Rumeur

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Le mot rumeur a deux acceptions:

  • Un bruit informel, persistant et sans source déterminée (rumeur de la foule, du corps, de la mer);
  • Un phénomène de transmission large d'une histoire à prétention de vérité et de révélation par tout moyen de communication formel ou informel.

Ce second sens, discuté ici, recouvre des réalités très diverses :

  • les fausses informations, erreurs journalistiques et manœuvres de désinformation, pourvu qu'elles soient révélées a posteriori et fassent controverse ;
  • les préjugés, quand ils sont racontés et non seulement assénés — c'est pourquoi on a pu parler en particulier des Protocoles des Sages de Sion comme d'une « rumeur » antisémite ;
  • la propagande, quand elle prend appui sur des histoires de vie, des cas exemplaires, des théories globales ;
  • le canular, quand il n'est pas encore révélé — ainsi certains auteurs parlent-il de l'émission radiodiffusée en 1938 d'Orson Welles sur la « Guerre des mondes » comme d'une rumeur ;
  • certaines formes de théorie du complot, quand la narration importe davantage que la révélation ;
  • la légende contemporaine ou légende urbaine, quand elle perd son côté purement anecdotique et se trouve au centre de controverses, en particulier médiatique — exemple : longtemps classée « légende contemporaine », l'histoire du « terroriste au grand cœur » s'est vu affubler du qualificatif de « rumeur » peu après les attentats américains du 11 septembre 2001 [un homme prévenait de l'imminence d'un attentat une bonne âme responsable d'une bonne action] ;
  • la communication virale, quand le produit promu disparaît sous la (trop) « bonne histoire ».

Les rumeurs peuvent faire partie de techniques d'influence dans le cadre de stratégies de diversion.

Sommaire

[modifier] Histoire du concept

Le concept a pour origine les recherches de psychologie judiciaire entreprises à partir de 1902 par l'Allemand Louis William Stern, qui, le premier, a exposé le « protocole expérimental » de la rumeur. Celui-ci est devenu depuis lors l'un des exemples les plus classiques de la psychologie sociale (et des colonies de vacances, grâce à son côté ludique) : il s'agit de créer une « chaîne de sujets », qui se passent une histoire de bouche à oreille, sans droit à la répétition ou à l'explication ; à la fin, on compare l'histoire racontée par le premier sujet et celle racontée par le dernier ; naturellement, l'histoire est au mieux tronquée, au pire déformée.

Stern ne poursuivra pas ses recherches plus avant, mais il verra passer dans son laboratoire un jeune étudiant américain, Gordon Allport, qui reprendra les recherches à partir de 1945 et en fera un immense succès de librairie. Le concept parviendra enfin en France à la fin des années 1950, par le truchement d'un cours en Sorbonne donné par Guy Durandin.

[modifier] Les mécanismes de la rumeur

Les rumeurs obéissent à une logique et à des règles dont il est possible d'analyser les mécanismes. La majorité des rumeurs sont produites spontanément, elles ne sont pas le fruit d'un complot mais d'un mensonge, de "paroles en l'air" dont un groupe ou une société se saisit, pour diverses raisons, et l'amplifient ainsi. Il semble que le besoin de "partir en croisade" conduit certaines personnes à s'emparer de rumeurs et à les propager afin de se donner une importance, un rôle social dont elles seraient habituellement dépourvues. La rumeur offre parfois une explication simplifiée et rassurante de certains problèmes de société, expliquant ainsi son succès[1]. Un certain nombre de rumeurs, comme à l'approche d'élections par exemple, sont produites intentionnellement dans le but de discréditer un opposant.

[modifier] Exemples de rumeurs ou de légendes urbaines

[modifier] La rumeur dite d'Orléans

Cette rumeur est ainsi qualifiée en raison de l'ouvrage publié en 1969 par cinq sociologues dirigés par Edgar Morin. Elle laissait entendre que les cabines d'essayage de plusieurs magasins de vêtements féminins de cette ville étaient en fait des pièges pour les clientes, qui y auraient été enlevées pour être livrées à un réseau de prostitution — Cf. l'article Traite des Blanches.

Cette rumeur est un cas d'école, par sa durée, son extension, ses dégâts, et par sa fin : si aucun démenti, même officiel — signalant, par exemple, qu'aucune disparition suspecte n'a été répertoriée dans les environs par les services de police —, n'a jamais réussi à y mettre fin, elle cessa d'intéresser les médias lorsque qu'elle prit la forme d'un canular — les clientes disparues étaient prises en charge par un sous-marin remontant la Loire... Depuis lors, elle continue néanmoins à se raconter sous diverses formes.

Icône de détail Article détaillé : Rumeur d'Orléans.

