Godille

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Un godilleur peint par Claude Monet dans son tableau Impression soleil levant
Un godilleur peint par Claude Monet dans son tableau Impression soleil levant

La godille désigne avant tout un aviron à la fois propulsif et directionnel placé à l'arrière d'un bateau. Il est vraisemblable que le mot vienne du latin cauda, la queue : sur certains bateaux comme les sapines de Loire, l'aviron arrière est désigné comme « aviron de coue », c’est-à-dire de queue. La position de cet aviron unique engendre d'elle-même un emploi très particulier de celui-ci, c'est l'action de godiller.

Cette technique est surtout utilisée en France sur les côtes de la Manche et de l'Atlantique, ainsi que par tous les bateliers et mariniers, à bord de leur "bachot" (annexe), qui la pratiquent aussi en courses de vitesse. Elle est connue mais très peu utilisée dans les îles britanniques, et à peu près inconnue en Méditerranée. Néanmoins, il est probable que le rabelo portugais peut se propulser à la godille.

Sommaire

[modifier] Principe

L'aviron repose dans une engoujure à l'arrière du bateau (éventuellement une dame de nage peut faire l'affaire mais elle présente de nombreux inconvénients). Il est mis en mouvement par le godilleur qui se tient face à l'arrière et saisit l'aviron à la hauteur des épaules. Il est possible de se tenir de côté et d'actionner l'aviron d'une seule main pour avoir une meilleure visibilité dans les manœuvres, mais c'est au prix d'une forte baisse de la puissance propulsive.

Le mouvement de la pelle est celui qu'aurait la pale d'une hélice dont le sens de rotation et le calage (l'angle d'atttaque) s'inverseraient tous les huitièmes de tour, l'écart angulaire étant de l'ordre de 20 à 30 degrés de chaque côté de la verticale. Les mains du godilleur décrivent des sortes de « 8 » pour donner à la pelle une incidence plus ou moins forte compatible avec un écoulement "attaché" (non décroché). Au changement de sens le godilleur donne un rapide mouvement de poignet pour que la pelle ne soit pas soulevée par la pression de l'eau. Cette technique est également utilisée en canoë et kayak dans la manœuvre de déplacement latéral connue sous le terme d'« appel navette ».

Technique de virage : le godilleur peut tourner large en se décalant latéralement, plus serré en donnant plus d'incidence à la pelle dans un sens que dans l'autre, et sur place en effectuant un mouvement identique à celui de la nage ou de la vogue.

Pour apprendre à godiller, il est préférable d'utiliser un aviron long, sur un bateau assez lourd. Il est surtout préférable que le bateau ait une grande stabilité directionnelle, grâce à une surface immergée, comme une quille ou un gouvernail bloqué dans l'axe qui empêche l'arrière de l'embarcation de déraper latéralement sous l'effet de la composate latérale de la poussée.

[modifier] Caractéristiques

Avantages :

  • simplicité : un seul aviron, pas de pièces mécaniques spécifiques (dame de nage)
  • la godille exerce une poussée continue contrairement aux autres utilisations d'avirons (nage, vogue) ou de pagaies.
  • la pelle travaille « en finesse », avec un rendement propulsif supérieur à celui de la nage « en poussée » : cela permet à une personne seule de propulser un bateau de tonnage important.
  • le débattement de l'aviron étant relativement faible et effectué en position debout, la godille est beaucoup plus adaptée à la propulsion d'une annexe encombrée que la nage.
  • comme l'aviron ne dépasse pas sur les côtés, il est facile d'effectuer les manœuvres d'abordage ou accostage et de circuler sur un plan d'eau encombré (navette).
  • l'aviron se prête facilement à la propulsion à la perche (qui est la technique la plus efficace par très petits fonds).
  • la propulsion est dans l'axe,
  • l'aviron, dont la pelle est mise en drapeau, peut servir de gouvernail (s'il est assez lourd pour rester immergé), quand le bateau court sur son erre (ou sous voile).
  • la godille se met en place (elle est « parée », en vocabulaire maritime) très rapidement, ce qui peut s'avérer utile quand il faut agir sur la manœuvre rapidement.
  • la godille ne fait pas de bruit, ne salit pas, ne sent pas mauvais, ne tombe pas en panne et ne se prend pas dans les divers filins que l'on croise entre deux eaux dans les ports et leurs environs.
  • beauté: comme l'a montré Monet, ce mouvement est beau, cela est probablement dû à sa continuïté.

