme la station d’Aleria, ou la voie contourne-t-elle la colline vers l’ouest pour continuer son cours vers le sud ? Les différentes orientations cadastrales retrouvées à Aleria ne nous permettent pas d’établir une proposition valable.

Toutefois, selon Olivier Jehasse les thermes de Santa Laurina situés hors les murs du site antique d’Aleria, à mi chemin entre le port et la cité, sont une mansio de l’Itinéraire. Avec l’existence de cette halte, les voyageurs pouvaient effectuer une pause, tout en évitant le centre de la cité. Car, “ quand les Itinéraires antiques nomment une cité, cela ne signifie pas toujours que la voie traverse la ville elle-même : elle ne fait parfois qu’en toucher le territoire : la mansio ou mutatio était au croisement d’un diuerticulum conduisant à la bourgade, elle même fréquemment en position défensive à quelque distance ” .

Archéologiquement il s’agit d’un vaste ensemble thermal comprenant, un frigidarium (salle froide), composé de deux piscines au nord-est, l’une rectangulaire et l’autre demi-circulaire. Parallèlement à cette salle on trouve au sud le tepidarium (salle tiède), et le caldarium (salle chaude) ; au sud-ouest le laconicum permet, par l’étude de son hypocauste de constater le bon état des salles chaudes et d’apercevoir les canalisations souterraines et à l’est l’apodyterium (chambres de massages et des latrines).On distingue devant l’entrée de l’édifice une cour correspondant certainement à une palestre.

Lors des fouilles réalisées par Jean et Laurence Jehasse, “ les éléments païens caractéristiques abondent : monnaies, de Tibère à Numérien ; débris d’inscriptions du IIIe siècle ; poteries cisalpines et gauloises des Ier et IIe siècles ” . Ce qui “ suppose une construction dans les dernières années du Ier siècle avant J.-C. ” , précise Olivier Jehasse. Jean et Laurence Jehasse pensent que ce monument est lié à un ensemble de constructions d’un quartier portuaire, et Jérôme Carcopino y voit la partie thermale d’une mansio, sorte de gîte d’étape rattaché à la vie portuaire.

Il est intéressant de constater que cet édifice fait partie d’une structuration d’un espace en relation avec d’autres aménagements de la cité. “ Son orientation (N.82°E) est la même que celle du portique sud du forum, ainsi que celle de l’agrandissement et l’installation de cryptoportiques sous l’ensemble occidental qui accueille un des grands temples du centre urbain… ” . C’est tout cet ensemble qui rend ce monument extrêmement important dans l’histoire du fonctionnement de la voie orientale de la Corse.

Toujours à Aleria, un second site mérite attention. Il s’agit de celui de la nécropole pré romaine de Casabianda, organisée autour d’une voie de chaque ^coté de laquelle sont creusées les tombes archaïques des Ve – IIIe siècles av. J.-C. . Or il est intéressant de constater, qu’au sud de la nécropole, cette voie se sépare en deux direction différentes, l’une vers l’étang d’Urbinu, l’autre franchement vers l’ouest. Selon Olivier Jehasse, c’est là qu’on pourrait reconnaître la dérivation vers l’ouest en direction du Praesidium prochaine étape de l’Itinéraire d’Antonin. Ainsi, la dérivation vers le Praesidium ne se ferait pas à l’entrée d’Aleria, mais plutôt à la sortie de la nécropole de Casabianda, ce qui lie historiquement les deux sites et assure une preuve nouvelle de l’existence physique d’un axe nord sud durant toute l’époque de la Corsica Classica..

