Trikāya

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Le terme sanskrit trikāya (tib. sku gsum) ou triple corps des bouddhas désigne dans le mahāyāna et le vajrayāna trois plans d'expression de l'éveil, ou encore dimensions de la réalité.

Sommaire

[modifier] Les trois corps

On distingue :

  • Le dharmakāya (tib. chos sku, ch. Fǎshēn 法身 ou Zìxìngshēn 自性身 ), corps de dharma, de réalité absolue : la dimension de vacuité de l'Éveil, son essence non-objectale. C'est un corps sans forme, arūpa
  • Le sambhogakāya (tib. long spyod rdzogs pa'i sku, Shòuyòngshēn 受用身) corps de jouissance ou de félicité : C'est le premier des corps formels, enseignant aux grands bodhisattvas et les amenant à la maturation complète de leur bouddhéité[1]. Il est caractérisé par les cinq perfections. Ici jouissance réfère autant à la jouissance des facultés éveillées, qu'à la félicité inhérente à cette dimension.[2]
  • Le nirmānakāya (tib. sprul sku, ch.Biànhuàshēn 變化身), corps d'émanation ou d'apparition, incarnation ultimement illusoire se manifestant dans les différents domaines du saṃsāra par compassion pour les êtres animés.

Conjointement ces deux derniers corps sont le rūpakāya, corps formel, c'est-à-dire perceptible.

[modifier] Exemples variés

Les classifications données ci-dessous ne sont vraiment que des exemples plus courants; et dépendant des lignées, et ce dans une même école, on en trouvera d'autres au gré des sources. Principalement, Amitābha, Vajradhara et Vajrasattva peuvent être dharmakāya ou sambhogakāya. Ici, dans l'Ati yoga, on peut considérer que Garab Dorjé (Prahévajra) est le nirmānakāya à l'origine de ces enseignements, mais selon notre source, Vajrasattva est le nirmānakāya du monde des devas, qui les a transmis à Garab Dorjé du monde humain. En retour, par sa réalisation complète de sa bouddhéité, Garab Dorjé a lui-même manifesté l'épanouissement du triple corps.

Exemples du Trikāya .
Contexte ~> Mahāyāna Uttara tantra [3],[4] Ati yoga[5] Bīja
Dharmakāya Vairocana Amitābha Samantabhadri Samantabhadra AOM
Sambhogakāya Manjushri Avalokiteshvara Vajrayoginī Vajradhara AH
Nirmānakāya Shāntideva Padmasambhava Yeshe Tsogyal Vajrasattva HOUM

AOM AH HOUM est le mantra du trikāya, donc l'un des plus importants du mahāyāna. Ces trois syllabes sont des « bījas » c'est-à-dire les « semences », ou « syllabes-essence » condensant chacune des manifestations de l'univers dans la théorie des mantras. Autre exemple, DHI est le bīja de Manjushri, bodhisattva de sagesse.

[modifier] Aspects de pratique méditative

Les trois corps sont en corrélation étroite avec les trois portes (skt. tridvara) :

La doctrine du trikāya, des trois corps du Bouddha, peut certainement être exprimée en termes de corps, de parole et d’esprit, le nirmanakāya représentant son corps Éveillé, le sambhogakāya sa communication Éveillée, et le dharmakāya son esprit Éveillé.[6]

[modifier] Évolution

L'émergence du concept de trikāya suit étroitement l'évolution de la compréhension de la bouddhéité[7]. Dans un premier temps le dharmakāya reste simplement le corpus[8] des enseignements, autre sens de dharma. Avant de mourir Bouddha affirme:

« Par conséquent, Ananda, il vous faut maintenant vivre comme des îles, en étant votre propre refuge et sans que personne d'autre ne le soit, comme si le Dharma constituait une île, avec le Dharma pour seul et unique refuge. [9] »

De son vivant le bouddha Shākyamuni est doué de facultés miraculeuses qui sont encore dans les limites du plein potentiel humain, et Gautama en est la réalisation idéale.

Dans un second temps des divergences apparaissent:

  • Les Sarvāstivādins, distinguant le rūpakāya du dharmakāya, affirment que l'on ne prend vraiment refuge qu'en ce dernier, Gautama étant inaccessible et passé en parinirvāṇa après avoir accompli sa mission.
  • Pour les Mahasanghikas, Shākyamuni, pleinement éveillé, est venu sur terre afin d'enseigner; son éveil à Bodh Gaya, ses activités et sa mort ne sont qu' exemplaires [10], et par là didactiques (upāya). Suite à son voeu de bodhisattva, Shākyamuni était « rené » délibérément pour poursuivre son développement, jusqu'à la pleine bouddhéïté, par laquelle il n'a plus à mourir au sens commun.

Finalement nous arrivons aux conceptions proprement mahāyānistes, avec l'introduction des concepts de:

  • tathatā, l'« être-ainsi » de la nature ultime, au-delà de l'être et du non-être;
  • et de tathāgatagarbha, la « matrice des ainsi-venus », des tathāgatas, le terme par lequel Shākyamuni se désignait lui-même en tant qu'Éveillé.

