Opération Northwoods

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Mémorandum du 23 mars 1962 sur l'opération Northwoods
Mémorandum du 23 mars 1962 sur l'opération Northwoods

L'Opération Northwoods consistait, en 1962, dans le contexte de la guerre froide, en l'organisation d'une série d'attentats contre les États-Unis par l'état-major interarmes américain lui-même, de manière à en imputer la responsabilité au régime cubain (agression dite « false flag »). Le but était de justifier aux yeux de l'opinion américaine une intervention des forces armées américaines contre Cuba et d'obtenir l'appui diplomatique, voire militaire, des nations occidentales, la Grande-Bretagne en particulier[1]. Le président J.F. Kennedy s'est opposé au projet.

Certains des conjurés ont exercé par la suite de hautes responsabilités dans l'administration ou l'armée américaine sous les présidences Ford et Bush.

Sommaire

[modifier] La déclassification

Le document central, « Justifications pour une intervention militaire à Cuba », est un ensemble -classifié top secret- de mémos rédigés par les représentants du Département de la Défense des États-Unis et du chef d'Etat Major interarmes, membres de l'équipe d'étude des Caraïbes[2]. Il a été déclassifié le 18 novembre 1997 par le John F. Kennedy Assassination Records Review Board[3], chargé de les mettre à disposition du public comme d'autres documents militaires inclus dans ce dossier et jusqu'alors tenus secrets. Le document contenant les propositions d'actes terroristes, « Annexe à l'Appendice du Document joint A », ainsi que l'Appendice lui-même, ont été publiés sur Internet le 6 novembre 1998 par le National Security Archive[4]. L'ensemble des documents relatifs à cette opération était disponible le 30 avril 2001.

[modifier] Contexte : l'hostilité anti-castriste

En mars 1960, le président Eisenhower inaugure une politique agressive contre le régime de Fidel Castro avec l'approbation d'un programme d'actions clandestines visant, par des moyens discrets, à remplacer le « leader maximo » par un homme plus respectueux des intérêts américains.[5].

Le 17 avril 1961, superficiellement formés par la CIA, des exilés et mercenaires cubains débarquaient dans la Baie des Cochons . L'opération tourne au fiasco et John Kennedy, qui venait d'être élu, refuse d'envoyer l'aviation à leur rescousse, désavoue l'opération et décapite la CIA (Allen W. Dulles, Charles P. Cabell, Richard Bissel)[6].

La politique d'hostilité envers Cuba reste cependant poursuivie. Kennedy met en place un « Groupe spécial élargi » en charge de concevoir et organiser la lutte anti-castriste. Il est composé de son frère Robert (Attorney général), du général Maxwell Taylor (son conseiller militaire), Gorge Bundy (conseiller national pour la sécurité), Dean Rusk (secrétaire d'Etat), Alexis Johnson (conseiller assistant), Robert McNamara (secrétaire à la défense), Roswell Gilpatric (conseiller assistant), John McCone (directeur de la CIA) et du général Lyman L. Lemnitzer (chef d'état-major interarmes).

[modifier] Un conflit larvé

Ce même mois d'avril 1961, le président Kennedy limoge le général Edwin A. Walker, accusé de favoriser la pénétration dans les armées des thèses racistes de la John Birch Society et du Ku Klux Klan dont il serait membre. Dirigée par Albert Gore, père du futur vice-président américain, une commission du Sénat est chargée d'enquêter. Le général Lemnitzer, spécialiste des actions secrètes, est suspecté de participer à ces menées. Mais les preuves restent manquantes (par la suite, la publication de sa correspondance avec le général Lauris Norstad, commandant des forces américaines en Europe, révèle son engagement visant à saboter la politique de Kennedy). Ces militaires protestent contre la « passivité » du président et tiennent la CIA pour responsable du fiasco cubain. Ils imaginent alors un stratagème apte à forcer la main du président et le contraindre à intervenir militairement contre Cuba. Œuvre du brigadier général William H. Craig, le plan, intitulé « Northwoods » est présenté le 13 mars 1962 au « Groupe spécial élargi », siégeant au Pentagone, par le général Lemnitzer lui-même[7]. Malgré les menaces proférées par ce dernier, Robert McNamara rejette le projet dans sa totalité. Suivent six mois de relations hostiles entre l'état major interarmes et l'administration Kennedy. Lemnitzer est finalement éloigné par sa nomination en remplacement de Norstad[8]. Avant de rejoindre son nouveau poste, il donne l'ordre de détruire toute trace du projet. Seule la désobéissance de Robert Mcnamara, qui conserve son exemplaire en ses archives, a pu préserver une connaissance documentée de ce complot.