Plus au sud, et toujours pour éclairer cette question, c’est le territoire de la commune de Prunelli-Di-Fium’Orbu, limité au nord et au sud par le Fium’Orbu et l’Abbatescu , et à l’est par le rivage marin qui se révèle comme particulièrement significatif. (carte p. 119)

Tout d’abord, Antoine Peretti signale l’existence de deux éventuelles voies romaines sur cette commune, l’une située au sud de Migliacciaru et l’autre à l’ouest de l’étang de Gradugine. D’après l’historien, une tradition orale évoque à proximité de l’embouchure du Fium’Orbu, la présence sous la mer à quelques mètres de profondeur d’une “ strada romana ”.Les recherches sous-marines ont permis de retrouver, sous le sable, un filon rocheux régulier d’une centaine de mètres, parallèle à la côte. Ce filon rocheux est d’origine naturelle, et “ à notre connaissance, c’est bien le seul en Corse qui soit appelé “ strada romana ” précise Antoine Peretti .Même si la réalité de cette seconde voie apparaît fort incertaine, la présence du double toponyme permet de penser à la conservation maladroite du souvenir de deux chemins d’époque romaine bordant une propriété de cette époque. Ces voies probablement secondaires apparaissent alors comme des signes supplémentaires de l’existence d’un réseau viaire construit durant l’époque romaine, et renforcent, sur un nouveau territoire, les probabilités de l’existence d’un axe traversant ou organisant l’ensemble de la plaine orientale.

D’après Daniel Istria des vestiges antiques ont été localisés dans la plaine de Prunelli–di–Fium’Orbu. Il relève l’existence de deux établissements importants : “ Le site de l’office de développement agricole et rural de la Corse, qu’il faut peut être interpréter comme un atelier de tuilier du IVe – Ve siècles de notre ère et le site de Sala, un habitat occupé durant les Ier et IIIe siècles de notre ère. A cette époque le terroir de plaine a été structuré par la mise en place d’un parcellaire orthonormé, repéré grâce à l’étude cartographique et la photographie aérienne, et des canaux semblent être creusés pour assécher certaines zones humides ” . Ces vestiges antiques attestent une nouvelle fois d’une structuration romaine du paysage de la plaine.

Il apparaît ainsi que le Praesidium de l’Itinéraire d’Antonin pourrait se situer sur les premières collines de la plaine du Fium’Orbu en dominant les aménagements ainsi repérés. C’est ce qu’a confirmé un ensemble d’études et de vérifications sur les crêtes proches de ce terroir, et amène à proposer, avec l’appui de la toponymie, une localisation du site sur la commune de Serra di Fium’Orbu ; ainsi tout cet ensemble conduit à préciser pour la première fois l’implantation de l’étape entre Aleria et le Portus Favonus.

[modifier] De Praesidium au Portus Favonus

Après avoir passé le Travu, la voie devait continuer vers le sud, franchissant à nouveau un autre fleuve, la Solenzara, pour atteindre le Portus Favonus correspondant à la crique de Favona ; on constate ici un retour vers le bord de mer.

Les voies avaient pour but de relier les points importants de l’île afin de servir les objectifs impérialistes et militaires de Rome. Si, l’Itinéraire d’Antonin choisi comme étape un port, une structure côtière, c’est dans un but évidemment économique. Si la végétation et le relief montagneux de cette partie de la côte rendent moins aisée la reconnaissance exacte du tracé, il est certain que l’Itinéraire reste un itinéraire terrestre, et qu’il s’installe en arrière des premières hauteurs de la côte découpée qui sépare Sari de Porti Vecchju et Conca.

[modifier] Du Portus Favonus à Pallas

Toujours en direction du sud, l’Itinéraire se poursuit ensuite pour atteindre Pallas, son point ultime. D’après l’étude comparée des textes antiques faite par Olivier Jehasse, Pallas correspond au Blesinoi de Strabon, que l’on doit situer dans les environs de Santa Ghjulia au sud de Porti Vecchju, lieu qui a probablement connu une occupation antique nous précise René Rebuffat .

D’ailleurs la distance, Portus Favonus / Pallas (37 Km) correspond à la distance Favona / Santa Ghjulia (34 Km). La différence entre l’Itinéraire d’Antonin et la distance réelle est insignifiante. On peut considérer la position de ces stations comme exacte. Mais une autre source archéologique mérite d’être signalée.

