Jan Carew

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Jan Rynveld Carew est un écrivain, dramaturge, poète et universitaire originaire du Guyana, né en 1920. Par son œuvre multiple et multiforme, Jan Carew est un intellectuel important du monde caribéen. Sa poésie et ses deux premiers romans, Black Midas et The Wild Coast, sont des jalons importants de la littérature antillaise qui tente alors de se réapproprier par l'écriture l'expérience coloniale et la volonté d'autonomie. Carew joue aussi un rôle essentiel dans le mouvement noir qui s'affirme en Angleterre et en Amérique du Nord, en éditant revues et journaux, en produisant des émissions de radio et des pièces de théâtre. Ses recherches universitaires le poussent à réexaminer l'historiographie traditionnelle en interrogeant les modèles dominants qui entourent l'histoire de la conquête de l'Amérique. Il fait de la redéfinition du personnage de Christophe Colomb hors de l'hagiographie mythique un passage obligé pour reconstruire l'espace caraïbe sur de nouvelles bases.

Sommaire

[modifier] Biographie

[modifier] Sa jeunesse au Guyana britannique

Jan Rynveld Carew est né le 24 septembre 1920 à Agricola Rome, un village côtier du Guyana alors encore Guyane britannique, colonie sud-américaine de l'Empire britannique. De 1924 à 1926, la famille Carew vit aux États-Unis, mais Jan Carew et sa sœur aînée doivent rentrer au Guyana après l'enlèvement de leur sœur à New York. L'enfant sera retrouvée en 1927 et renvoyée à sa famille au Guyana.[1] Son père vécut à plusieurs reprises aux États-Unis et au Canada. Il travaille un temps pour la compagnie de chemin de fer The Canadian Pacific Railway, traversant de part en part le continent américain de Halifax à Vancouver. Ses souvenirs alimentent aussi l'imaginaire du jeune Carew.[2]

De 1926 à 1938, il poursuit sa scolarité au Guyana, d'abord à l'école wesleyenne d'Agricola, puis à l'école élémentaire catholique et au lycée Berbice de New Amsterdam. Il passe son Senior Cambridge Exam en 1938.

En 1939, il devient enseignant, à temps partiel, au lycée Berbice pour filles,[3] avant d'être appelé sous les drapeaux de l'armée britannique. Il est affecté à un régiment d'artillerie côtière jusqu'en 1943. De 1943 à 1944, il est fonctionnaire des douanes à Georgetown.
Il publie alors également son premier texte dans le Christmas Annual tout en travaillant beaucoup le dessin et la peinture.[4] De 1944 à 1945, il travaille au bureau chargé du contrôle des prix à Port-of-Spain, à Trinidad.

Jan Carew se sent appartenir au monde caribéen qui pour lui englobe les îles et les zones littorales du Guyana, du Suriname et de Cayenne.[5] Il trouve l'unité paradoxale de la vie antillaise dans un processus d'aliénation successif enfoui dans "une mosaïque de fragments culturels - Amérindiens, Africains, Européens et Asiatiques."[6] La singularité de l'expérience de Jan Carew est qu'il se trouve au Guyana en contact avec les descendants des sociétés amérindiennes que la conquête européenne et l'esclavage ont détruites dans les îles. Cette spécificité que partage l'œuvre littéraire de Wilson Harris, autre auteur guyanien d'importance, explique en partie la sensibilité de Carew à l'Amérique précolombienne disparue, comme sa volonté de réhabiliter les civilisations amérindiennes et de souligner l'interaction culturelle qui pût lier esclaves africains et peuples amérindiens.

[modifier] Les années universitaires

En 1945, il part étudier aux États-Unis, dans un premier temps, à l'Université Howard à Washington, puis de 1946 à 1948 à l'Université de Western Reserve à Cleveland dans l'Ohio. En 1948, il expose ses toiles à la Bibliothèque publique de Cleveland.[7] Il retourne pendant 6 mois au Guyana en 1949 et écrit dans le Political Action Bulletin. Il publie également son premier recueil de poésie, Streets of Eternity. Il obtient une bourse pour étudier à l'Université Charles de Prague. En chemin vers l'université, il s'arrête à Paris où il rencontre Tiberio, le peintre brésilien, Pablo Picasso, André Gide, Richard Wright, Olie Harrington. De 1949 à 1950, il étudie à Prague, puis revient à Paris où il rencontre à nouveau Picasso.[8]

