Famille sommable

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La notion de famille sommable vise à étendre les calculs de sommes au cas d'un nombre infini de termes. Contrairement à la notion de série, on ne suppose pas que les termes sont donnés sous forme d'une suite ordonnée. Il s'agit donc de pouvoir en définir la somme de façon globale, sans préciser l'ordre dans lequel on procède. De ce fait, la sommabilité est une propriété plus exigeante que la convergence de série, et a des propriétés supplémentaires.

La sommabilité donne notamment un cadre utile pour l'étude des séries doubles.

Sommaire

[modifier] Exemple préliminaire

Soit la suite de terme général u_n = \frac{(-1)^n}n pour n entier strictement positif. On peut répondre de plusieurs façons à la question « quelle est la somme des termes de cette suite ? »

La théorie des séries revient à sommer successivement tous les termes en formant la somme partielle d'ordre N (somme des N premiers termes) et en passant à la limite. Ici il est plus simple de calculer

U_{2N} =\sum_{n=1}^{2N} u_n = \sum_{p=1}^N \frac1{2p} - \sum_{p=0}^{N-1} \frac1{2p+1}
=2\sum_{p=1}^N \frac1{2p} - \sum_{p=1}^{2N} \frac1{p}

Par utilisation de la formule d'Euler on trouve que la suite U2N tend vers -ln(2), et on trouve la même limite pour la suite U_{2N+1}=U_{2N}-\frac1{2N+1}. On peut donc affirmer que la série converge et écrire

\sum_{n=1}^{+\infty} \frac{(-1)^n}{n}=-\ln 2

Pourtant, en sommant les mêmes termes d'une autre façon, il est possible d'obtenir un résultat distinct : on décide de sommer beaucoup plus vite les termes pairs que les impairs

V_N = \sum_{p=1}^{2N} \frac1{2p} - \sum_{p=0}^{N-1} \frac1{2p+1}
=\sum_{p=1}^{2N} \frac1{2p} +\sum_{p=1}^N \frac1{2p} - \sum_{p=1}^{2N} \frac1{p}
=\frac12 \ln 2 +o(1)

Lorsque N tend vers l'infini, UN et VN n'ont pas la même limite, alors que ces limites sont obtenues en sommant une et une seule fois chacun des termes de la suite ! Pour une telle suite l'ordre dans lequel on procède pour effectuer la sommation change le résultat. Pour une étude plus complète de cette situation voir l'article Théorème de réarrangement de Riemann.

On souhaite introduire une définition de la somme qui exclue ce genre de situation, et qui assure que la sommation donne le même résultat quel que soit l'ordre choisi.

[modifier] Définition d'une famille sommable de réels ou complexes

On ne sait a priori définir que la somme d'un nombre fini de nombres réels ou complexes. On se donne un ensemble I \, et une famille (u_i)_{i \in I } \, de nombres réels. On dit que la famille (u_i)_{i \in I} \, est sommable s'il existe un réel A \, tel que:

\forall \varepsilon > 0, \exists J_{0} \subset I, \, J_{0} \, \mathrm{ fini } , \, \forall J \subset I, \, J \, \mathrm{ fini }, \, J_{0} \subset J \Rightarrow \left| \sum_{i \in J}u_i - A \right| \leq \varepsilon

Le réel A est unique et est appelé somme de la famille (u_i)_{i \in I } \,. On le note en général  \sum_{i \in I}u_{i} .

Bien sûr si l'ensemble I \, lui-même est fini, la famille est automatiquement sommable, sa somme ayant la valeur accoutumée. De même si la famille admet seulement un nombre fini de valeurs non nulles (famille presque nulle), elle est sommable et on retrouve la valeur usuelle de la somme.

La sommabilité possède des propriétés de linéarité. La somme de deux familles sommables est encore une famille sommable, et les sommes s'ajoutent. Le produit d'une famille sommable par un réel λ est une famille sommable, et la somme est multipliée par λ.

Remarque

Cette écriture ressemble à une sorte de passage à la limite sur des ensembles finis de plus en plus gros. De fait, on peut effectivement dire qu'il s'agit d'une limite selon une base de filtre.

[modifier] Cas des réels positifs

Dans le cas où les  (u_{i})_{i \in I} \, sont des réels positifs, on a une caractérisation assez commode de la sommabilité, provenant de ce que, pour les ensembles finis, la valeur de la somme est croissante pour l'inclusion.

Ainsi la famille est sommable si et seulement si l'ensemble

 E = \left\{ \sum_{i \in J}u_{i} , \, J \subset I, \, J \, \mathrm{ fini } \, \right\}

est majoré. La somme de la famille  (u_{i})_{i \in I} \, est alors la borne supérieure dans  \R \, de l'ensemble  E \, .

On peut alors utiliser des résultats de comparaison : si deux familles de réels positifs  (u_{i})_{i \in I},\,  (v_{i})_{i \in I} \,admettent le même ensemble d'indexation et vérifient pour tout i, u_i\leq v_i et si la famille  (v_{i})_{i \in I} \, est sommable, alors la famille  (u_{i})_{i \in I} \, l'est aussi.

[modifier] Lien avec la notion de série

On appelle support de la famille l'ensemble J des indices tels correspondant à des termes non nuls. Si une famille de réels positifs indexée par un ensemble I est sommable alors nécessairement son support est fini ou dénombrable. C'est pourquoi on ne s'interesse en général qu'à la sommabilité sur des ensembles dénombrables.

Au moins du point de vue formel, il est alors possible de comparer la sommabilité avec les problèmes de convergence de série. Soit  (u_{i})_{i \in \N} \, une famille dénombrable de réels positifs. Cette famille est sommable si et seulement si la série \sum u_i converge, et dans ce cas somme de la série et de la famille sont égales.

