Empirisme logique

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L'Empirisme logique (parfois nommé positivisme logique, néo-positivisme, ou empirisme rationnel) est une école philosophique principalement illustrée par le Cercle de Vienne, fondé par un groupe réunissant des scientifiques et philosophes viennois dans les années 1920. Même si le positivisme logique est connu pour ses thèses radicales, le Cercle de Vienne était avant tout un lieu de discussion entre scientifiques, (Niels Bohr et Einstein y sont occasionnellement intervenus) et philosophes qui ne partageaient pas les mêmes convictions. On compte notamment dans ses rangs Moritz Schlick, Hans Hahn, Otto Neurath, Carnap. Le Cercle de Vienne est l'auteur d'un manifeste, publié en 1929 sous le titre La conception scientifique du monde, où il expose ses thèses principales. On peut aussi citer Ayer, qui est probablement celui qui a le mieux résumé les grandes thèses du positivisme logique, dans son œuvre Langage, Vérité et Logique.

Sommaire

[modifier] L'héritage positiviste

Le positivisme logique, ou néo-positivisme est issu du positivisme de Ernst Mach, d'Henri Poincaré et de la pensée du jeune Wittgenstein. Le positivisme est avant tout porté sur l'étude de la science. Il cherche à rompre avec les méthodes de la théologie et de la métaphysique, qui cherchent des dieux ou des causes mystérieuses pour expliquer les phénomènes. Le positivisme renonce à donner des causes aux phénomènes et ne cherche qu'à donner des lois permettant de les décrire et de les prédire. Sur ce point, le positivisme logique est parfaitement fidèle au premier positivisme. Il s'agit de décrire et de justifier les découvertes scientifiques en analysant leur démarche et leurs principes, de se poser la question comment le monde peut-il être ainsi ? (et non pourquoi est-il ainsi ?).

Il se distingue cependant du positivisme d'Auguste Comte par son empirisme. Chez Comte en effet, l'expérience sensible est très largement déterminée par les théories dont nous disposons pour la comprendre et n'a aucune priorité. Alors que le positivisme logique considère que la sensation est le fondement de la connaissance. Les sensations sont absolument indubitables, et peuvent donc, une fois formulées dans un langage précis, servir à créer des théories scientifiques. Les sensations doivent prendre la forme d'énoncés protocolaires décrivant qu'une certaine sensation a été ressentie à tel lieu et tel moment par telle personne. Les propositions protocolaires étant absolument vraies, la science n'a plus qu'à comprendre les relations entre ces propositions pour obtenir une théorie complète de la réalité physique. En cela, Mach est le véritable précurseur du Cercle de Vienne, car il défendait déjà l'idée que le concept de réalité objective n'est pas utile en science. La science ne fait selon lui qu'organiser de façon rationnelle et précise les relations entre nos sensations.

Si les sciences peuvent toutes se fonder sur les propositions protocolaires, alors les sciences auront une unité non seulement méthodologique mais aussi théorique. Il n'y a plus de raison de principe de distinguer les différentes sciences en fonction de leur domaine, comme le faisait Comte. Ultimement, les différentes sciences ne doivent en faire plus qu'une, et cette science sera la physique. On appelle cette réduction de toutes les sciences à une seule le physicalisme. Etre physicaliste, c'est affirmer que la physique permet d'expliquer tous les phénomènes du réel, y compris la vie ou la pensée humaine.

Par ailleurs, le positivisme logique, tout comme le positivisme, n'est pas sans préoccupations politiques. La science, ici, doit être une conception du monde, et pas simplement une discipline à laquelle on peut ou pas se livrer. La politique aussi doit renoncer à ses dogmes métaphysiques et être dirigée par des principes scientifiques. Neurath, notamment, a donné sa dimension politique au Cercle de Vienne.

[modifier] La dimension "logique" du positivisme

La principale nouveauté du Cercle de Vienne consiste dans son usage de la logique développée par Frege et Russell pour l'étude des problèmes scientifiques. La philosophie peut alors recevoir une définition entièrement nouvelle et radicale. Elle ne doit pas être une réflexion absurde sur de faux problèmes, elle doit se concentrer sur l'étude de la science. Plus précisément, la philosophie doit être la logique de la science, c'est-à-dire examiner les théories scientifiques, et en dégager les relations logiques. Elle doit montrer comment le langage d'observation constitué par les propositions protocolaires fournit les prémisses sur lesquelles on peut déduire les propositions scientifiques proprement dites.

La philosophie, dans le sens d'une logique de la science, étudie donc uniquement les discours scientifiques, qui sont les seuls véritables discours de connaissance. Et la science est menacée par la métaphysique, qui n'est pas une connaissance mais un mythe, réductible à de la poésie. Carnap dira du métaphysicien qu'il est « un musicien sans talent musical ». Cependant, la critique que fait le positivisme logique de la métaphysique est tout à fait originale. Celui-ci ne lui reproche pas tant de n'apporter aucune connaissance, critique traditionnelle depuis Kant, que d'être un pur non-sens. La métaphysique n'a aucune signification. Avec le passage du positivisme au positivisme logique, la critique de la métaphysique est passée d'une critique sur ses méthodes et ses thèses à une critique sur sa signification elle-même.