Inconvénients :

  • les petits avirons du commerce (pour pneumatiques par exemple), légers et courts, se prêtent mal à la godille.
  • on ne peut godiller avec force (à deux mains) qu'en regardant l'arrière (voir néanmoins la godille chinoise ci-dessous);
  • on peut difficilement godiller à plusieurs sur un même bateau (voir néanmoins la godille chinoise ci-dessous);
  • la reprise après l'interruption du mouvement est délicate si le bateau a de l'erre;
  • le freinage est difficile et très peu efficace (voir la godille arrière ci-dessous);

[modifier] Godille arrière et coracles gallois

Il est possible de godiller en arrière sans pour autant transporter l'aviron à l'autre bout du bateau. Pour ce faire on place l'extrémité de l'aviron sur son épaule et on le saisit avec les mains une soixantaine de centimètres plus bas. Le mouvement des mains est identique mais l'effet est inversé par l'échange entre le point d'appui et le point d'action. La puissance est limitée par deux facteurs : c'est le godilleur qui supporte l'effort qui était supporté en marche avant par l'engoujure, et le bras de levier est limité par la physiologie du godilleur.

Cette façon de godiller est l'un des deux modes de propulsion des coracles gallois (l'autre est le portage). On se tient assis face à l'avant et on utilise une sorte de pagaie dont la pelle peut être profilée (plate ou creuse vers le godilleur, bombée vers l'avant). On la tient un peu comme une pagaie simple de canoë ou de pirogue, mais elle ne sort pas de l'eau. La main supérieure est le point fixe, la main inférieure effectue les mouvements de godille.

[modifier] Godille chinoise

En Extrême-Orient la godille propulse les bateaux traditionnels de toute taille. Les godilles des plus gros peuvent être doubles et/ou actionnées par plusieurs personnes.

La pelle se raccorde au fût par un angle obtus. À la hauteur de cet angle une coupelle métallique s'articule sur une pointe fixée à l'arrière du bateau. La pelle est profilée, sa face arrière (intrados) étant plane ou légèrement creuse et sa face avant (extrados) bombée. Le fût est retenu vers le bas par un cordage qui compense le plus gros de l'effort de propulsion. Le seul effort du godilleur se limite à entretenir le mouvement alternatif. Pour cela, il se tient sur le côté de l'aviron, une main sur le fût produit le mouvement, l'autre sur le cordage règle l'angle d'incidence.

[modifier] La godille comme un art

On trouve dans Le Cours de navigation des Glénans une évocation de cette technique, que l'on doit à l’écrivain Jean-Pierre Abraham et au responsable technique Jean-Louis Goldschmidt :

« La godille est sans aucun doute un art, et sa maîtrise constitue l'une des plus nobles conquêtes de l'apprenti marin. Les services qu'elle peut rendre, apparemment modestes, peu vantés, sont innombrables. Il n'est pas d'exemple d'instrument alliant une efficacité sans défaillance à une aussi remarquable économie de moyens. […]
Mais il faudra encore quelques heures de mise au point avant de pouvoir connaître les plus hautes satisfactions que réserve la pratique de la godille : sur l'eau calme d'un port aux rives peuplées, godiller d'une main (l'autre dans la poche) tourné vers l'avant du bateau, progresser à petits coups tranquilles, tout en ayant l'air de penser à autre chose.[1] »

[modifier] Sens dérivés

La presse emploie facilement le mot godiller pour déprécier une action lente et de direction incertaine d'un gouvernement.

Le mouvement hélicoïdal de la godille est probablement ce qui a inspiré l'usage de ce terme pour désigner :

Un des premiers moteurs hors bord pratique d'utilisation, réalisé en France par un industriel parisien, le baron Gaston Trouche, se nommait Motogodille (marque déposée à l'époque et oubliée depuis). Avec son arbre d'hélice partant obliquement, comme l'aviron de la godille bretonne et manuelle, la motogodille, née en 1908 ressemble aux adaptations de moteurs d'auto utilisées notamment en Thaïlande de nos jours encore (long tail boats). L'écrivain et aventurier Henri de Monfreid, qui en utilisait une sur son boutre arabe en mer Rouge la qualifie de « vaillante petite machine ».

[modifier] Voir aussi

wikt:

Voir « godille » sur le Wiktionnaire.

[modifier] Notes

  1. Le Cours de navigation des Glénans, Seuil, Paris, 1982, pp. 479-480