Nature du régime de Vichy

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Le Régime de l'État français, plus couramment appelé Régime de Vichy fut le régime politique de la partie sud de la France et des colonies françaises (avant leur libération) entre juin 1940 et août 1944.

L'expression Régime de Vichy est un terme en toute rigueur impropre car son extension n'était pas limitée à cette ville, qui n'était même pas sa capitale (seulement le siège du gouvernement), et dont ses protagonistes n'étaient pas originaires. Mais l'usage populaire a prévalu, malgré la désignation qui était officiellement la sienne : l’État français.

Cet article traite de la nature de ce régime et des débats constitutionnels dont il a pu être la source.

L'histoire de la France pendant la même période fait l'objet d'un article détaillé : Régime de Vichy

Sommaire

[modifier] L’instauration du pouvoir personnel

Le parlement fut réuni en Assemblée nationale (Sénat et Chambre des Députés) le 10 juillet 1940, et attribua les « pleins pouvoirs » au maréchal Pétain, sous la pression conjuguée des circonstances (aucun parlementaire ayant voté contre n'était assuré de sortir libre), des mensonges de Pierre Laval (qui avait promis le maintien de la République à des parlementaires de gauche, dont certains s'engagent ensuite dans la Résistance) et du délitement général (une large partie de la droite n'a plus confiance dans le parlementarisme, une bonne partie des radicaux a glissé au centre droit, sinon à droite, certains socialistes sont complètement désorientés par les événements). Seuls 80 parlementaires votèrent contre.

A posteriori (et comme quelques rares voix ont pu le dire à l'époque), cette réforme peut nous apparaître comme grossièrement inconstitutionnelle, car la compétence de révision confiée par la constitution de 1875 à l'Assemblée nationale n'était pas la propriété particulière de cette dernière, mais sa fonction exclusive. Selon nos conceptions juridiques modernes, certains trouvent donc évident que l'Assemblée ne pouvait ni déléguer ni transférer cette fonction à quiconque. Néanmoins, la Troisième République avait une conception pratiquement illimitée de la compétence de l'Assemblée nationale, qui pouvait par exemple autoriser le gouvernement à promulguer des lois par décret. Cependant, il demeure que la confusion de tous les pouvoirs (constituant, législatif, exécutif et judiciaire) entre les mains d'un seul homme était totalement contraire aux fondements mêmes de la constitution de 1875 : compréhensible pour gagner la guerre, lorsque les circonstances semblent l’exiger (comme il en existe de multiples exemples historiques), cette concentration était injustifiable pour demander la paix.

C'est ainsi que les actes rédigés par Pétain grâce au vote du 10 juillet 1940 instaurèrent un « État français » à la place de la République. Bientôt, la devise républicaine « Liberté, Égalité, Fraternité » allait être remplacée par la devise « Travail, Famille, Patrie » tandis que la chanson Maréchal, nous voilà ! allait concurrencer la Marseillaise (officiellement conservée).

Le gouvernement de Vichy eut pour chef Pierre Laval 1940, puis l’amiral François Darlan en 1941 et 1942, et à nouveau Pierre Laval, jusqu’à la chute du Régime de Vichy en 1944.

Pour la majorité des Français, complètement désemparés par l’exode massif et la défaite militaire, puis soulagés par l’armistice, les circonstances de l’instauration du nouveau régime étaient sans importance, et le remplacement d’une république vaincue par un régime adapté à la période de guerre et d’occupation, une évidence.

De plus, le vieux maréchal, dont le patriotisme paraissait au-dessus de tout soupçon et l’honnêteté incontestable, leur inspirait confiance. Le prestige qu'il avait gagné pendant la Première Guerre mondiale (bataille de Verdun) renforçait son image de sauveur de la patrie. D'autant que la radio et les journaux ne cessaient de vanter ses mérites. Certains allaient même jusqu'à s'imaginer qu’à sa simple vue, les Allemands impressionnés abaisseraient leurs exigences et appliqueraient à la France un traitement favorable. C’est ainsi qu’à la faveur de la défaite, Pétain devint l’icône d'un régime dictatorial.

