Autonomie et hétéronomie

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Sommaire

[modifier] Introduction

L'autonomie et l'hétéronomie se conçoivent mieux par rapport à l'anomie et en regard des concepts typiquement marxiens de valeur d'usage et de valeur d'échange. Aux comportements sociaux d’autonomie et d’hétéronomie correspondent les caractères psychologiques d’introversion et d’extraversion d’origine psychanalytique de Carl Gustav Jung. L’introverti est “entier”, “authentique” dans la correspondance complète et exacte entre le personnage public et la personne ou le “soi” intime, tandis que l’extraverti joue un rôle approprié au public du moment (signifiant à la fois instant et rapport de forces). La caricature de l’extraverti est le représentant de commerce qui se fait sympathique et agréable pour vendre ou faire adopter quelque chose. L’extraverti privilégie la valeur d’échange qui peut lui rapporter des bénéfices, comme l’approbation d’autrui et la popularité auprès de son entourage, tandis que l’introverti se comporte de façon autonome, suivant la valeur d’usage de la gratuité dans ses interactions avec ses semblables et son environnement.

Ivan Illich a déployé ce thème dans la "Convivialité" et la "simplicité volontaire". Comme Erich Fromm dans "avoir ou être", il s’intéresse successivement à l'apprentissage à travers l’enseignement ("Une société sans école", 1971), au mode de vie « doux » ("Energie et équité", 1973, "La convivialité", 1973) et à la santé par la médecine ("Némésis médicale", 1975). Cf. Ivan Illich, La convivialité

[modifier] Valeurs d’usage et d’échange

"[...] La valeur d’échange représente la simple satisfaction des biens et services réduits en marchandises de la valeur marchande.

La valeur d'usage représente fondamentalement un type de satisfaction humaine liée à des actes et expériences dont le contenu relationnel et symbolique est plus important que le contenu fonctionnel ou utilitariste. Elle se différencie, se distingue et se complète à la notion de valeur d'échange qui, elle, représente la demande solvable banale de biens matériels et de services dont on recherche l'acquisition pour leur fonctionnalité simple et pure, indépendamment de la connaissance des conditions dans lesquelles ces biens et ces services sont fabriqués et échangés. La valeur d'usage représente un ensemble de satisfactions matérielles et immatérielles dont la fonction est non seulement de pourvoir aux besoins biophysiques des individus, mais aussi et en même temps d'apporter à l'utilisateur et au producteur un supplément de sens, un supplément d'être par rapport aux relations qu'ils entretiennent avec leurs semblables et leurs environnements biophysiques.

Ce sont des choses (une forêt, la mer, une œuvre d'art, un simple dessin, un geste de solidarité, etc) dont la valeur ne se réduit pas et ne se déduit pas à et d'une simple fonctionnalité (le prix du bois de la forêt, la valeur marchande d'une peinture, d'un objet artisanal, le coût monétaire d'une donation), mais aussi la part d'enrichissement symbolique et inestimable qu'elle apporte à l'univers humain: le plaisir d'une promenade dans la nature, la joie de partager, la satisfaction de "faire", le sentiment d'auto réalisation lié à un acte productif ou à un acte de solidarité. La valeur d'usage procure la satisfaction de l'acte symbolique et relationnel de soi à l'environnement et aux proches pour la nécessité de se relier au monde dans le jeu, la jouissance, la gratuité marchande et la convivialité. Prenons par exemple, le besoin aussi essentiel et impérieux, de la petite enfance à un âge avancé, que celui d'apprendre. On peut apprendre en observant, en agissant personnellement, en s'ouvrant aux autres et à son environnement biophysique: c'est ce nous appellerons le mode autonome.

On peut être "éduqué", c'est-à-dire recevoir une information, une formation unilatérale et obligatoire de la part des gens qui sont là "pour ça": c'est le mode hétéronome, le recours à une médiation externe qui se substitue à l'expérience personnelle de l'exploration et de la découverte. Prenons la santé, on peut guérir de façon intransitive comme sujet actif de ses propres soins avec l'aide et la coopération des gens d'expérience: c'est le mode autonome. On peut guérir de façon transitive comme objet des soins distribués par des "professionnels" qui sont là "pour ça", c'est-à-dire comme consommateur passif de soins et médicaments. L'enseignant et le médecin sont des gens qui sont là "pour ça" dont la profession est d'enseigner et de guérir. L'éducation et la santé sont les deux chevaux de bataille d'Ivan Illich pour défendre son idée de convivialité. La caractéristique des actions du type autonome est de produire à la fois des valeurs d'échange et des valeurs d'usage que le secteur hétéronome ne peut pas produire. Tout besoin humain (en dehors des besoins physiologiques de base) peut être indifféremment satisfait:

1) soit par des modes d'action conservant un lien direct entre l'acte producteur qui est à l'origine de la satisfaction et sa consommation. C'est le mode d'action autonome.

2) soit par d'autres modes d'action introduisant un médiateur anonyme (le marché) entre l'acte qui est à l'origine de la production de la satisfaction et l'acte qui sert de support à la consommation. C'est le mode d'action hétéronome.

Un objet a en lui-même, dit Karl Marx, une valeur d'usage qui tient à son utilité pour le détenteur et qui n'est pas réductible à sa rareté ni indépendante de sa place. La valeur d'usage d'une marchandise ne détermine pas sa valeur d'échange qui assure l'équivalence des marchandises entre elles et se mesure par la quantité de travail utilisée pour la production de chacune d'elles. On échange, dit Marx, des quantités de travail cristallisées en objets ou en services. Du fait de la proximité des actes de production et de consommation (qu'ils soient le fait d'une seule personne ou qu'ils mettent en rapport des personnes "se connaissant" et "se reconnaissant"), le mode d'action autonome ne remplit pas seulement le rôle fonctionnel de nature biophysique, mais encore il sert simultanément de support à l'échange de valeurs relationnelles, c'est-à-dire à la mise en commun du sens.

