Lapis Niger

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Le Lapis niger (la Pierre noire, en latin) est une stèle de marbre noir trouvée à Rome, au forum romain, en juin 1899, devant le Comitium. Elle porte des lettres archaïques gravées, qui en font une des plus anciennes inscriptions latines, datable de -575/-550[1], ou non postérieure au -Ve siècle, selon Christian Hülsen[2], ou du début du -IVe siècle, selon Alfred Ernout[3].

Le Lapis niger: photographie des deux éléments inférieurs.
Le Lapis niger: photographie des deux éléments inférieurs.

Sommaire

[modifier] Historique

Cette pierre fait partie d'un sanctuaire du même nom, situé entre le forum et le Comitium. Les vestiges de ce sanctuaire, perdus par suite du développement des constructions sous l'Empire romain et au chaos dû à sa chute, ont été remis au jour au tout début du XXe siècle par l' archéologue italien Giacomo Boni. Ils sont accessibles par un escalier creusé dans le sol, aménagé juste devant la Curie.

L'inscription fait allusion à un roi (rex), et peut donc évoquer des événements datant la Royauté, ou peut-être s'agit-il d'un Rex sacrorum, haute autorité religieuse du début de la République romaine. À un moment donné, les Romains ont oublié la signification originale de l'édifice, ce qui les a conduits à des conflits de plusieurs légendes que l'on rapportait à propos du sanctuaire : certains croyaient que le Lapis Niger marquait la tombe de Romulus, premier roi de Rome ; d'autres en faisaient la tombe d'Hostus Hostilius, père du roi Tullus Hostilius ; d'autres enfin y voyaient l'endroit où Faustulus, qui avait recueilli Romulus, était tombé devant l'ennemi.

[modifier] Description

Le Lapis niger a connu deux consécrations successives : il y eut d'abord un sanctuaire de style traditionnel, qui fut rasé et enterré sous des dalles de marbre noir au cours du -Ier siècle, livrant ainsi le site à sa seconde consécration.

[modifier] Le sanctuaire d'origine

La version d'origine de ce lieu sacré était composée d'une stèle de marbre noir (la pierre éponyme), comportant une inscription en latin archaïque dédiant le sanctuaire à un rex (roi) et menaçant des plus graves malédictions quiconque oserait en troubler la paix, et un autel, dont il ne subsiste que la base. Devant l'autel sont encore deux bases de pierre : l'antiquaire Verrius Flaccus, contemporain d'Auguste, dont les travaux sont conservés dans l'épitomè de Sextus Pompeius Festus, a décrit la statue d'un lion au repos placé sur chacune des bases, « tout comme ceux qu'on peut voir aujourd'hui gardant des tombeaux ».

Les fouilles archéologiques ont révélé divers éléments dédicatoires de fragments de vases, de statues et de figures de sacrifices d'animaux, trouvés autour d'une couche de gravier délibérément disposée à cet endroit. Tous ces objets datent de la Rome très ancienne, entre le -VIIe et le -Ve siècle.

[modifier] Le second sanctuaire

La seconde version du sanctuaire, mise en place lorsque la première a été démolie, au cours du -Ier siècle, pour faire place à la poursuite de la construction du forum, est beaucoup plus simple : un revêtement de marbre noir a été posé sur le site d'origine et a été entouré d'un muret de couleur blanche. Le nouveau sanctuaire se trouvait juste à côté des Rostres, la tribune des orateurs du Sénat.

[modifier] L'inscription

L'inscription gravée sur la stèle présente plusieurs caractéristiques intéressantes. Le lettrage est le plus proche des lettres grecques de tous les lettrages latins connus, plus proche de l'alphabet grec original que celui emprunté par les peuples des colonies grecques de l'Italie, telles que Cumes. L'inscription est aussi écrite en boustrophédon, ce qui signifie qu'elle est écrite en alternance de droite à gauche, puis de gauche à droite : beaucoup des plus anciennes inscriptions latines sont rédigées de cette manière.

Le Lapis niger (transcription complète).
Le Lapis niger (transcription complète).
Éléments de déchiffrement de l'inscription du Lapis niger

Lapis niger éléments de latin classique interprétation

quoi hoi...
...sakros es
ed sorm (ou sord[4]) ...

... ia . ias
regei ic... (ou lo...[4])
...evam
quos ri... (ou re...[4])

...m kalato-
rem hai...
...o iod iouxmen-
ta kapia dotav...

m ite ria... (ou rit...[4])
...m quoi ha-
velod nequ...
...odiovestod...

(...loivquiod[4])...

QUI HVNC [locum violaverit]
SACER SIT
...

...
REGI
...
...

CALATOREM
...
IVMENTA
CAPIAT




IVSTO


Qui violera ce lieu
sera maudit
...

...
au roi
...
...

le héraut
...
prenne
le bétail




juste


L'inscription a une importance fondamentale pour l'étude de l'évolution de la langue latine : les philologues (parmi eux Luigi Ceci, qui a amplement commenté cette découverte) ont catalogué l'inscription du Lapis niger comme CIL I, 1, c'est-à-dire en tête du Corpus Inscriptionum Latinarum, qui est le répertoire monumental de toutes les inscriptions latines de l'époque romaine, classées chronologiquement par lieu de leur découverte.

[modifier] Interprétation

Il est impossible de donner un sens certain à une inscription aussi fragmentaire.

Georges Dumézil émit en 1951 une hypothèse que Pierre Grimal qualifie de « brillante » : il s'agirait d'un ordre absolu de dételer les animaux de trait devant le Comitium, lieu sacré. Le rejet d'excréments par les animaux attelés était en effet considéré comme un présage funeste : selon Georges Dumézil, havelod pourrait désigner les excréments (aluus en latin classique)[5].

[modifier] Sources

  1. it:Lapis Niger, source non indiquée
  2. Christian Hülsen,The Roman Forum, Its History and Its Monuments, 1906
  3. Alfred Ernout, Textes archaïques... p.5 , cité par Pierre Grimal, À la recherche de l'Italie antique, p. 98.
  4. abcde Pierre Grimal, À la recherche de l'Italie antique, p. 98.
  5. Georges Dumézil, cité par Pierre Grimal, À la recherche de l'Italie antique, p. 99-100.
  • Cet article contient des éléments traduits des articles de Wikipédia en anglais et en italien sur le Lapis niger, largement issus des notes de Christian Hülsen (1906), citées par Lacus Curtius.
commons:Accueil

Wikimedia Commons propose des documents multimédia libres sur le Lapis niger.

[modifier] Bibliographie

  • Pierre Grimal, À la recherche de l'Italie antique, Hachette, 1961, pp. 94-100.

[modifier] Liens externes