Richer le Lorrain

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Richer, parfois dénommé Richer de Senones est un moine de l’abbaye de Senones dans les Vosges. On suppose qu'il est né vers 1190 et mort en 1266. Voilà un écrivain à l'apogée du Moyen Âge qui se souvient avec nostalgie de ses voyages. Il ne se prive de revisiter les légendes en s'inspirant des traditions populaires les plus vivaces. Il a saisi que l'hagiographie officielle est fade et probablement fausse lorsqu'il observe les populations les plus humbles, alors ce penseur prudent a l'audace de faire un petit complément inédit à la fois pour chambouler l'édifice savant et égayer son récit légendaire. Réservé et pieux, l'humble observateur n'ose tout décrire, notamment les moeurs des plus favorisé(e)s qui s'auréolent d'un voile de fausse sainteté. Il est un des rares chroniqueurs et historiographes des Vosges dont on ait préservé une chronique complète, la bien nommée chronique de Richer.


Sommaire

[modifier] Un moine voyageur

Né vraisemblablement vers 1190, Richer paraît originaire du Val de Lièpvre. Fin connaisseur de l’Alsace et de la Lorraine, il étudie à Strasbourg. Les habitants de l’Alsace sont nommés dans ses écrits les "Teudons", c'est-à-dire les Teutons[1]. Ce voyageur, fin observateur des paysages et des météores, s'applique à décrire les lieux, en particulier les montagnes des Vosges, aux sommets de roches escarpées, souvent dénudés de couverture forestière, aux vastes chaumes ou aux forêts de vallées profondes. Il connait le Val de Lièpvre pour y avoir séjourné. Il rencontre de nombreuses fois les moines du prieuré de Lièpvre ainsi que les moines de saint Denis qui possèdent dans ce val des dépendances. En 1223, il visite le monastère Saint-Denis probablement en compagnie de moines de Lièpvre. Il se rend à de nombreuses reprises au château de Bilstein (Urbeis), au prieuré d’Echéry (Sainte Croix-aux-Mines) qui est rattaché à l'abbaye de Moyenmoutier et au Château du Bernstein.

[modifier] Biographie d'un chroniqueur

Richer ou Richerus, latinisation de l'allemand Rijkaert, est peut-être un cadet de la noblesse alsacienne ou lorraine. Il entre novice au couvent de Senones sous l’abbé Henri (1202-1225). Il est envoyé vers 1218 comme ambassadeur à Würzburg alors que Thiébault I duc de Lorraine est prisonnier de l’Empereur Frédéric II depuis l’incendie de Nancy et le siège d’Amance. Il connaît l’abbaye de Gorze[2], de Toul et de Saint-Dié. La chronique de Richer est connue par neuf manuscrits. Sur les neuf manuscrits, cinq sont des copies du XVIe siècle, deux sont des traductions, deux sont du XVIIe siècle et un de 1826. Les copies proviennent de Senones, Moyenmoutier et Etival.

[modifier] Un témoin de son époque

Richer a dérangé maints érudits à manchettes qui trouvaient quelques passages de sa chronique, marqués d'une influence populaire ingénue ou fruits de mauvaises langues. S'il est souvent diplomate et passe sous silence les frasques des puissants hommes, méprisant les humbles, le chroniqueur s'efforce à la sincérité et hait la dissimulation et l'abus d'autorité religieuse. Il s'autorise à la dénoncer lorsqu'elle provient de femmes unanimement louées, figures exemplaires de la vie sainte.

Par ses écrits, nous découvrons le béguinage de Saint-Dié, installé dans une maison, en contrebas de la ville haute en face du Robache[3]. Il brosse un portrait singulier de la meneuse des béguines Sibille de Marsal : "Elle affirmait que les anges lui faisaient de l'eau bénite, et, de faict, il y a avait, au chevet de son lict, un beau vase dedans quoi elle pissoit, et, de ce que l'on dict que l'évêque de Metz et les frères prescheurs et plusieurs aultres, s'en arrosèrent et en burent afin de se munir contre les tentations du diable". Puis le moine chroniqueur s'emporte sur les moeurs des religieuses favorisées pour se raviser aussitôt à la discrétion afin de ne compromettre quiconque : "Ces béguines qui s'étaient déjà approché du port du salut, retournant à leur première lubricité, se rangèrent derechef aux voluptés du monde. Et desquelles j'estime meilleur n'en rien dire que d'en parler".

Nos sexologues proposeraient en toute lucidité l'hypothèse scientifique d'une femme fontaine. La jouissance que Sibille de Marsal ne cache point aux autres religieux est liée à l'émission de liquide par la paroi vaginale au cours de ses orgasmes apparemment fréquents et recherchées. Et la confusion avec une fuite urinaire, en dépit de l'odeur différente de l'urine, est encore de nos jours souvent une banale cause de gêne ! [4].

L'apport de Richer à la légende est semblablement timoré, mais salvateur à nos yeux : il introduit à dose restreinte et contrôlée une vision traditionnelle, populaire ou raisonnée, peut-être celle des plus humbles croyants, dans ce qui est sanctifié par l'autorité religieuse, se retenant de chambouler ou d'ébranler le dernier édifice. Il reste la part la plus faible et la plus authentique, quelques bribes de sa contemplation des paysages chemin faisant.

[modifier] Notes et références

  1. Ce terme est proche de tuis ou duts, deutsch ou duütsch
  2. L'abbaye prit en charge vers 960 le rétablissement de l'abbaye de Moyenmoutier et des abbayes alors en sa dépendance, en particulier Saint Maurice (aux Jointures de Saint-Dié) et peut-être Senones
  3. Probablement intra-muros, près du quai du Torrent actuel.
  4. Lire l'article succinct sur la "Femme fontaine", in Petit Larousse de la sexualité, sous la direction du Dr Sylvain Mimoun, Larousse, 2007 ou regarder le film "De l'eau tiède sous un pont rouge" de Shohei Imamura

[modifier] Sources

  • Dominique Dantand, Chronique de Richer, moine de Senones au XIIIe siècle, DEA d’Histoire médiévale, Université de Nancy II, 1988
  • Dominique Dantand, La Chronique de Richer de Senones. Présentation, édition et traduction - Doctorat d’Histoire Médiévale / Université de Nancy II, 1996
  • L. Jérôme, L’Abbaye de Moyenmoutier, Librairie Victor Lecoffre, 1902
  • Marie José Gasse-Grandjean, Les livres dans les abbayes vosgiennes du Moyen Âge, Presses Universitaires de Nancy, 1992
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