M.M Don Jacques Cucchi et Gianni Grimaldi ont permis d’établir un tracé d’une voie antique au nord de Porti Vecchju . (carte p. 121). C’est la tradition orale qui leur a permis de localiser cette “ Strada Romana ” connue depuis très longtemps par les anciens. Les récentes plantations sur ce territoire ont confirmé ces dires par “ la découverte d’un certain nombre de pierres et de caillasses variées ” (sic). Malheureusement on ne peut identifier cette route romaine, ni sur la carte I.G.N, ni sur les cadastres (carte p 122) ; l’existence de cette route est essentiellement le fruit de la tradition orale. Il est sûr, que cette route semble correspondre à celles conservées dans le Fium’Orbu, et que sa localisation conduit à l’interpréter comme étant elle aussi une route secondaire d’un réseau viaire construit, comme le montrent les études réalisées par Jean Jehasse

Reste une dernière question, pourquoi l’Itinéraire s’arrête-t-il à Santa Ghjulia et ne poursuit pas jusqu’à Bonifaziu ? La réponse est à chercher dans l’histoire administrative de la Corse ; Rattachée dès 205 av. J.-C. à la province de Sardaigne, c’est en analysant la structuration viaire de cette île que la réponse apparaît. La capitale de la province est Cagliari, à l’extrême sud des deux îles et les voies qui parcourent la Sardaigne se séparent vers le nord en deux branches, l’une vers Porto Torres –Turris Lisibonis, l’autre vers Olbia, port d’embarquement pour Rome et pour la Corse. En outre pour des raisons de sécurité, il est plus facile d’embarquer à Santa Ghjulia pour rejoindre Olbia, que de franchir le détroit, très souvent rendu dangereux par des vents et des tempêtes fortes ; Le passage au large de l’archipel des Lavezzi et au large de celui des îles de la Maddalena rend la communication plus aisée et surtout plus régulière ; C’est pourquoi, l’Itinéraire devient maritime bien avant la terminaison physique de l’île de Corse, et cela est lié à une connaissance précise des réalités maritimes et des données de la navigation dans les bouches de Bonifaziu. C’est ce que remarque Antoine Peretti, qui écrit que “ militairement, longer la côte orientale par mer est beaucoup plus sûr et rapide que de la traverser à pied… Les routes romaines sardes, bien attestées et reconnues, s’arrêtaient à Olbia, grand port d’exportation céréalière vers l’Italie, et ne remontaient pas au nord vers Santa Teresa di Gallura et Bonifaziu… L’Itinéraire d’Antonin semble plutôt s’intégrer dans un circuit spécifique à la côte orientale, dont Mariana et Pallas constitueraient les ports d’arrivée et de départ, d’abord vers l’Italie, ensuite vers la Sardaigne et ensuite l’Afrique ”.

[modifier] Conclusion de la seconde partie

Les enquêtes sur les cadastres, les cartes, la toponymie et l’archéologie livrent donc un grand nombre de renseignements. Ce travail de vérification et d’analyse a ainsi permis de rassembler de nombreuses informations sur l’existence du réseau routier corse durant l’Antiquité romaine. L’Itinéraire d’Antonin rappelle visiblement l’axe le plus construit pour traverser l’île du nord au sud. Cette structure linéaire est aujourd’hui reconstituée presque dans sa totalité.

Le point de départ, à Mariana, est enfin localisé ; une première halte correspond au lieu dit “ Migliarine ” sur la commune de Castellare di Casinca ; l’étude cadastrale et archéologique a permis de répondre aux interrogations concernant la station d’Aleria ; le Fium’Orbu s’est révélé une région très intéressante avec la présence de deux “ strade romane ” et les problèmes pour la localisation de Praesidium, du Portus Favonus et de Pallas sont résolus .

Toutefois, restent quelques hypothèses pour présenter des résultats définitifs.. Seules de nouvelles campagnes de fouilles apporteront une meilleure connaissance du tracé de la voie de communication la plus importante de Corse durant l’Antiquité et des réponses décisives aux interrogations restantes.

Il est également important de signaler que l’absence de ponts ou de milliaires n’exclut pas la présence de voies romaines en Corse. On retrouve, dans le sud de l’Espagne, les même difficultés pour reconstituer le réseau routier.

Dans la revue, Histoire et Archéologie, d’octobre 1982, n°67, sur les “ Voies romaines ”, Pierre Sillieres explique, dans un chapitre concernant La colonisation du Sud de l’Espagne, que la plupart des routes antiques n’ont pas le même aspect.