Selon Kwame Dawes, son parcours universitaire est comparable à celui de nombreux écrivains caribéens de sa génération.[9] Cet exil nécessaire pour accéder à une éducation universitaire était aussi une ouverture vers les mouvements artistiques et politiques d'Europe et d'Amérique du Nord. Mais cette expérience devient également une prise de conscience des dimensions propres à l'identité antillaise, une réflexion partagée par de nombreux auteurs caribéens comme Édouard Glissant, George Lamming, Austin Clarke ou Wilson Harris.

[modifier] L'exil et l'écriture

Jan Carew entreprend de longues années de voyage et d'exil qu'il associe dans un essai intitulé The Caribbean Writer and Exile à l'aliénation culturelle fondatrice qui définit l'expérience historique des Antilles. Il va ainsi parcourir l'Amérique du Sud, l'Amérique du Nord, l'Europe, l'Asie et l'Afrique.

Tous ces voyages forgent et alimentent son travail d'écriture. Son œuvre romanesque et poétique concerne aussi bien son enfance au Guyana que ses expériences dans la communauté antillaise de Londres, de Harlem ou la question du racisme en Union Soviétique. A partir de ces expériences concrètes, il élabore une vision personnelle de la position de l'homme noir au sein du monde contemporain, en en donnant le plus souvent une perception humaniste. Pour Kwame Dawes, "la façon dont il perçoit les communautés sur lesquelles il écrit est généralement authentique et son jugement sur les hommes bienveillant."[10]

En 1951, il s'installe à Amsterdam aux Pays-Bas. Il participe à de Kim, un journal littéraire multilingue et il envoie régulièrement des textes à la BBC (British Broadcasting Corporation), en particulier au programme Caribbean Voices.[11]

En 1952, Jan Carew est en Angleterre. Il travaille pour le Kensington Post où il tient une colonne. De 1953 à 1955, il rejoint la compagnie théâtrale de Laurence Olivier, le célèbre acteur shakespearien. Il joue dans diverses pièces à Londres, Liverpool et New York. De 1953 à 1959, il travaille pour la BBC comme journaliste, écrivain, où il donne des chroniques sur l'art, la littérature, les questions d'actualité.[12]

En 1958, il rencontre Sylvia Wynter, dont il deviendra le second mari.[13] Ils écrivent en collaboration plusieurs œuvres pour la BBC et ITV, dont une adaptation de The University of Hunger de Martin Carter diffusée en 1961 et 1962.[14]

En 1962, il revient au Guyana pour devenir administrateur chargé de la Culture (Director of Culture) dans le gouvernement de Cheddi Jagan.[15] Sylvia Wynter enseigne l'espagnol à Queen's College. Il est correspondant pour l'Amérique Latine au London Observer, et se retrouve à Cuba pour couvrir la crise des missiles.[16] En décembre, il part en Jamaïque en famille.[17]

En 1963 il est de retour en Angleterre. Il devient critique d'art pour le News and Review et il écrit aussi des critiques littéraires pour le John O'London's Weekly. Il fait de nombreuses émissions pour la BBC en particulier pour les programmes Caribbean Voices, Home Service et Third Programme, où il donne des pièces de théâtre, de la poésie et des nouvelles.[18]

En 1963, il voyage pour la première fois en URSS, comme invité de l'Union des Écrivains et publie en 1964 Moscow is Not My Mecca, un roman qui explore la question du racisme en régime communiste.

En 1965, il rencontre Malcolm X à Londres, peu de temps avant son assassinat. Marqué par la personnalité et la pensée du militant noir, il évoquera sa figure en relation à son propre itinéraire biographique dans son ouvrage Ghosts in our Blood : With Malcom X in Africa, England and the Caribbean. Il est l'éditeur du journal Magnet, un bimensuel qui participe à la structuration du mouvement noir en Angleterre.