[modifier] L'araignée dans un yucca

La présence d'araignées dans des yuccas est évoquée pour la première fois en Scandinavie et en Grande-Bretagne au début des années 1970. En France, l'histoire fait surface dans un journal lyonnais en 1986. Chaque fois, le récit est presque identique : l'arrosage du yucca provoque un bruissement des feuilles sans cesse plus fort, jusqu'au moment où des araignées émergent de la plante, les pompiers sont alors appelés pour détruire ces animaux.

Cette rumeur est bien sûr infondée : les araignées ne pondent pas dans les arbres ou la végétation ; de toute façon, les araignées qui sortent de ces œufs sont tellement petites qu'elles n'attireraient en rien l'attention de quiconque. Au plus fort de la rumeur, en 1986, l'importation des yuccas a baissé de près de deux tiers (Reumaux, 1996).

La presse nationale avait fini par s'intéresser à cette rumeur et à s'en faire l'écho, non pour la colporter, mais, au contraire, pour la démystifier et l'analyser. Un sociologue avait très justement noté le caractère récurrent de certaines rumeurs stéréotypées, réapparaissant toutes les trois ou quatre décennies, sous une nouvelle forme : ainsi la rumeur de la « mygale dans le yucca » n'était qu'un nouvel avatar d'une ancienne rumeur selon laquelle on avait trouvé un serpent dissimulé dans un régime de bananes. On notera la similitude : vieille peur irrationnelle des végétaux exotiques importés.

[modifier] Le Tract de Villejuif

Au milieu des années 1970 a circulé sous forme de photocopies une liste soi-disant publiée par l'hôpital de Villejuif et signalant comme cancérigènes un certain nombre d'additifs alimentaires, dont l'inoffensif E330 (acide citrique) et même l'E300 (la vitamine C, qui est au contraire considérée comme ayant des effets anti-cancérigènes en raison de son pouvoir antioxydant). Bien que l'hôpital de Villejuif (l'Institut Gustave-Roussy, de son vrai nom) ait démenti à plusieurs reprises [2] être à l'origine de ce document, cette légende urbaine se remet parfois à circuler épisodiquement, y compris de nos jours par propagation électronique.

[modifier] Une rumeur américaine

Aux États-Unis, au début des années 1980, Procter et Gamble et Mac Donald, entre autres entreprises, sont confrontées à une rumeur affirmant qu’une partie de leur capital serait dans les mains de la secte Moon. L’origine de ces rumeurs a cependant pu être trouvée : elle venait des homélies des pasteurs de communautés religieuses fondamentalistes. Ces rumeurs semblaient étayées par des « preuves » quand certains ont cru voir le nombre du diable (666) dans l’emblème de ces entreprises, qui a d'ailleurs fini par être modifié[1].

[modifier] Expressions françaises rattachées

  • L'homme qui a vu l'homme qui a vu l'ours : se dit d'une histoire dont la source n'est pas de première main, et qui généralement n'est pas vérifiable.
  • Le téléphone arabe : expression péjorative, née dans les méandres du conflit franco-algérien (premières occurrences repérées au début des années 1960), désignant une information véhiculée de bouche à oreille ayant toutes les chances d'être déformée en cours de route, sans possibilité de vérifier son intégrité en bout de chaîne.
  • Radio-moquette, radio-couloir (dans le milieu des entreprises) ; radio-cocotier, radio-trottoir (dans le milieu des journalistes) sont des expressions également péjoratives pour désigner la diffusion d'une nouvelle apparentée à la rumeur

[modifier] Bibliographie (partielle)

En français:

  • Guy Durandin, Les rumeurs. Les camps de déportés. Le problème des handicapés, Paris, Centre de documentation universitaire, coll. « Les cours de Sorbonne », 1957, pages 1-46.
  • Pascal Froissart, La rumeur. Histoire et fantasmes, Paris, Belin, 2002, 198 p.
  • Jean-Noël Kapferer, Rumeurs. Le plus vieux média du monde, Paris, Seuil, 1987, 317 p.
  • François Ploux, De bouche à oreille : naissance et propagation des rumeurs dans la France du XIXe siècle, Aubier, 2003. (ISBN 2-7007-2326-0)
  • Françoise Reumaux, La Veuve noire, Paris, Méridiens Klincksieck, 1996, 188 p.

Autres langues:

  • (en) Gordon W. Allport & Leo J. Postman, The basic psychology of rumor. "Transactions of the New York Academy of Sciences", Série II, vol. 8, 1945, pages 61 à 81.
  • (de) L. William Stern, Zur Psychologie der Aussage. Experimentelle Untersuchungen über Erinnerungstreue. "Zeitschrift für die gesamte Strafrechtswissenschaft". Vol. XXII, cahier 2/3, 1902.

[modifier] Liens connexes

[modifier] Liens externes

[modifier] Références

  1. ab Rumeurs, Jean-Noël Kapferer éditions du Seuil
  2. Voir communiqué de l'IGR : http://www.igr.fr/?p_id=12