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Conrad - La remontée du fleuve

La remontée de ce fleuve, c’était comme une remontée aux premiers commencements du monde, au temps où la végétation se déchaînait sur la terre, où les grands arbres étaient rois. Un fleuve vide, un vaste silence, une forêt impénétrable. L’air était chaud, épais, lourd, léthargique. Il n’y avait nulle joie dans l’éclat du soleil. Les longues lignes droites de la voie d’eau couraient, désertes, se perdre dans l’obscurité des lointains ombreux. Sur des bancs de sable argentés, hippopotames et crocodiles, prenaient le soleil. Les eaux s’élargirent, coulant au milieu d’une foule d’îles boisées ; on se perdait sur ce fleuve comme on le fait dans un désert, et l’on donnait de la proue dans les hauts-fonds du matin au soir, en essayant de trouver le chenal, jusqu’à se croire ensorcelé, et coupé à jamais de tout ce qu’on avait connu jadis...

Joseph Conrad (3/12/1857-1924) – Au cœur des ténèbres (1899 – trad. fr. Gallimard 1996)

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[modifier] s:décembre 2007 Invitation 1

Sur le Rhin - Heinrich Heine

Montagnes et donjons regardent dans le fleuve clair comme un miroir, et mon petit esquif cingle joyeusement, illuminé de l'éclat du soleil.

Tranquille, je regarde le scintillement des vagues qui se replient avec des reflets d'or ; silencieusement s'éveillent les pensées qui dormaient au fond de mon cœur.

La magnificence du fleuve me salue et m'attire par d'amicales promesses ; mais je le connais ; sa surface trompeuse cache au dedans la mort et la nuit.

Au dehors le bonheur, et des embûches dans le sein, fleuve, tu es l'image de ma bien-aimée : elle aussi a l'air si amical, elle aussi sourit doucement.

Heinrich Heine (13/12/1797 - 1856) - Sur le Rhin

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[modifier] s:décembre 2007 Invitation 2

Alphonse Daudet - Les Trois Messes basses (Conte de Noël)

La nuit était claire, les étoiles avivées de froid ; la bise piquait, et un fin grésil, glissant sur les vêtements sans les mouiller, gardait fidèlement la tradition des Noëls blancs de neige. Tout en haut de la côte, le château apparaissait comme le but, avec sa masse énorme de tours, de pignons, le clocher de sa chapelle montant dans le ciel bleu noir, et une foule de petites lumières qui clignotaient, allaient, venaient, s’agitaient à toutes les fenêtres, et ressemblaient, sur le fond sombre du bâtiment, aux étincelles courant dans des cendres de papier brûlé... Passé le pont-levis et la poterne, il fallait, pour se rendre à la chapelle, traverser la première cour, pleine de carrosses, de valets, de chaises à porteurs, toute claire du feu des torches et de la flambée des cuisines. On entendait le tintement des tournebroches, le fracas des casseroles, le choc des cristaux et de l’argenterie remués dans les apprêts d’un repas ; par là-dessus, une vapeur tiède, qui sentait bon les chairs rôties et les herbes fortes des sauces compliquées, faisait dire aux métayers comme au chapelain, comme au bailli, comme à tout le monde : — Quel bon réveillon nous allons faire après la messe !

Alphonse Daudet (1840 - 16/12/ 1897) - Lettres de mon moulin.

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[modifier] s:décembre 2007 Invitation 3

Marguerite Yourcenar – Tellus stabilita

Je voulais que l'immense majesté de la paix romaine s'étendît à tous, insensible et présente comme la musique du ciel en marche ; que le plus humble voyageur pût errer d'un pays, d'un continent à l'autre, sans formalités vexatoires, sans dangers, sûr partout d'un minimum de légalité et de culture ; que nos soldats continuassent leur éternelle danse pyrrhique aux frontières ; que tout fonctionnât sans accroc, les ateliers et les temples ; que la mer fût sillonnée de beaux navires et les routes parcourues par de fréquents attelages ; que, dans un monde bien en ordre, les philosophes eussent leur place et les danseurs aussi. Cet idéal, modeste en somme, serait assez souvent approché si les hommes mettaient à son service une part de l'énergie qu'ils dépensent en travaux stupides ou féroces ; une chance heureuse m'a permis de le réaliser partiellement durant ce dernier quart de siècle.

Marguerite Yourcenar(1903 - 17/12/1987 - Mémoires d'Hadrien (page 197) - (Éditions Gallimard, 1951)

[modifier] s:décembre 2007 Invitation 4

Olivier Adam - Effets de nuit

Ça a commencé comment ? Comme ça je suppose. Deux ronds de lumière, des feux bizarres posés sur rien, et l'horizon indistinct obscur et flou, tout là-bas au loin. Un halo mouillé dans la nuit des champs de betterave. Juste ça. Lentement mais sûrement ça s'approchait, dans un vacarme de moteur et de pneus dans la pluie ça s'approchait, une bouillie de lumière éblouissante. C'était juste un putain de camion, un machin énorme comme il en passait sur n'importe quelle route, la nuit, en rase campagne, c'était rien mais au moment de le croiser, au moment exact où je me suis trouvée prise dans le foyer blanc des phares, j'ai fermé les yeux. Un très court instant, un centième de seconde, peut-être moins. Mais quand je les ai rouverts tout s'est soudain réduit à un voile piqué de points jaunes, strié d'éclats, de traînées.

Olivier Adam - A l'abri de rien (page 34) - (Éditions de l'olivier, 2007)

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Conrad - La remontée du fleuve

La remontée de ce fleuve, c’était comme une remontée aux premiers commencements du monde, au temps où la végétation se déchaînait sur la terre, où les grands arbres étaient rois. Un fleuve vide, un vaste silence, une forêt impénétrable. L’air était chaud, épais, lourd, léthargique. Il n’y avait nulle joie dans l’éclat du soleil. Les longues lignes droites de la voie d’eau couraient, désertes, se perdre dans l’obscurité des lointains ombreux. Sur des bancs de sable argentés, hippopotames et crocodiles, prenaient le soleil. Les eaux s’élargirent, coulant au milieu d’une foule d’îles boisées ; on se perdait sur ce fleuve comme on le fait dans un désert, et l’on donnait de la proue dans les hauts-fonds du matin au soir, en essayant de trouver le chenal, jusqu’à se croire ensorcelé, et coupé à jamais de tout ce qu’on avait connu jadis...

Joseph Conrad (3/12/1857-1924) – Au cœur des ténèbres (1899 – trad. fr. Gallimard 1996)

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[modifier] s:décembre 2007 Invitation 6

Guillaume Apollinaire - Les sapins

(...) Dans les sept arts endoctrinés
Par les vieux sapins leurs aînés
Qui sont de grands poètes
Ils se savent prédestinés
A briller plus que des planètes


A briller doucement changés
En étoiles et enneigés
Aux Noëls bienheureuses
Fêtes des sapins ensongés
Aux longues branches langoureuses


Les sapins beaux musiciens
Chantent des noëls anciens
Au vent des soirs d'automne
Ou bien graves magiciens
Incantent le ciel quand il tonne (...)

Guillaume Apollinaire (1880-1918) - Alcools (1913)

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