Eugène Rouher

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Eugène Rouher
Eugène Rouher

Eugène Rouher, né à Riom le 30 novembre 1814 et mort à Paris le 3 février 1884, homme de loi et homme politique français, fut un des principaux personnages du Second Empire. Sa position prééminente au sommet de l'État dans les années 1860 lui valut d'être qualifié de « Vice-Empereur ». Il fut, entre la mort de Napoléon III (1873) et celle du prince Eugène (1879), le principal chef du parti bonapartiste.

Sommaire

[modifier] Biographie

[modifier] Du barreau de Riom à la scène politique

Fils d'un avoué auvergnat[1], Eugène Rouher est né à Riom le 30 novembre 1814. Après avoir envisagé une carrière dans la marine, il suivit des études de droit à Paris et devint avocat au barreau de Riom (1830), où il eut Esquirou de Parieu pour collègue. Il se fit bientôt connaître en plaidant certains procès politiques et devint le gendre du maire de Clermont-Ferrand, Hippolyte Conchon (v. 1840).

Orléaniste conservateur, partisan d'une monarchie autoritaire, Rouher se présenta aux élections de 1846 en tant que candidat guizotin (il avait rencontré Guizot par l'entremise de Morny). Malgré son échec lors de ce dernier scrutin, il se représenta en 1848 et fut élu représentant à la Constituante sous une étiquette d'« indépendant » entretenant volontairement un certain flou sur ses sentiments à l'égard de la Seconde République qui venait d'être proclamée.

[modifier] Sous la Seconde république

Rouher, vers 1850.
Rouher, vers 1850.

En effet, bien qu'il ait publiquement qualifié ce dernier régime d'« arche sainte des générations futures » et qu'il ait tenu - à l'instar d'autres "républicains du lendemain" - des propos plutôt progressistes durant la campagne électorale, il devait bientôt manifester ses idées conservatrices en siégeant à droite, en votant contre le droit au travail et en préparant la loi qui organisait la déportation des insurgés des journées de Juin. Il rejoignit d'ailleurs le parti de l'Ordre, dirigé par Cavaignac et Morny, en 1849 et, quelques mois plus tard, s'adressant aux représentants de la Gauche, il déclara : « Votre révolution de février n'a été qu'une catastrophe ! ».

Réélu à l'Assemblée législative (mai 1849), son opportun ralliement à Louis-Napoléon Bonaparte[2] lui rapporta la portefeuille de la Justice dans le gouvernement Hautpoul, ce « ministère des Commis » formé le 31 octobre 1849. Rouher, qui soutint la loi du 31 mai 1850 restreignant le suffrage universel[3], conserva ce poste de garde des sceaux au sein du gouvernement nommé le 10 janvier 1851. A nouveau membre du ministère formé le 11 avril 1851 (cabinet Baroche-Fould), il fit partie du petit cercle de fidèles informés dès le mois d'août du projet de coup d'État. Malgré son refus de participer directement au 2 décembre, il accepta de reprendre le portefeuille de la Justice dans le ministère formé dès le lendemain du coup d'État.

[modifier] Un pilier de l'Empire autoritaire

Caricature par Paul Hadol (1870)
Caricature par Paul Hadol (1870)

Principal artisan, avec Troplong, de la Constitution du 14 janvier 1852, et instigateur, avec Persigny, du décret relatif au régime de la presse instituant un système de censure rigoureux, Eugène Rouher contribua efficacement à l'établissement de l'Empire autoritaire. Bien qu'il ait démissionné en même temps que Fould, Magne et Morny pour protester contre la spoliation des princes de la maison d'Orléans (23 janvier 1852), il fut nommé vice-président du Conseil d'État au mois de décembre suivant. Napoléon III ne pouvait en effet se passer des services de ce technocrate habile et dévoué. Nommé à la tête d'un grand ministère de l'Agriculture, du Commerce et des Travaux publics (1855 - 1863), il contribua à la mise en place du réseau ferroviaire et, en tant que partisan du libre-échange, il joua un rôle de premier plan dans la négociation du traité de commerce avec l'Angleterre (23 janvier 1860).

Entré au Sénat en 1856 puis au Conseil privé en 1859, il fut nommé président du Conseil d'État en juin 1863 puis ministre d'État en octobre de la même année. Cette dernière fonction faisant de lui le représentant officiel de Napoléon III auprès du Sénat et du corps législatif, Rouher put alors être qualifié – selon une expression d'Émile Ollivier – de « Vice-Empereur ». Cette place prédominante au sommet de l'État s'explique autant par la fidélité sans borne de cet homme de loi froid et méthodique que par la relative faiblesse d'un souverain amoindri par de graves problèmes de santé.

La libéralisation du régime menée à la fin des années 1860 mit cependant fin à la position prééminente de Rouher, le conservatisme autoritaire de ce dernier ayant été inconciliable avec les réformes conduites à cette époque. Il fut ainsi démis de ses fonctions en juillet 1869 mais obtint toutefois la présidence du Sénat. Si Rouher avait de nombreuses fois prouvé son habileté en matière de politique intérieure, il fut nettement moins avisé en conseillant l'empereur sur sa politique extérieure : partisan de l'expédition mexicaine qu'il considérait comme la « plus grande pensée du règne » et favorable à un rapprochement avec le régime sudiste pendant la guerre de Sécession, il ne put empêcher ni la montée en puissance de la Prusse, ni l'écrasement par cette dernière d'une France isolée et mal préparée, ni la chute du régime entraînée par ce désastre (1870).