En 1965 et 1966, il part au Ghana où il est conseiller au sécrétariat chargé de la communication (Publicity Secretariat) au sein du gouvernement Nkrumah et éditeur de la revue African Review.[19]

En 1966, il part s'installer sur les conseils de l'écrivain Austin Clarke à Toronto au Canada[20] où il demeure jusqu'en 1969. Il travaille pour la CBC (Canadian Broadcasting Corporation), proposant des poésies, des nouvelles, des interviews et des émissions thématiques. Il écrit et produit différentes pièces télévisées.[21] En 1968, il lance un journal littéraire tiers-mondiste Cotopaxi dont les contributions sont internationales.[22]

En 1969, il s'installe aux États-Unis et commence une importante carrière universitaire. De 1971 à 1974, il écrit des critiques littéraires pour le New York Times Sunday Book Review et des articles pour le New York Times Travel Section.[23]

En 1982, il habite sur l'île de Grenade.

En 1984, il commence sa collaboration avec la revue britannique Race & Class où il commence à publier quelques articles. A partir de 1987, il devient membre de son comité de lecture. En 2001, la revue lui consacre un numéro spécial sous la direction de Joy Gleason Carew et de Hazel Waters (The Gentle Revolutionary : Essays in Honour of Jan Carew, Race & Class, Vol. 43, n° 3, 2001).

Entre 1987 et 1989 il vit à Tlaquepaque, près de Guadalajara, au Mexique.

En 2000 il vient habiter à Louisville dans le Kentucky où il vit actuellement avec sa femme Dr. Joy Gleason Carew dont il a une fille, Shantoba Eliza Kathleen Carew. Jan Carew a deux autres enfants, Lisa St. Aubin de Teran, une romancière, et Christopher Carew, de deux autres unions.[24]

[modifier] L'œuvre littéraire

[modifier] L'œuvre romanesque

Jan Carew écrit son premier roman en 1950, Rivers of his Night, qui ne fut jamais publié. C'est avec ses deux romans suivants publiés tous les deux en 1958, Black Midas et The Wild Coast qu'il se fait reconnaître en tant qu'écrivain.

Ces deux romans constituent la première phase de son travail romanesque, évoquant la réalité sociale, culturelle et naturelle propre à son Guyana natal. La force de ces romans tient justement de leur capacité à saisir "de manière vivante les rythmes du paysage guyanais à tel point que le lecteur est plongé dans la densité de l'environnement naturel des forêts, des savanes, des fleuves et des terres marécageuses."[25] Mais la description par Carew de la vie des hommes au sein d'un environnement social et naturel singulier fait pourtant émerger une vision universelle de la vie humaine.

Dans ces deux romans, la question de la langue est centrale. Jan Carew travaille de manière littéraire le parler populaire, lui donnant une dimension poétique.

Black Midas (l'édition américaine aura pour titre A Touch of Midas) est le roman le plus connu de Jan Carew. Il y conte l'odyssée d'Aron Shark, un "pork-knocker", un orpailleur.

The Wild Coast est le récit de l'éveil d'un jeune garçon, Hector Bradshaw, fils d'un riche commerçant de Georgetown. Hector, pour soigner ses poussées de malaria, vient habiter dans une vieille propriété de la famille à Tarlogie. Au contact de la nature sauvage, de la vie du village, de l'affection qui grandit entre lui et Sœur (Sister) la vieille gouvernante, il passe de l'enfance à l'adolescence, explorant les multiples dimensions de la vie humaine. Le roman suit, au niveau narratif, une trame chronologique, intégrant dans les premiers chapitres quelques retours en arrière qui forment l'arrière plan mémoriel des différents personnages.

The Last Barbarian, publié en 1960, se situe à Harlem.

Moscow is not my Mecca, de 1964, se déroule en Russie Soviétique. Il est publié en 1965 aux États-Unis sous le titre Green Winters.

Save the Last Dance for Me est un recueil de nouvelles que Jan Carew publie en 1976. Les nouvelles évoquent l'Angleterre, et plus particulièrement la vie des exilés antillais.

En 2007, il vient de faire paraître un recueil de nouvelles, The Guyanese Wanderer aux éditions Sarabande Books.

[modifier] Poésie, théâtre, télévision, littérature pour enfants

Sylvia Wynter a adapté pour la jeunesse le roman, Black Midas, en 1969. Il écrit quelques livres pour enfants comme en 1975, The Third Gift, et en 1980, Children of the Sun.