En identifiant tathatā et dharmakāya, et « puisque la tathata est inhérente à tous les objets et imprègne l'univers entier, le dharmkāya devient un corps cosmique ainsi que le principe supportant tous le phénomènes. C'est pourquoi le dharmakāya est considéré comme le Bouddha. [11]» , ou plus précisément comme l'ādibuddhā ou « Bouddha primordial».

Dès lors il devient possible de prendre refuge en l'Éveil même (bodhi) sous ces diverses appellations, mais aussi, autre innovation mahāyāniste, dans l'infinité des bouddhas particuliers à travers les univers.

[modifier] Autres kāyas

On rencontre à l'occasion quelques autres kāyas :

  • le svābhāvikakāya (tib. ngo bo nyid kyi sku), corps de nature essentielle, co-émergence spontanée du triple corps.
  • le mahāsukhakāya (tib. bde ba chen po'i sku), corps de grande aisance, ou bonheur, équivalent au vajrakāya, corps inaltérable, litt. de diamant-foudre. (voir Vajra)

En voici un exemple de description :

L'essence de l'esprit de tous les êtres sensibles
Est, depuis le tout début, l'essence des Éveillés.
C-à-d que l'essence de vacuité est le dharmakāya qui ne survient pas,
La pure et distincte luminosité est le sambhogakāya,
La capacité multipliée et désobstruée est le nirmānakāya,
L'indivisible unité des trois est le svabhavikakāya,
Et leur complète immuabilité est le mahāsukhakāya[12].

Sur un plan plus spéculatif, mais d'importance dans la visualisation de mandalas,

  • les quatre corps correspondent aux quatre activités des Bouddhas : pacifier, enrichir, magnétiser ou séduire, et subjuguer.
  • les cinq corps correspondent aux Cinq dhyani bouddhas, eux aussi associés aux activités, augmentées d'une cinquième: accueillir ou accepter. Cette dernière classification donne alors lieu à toute une série de correspondances variées et quelquefois contradictoires, avec les bouddhas, bodhisattvas et parèdres ou dākinis respectifs, les éléments, les directions, les couleurs, bījas, mudrās, etc.

La plus importante des ces séries d'association est celle des Cinq sagesses et de leur distorsions (kleshas) correspondantes. > Pour un survol de ces correspondances voir les tableaux de Cinq dhyani bouddhas et Mani (mantra).

Finalement on distingue encore l'abhisambodhikāya (tib. mngon par byang chub pa'i sku), corps de complet éveil manifesté, par lequel un Bouddha peut émaner un nombre incalculable de nirmānakāyas pour le bénéfice des êtres à guider vers l'éveil, en s'adaptant à la diversité de leurs conditions dans les six destinées, ou domaines d'existence, des paradis jusqu'aux enfers.

Par ironie, Lama Surya Das a forgé le terme neurotikāya[13], corps de névrose, pour désigner l'ensemble des nos attitudes et émotions conflictuelles.

Certains ont voulu voir un parallèle du Trikāya à la Sainte Trinité chrétienne, Jésus, le Verbe incarné, correspondant clairement au nirmānakāya.

[modifier] Notes et reférences

  1. Vasubandhu, MahāyānaSamgrahaBhyāsa Sūtra Cité par: Guang Xing, The Concept Of The Buddha: Its Evolution from Early Buddhism to the Trikaya Theory. Routledge Chapman & Hall,New York, 2004. 256 p./ p.177 ISBN 0-415-33344-X de
  2. D'où les traductions préférées par quelques-uns, dont le Dagpo Kagyu Mandala : Corps de pleine faculté, de perfection des qualités, etc. Voir aussi :Alexander Berzin et Beru Khyentse Rinpoché (en anglais)
  3. Désigne les tantras « supérieurs » des classifications Nyingma et Sarma
  4. Les 2 exemples sont tirés de:
    Yeshé Tsogyal, transcrit par Gyalwa Changchub et Namkhai Nyingpo. Lady of the Lotus-Born; The Life and Enlightment of Yeshe Tsogyal. Découvert par le Tertön Taksham Samten Lingpa. Avant-propos de Jigme Khyentse Rinpoche. Traduction par le « Padmakara Translation Group » du Chant de luth des Gandharvas. Shambhala Publications, Boston, 2002. 254 p./ p.1 ISBN 1-57062-544-1
  5. Tulku Urgyen Rinpoche (1920-1996), Rainbow Painting. Traduit par Erik Pema Kunsang et compilé par Dr Marcia Binder-Schmidt. Rangjung Yeshe Publications, Hong Kong, 2004. 204 p./ p.49 ISBN 962-7341-22-3
  6. Voir : Sangharakshita
  7. Cette section-ci résume la conclusion de la source bibliographique de la note 1.
  8. Possible traduction de kāya, que choisit Alexander Berzin
  9. Selon le Mahāparinibanna Suttta. >Extrait
  10. Ce qui s'apparente à la conception hindouiste des avatars.
  11. Ibid. note 1, p. 181. (trad. du contributeur)
  12. Chökyi Nyima Rinpoché, commentant Karma Chagmé Rinpoché, The Union of Mahamudra and Dzogchen. Traduit du tibétain en anglais par Erik Pema Kunsang. Rangjung Yeshe Publications, Hong Kong,1989. 240 p./ p. 112. ISBN 962-7341-21-5 (traduction française du contributeur)
  13. http://www.dzogchen.org/teachings/talks/articles/art01.htm (en anglais)