Ce mode d'action autonome apporte à l'individu ou aux individus en cause un supplément d'être et de transcendance par rapport aux relations qu'ils entretiennent avec leurs semblables et leurs environnements biophysique. Ce qui rejoint la signification ancienne ou originelle de l'économie qui est l'organisation (Nomos ) de la maisonnée (Oikos ) ou l'art d'administrer un domaine et de vivre en harmonie avec ses semblables et son environnement.

La richesse du secteur autonome vient de ce qu'il associe production de valeur d'usage et de valeur d'échange, ajoutant ainsi une dimension d'incommensurabilité (dans la signification littérale ou profonde de "sans commune mesure") à des actes ou des comportements qui, lorsqu'ils sont le fait du secteur hétéronome n'ont que la sécheresse des rapports utilitaristes et marchands.

La valeur d'usage et la valeur d'échange sont à des niveaux distincts de type logique, de dépendance ou de contrainte. En effet, la valeur d'usage est de l'ordre qualitatif, tandis que la valeur d'échange, elle, est de l'ordre quantitatif et se mesure, dit Marx, par les quantités de travail cristallisées en objets ou en services.

La valeur d'usage et la valeur d'échange, dit Anthony Wilden, sont des "valeurs-en-processus", elles ne sont pas statiques. Dans un ensemble donné de circonstances culturelles et historiques, la force de travail crée des valeurs d'usage à partir des matériaux bruts et de l'énergie. Les qualités utiles du produit servent de base à sa valeur d'échange. Dès que s'est instaurée une division du travail dans le processus de production, naît ipso facto un système d'échange.

Dans les sociétés, faisant preuve d'adaptation à long terme, la production et l'échange de valeurs d'usage prédominent sur la production et l'échange de valeurs d'échange. En conséquence, la coopération prédomine et vient contraindre, orienter et délimiter la compétition et les deux types de valeurs, ensemble et de façon complémentaire et antagoniste, dans une Gestalt figure-fond, contribuent profondément et complètement à la survie et à l'épanouissement à long terme. La distinction entre valeur d'usage et valeur d'échange dépend du contexte où s'inscrit tout rapport particulier, dit Wilden. Cette distinction est faussée, ce qui n'est pas accidentel, par la "théorie de la valeur subjective" (subjective value theory), c'est-à-dire de "l'utilité marginale". Pour savoir si un rapport est un d'usage ou d'échange, nous devons savoir quelle forme de valeur constitue la caractéristique dominante d'un contexte donné.

On prend habituellement, dans l'idéologie des oppositions binaires, pour acquis que tout objet (c'est-à-dire toute relation) doit être ou bien l'un ou bien l'autre. Cette habitude nous empêche de comprendre que les valeurs d'échange ont des usages - dont l'un consiste à être produites et échangées - et que les valeurs d'usage, à leur tour, sont des valeurs d'échange. Leur rapport en est à la fois d'usage et d'échange. Selon les conditions sociales et économiques particulières, l'un ou l'autre peut prédominer, comme la coopération ou la compétition, l'autonomie ou l'hétéronomie". (Thanh H. Vuong & Jorge Virchez, "Communauté Économique de l’Asie Pacifique. Essai d’anthropologie économique et de géographie politique", pp.93-97 Presses Inter Universitaires, Cap Rouge, QC, 2004).

[modifier] Introversion et extraversion. Aimer et être aimable

Dans “L’art d’aimer”, Erich Fromm fait la distinction entre “aimer” et “être aimable” sur la base marxienne des valeurs d’usage et d’échange à la sauce psychanalytique.

Aimer correspond à la valeur d’usage de l’introversion autonome d’un sujet “entier” ou “authentique”, alors que “être aimable” est de l’ordre de la valeur d’échange hétéronome pour obtenir quelque chose en retour par le jeu théâtral de la séduction et de la complaisance pour plaire.

[modifier] Conclusion

Dans la perspective d'une approche écosystémique qui consiste à reculer pour mieux percevoir, à relier pour mieux comprendre et à situer pour mieux agir, la détresse de l’anomie psychologique pourrait mieux être comprise et mieux aidée dans une des psychothérapies. L’anomie correspond a une situation où la personne, tout comme la collectivité, ne sait plus à quels repères se référer. Alors, c’est une situation de crise qui est une croisée des chemins, une bifurcation, une rupture de la reproduction à l’identique. Chez le sujet, alors, l’anomie est représentative d’un deuil de la perte grave, signifiante et significative de quelque chose, quelqu’un ou quelque configuration familiale, professionnelle ou sociale.

[modifier] Références bibliographiques

  • Erich Fromm
    • L'art d’aimer, Editions Universitaires, Paris 1967.
    • Avoir ou être ? : un choix dont dépend l'avenir de l'homme, Laffont. Paris, 1978.
    • La conception de l'homme chez Marx, Payot, Paris 1977
  • Thanh H. Vuong & Jorge Virchez, Communauté Économique de l’Asie Pacifique. Essai d’anthropologie économique et de géographie politique, Presses Inter Universitaires, Cap Rouge, QC, pp.94-97, 2004.
  • Anthony Wilden, Système et structure. Essais sur la communication et l'échange, Boréal Express, Montréal, 1983.

[modifier] Liens externes