Le théâtre joue un rôle important dans la vie intellectuelle de Jan Carew. Il écrit des pièces, travaille en collaboration avec sa femme Sylvia Wynter, qui fut aussi actrice, danseuse, metteur en scène, et auteure de pièces. Jan Carew a lui aussi joué et mis en scène des pièces de théâtre dans divers pays. Au Canada, il écrit et met en scène en 1967 Gentlemen be Seated avec les Toronto Workshop Productions. La pièce connaît un certain succès et part en tournée internationale au festival de Venise et en Yougoslavie avec le soutien du Canadian Arts Council.[26]

Il écrit pour la CBC Behind God's Back d'après une nouvelle d'Austin Clarke.

[modifier] L'enseignant

[modifier] Le parcours académique

Quand il était en Angleterre, dans la deuxième moitié des années cinquante, Jan Carew avait commencé à donner des conférences sur les questions raciales à l'université de Londres, dans le département chargé des cursus externes. Mais c'est en 1969, aux États-Unis, qu'il entame sa carrière universitaire. Il enseigne à Rutgers et devient maître de conférence au Département d'Études Afro-Américaines à Princeton de 1969 à 1972. Il fut professeur d'Études Afro-Américaines à l'Université Northwestern de 1973 à 1987, où il fut fait Professeur émérite. De 1989 à 1991, il enseigne à l'université George Mason, et de 1992 à 1993, il est à l'Université wesleyenne de l'Illinois. Il enseigne à l'université de Lincoln de 1993 à 1996, et à l'université de Louisville durant l'autonme 2000.[27]

Il a longtemps été très investi dans les activités de l'Association pour les Études Caribéennes (Association of Caribbean Studies) au côté de son fondateur Oscar Ronald Dathorne.

[modifier] Les cultures indigènes et la critique de Christophe Colomb

Jan Carew s'est intéressé aux cultures indigènes des Amériques et à l'histoire de l'Amérique précolombienne. En mettant en évidence la sophistication des sociétés amérindiennes, en particulier dans l'espace caraïbe, il s'est attaché à exposer le caractère profondément destructeur de la colonisation du continent américain. Dans son essai historique, Rape of Paradise : Columbus and the Origin of Racism in the Americas, comme dans son livre consacré à l'île de Grenade, Grenada : The Hour Will Strike Again, Carew remet en question l'histoire "officielle" de la "découverte des Amériques". Pendant près de 500 ans l'histoire a été écrite par les vainqueurs, et les peuples disparus ne peuvent revivre qu'aux travers d'archives parcellaires exprimant le point de vue du conquérant. Retrouver les cultures détruites demande selon Carew la contestation première de cette perspective de l'histoire "impérialiste", c'est-à-dire favorable aux différents empires coloniaux et néo-coloniaux.

Dans cette reconstruction de l'historiographie, la figure de Christophe Colomb apparaît comme emblématique, à la fois, de la logique destructrice de l'entreprise coloniale et de l'idéologie qu'elle a sécrétée. Carew participe ainsi de la révision du mythe qui entourait autrefois Colomb comme explorateur et grand découvreur. Cette remise en cause d'une figure héroïque de l'historiographie occidentale culmine en 1992 par la contestation, en particulier au sein des mouvements amérindiens et noirs, des célébrations du 500ème anniversaire de son arrivée en Amérique.

Pour ce travail de reconstruction historique, Jan Carew bâtit son œuvre dans la lignée de Jules Michelet dont il souligne l'importance méthodologique dans Grenada : The Hour Will Strike Again et The Caribbean Writer and Exile.

[modifier] L'engagement

L'œuvre de Jan Carew a une dimension politique. Il participe à la génération culturelle et politique qui conteste l'Empire britannique et soutient les mouvements de libération nationale qui suivent la seconde guerre mondiale. Panafricaniste, il défend l'autonomie des peuples noirs en Afrique et participe à l'expérience ghanéenne en 1965 et 1966.