[modifier] La mise en place d'un régime autoritaire et des lois d’exclusion

Le régime de Vichy est un mélange de paternalisme, de pacifisme, et de patriotisme. Les frontières politiques sont complètement brouillées par les circonstances. Les objectifs sont également assez confus : le régime est né d'une conception purement métropolitaine de la France, mais c'est dans les colonies qu'il dispose d'une vraie autonomie. Il en résulte des orientations qui apparaissent surtout a posteriori :

Un déni de réalité, similaire à celui de l'Allemagne de 1918 : les anciens combattants victorieux de la Première Guerre mondiale ne peuvent pas admettre que la défaite est d'abord militaire. C'est donc la société entière qui est coupable, et aussi les Britanniques qui ont trahi, et les Américains qui n'étaient pas là quand on avaient besoin d'eux, etc. Ce thème sera exploité et renforcé avec l’affaire de Mers El-Kébir et les premiers bombardements alliés sur des objectifs en France.

Une forme de Realpolitik : la France est vaincue, il vaut mieux se soumettre à l’Allemagne que tenter une vaine résistance, dont l'expérience de 1871 a montré les limites et les dangers. Et puis l’Allemagne ayant vaincu la France ne peut que vaincre, il vaut donc mieux se rendre utile que s'en faire un ennemi.

Le thème de l'imitation : l'Allemagne n'a pas vaincu par hasard mais grâce à une politique globale qu'il faut imiter. L'antisémitisme apparaît comme une composante majeure, mais les autres composantes sont là : l'enrôlement de la jeunesse, le culte de la santé et de la culture physique, le thème de la mère de famille, le culte du chef, le thème du retour aux vraies et anciennes valeurs, l'anticommunisme, le militarisme, etc. Cet argument est particulièrement mis en avant par l’extrême droite, en sympathie avec le nazisme, qui voit avec le régime de Vichy l’occasion d’une revanche.

Le thème de la faute, et même du péché : la France n'est pas, non plus, vaincue par hasard, elle a commis une faute politique en s'écartant du modèle autoritaire qui a triomphé sur toutes ses frontières (Allemagne, Italie, Espagne... ). Il faut donc se laver du péché, celui d'avoir cru au Front populaire, aux lois sociales (40 heures, congés payés, etc.), celui d'avoir négligé la famille, les valeurs traditionnelles (femmes au foyer...), l'agriculture, la religion, et bien sûr l'antisémitisme. Ceci est important car il se produira, en 1945, pour la même raison, un nouveau renversement ; les femmes obtiendront, enfin, le droit de vote.

[modifier] Le culte de la personnalité

La France adopte le FührerPrinzip en vigueur en Allemagne, Italie, Espagne : ces pays ont leur Führer, leur Duce, leur Caudillo, elle aura son « Maréchal ».

L'exaltation du maréchal, partant de ses états de service de 1914-1918 et son intention affichée de sauver la France devint le thème favori des médias, d'abord spontanément, puis sous le contrôle étroit de la censure.

Le portrait du maréchal se répandit dans les foyers des Français, qui comptaient sur lui dans ces circonstances difficiles. L'image du « bouclier » protégeant la France s'imposera, et survivra même à la fin de la guerre dans une large frange de la population.

L'image du vieux maréchal fut présente partout, non seulement dans les lieux publics, mais aussi dans les vitrines de tous les magasins, où il remplaçait les marchandises absentes en raison des prélèvements forcés du vainqueur.

Quant aux récalcitrants ou sceptiques (rares au début, de plus en plus nombreux avec le temps), ils trouvaient Pétain dans le tiroir de leur bureau, sous la forme de timbres, et ils le retrouvaient à nouveau sur leur courrier, à chaque fois qu'ils ouvraient leurs boîtes à lettres.

[modifier] L'embrigadement social

La jeunesse fut naturellement placée sous contrôle. Les enfants des écoles défilaient, en tenues de sport, le bras tendu pour saluer « à la romaine » (c’est-à-dire de la même façon que les nazis et les fascistes italiens), en chantant Maréchal nous voilà. Cet embrigadement a été comparé par certains auteurs à celui pratiqué par les régimes totalitaires d'Allemagne, d'Italie et d'URSS. On multiplie les occasions de manifestations collectives, organisées devant le maréchal, ses représentants civils ou militaires ou ses chefs légionnaires. Tout cela sous les auspices du maréchal, dont les portraits ornent, en de multiples exemplaires, les locaux pour la jeunesse : classe, local scout, etc.

