Révolution conservatrice (Weimar)

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L'expression révolution conservatrice fut popularisée en 1927 par Hugo von Hofmannsthal dans un discours sur les Lettres comme espace spirituel de la nation.

La révolution conservatrice, ce « préfascisme allemand » selon l'expression de Louis Dupeux, est ce mouvement qui, en Allemagne entre les deux guerres, précède le nazisme ; tous les historiens ne sont pas d'accord sur les liens entre fascisme, nazisme et révolution conservatrice : Louis Dupeux, déjà cité, propose une synthèse des différents point de vue en affirmant que, si dans une certaine mesure la révolution conservatrice a "préparé" le nazisme, elle n'y est aucunement assimilable. Stefan Breuer est moins convaincu de l'existence d'un lien direct entre Révolution conservatrice et nazisme. Elle s'en distingue notamment par la variété des courants qui s'y rattachent (Ernst Jünger, Schmitt et Ernst Niekisch ne partagent absolument pas la même vision du monde), mais aussi, entre autres, par l'intérêt apporté à l'individu et au particulier. Synthèse étrange qu'indique son appellation, ce mouvement est la fois conservateur en ce qu'il déplore et critique du même geste le déclin de la civilisation et les effets de la modernité aveugle à elle-même, et en même temps révolutionnaire car il ne s'agit pas seulement de prôner un retour à une tradition : sa critique s'énonce d'un point de vue radical et révolutionnaire dans la mesure où son engagement est antibourgeois, antidémocratique et antilibéral.

Ce mouvement fut un vaste laboratoire d'idées dont le nazisme va s'inspirer dans une certaine mesure. L'étude de cette nébuleuse permet à l'historien de la révolution conservatrice qu'est Louis Dupeux, de distinguer deux courants qui s'enracinent dans la même idéologie et partagent la même haine de la démocratie et des valeurs libérales, mais qui divergent cependant par leur style, comme sur l'idée de l'Allemagne nouvelle que souhaitent ses promoteurs - dans leur vocabulaire : l'Allemagne régénérée décrite face à l'Allemagne dégénérée.

La révolution conservatrice à la fois prolonge et se distingue du traditionalisme allemand imprégné de la pensée de la décadence et du déclin (Kulturpessimismus). Elle est réactionnaire en politique, et pourtant volontariste et activiste. Elle a pour projet d'inventer un ordre politique nouveau d'où renaisse la civilisation sur son déclin. La figure de proue de cette nébuleuse idéologique est un écrivain berlinois, Arthur Moeller van den Bruck. Volontiers classé parmi les littérateurs décadents avant 1914 par l'historien Walter Laqueur, il incarne, après la guerre, cette contre-culture d'une droite convaincue qu'il faut renverser les constructions intellectuelles qui minent l'Allemagne depuis les Lumières. Son ouvrage, Le IIIe Reich (Das Dritte Reich), publié en 1922, se veut à la fois révolutionnaire, socialiste et prolétaire - révolutionnaire, au sens des jeunes nations ou encore des nations prolétaires, thèmes venus du fascisme italien et plus précisément d'un de ses prédécesseurs, Corradini. Moeller van den Bruck met en forme une doctrine de l'impérialisme social, réactionnaire et conservateur. Une langue de l'enthousiasme volontaire et vitaliste est mise en œuvre au service d'un projet d'expansion.

L'autre grand penseur de la révolution conservatrice est Oswald Spengler, auteur du Déclin de l'Occident. La philosophie de l'histoire qui est la sienne relève d'une conception organique des civilisations. Seule l'Allemagne peut assurer l'avenir de l'Occident, comme Rome autrefois reprit et releva l'héritage grec. Mais cet Empire germanique ne réussira à s'imposer qu'à condition de réconcilier les ouvriers et les conservateurs (in Socialisme et prussianisme, 1920).

Cette mouvance de la révolution conservatrice comprend aussi les frères Jünger ainsi que Carl Schmitt, le grand juriste catholique, dont on sait qu'il rejette l'État libéral, et fait de la politique d'abord l'art de distinguer l'ami de l'ennemi (c'est-à-dire celui à qui on fait la guerre). Schmitt, contre la tradition du droit et de la philosophie politique classiques, fait de la politique une guerre, c'est-à-dire qu'il la définit explicitement de manière contraire à la définition qu'en donnait Clausewitz, le théoricien de la guerre, à savoir : « la guerre est la poursuite de la politique par d'autres moyens »[1].

Autre figure importante encore, Ernst Niekisch, fondateur du national-bolchévisme, un ancien social-démocrate de tendance communiste, admirateur de la Russie stalinienne et fasciné par sa capacité à réaliser la « mobilisation totale », thème qui aura un grand avenir comme on sait, y compris via Ernst Jünger. Louis Dupeux recense la très importante activité de ces néoconservateurs, à savoir qu'ils produisent d'une part un nombre impressionnant de revues et publications (plusieurs centaines), et fondent près de quatre cents organisations, qui vont des formations paramilitaires aux ligues, ainsi que de multiples cercles exerçant une influence considérable sur la droite classique, via, par exemple, le « club des Seigneurs » (Herrenklub).

[modifier] Principaux intellectuels associés à la « révolution conservatrice »

[modifier] Bibliographie

  • Louis Dupeux, La révolution conservatrice allemande sous la république de Weimar, Kimé, coll. « Histoire des idées, théorie politique et recherches en sciences sociales », (ISBN 2908212188)
  • Barbara Koehn, La Révolution conservatrice et les élites intellectuelles, Presses universitaires de Rennes, (ISBN 2868477879)
  • Les Carnets, numéro 6, Les frères Jünger et la "Révolution conservatrice" allemande, Revue du centre de recherche et de documentation Ernst Jünger, Montpellier, 2001, 225 p.
  • Stefan Breuer, Anatomie de la Révolution conservatrice, éd. Maison des Sciences de l'Homme, 260 p.