[modifier] Le mouvement noir et la question culturelle

Il a rencontré des figures importantes des mouvements culturels et politiques noirs telles que William Edward Burghardt Du Bois, Paul Robeson, Langston Hughes, Malcolm X, Kwame Nkrumah, Shirley Graham Du Bois, Maurice Bishop, Cheikh Anta Diop, Edward Scobie, John Henrik Clarke, Tsegaye Medhin Gabre, Sterling Plumpp et Ivan Van Sertima. En 1990, il rencontre Wilfred Little, le frère de Malcom X.

Culture et politique sont très liées dans la pensée et l'œuvre de Jan Carew. Cecil Foster dans un article qu'il consacre aux réflexions de Carew sur le Canada et à sa construction identitaire comme nation (Jan Carew and the reconstruction of the Canadian mosaic)[28] montre bien la façon dont Carew tente de penser le multiculturalisme canadien qui est encore masqué dans les années soixante par l'idéologie dominante canadienne qui voyait dans la relation à l'Europe le seul lien culturel et identitaire légitime. Cette référence culturelle ou identitaire servait d'étalon pour mesurer la valeur des autres cultures présentes sur le sol canadien. Dans ce Canada du milieu des années soixante qui s'interroge sur son avenir comme état fédéral, Carew cherche à définir une troisième voie minoritaire entre l'idée d'une partition entre provinces françaises et provinces anglaises et un pays bilingue et biculturel. A ces options dominantes il oppose une vision multiculturelle qui reconnaîtrait la légitimité et l'égalité des cultures venant du monde entier,[29] et cela d'autant plus que ces visions dominantes de la nation canadienne ne peuvent exister qu'en gommant du récit national la présence de la population amérindienne mais aussi la longue histoire d'une population noire qui arrive dès les premiers bateaux européens, ou s'y installe en suivant dans l'exil les loyalistes fuiyant l'indépendance américaine, ou l'existence d'une importante communauté venue des Caraïbes pour travailler.[30] Son travail à la Canadian Broadcasting Corporation (CBC) lui permet de produire des pièces s'intéressant à l'expérience culturelle des noirs et des antillais au Canada. Il essaie alors de montrer à l'écran cette diversité effacée de l'imaginaire collectif.[31]

[modifier] L'Invasion de la Grenade de 1983 et la redéfinition de l'histoire coloniale

Jan Carew soutient l'expérience révolutionnaire à Grenade. Il y effectue des séjours réguliers entre 1979 et 1983 où il a une maison à Westerhall-Bacolet. Il explore les paysages de l'île et s'intéresse à la vie de ses habitants.[32] L'invasion de la Grenade par les États-Unis en octobre 1983, sous l'administration Reagan, met fin à cette expérience et provoque l'envie chez Carew de retracer dans Grenada: The Hour Will Strike Again, livre publié deux ans après l'invasion, les ressorts historiques des résistances grenadines qui ont forgé l'histoire de l'île. Il fait ainsi remonter son récit aux populations amérindiennes (Arawaks et Caraïbes) qui en faisant face aux conquérants européens, espagnols et français, ont initié une forme archétypale de résistance et d'insoumission. Ainsi les mouvements de résistance des esclaves africains, en particulier la guérilla menée par Julian Fedon, comme les mouvements anticoloniaux, rejouaient sous des modalités nouvelles cette tragédie initiale en s'opposant aux dominations coloniales et néo-coloniales successives de l'île. L'invasion américaine ne faisait alors que refermer provisoirement le cercle de cette histoire commencée avec Christophe Colomb. "L'invasion de la Grenade par des impérialistes américains rejoue le drame de Prospero et de Caliban que Colomb avait initié cinq siècles auparavant,"[33] affirme Carew.

Le processus génocidaire qui a fait disparaître la présence amérindienne sur l'île se fonde sur cet archétype initié par la présence espagnole, en particulier la destruction des Cinq Royaumes d'Hispañola par Olonzo de Ojeda sur ordre de Christophe Colomb,[34] même si à Grenade la destruction de la population caraïbe sera l'œuvre de la conquête de l'île par les français au milieu du XVIIe siècle.[35] Or cette île, selon le récit de Jean Pere Labat, présente avant sa destruction un visage de prospérité et de stabilité. Les ressources sont abondantes (poissons et gibiers), les terres fertiles et leur utilisation prudente.[36] Comme pour Hispañola, c'est la force qui aura raison de cette civilisation amérindienne.

