Trénitz

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Figure de la trénis, Le Bon Genre (1805).
Figure de la trénis, Le Bon Genre (1805).

Trénitz est un maître à danser français de la Révolution et du début du XIXe siècle.

Comme l’écrit Desrat en 1895 dans son Dictionnaire de la danse, c'était un homme du monde et un maître à danser particulièrement doué. Était-il Français comme l'écrivent nombre de ses contemporains - en dépit de son nom qui semblerait d'origine germanique ou d'Europe centrale - ? Joseph d'Estournel, dans ses Mémoires[1] signale son arrivée à Paris vers 1795, venant de Bordeaux avec un groupe d'amis qui aimaient passionnément la danse, parmi lesquels se trouvaient le sculpteur Louis-Charles Dupaty (1771-1825) et le ténor Pierre-Jean Garat (1762-1823).

On trouve les traces de sa présence à Paris, dans les salons du Directoire et dans les lieux de plaisir de la capitale comme le Ranelagh, immédiatement après la Terreur. Il fait danser Madame Tallien, Madame Récamier et Madame de Beauharnais chez Sanguin de Livry au château du Raincy. Le poète Joseph Berchoux (1762-1838) lui consacrera ces quelques vers ironiques :

Parmi ces beaux danseurs de la société
Trénitz s'est fait un nom brillant et respecté.
Il disait aux Beautés sur ses traces pressées :
Mesdames, pour me voir étiez-vous bien placées ?
Avez-vous remarqué mon mollet sémillant,
Ma jambe libertine et mon pied agaçant ?

Dans de nombreux écrits qui font référence aux mœurs du Directoire, du Consulat et du Premier Empire, on trouve trace de son activité de maître à danser jusque vers l'année 1810 (p. ex. l’Air de la Trénitz, musique pour danser et chanter sur des paroles toujours diverses dans les vaudevilles qui semble avoir été composé vers 1806) ; il n'existe cependant aucune vraie biographie du personnage. D'Estournel considère Trénitz comme un danseur « capable de rivaliser avec les gloires de l’Opéra ». Dans le Dictionnaire universel des sciences des lettres et des arts (Paris, 1857) il est écrit[2] : « ... seuls Trénitz et Vestris battaient les entrechats jusqu’à 10... ». J. Lobet[3] précise que « sa science valut (à Trénitz) l’amitié d’un roi » sans préciser de quel monarque il s'agit.

Sa fin malheureuse est évoquée aussi à plusieurs reprises : vers 1820, Alexis Baron, dans un essai sur la danse intitulé Lettres et entretiens sur la danse[4], parle clairement de l'internement de Trénitz dans une maison de santé puis à l'asile de Charenton.

Brillantissime animateur des bals de salons, il fut en outre le promoteur infatigable de ce qu'il nommait lui-même "la danse sociale", sans doute pour la différencier de la danse pratiquée par les danseurs et danseuses professionnels que l'on désignait alors comme "danse de théâtre". Inventeur de pas et de figures complexes et raffinées il fit de la danse de salon un art difficile mais populaire : c'est l'époque où la mode de la danse parfaite se répand dans tous les milieux de la capitale, puis en province et à l'étranger jusqu'aux deux Amériques. Dans l'armée il devint habituel de préparer et de passer des brevets de danse, des associations de danseurs se créent un peu partout jusque dans les villages pour organiser des bals, faire venir des maîtres à danser.

Vers 1840 on trouve encore le nom de Trénitz, parfois francisé en Trénis ou Trénise, utilisé pour désigner l'une des figures du quadrille, en Suède, en Irlande, à Vienne en Autriche, à New York, à São Paulo... puis l'usage s'en perd et le terme tombe provisoirement dans l'oubli ; mais on note qu'à la fin du siècle le librettiste Luigi Illica, en pleine saison vériste, fait référence à la contredanse nommée Trénitz dans le livret de l'opéra Andrea Chénier (1896) qu'il écrit pour le compositeur Umberto Giordano (1867-1948).

Le souvenir de Trénitz - sans doute parce que lié à une période plutôt marquante de l'histoire des mœurs - persiste donc dans la mémoire collective... et son personnage ressuscite : dans son Histoire de l'art dramatique en France depuis vingt-cinq ans, Théophile Gautier cite un vaudeville intitulé sobrement Trénitz, présenté sans grand succès en décembre 1846 à Paris, au Théâtre du Vaudeville. Les auteurs ne sont pas cités et la trame, assez faible selon Gautier, décrit un Trénitz comiquement empêtré dans la recherche d'aventures galantes en compagnie du ténor Garat, son ami.

À la fin du XIXe siècle Trénitz revient sous l'identité d'un Incroyable dans La Fille de madame Angot, une opérette (livret de Clairville, Siraudin et Koning, Bruxelles 1872) mise en musique par Charles Lecocq, représentée encore de nos jours avec grand succès en France et dans le monde entier.

[modifier] Citations

  • G. Desrat, Dictionnaire de la danse, Paris 1895 :
    • « Trénitz (…) fut un des fervents adeptes de la contredanse et y obtint un tel succès qu’on donna son nom à une des figures du quadrille » (p. 97).
    • « La trénitz (parfois appelée trénis) doit son nom à celui de son auteur Trénitz, homme du monde et danseur plein d’originalité (…) Trénitz était un danseur tellement passionné pour la danse qu’il a laissé une légende assez bizarre ; ses succès lui firent perdre à tel point la raison qu’il termina ses ébats chorégraphiques dans une maison de santé » (p. 313).
  • Antoine-Vincent Arnault, Souvenirs d’un sexagénaire, Paris, 1833, t. 2 : « Trenitz, le plus renommé des danseurs de ce temps-là, s'est fait, lui, (une célébrité) plus solide. Elle a duré autant que la contredanse à laquelle il avait donné son nom, et qui n'a pas été à la mode moins de deux ans. Ce Trenitz, qui avait tout son esprit dans ses jambes, a fait tourner plus d'une tête : des femmes ont quitté leur mari, et, qui pis est, leurs enfants, pour s'attacher à ses pas. Atteint du mal qu'il donnait aux autres, il est mort fou à Charenton » (p. 340).
  • Luigi Illica, Andrea Chénier, acte II :
Bersi : Tempo di ballare una trenitz (L'Incredibile entra in mezzo arditamente fra Bersi e Roucher).
L'incredibile : Procace Bersi, qui sono ancor per te ! Meco giù scendi ?
Bersi : Per poco ?
Chénier : Una meravigliosa !
L'Incredibile : Non ti chiedo che una trenitz...

[modifier] Notes

  1. Derniers souvenirs du comte Joseph d'Estourmel, éd. Dentu, 1860, p. 66-68.
  2. Paris, 1857, article “entrechats”, p. 590.
  3. Le nouveau Bois de Boulogne et ses alentours, Paris, 1856.
  4. Paris, 1824, p. 331.