Pétain, sous le couvert de son slogan « Travail, Famille, Patrie », enserra l'ensemble des Français dans un réseau de hiérarchies parallèles, à partir de sa « Légion française des combattants » (LFC). Dans celle-ci furent en effet rassemblés non seulement de véritables anciens combattants, mais aussi de nombreux partisans de sa « Révolution Nationale » qui n'avaient jamais combattu, comme les Amis de la Légion et les Cadets de la Légion. Nommé en juin 1942 à la tête de la LFC, Raymond Lachal tente de transformer la Légion en embryon de parti unique.

Par ailleurs un ancien combattant passé au fascisme, Joseph Darnand, admirateur avant-guerre du système nazi, créa un « Service d'ordre légionnaire » (SOL), et l'étendit à toute la zone sud et à l'Afrique du Nord. Cette organisation de fiers à bras allait, avec le soutien personnel du maréchal, prendre le nom de « Milice française », après le débarquement allié et l'invasion allemande de la zone sud, et se consacrer à la répression avec comme objectif d'imiter parfaitement l'Allemagne nazie, donc de se mettre à son service.

Comme tout dictateur, le maréchal a instauré, sous le nom de « Révolution nationale », un régime autoritaire, où tous les fonctionnaires, y compris les soldats et les juges, devaient lui prêter serment. Il profita des pleins pouvoirs pour déclencher immédiatement la répression et une véritable chasse aux sorcières. Alors que les réfugiés étaient encore sur les routes, il fit pleuvoir sans délai les suspensions de fonctionnaires mal-pensants ou appartenant à des groupes honnis (francs-maçons et Juifs). Le marché noir et les lois antijuives firent de la délation un sport national, la dénonciation calomnieuse devenant un moyen de régler tous les petits griefs de la vie quotidienne et économique.

[modifier] La discrimination et l’antisémitisme

Le régime adopte, à la suite de l'armistice du 22 juin 1940 signé avec l'Allemagne nazie, des lois d'exclusion contre les francs-maçons et contre les Juifs, enfants compris.

Ces lois de l'État Français (Régime de Vichy) étaient copiées sur les lois nazies. Du point de vue de l'exclusion de l'accès à certaines professions, elles pouvaient les égaler en dureté. À certains égards, elles étaient même plus rigoureuses que celles de l'Italie fasciste, sans pour autant que, dans ses fondements et sa globalité, le régime de Vichy ait été considéré, par certains historiens, comme fasciste.

En 1941 se tient au palais Berlitz, boulevard des Italiens à Paris, une exposition antisémite intitulée : « Le Juif et la France ». Cette exposition de propagande antisémite tente de justifier l'antisémitisme de Vichy [1],[2].

Le régime se met au service de la politique de l'Allemagne nazie pour la chasse aux Juifs. La police française y participe. À compter d'un décret signé par Hitler en date du 9 mars 1942, elle se trouve placée sous l'autorité d'un « Chef suprême des SS et chef de la police dans le ressort du commandant militaire en France ». Dans le même texte, ce commandant reçoit « le droit de donner des instructions aux autorités et forces de police françaises et le droit de les contrôler ».

À ce titre, de nombreux Juifs furent arrêtés par la police française, confiés à la gendarmerie française, acheminés généralement dans les trains de la SNCF vers les camps de concentration français (Drancy et bien d'autres) avant d'être remis aux nazis dans le cadre de la « solution finale ».

[modifier] La question de la légalité

Selon Raymond Aron[3], « le régime de Vichy singularisa la France pendant la [...] guerre ; seul de tous les gouvernements des pays occupés, il revendiqua sa légalité jusqu'au bout, se battit bec et ongles contre les empiètements des autorités d'occupation au point de revendiquer la responsabilité de faire lui-même ce qui le déshonorait (par exemple la déportation des Juifs). »

[modifier] Notes et références

  1. ina.fr, archives pour tous Inauguration de l'exposition « Le Juif et la France » au palais Berlitz, les Actualités Mondiales, 12 septembre 1941.
  2. Michel Wlassikoff, « Septembre 1941 : « L’Europe se débarrasse des Juifs » » , Tribune juive, [lire en ligne sur : tribunejuive.fr]
  3. in Mémoires

[modifier] Liens internes

[modifier] Liens externes