Au début du XVIIe siècle, l'île, alors nominalementsous domination espagnole mais qui ne put jamais être colonisée avec succès, commence à attirer la convoitise de la France et de la Grande-Bretagne. Car l'Empire espagnol n'a plus la capacité matérielle et humaine pour consolider l'ensemble de son vaste empire alors que le développement de productions agricoles telles que le tabac, l'indigo ou la canne à sucre augmente l'intérêt économique des îles antillaises.[37]

Mais la conquête de l'île fut un long processus qui prit un demi siècle. La première tentative de peuplement important eut lieu en 1609 avec l'arrivée de trois cent trois colons anglais. Mais en décembre de la même année les survivants ayant dus affronter l'opposition farouche des caraïbes rentrent en Angleterre. En 1638, c'est à la France de vouloir prendre possession de l'île mais le résultat est le même.[38] C'est seulement en 1650 que les français prennent pied pour de bon sur l'île, et en quelques années ils assujettissent la population dans la violence.

La volonté de Jan Carew est d'écrire une histoire populaire de la Grenade qui donnerait la parole aux personnes que l'histoire a tendance à effacer ou à négliger, (the neglected people[39]). "Carew s'est donc assigné pour tâche de rendre visible ce que l'on ne regardait pas et audible ce que l'on n'écoutait pas,"[40] selon les termes de Don Rojas dans la préface. Il débute cette tâche en voulant réhabiliter la réalité culturelle et sociale des populations caraïbes des Antilles, interrogeant la légende noire que leur farouche résistance à l'invasion espagnole leur attribua. Cette vision d'un peuple guerrier, sauvage et cannibal, comme le mythe de l'inimitié irréconciliable entre caraïbes et arawaks, semblent être avant tout une déformation idéologique de l'histoire par le vainqueur. Mais pour Jan carew, la difficulté de la tâche même de l'historien naît de l'ampleur des destructions qui frappèrent les Antilles. A Hispañola, l'île aux cinq royaumes, il ne reste presque rien de la présence amérindienne. "Les noms de ces royaumes disparus: Caizimu, Huhabo, Cayaho, Bainoa et Guacayarima sont tout ce qui demeure."[41] Le travail de l'historien débute par la remise en question des limites de l'historiographie traditionnelle en particulier en posant des questions nouvelles qui ouvrent des perspectives à la recherche intellectuelle. Qu'elles étaient l'étendue des relations entre les divers peuplements caraïbes dans les Antilles, quelle fut l'étendue de leur ère d'influence, quelles relations unissaient les différentes populations amérindiennes?[42]

[modifier] La question écologique

La question écologique est centrale dans sa réflexion d'intellectuel et son engagement politique. Un roman comme The Wild Coast, publié en 1958, vibre de la présence d'une nature luxuriante, magnifiée par l'écriture poétique, mais elle est aussi une puissance qui s'impose à l'humanité pauvre du Guyana colonial.

Il propose au gouvernement guyanien de considérer sa fôrêt comme un bien pour l'humanité.


Eusi Kwayana

[modifier] Bibliographie de Jan Carew

  • Black Midas, Londres, Secker & Warburg, 1958. Il fut édité aux États-Unis également chez Coward McCann sous le titre A Touch of Midas.
  • The Wild Coast, Londres, Secker & Warburg, 1958.
  • The Last Barbarian, Londres, Secker & Warburg, 1961.
  • Moscow is not my Mecca, Londres, 1964. Il est édité aux États-Unis chez Stein & Day sous le titre Green Winter
  • Cry Black Power, Toronto, McClelland & Stewart, 1970.
  • Sons of Flying Wing", Toronto, McClelland & Stewart, 1970.
  • The Third Gift, Boston, Little & Brown, 1972.
  • Rape the Sun, New York, Third Press, 1973.
  • Children of the Sun, Boston, Little & Brown, 1976.
  • Save the Last Dance for Me, Londres, Longman, 1976
  • The Twins of Llora, Boston, Little & Brown, 1977.
  • Grenada : The Hour Will Strike Again, Prague, The International Organisation of Journalists, 1985.
  • Fulcrums of Change,
  • Ghosts in Our Blood : With Malcolm X in Africa, England and the Caribbean.
  • Estevanico : The African Explorer
  • Rape of Paradise : Columbus and the Origin of Racism in the Americas
  • Moorish Culture-Bringers : Bearers of Englightment.
  • The Guyanese Wanderer : Stories, Louisville, Sarabande Books, 2007.