[modifier] Le complot

Le plan conçu par Craig consistait à faire subir des dommages aux biens et personnels américains civil et/ou militaire, suffisamment importants pour susciter une forte indignation dirigée contre le maître de l'île voisine. Ainsi, il était prévu[9] :

  • l'attaque de la base de Guantanamo par des mercenaires cubains sous uniforme castriste.
  • de faire sauter un navire de guerre américain dans les eaux territoriales cubaines avec la présence proche de navires ou avions cubains aux fins d'imputation, attaque voulant rappeler la destruction de l'USS Maine à La Havane en 1898 (qui fit 266 morts, victimes, en réalité, d'un accident), utilisée pour justifier l'intervention militaire menée alors pour déposséder l'Espagne de sa colonie. Le navire aurait pu être téléguidé et les fausses victimes auraient bénéficié de funérailles simulées.
  • de terroriser les exilés cubains de Floride en organisant des attentats contre eux, y compris de couler, réellement ou en simulation, des embarcations chargées de ces réfugiés fuyant le régime castriste. De faux agents cubains auraient été arrètés et contraints aux aveux afin d'exhiber des preuves. La presse aurait été alimentée de faux documents compromettants pré-établis.
  • le bombardement nocturne d'états voisins par de faux avions cubains.
  • la destruction d'un avion charter, opéré par une compagnie aérienne détenue en sous-main par la CIA, dont les passagers, des étudiants en vacances, auraient été transférés sur un avion similaire, et dont les messages radio auraient dénoncé une attaque par un chasseur cubain[10].

En plus de ces projets, le ministère de la défense avança plusieurs idées d'opérations, telle l'opération Coup vicieux, partie d'un ensemble de projets baptisé « Opération Mongoose »[11], qui envisageait un possible accident du vol Mercury devant envoyer dans l'espace John Glenn et prévoyait d'en rendre les Cubains responsables à l'aide de preuves préfabriquées établissant des interférences électroniques.

Conscient de la difficulté dans un état démocratique comme les États-Unis de maintenir le secret de telles opérations, l'état major interarmes insistait sur la nécessité de limiter la participation aux personnes de totale confiance[12].

[modifier] Épilogue

Le président Kennedy ne cède pas face à ce groupe de pression. Il perçoit le général Lemnitzer comme un anti-communiste hystérique, soutenu par le cartel des industries de l'armement. Il tient ferme la ligne définie par son prédécesseur, lequel avait mis en garde son successeur lors de son discours de fin de mandat : « Dans les conseils de gouvernement, nous devons prendre garde à l'acquisition d'une influence illégitime, qu'elle soit recherchée ou non, par le complexe militaro-industriel. Le risque d'un développement désastreux d'un pouvoir usurpé existe et persistera. Nous ne devrons jamais laisser le poids de cette conjonction menacer nos libertés ou les processus démocratiques. Nous ne devons rien considérer comme acquis. Seules une vigilance et une conscience citoyennes peuvent garantir l'équilibre entre l'influence de la gigantesque machinerie industrielle et militaire de défense et nos méthodes et nos buts pacifiques, de sorte que la sécurité et la liberté puisse croître de pair[13]. »

[modifier] Voir aussi

[modifier] Bibliographie

  • (fr) Les premières mention et reproduction des fac-similés de l'Opération Northwoods dans un livre en français sont l'œuvre de Thierry Meyssan en mars 2002 dans son livre L'Effroyable Imposture (disponible depuis 2007 dans une nouvelle édition annotée sous le titre L'Effroyable Imposture 1 & Le Pentagate parue aux éditions Demi-Lune (ISBN 978-2-952557-16-0)
  • (en) James Bamford, Body of secrets, Anatomy of the Ultra-Secret National Security Agency from the Cold War to the Dawn of a New Century, Doubleday ed., 2001, ISBN 0-385-49907-8[14]
  • (en) Jon Elliston, Psy War on Cuba, The declassified History of US Anti-Castro Propaganda, Ocean press ed., 1999, ISBN 1-876175-09-5

[modifier] Articles connexes

[modifier] Liens externes

[modifier] Notes et références

  1. James Bramford, ch.4.
  2. (en) gwu.edu
  3. (en) archives.gov National Archives and Records Administration
  4. (en) gwu.edu National Security Archive
  5. (en) cnn.com cnn
  6. (en)Turner Learning
  7. (en) ABC News
  8. (en) arlingtoncemetery.net
  9. (en) ratical.com
  10. voir John Elliston, Psy War on Cuba, The declassified History of US Anti-Castro Propaganda, Ocean press ed., 1999, ISBN 1-876175-09-5.
  11. (en) web.archive.org
  12. voir James Bamford, Body of secrets, Anatomy of the Ultra-Secret National Security Agency from the Cold War to the Dawn of a New Century, Doubleday ed., 2001, ISBN 0-385-49907-8.
  13. Dwight Eisenhower, Farewell adress, 17 janvier 1961.
  14. Étude évoquée par Nafeez Mosaddeq Ahmed dans son livre La Guerre contre la vérité, éditions Demi-Lune, 2006, p. 460-463.