La logique va donc servir ici à distinguer le sens (la science) du non-sens (la métaphysique). Mais il faut établir un critère de distinction. Ce critère est la théorie vérificationniste de la signification. Il affirme que la signification d'un énoncé est sa méthode de vérification.[réf. nécessaire] Pour qu'un énoncé ait un sens, il faut donc qu'il porte sur un fait empirique observable. S'il n'y a aucun moyen de dire s'il est vrai ou faux, alors il n'a aucun sens. Ainsi une proposition affirmant "il y a un Dieu" n'est ni vraie, ni fausse, mais tout simplement dénuée de signification, car sans conséquences qui permettraient de vérifier l'affirmation. La théorie vérificationniste peut donc rejeter tous les énoncés de la métaphysique comme dénués de sens puisque invérifiables. Mais elle a aussi et surtout un intérêt en science, où peuvent se cacher des énoncés moins voyants mais tout aussi dénués de sens.

Par contre, le statut de la logique ne fait pas l'unanimité dans le Cercle de Vienne. Schlick défend une conception, proche de Wittgenstein, qui fait de la logique une activité et non une théorie. La logique ne pouvant rien dire de sensé, elle a seulement pour rôle de donner des éclaircissements sur les propositions scientifiques. Par conséquent, la théorie vérificationniste de la vérité, qui est censée distinguer le sens du non-sens, serait elle-même un non-sens. Carnap défend une vision opposée de la logique. Certes, la logique ne parle pas des objets du monde, mais elle est bien une théorie, elle établit la syntaxe des propositions scientifiques. Il est possible de parler du discours sans se perdre dans la métaphysique.

[modifier] Critique de l'empirisme logique

Karl Popper notamment dans Logique de la découverte scientifique apportera une critique importante du positivisme logique au sujet du critère vérificationniste[1]. Popper considère qu'un énoncé scientifique n'a pas à être vérifiable mais à être réfutable. En effet, il n'y a pas symétrie, car certains énoncés sont réfutables sans être vérifiables. Tous les énoncés qui reposent sur une induction ne peuvent être vérifiés, car le nombre de situations possibles est souvent infini, mais ils peuvent être réfutés par un seul cas contraire à la prédiction. Seulement, Popper est beaucoup moins sensible au problème du langage et à la distinction entre sens et non-sens.

Quine, dans Deux Dogmes de l'empirisme, s'en prend de façon plus radicale aux thèses de l'empirisme logique. Il attaque l'idée que l'on puisse faire une distinction tranchée entre énoncés synthétiques, portant sur des faits, et énoncés analytiques, vrais en vertu des seules règles logiques. Pour lui, la notion d'analytique est très mal définie. Il laisse même entendre que la logique peut, elle aussi dans une certaine mesure, et en dernière instance, être révisée, comme n'importe quel énoncé de fait. Car le deuxième dogme, celui du réductionnisme de tout énoncé à des énoncés portant sur des sensations (les énoncés protocolaires) n'est pas tenable. Quine défend une approche holiste : nos énoncés affrontent l'expérience en bloc, et non pas un par un. Lorsqu'un énoncé est contredit par les faits, ce n'est donc pas nécessairement cet énoncé qui est fautif, il faudra peut être remettre en cause un énoncé qui lui était lié logiquement, ou bien plusieurs énoncés en même temps.[2]

[modifier] Bibliographie

  • Cercle de Vienne, "La conception scientifique du monde", 1929, in Antonia Soulez (dir.) Manifeste du Cercle de Vienne et autres écrits, Paris, PUF,1985
  • Hans Hahn, Logik, Mathematik und Naturerkennen, 1933
  • Otto Neurath, Einheitswissenschaft und Psychologie, 1933
  • Rudolf Carnap, Die Aufgabe der Wissenschaftlogik, 1934
  • Philipp Frank, Das Ende der mechanistischen Physik, 1935
  • Otto Neurath, Was bedeutet rationale Wirtschaftsbetrachtung, 1935
  • Otto Neurath, E. Brunswik, C. Hull, G. Mannoury, J. Woodger, Zur Enzyklopädie der Einheitswissenschaft. Vorträge, 1938
  • Richard von Mises, Ernst Mach und die empiristische Wissenschaftauffassung, 1939
  • W. V. Quine, « Deux Dogmes de l'empirisme », Du point de vue logique : Neuf essais logico-philosophiques, 1951, Vrin, 2004
  • OUELBANI, Mélika, Le Cercle de Vienne, PUF, 2006 (ISBN 2130550908)

[modifier] Notes

  1. La pertinence de cette critique de Popper est discutée, car aucun des philosophes du Cercle de Vienne n'est à proprement parler vérificationniste. OUELBANI, 2006, pp. 133-146.
  2. Bien plus encore que la critique de Popper, celle de Quine est jugée peu pertinente, car elle oppose à l'empirisme logique des thèses soutenues par l'empirisme logique lui-même (comme la conception holiste des propositions). Quine a d'ailleurs ultérieurement reconsidéré son analyse de la philosophie de Carnap. OUELBANI, 2006, pp. 128-132.

[modifier] Voir aussi

Cercle de Vienne | Rudolf Carnap | Bertrand Russell | Wittgenstein | Auguste Comte | Positivisme | La Conception scientifique du monde : Le Cercle de Vienne