Wynter, Sylvia (adaptation) & Jan Carew. Black Midas, Londres, Longman, 1969.

[modifier] Notes et références

[modifier] Notes

  1. Carew, Joy Gleason et Hazel Waters (ed.), The Gentle Revolutionary : Essays in Honour of Jan Carew, Race & Class, Vol. 43, n° 3, 2001, p. 81.
  2. Birbalsingh, Frank, Jan Carew Interview, Journal of Caribbean Studies, 1988.
  3. Carew, Joy Gleason et Hazel Waters (ed.), The Gentle Revolutionary : Essays in Honour of Jan Carew, Race & Class, Vol. 43, n° 3, 2001, p. 81.
  4. Carew, Joy Gleason et Hazel Waters (ed.), The Gentle Revolutionary : Essays in Honour of Jan Carew, Race & Class, Vol. 43, n° 3, 2001, p. 81.
  5. Carew, Jan. The Caribbean Writer and Exile. p. 2.
  6. Carew, Jan. The Caribbean Writer and Exile. p. 1.
  7. Carew, Joy Gleason et Hazel Waters (ed.), The Gentle Revolutionary : Essays in Honour of Jan Carew, Race & Class, Vol. 43, n° 3, 2001, p. 81.
  8. Carew, Joy Gleason et Hazel Waters (ed.), The Gentle Revolutionary : Essays in Honour of Jan Carew, Race & Class ,Vol. 43, n° 3, 2001, p. 82.
  9. Dawes, Kwame. "Jan Carew", dans Fifty Caribbean Writers, p. 97.
  10. Dawes, Kwame. "Jan Carew", dans Fifty Caribbean Writers, p. 97.
  11. Carew, Joy Gleason et Hazel Waters (ed.), The Gentle Revolutionary : Essays in Honour of Jan Carew, Race & Class, Vol. 43, n° 3, 2001, p. 82.
  12. Carew, Joy Gleason et Hazel Waters (ed.), The Gentle Revolutionary : Essays in Honour of Jan Carew, Race & Class, Vol. 43, n° 3, 2001, p. 82.
  13. Chang, Vicor L. "Sylvia Wynter", dans Fifty Caribbean Writers, p. 498.
  14. Chang, Vicor L. "Sylvia Wynter", dans Fifty Caribbean Writers, p. 499.
  15. Carew, Joy Gleason et Hazel Waters (ed.), The Gentle Revolutionary : Essays in Honour of Jan Carew, Race & Class, Vol. 43, n° 3, 2001, p. 82.
  16. Carew, Joy Gleason et Hazel Waters (ed.), The Gentle Revolutionary : Essays in Honour of Jan Carew, Race & Class, Vol. 43, n° 3, 2001, p. 82.
  17. Chang, Vicor L. "Sylvia Wynter", dans Fifty Caribbean Writers, p. .
  18. Carew, Joy Gleason et Hazel Waters (ed.), ,The Gentle Revolutionary : Essays in Honour of Jan Carew, Race & Class, vol. 43, n° 3, 2001, p. 82.
  19. Carew, Joy Gleason et Hazel Waters (ed.), The Gentle Revolutionary : Essays in Honour of Jan Carew, Race & Class, Vol. 43, n° 3, 2001, p. 83.
  20. Foster, Cecil. "Jan Carew and the reconstruction of the Canadian Mosaic", dans Carew, Joy Gleason et Hazel Waters (ed.), The Gentle Revolutionary : Essays in Honour of Jan Carew, Race & Class, Vol. 43, n° 3, 2001, p. 4.
  21. Carew, Joy Gleason et Hazel Waters (ed.), Race & Class,The Gentle Revolutionary : Essays in Honour of Jan Carew, Vol. 43, n° 3, 2001, p. 83.
  22. Foster, Cecil. "Jan Carew and the reconstruction of the Canadian Mosaic", dans Carew, Joy Gleason et Hazel Waters (ed.), The Gentle Revolutionary : Essays in Honour of Jan Carew, Race & Class, Vol. 43, n° 3, 2001, p. 8.