[modifier] Sous la Troisième république

Eugène Rouher par Pierson
Eugène Rouher par Pierson

Resté fidèle à Napoléon III, Rouher lui rendit souvent visite dans son exil anglais pour le tenir informé des affaires de la France. Après avoir été battu dans deux circonscriptions lors des élections complémentaires de juillet 1871, il fut élu représentant de la Corse en février 1872 et rejoignit le groupe bonapartiste de l'Appel au peuple à l'Assemblée nationale. Il réorganisa alors le parti bonapartiste avec l'aide de Jules Amigues et de Paul Granier de Cassagnac et en prit la direction après la mort de Napoléon III (1873). Opposant à la république, il vota contre l'amendement Wallon et les lois constitutionnelles (1875).

Malgré un certain retour en force attesté par des résultats plus qu'encourageants aux élections de 1876 et 1877, le parti bonapartiste souffrit de son tiraillement entre le conservatisme autoritaire de Rouher et le libéralisme démocrate de Napoléon Jérôme. La rivalité entre les deux hommes (et leurs conceptions respectives) culmina d'ailleurs lors de leur duel pour la circonscription d'Ajaccio (1876)[4].

Réélu député de Riom en 1877, Rouher conserva son rôle d'apologiste de l'Empire jusqu'à la mort du prince Eugène (1879). Politiquement affaibli par cet évènement (qui plaçait son rival, Napoléon Jérôme, à la tête d'un mouvement bonapartiste déjà condamné par l'irrésistible ascension des républicains), Eugène Rouher se retira alors progressivement de l'arène politique et ne se représenta pas aux élections législatives de 1881.
Foudroyé par une attaque en 1883, il mourut à Paris le 3 février 1884.

[modifier] Jugement des contemporains

  • Victor Hugo, en traitant Rouher de « catin » dans ses Châtiments (Nox, IV, vers 29), insistait sur l'opportunisme du personnage.
  • Émile Ollivier l'a décrit ainsi : « Rouher, de taille moyenne, robuste, la tête régulière, agréable, forte et claire, animée par des yeux éveillés, intelligents, d'une finesse qu'on avait parfois quelque peine à distinguer de la fausseté, montrait dans toute sa personne un air d'assurance et d'autorité, que ne gâtait aucune morgue et qu'adoucissaient des façons d'une captivante familiarité ».[5]
  • Horace de Viel-Castel a dit de lui : « M. Rouher peut parler finances ou travaux publics devant le Sénat ou le corps législatif, il ne sera ni emprunté, ni trop mal accueilli, mais son importance bouffe, sa pâteuse jactance auvergnate, et la portée très bornée de son intelligence politique le rendent peu propre aux fonctions de ministre d'État. C'est un parleur mais ce n'est pas un orateur. Il y a en lui de l'avoué et de l'avoué de province. »[6]

[modifier] Notes et références

  1. Le musée de la Chartreuse de Douai possède un portrait du père de Rouher par Camille Corot (1847).
  2. Selon Émile Ollivier (L'Empire libéral, Paris, Garnier frères, 1897, t. II, p. 261), Rouher, « prêt à se donner au plus fort », aurait surtout agi par opportunisme, offrant successivement ses services à Lamartine puis Cavaignac avant de rallier Louis-Napoléon Bonaparte.
  3. Œuvre des partisans de l'Ordre soucieux de soustraire les classes populaires du suffrage universel, cette loi fut ensuite rejetée et utilisée comme argument par les bonapartistes afin de démontrer l'inadéquation entre la République et le Peuple. Or, en mai 1850, la rupture entre le prince-président et le parti de l'Ordre n'était pas encore consommée, et Rouher pouvait encore laisser libre cours à ses conceptions antidémocratiques.
  4. Rouher remporta le scrutin avec plus de 700 voix d'avance mais, également élu à Bastia et à Riom, il opta pour cette dernière circonscription, laissant ainsi Napoléon Jérôme siéger pour la Corse.
  5. Émile Ollivier, L'Empire libéral, Paris, Garnier frères, 1897, t. II, p. 260.
  6. Mémoires du comte Horace de Viel-Castel sur le règne de Napoléon III (1851-1864), Paris, 1883-1884, vol. VI, p.276 (octobre 1860).

[modifier] Bibliographie

  • Adolphe Robert, Dictionnaire des parlementaires français..., Paris, Bourloton, 1889, vol. 5, art. "Rouher, Eugène", pp. 202-204.
  • Robert Schnerb, Rouher et le Second Empire, Paris, A. Colin, 1949.
  • Frédéric Chalaron, Eugène Rouher, Riom, 1984.
  • Pierre Milza, Napoléon III, Paris, Perrin, 2004, pp. 293-294 et 489-490.
  • Emile Zola, Son Excellence Eugène Rougon, publié en 1876. À travers le récit de la carrière politique d'Eugène Rougon (inspiré d'Eugène Rouher), Zola met en scène divers personnages de l'entourage de Napoléon III, et déconstruit le système politique du Second Empire.
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