“ Le plus souvent, il ne s’agissait que de chemins à peine empierrés qui ont perdu aujourd’hui tout trait spécifique : pas d’agger, pas de pont, très rarement quelques milliaires et à proximité des villes seulement. Aussi est-il aujourd’hui difficile d’en dresser la carte. Même bien des routes mentionnées dans l’Itinéraire d’Antonin ou la Cosmographie sont de ce type et on ne peut donc en établir que des trajets approximatifs grâce à l’identification des mansiones. ”.

La Corse n’est donc pas un cas unique et isolé et voir sa situation ressembler à celle de l’Espagne antique apparaît comme logique, pour qui pense à Sénèque et à son texte sur l’histoire de l’île .

[modifier] Conclusion

La recherche sur la documentation existante a donc donné un grand nombre de renseignements : les écrits de Strabon, les mentions du texte de Ptolémée et l’Itinéraire d’Antonin ont été les points d’appui de cette recherche. A cela se sont ajoutées une attention aux cadastrations et à la toponymie, quelques traditions orales et une recherche archéologique apportant des éléments inédits.

A partir de tout cela on peut donc conclure, sans aucune hésitation, que la Corse possède un réseau routier organisé durant l’époque romaine.

Le tracé et l’environnement de l’axe routier majeur de l’île reliant Mariana à Pallas est désormais mieux connu ; on peut attester de son existence.

L’Itinéraire d’Antonin constitue un document irremplaçable et très précieux ; il dégage l’axe routier le plus fréquenté de Corse rejoignant le long de la côte orientale les points stratégiques de l’île : deux cités, Mariana et Pallas, constituant le point de départ et d’arrivée de l’Itinéraire ; une colonie, Aleria, centre organisateur de l’espace corse ; un fort, Praesidium, à vocation sécuritaire et un port, le Portus Favonus, à vocation économique.

Mais, on ne peut le retrouver facilement, on constate quelques divergences dans les distances ; et, ces erreurs qui ne sont pas propres à la Corse n’empêchent pas d’en proposer un tracé conforme à l’histoire ancienne de l’île.

L’Itinéraire d’Antonin rejoint des points déjà existants pour la plupart au moins depuis le Ier siècle avant J.-C. C’est la voie qui structure la Corse orientale ; c’est un aboutissement de l’installation romaine en Corse, c’est le résultat d’une “ politique géographique ” maîtrisée.

Le côté oriental de l’île reste le lieu privilégié ; celui qui permet de traverser la Corse du nord au sud, avec des haltes aménégées comme par exemple les thermes de Santa Laurina.

A côté de cet Itinéraire, la Corse était également dotée de plusieurs routes, des sentiers secondaires, et des voies de pénétration vers l’intérieur ; ceux-ci feront l’objet d’une autre étude. Avec 250 sites romains, détectés par Geneviève Moracchini Mazel, datables du début de l’époque impériale pour la plupart d’entre eux et remontant le plus souvent à Auguste, soit le début du Ier siècle après J.-C., comment peut on prétendre que la Corse antique ne possédait aucune voie romaine ?

Certes, il subsiste encore des interrogations, mais les résultats obtenus sont nombreux et, ils permettent d’ouvrir des perspectives nouvelles à la recherche.

Les études à venir sont primordiales : il sera intéressant de connaître la structure physique des voies romaines en Corse ; d’entreprendre des campagnes de fouilles à Migliarine, sur les premières hauteurs de la commune de Serra di Fium’Orbu, à Favona et à Santa Ghjulia ; de consacrer une étude particulière aux ouvrages d’art, les ponts aujourd’hui disparus et aux milliaires et de cerner d’avantage le rôle et l’apport de cette route antique dans l’organisation du paysage et dans l’aménagement du territoire.

Il est sûr en effet que l’archéologie et l’étude de l’histoire des paysages anciens peuvent désormais éclairer davantage sur ce sujet. La recherche sur les voies romaines en Corse ne fait que commencer et ce travail s’est proposé d’en être la première étape.

[modifier] Notes et références de l'article


[modifier] Voir aussi

[modifier] Articles connexes