Modèle de propagande

Un article de Wikipédia, l'encyclopédie libre.

Le concept de modèle de propagande, ou modèle propagandiste (en anglais propaganda model) est présenté par Edward S. Herman et Noam Chomsky comme une critique de la liberté d'expression dans les médias américains.

Dans son livre La Fabrique de l'opinion publique[1] Chomsky tient des propos subversifs sur les représentations convenues présentant les États-Unis comme le pays de la Liberté, champion de la démocratie et du Monde libre. Les mots employés par le linguiste sont soigneusement choisis, le terme de propagande permettant d'avancer l'idée que même une démocratie peut adopter les recettes observées dans un État totalitaire.

Times Square, au cœur d'une dense société de l'information ; la multiplicité des supports et des sources est-elle réductible à un modèle théorique ? Chomsky s'attelle à cette tâche, le décrit, puis le passe au spectre de l'Histoire contemporaine des États-Unis.
Times Square, au cœur d'une dense société de l'information ; la multiplicité des supports et des sources est-elle réductible à un modèle théorique ? Chomsky s'attelle à cette tâche, le décrit, puis le passe au spectre de l'Histoire contemporaine des États-Unis.

Sommaire

[modifier] Structuration

Le modèle est présenté tout d'abord par ses structures, Chomsky montrant les liens entre l'industrie des médias et du divertissement et les grands groupes économiques et financiers du pays qui, par un effet de concentration capitalistique ont pris le contrôle de la majorité des organes de presse écrite et télévisée. L'ère des déclarations de principes — telle celle proclamée par le personnage Citizen Kane d'Orson Welles lors de la fondation de son journal proclamant l'indépendance des investigators — est bel et bien révolue compte tenu de ce poids réduisant à cinq acteurs, personnes morales correspondant aux oligopoles, ceux qui « font » les médias aux États-Unis d'Amérique : General Electric (propriétaire de NBC), le groupe Time Warner / AOL, Rupert Murdoch, propriétaire de Fox News, l'empire Turner à l'origine de la chaîne mondiale CNN d'informations en continu, et le conglomérat lié à Columbia Broadcasting System.

La collusion d'intérêts liés aux activités de l'industrie, de la publicité, et d'une manière générale de la rentabilité demandée aux entreprises vient se surajouter à la mission déontologique reconnue des journalistes : apporter l'information sans parti-pris[2]; la situation obtenue est troublante.

Sans tomber dans le travers d'une théorie du complot, la thèse de Chomsky développée dans le livre est que le journaliste, évoluant dans une des entreprises contrôlée par ces groupes, peut passer l'ensemble de sa carrière dans l'illusion d'une liberté d'expression, alors que les sources d'information, les canaux de distribution, et les consignes amenées par les rédacteurs en chef au travers des politiques éditoriales construisent son environnement dans la perspective d'un consensus moral soucieux de ne pas égratigner la sphère politique, les lobbies, et l'« opinion publique » conçue de manière stéréotypée comme un électeur conservateur qu'il convient de conforter dans ses opinions.

[modifier] Instanciations

Pour Noam Chomsky et dans le cadre d'une société de l'information structurée et organisée, le traitement de l'information donnée aux citoyens relève donc de ce « modèle de propagande ».

Après avoir fait apparaître les caractéristiques et composantes structurant ce modèle, Noam Chomsky analyse précisément les occurrences dans les grands journaux de presse écrite, par exemple le New York Times ou le Wall Street Journal, en comptabilisant au mot près ou au nombre d'articles près, pour diverses périodes controversées de l'Histoire des États-Unis, le traitement de l'information. Les résultats sont donnés sous forme de tableaux statistiques comparatifs.

Cette analyse laisse apparaître l'image donnée au public des évènements de la guerre du Viet-Nam, ainsi qu'un poids considérable pour les dénonciations des exactions commises dans les pays du bloc communiste pendant la guerre froide : les médias participent donc activement à la lutte contre le communisme auprès de leur lectorat. Dans le même temps, les massacres touchant les populations civiles liés au support via les opérations noires de la CIA en Amérique centrale (Honduras, Nicaragua) sont traités par l'ellipse ou dans des formulations choisies dans les articles, très inférieurs en nombre.

La même logique applique le « modèle de propagande » à la Guerre du Golfe (1990-1991), l'invasion de Panama par les forces américaines en 1989 (opération Just Cause déposant le général Noriega), ainsi que, dans une édition révisée du livre en 2003, l'invasion de l'Irak dans le cadre de la « guerre contre le terrorisme ».

[modifier] Influence de la publicité sur les contenus

Dans la mesure où les grands médias généralistes dépendent de manière majeure des revenus de la publicité pour survivre, le modèle suggère que l'intérêt des publicitaires prévaut sur le récit de l'information. Chomsky et Herman considèrent que, comme toute entreprise, un journal représente un produit pour lequel il est soumis à la concurrence au travers de son audience, prise au sens large : les lecteurs qui l'achètent ; parmi eux la partie de la population qui représente l'élite décisionnaire et éduquée ; mais aussi faisant corps avec cette audience les entreprises qui assurent la promotion de leurs produits dans les colonnes du journal. De sorte qu'un filtre apparaît entre ces colonnes, le média lui-même jouant finalement le rôle de « rabatteur » pour amener les lecteurs au profil choisi au contact des publicités, qui constituent au final le contenu le plus important pour l'entreprise de presse.

En conséquence, les thèmes abordés dans le reste du contenu, s'ils s'avèrent contraires aux intérêts des sponsors et divergent par rapport à leur vision du monde, sont à écarter. Selon cette théorie, le renversement est tel que le public achetant le journal s'avère être le produit final que l'entreprise de presse vend, par son tirage et la segmentation de son lectorat, aux entreprises qui achètent des espaces publicitaires : l'information ne joue qu'un rôle superficiel dans cet ensemble.

Cette théorie est confortée par les propos tenus par Patrick Le Lay en juillet 2004 .

« Il y a beaucoup de façons de parler de la télévision. Mais dans une perspective 'business', soyons réaliste : à la base, le métier de TF1, c'est d'aider Coca-Cola, par exemple, à vendre son produit.
[…]
Or pour qu'un message publicitaire soit perçu, il faut que le cerveau du téléspectateur soit disponible. Nos émissions ont pour vocation de le rendre disponible : c'est-à-dire de le divertir, de le détendre pour le préparer entre deux messages. Ce que nous vendons à Coca-Cola, c'est du temps de cerveau humain disponible. »
    — Patrick Le Lay, propos tirés du livre Les Dirigeants français et le changement, éditions du Huitième jour.

[modifier] Annexes

[modifier] Articles connexes

[modifier] Notes et références

  1. La Fabrique de l'opinion publique : la politique économique des médias américains, Le Serpent à plumes, 2003, ISBN 284261416X. Première parution New York : Pantheon Books, 1988.
  2. Lire quatrième pouvoir.