  23. Carew, Joy Gleason et Hazel Waters (ed.), Race & Class,The Gentle Revolutionary : Essays in Honour of Jan Carew, Vol. 43, n° 3, 2001, p. 83.
  24. Carew, Joy Gleason et Hazel Waters (ed.), The Gentle Revolutionary : Essays in Honour of Jan Carew, Race & Class, Vol. 43, n° 3, 2001, p. 84.
  25. Dawes, Kwame."Jan Carew", dans Fifty Caribbean Writers, p. 97.
  26. Foster, Cecil. "Jan Carew and the reconstruction of the Canadian Mosaic", dans Carew, Joy Gleason et Hazel Waters (ed.), The Gentle Revolutionary : Essays in Honour of Jan Carew, Race & Class, Vol. 43, n° 3, 2001, p. 9.
  27. Carew, Joy Gleason et Hazel Waters (ed.), Race & Class,The Gentle Revolutionary : Essays in Honour of Jan Carew, Vol. 43, n° 3, 2001, p. 83.
  28. Foster, Cecil. "Jan Carew and the reconstruction of the Canadian Mosaic", dans Carew, Joy Gleason et Hazel Waters (ed.), The Gentle Revolutionary : Essays in Honour of Jan Carew, Race & Class, Vol. 43, n° 3, 2001, p. 4.
  29. Foster, Cecil. "Jan Carew and the reconstruction of the Canadian Mosaic", dans Carew, Joy Gleason et Hazel Waters (ed.), The Gentle Revolutionary : Essays in Honour of Jan Carew, Race & Class, Vol. 43, n° 3, 2001, p. 4.
  30. Foster, Cecil. "Jan Carew and the reconstruction of the Canadian Mosaic", dans Carew, Joy Gleason et Hazel Waters (ed.), The Gentle Revolutionary : Essays in Honour of Jan Carew, Race & Class, Vol. 43, n° 3, 2001, pp. 5-6.
  31. Foster, Cecil. "Jan Carew and the reconstruction of the Canadian Mosaic", dans Carew, Joy Gleason et Hazel Waters (ed.), The Gentle Revolutionary : Essays in Honour of Jan Carew, Race & Class, Vol. 43, n° 3, 2001, p. 9.
  32. Carew, Jan. Grenada : The Hour Will Strike Again, pp. 13-14.
  33. Carew, Jan. Grenada : The Hour Will Strike Again, p. 24.
  34. Carew, Jan. Grenada : The Hour Will Strike Again, p. 25.
  35. Carew, Jan. Grenada : The Hour Will Strike Again, p. 25.
  36. Carew, Jan. Grenada : The Hour Will Strike Again, p. 38.
  37. Carew, Jan. Grenada : The Hour Will Strike Again, p. 41.
  38. Carew, Jan. Grenada : The Hour Will Strike Again, p. 42.
  39. Carew, Jan. Grenada : The Hour Will Strike Again, p. 13.
  40. Rojas, Don. Introduction à Jan Carew, Grenada : The Hour will Strike Again, p. 6.
  41. Carew, Jan. Grenada : The Hour Will Strike Again, p. 35.
  42. Carew, Jan. Grenada : The Hour Will Strike Again, p. 38-39.

[modifier] Bibliographie

  • Chang, Vicor L. "Sylvia Wynter", dans Coll. Fifty Caribbean Writers, pp. 498-507.
  • Dawes, Kwame. "Jan Carew", dans Coll., Fifty Caribbean Writers, pp. 96-107.
  • Carew, Joy Gleason et Hazel Waters (ed.), The Gentle Revolutionary : Essays in Honour of Jan Carew, Race & Class, Vol. 43, n° 3, 2001.

[modifier] Liens externes

  • [1] Blog sur Jan Carew, qui présente son œuvre et quelques informations complémentaires sur son parcours intellectuel.
  • [2] Page de l'éditeur Sarabande Books sur The Guyanese Wanderer, dernier ouvrage publié par Jan Carew.

[modifier] Voir aussi sur Wikipedia

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