[modifier] Familles de réels ou de complexes

On peut ramener l'étude des familles sommables de réels ou de complexes à celle des familles de réels positifs. En effet, on peut prouver qu'une telle famille  (u_{i})_{i \in I } est sommable si et seulement si la famille  (|u_{i}|)_{i \in I } est sommable.

Dans le cas d'une famille de réels, on peut introduire la partie positive a + = max(a,0) et la partie négative a = max( − a,0) (ces deux nombres sont positifs) du réel a. Alors puisque  \forall i \in I, u_{i}^{+} \leq |u_{i}| , par comparaison la famille de réels positifs  (u_{i}^{+})_{i \in I} est sommable. Il en va de même pour la famille  (u_{i}^{-})_{i \in I} \,. On montre alors qu'on a l'égalité suivante:

 \sum_{i \in I}u_{i} = \sum_{i \in I}u_{i}^{+} - \sum_{i \in I}u_{i}^{-}

Pour une famille de nombres complexes on peut séparer de la même façon les éléments de la famille en parties réelle et imaginaire. La famille est sommable si et seulement si la famille des parties réelles est sommable et celle des parties imaginaires également

 \sum_{j \in I}u_j = \sum_{j\in I}\Re(u_j) +i \sum_{j \in I}\Im(u_j)

Notamment, une famille  (u_{n})_{n \in \N} \, de réels ou de complexes est sommable si et seulement si la série  (u_{n})_{n \in \N} \, est absolument convergente.

[modifier] Associativité et commutativité

On considère de nouveau une famille (u_i)_{i\in I} de nombres réels ou complexes.

L'ordre des termes n'est pas pris en compte dans la définition de la sommabilité. Ainsi si σ est une permutation de l'ensemble I, alors les familles (u_i)_{i\in I} et (u_{\sigma(i)})_{i\in I} sont de même nature, et si elles sont sommables, ont la même somme. Cette propriété est la généralisation de la commutativité des sommes finies.

Pour généraliser l'associativité il faut introduire une partition (I_t)_{t\in T} de l'ensemble I. On a alors équivalence entre ces deux propriétés

  • la famille (u_i)_{i\in I} est sommable ;
  • pour tout t de T, la famille (u_i)_{i\in I_t} est sommable, de somme St, et la famille des (S_t)_{t\in T} est elle aussi sommable.

En outre dans ce cas il y a égalité des sommes

\sum_{i\in I}u_i = \sum_{t\in T}\left(\sum _{i_t\in I_t} u_{i_t}\right)

[modifier] Familles de vecteurs

On considère un espace vectoriel réel ou complexe E muni d'une norme \|.\|. Soit (u_i)_{i\in I} une famille d'éléments de E (vecteurs). Cette famille est dite sommable lorsqu'il existe un vecteur A de E tel que

\forall \varepsilon > 0, \exists J_{0} \subset I, \, J_{0} \, \mathrm{ fini } , \, \forall J \subset I, \, J \, \mathrm{ fini }, \, J_{0} \subset J \Rightarrow \left\| \sum_{i \in J}u_i - A \right\| \leq \varepsilon

Évidemment, c'est une généralisation directe de la notion de famille sommable de scalaires. L'élément A s'appelle la somme de la famille (u_i)_{i\in I}. Il est uniquement défini par la propriété ci-dessus. De nouveau l'ensemble des familles sommables sur E constitue un espace vectoriel, l'application qui à une famille associe sa somme étant linéaire.

La quasi-totalité des propriétés des familles sommables de scalaires peut être étendue aux familles sommables de vecteurs, pourvu que l'espace vectoriel normé E soit un espace de Banach.

[modifier] Critère de Cauchy dans les espaces de Banach

Le critère de Cauchy est en général une condition nécessaire de sommabilité, mais dans le cadre des espaces de Banach, il fournit une condition nécessaire et suffisante d'où découlent les propriétés remarquables associées à la sommabilité.

Une famille (u_i)_{i\in I} satisfait le critère de Cauchy lorsque

\forall \varepsilon >0, \exists J\, \mathrm{ fini }\, ,\forall  K\, \mathrm{ fini }\,\qquad  (J\cap K)=\emptyset \Rightarrow \left\|\sum_{k\in K}u_k\right\|<\varepsilon

En termes imagés J contient presque toute la somme puisqu'avec ce qui est ailleurs on ne parvient pas à dépasser ε.

Il est clair que toute famille sommable vérifie le critère de Cauchy. Comme il a déjà été dit, on prouve que la réciproque est vraie lorsque E est complet.

À l'aide du critère de Cauchy, on peut établir que, dans un espace de Banach, toute sous-famille d'une famille sommable est sommable. On peut aussi montrer que la propriété d'associativité est encore valable. Mais l'application la plus intéressante est la possibilité d'introduire un nouveau critère de sommabilité : l'absolue sommabilité.

[modifier] Absolue sommabilité

La famille (u_i)_{i\in I} est dite absolument sommable lorsque la famille de réels positifs (\|u_i\|)_{i\in I} est sommable.

Le critère de Cauchy a pour corollaire que toute famille absolument sommable est sommable, et vérifie l'inégalité triangulaire étendue

\left\|\sum_{i\in I}u_i\right\|\leq \sum_{i\in I}\|u_i\|

On a déjà vu que pour les familles de réels ou de complexes, sommabilité et absolue sommabilité étaient équivalentes. Si E est de dimension finie l'équivalence est encore vraie, mais ce n'est pas le cas en général.

Contre exemple
On prend pour E l'espace \ell^2 des suites de carré sommable. Il s'agit bien d'un espace de Banach. La famille considérée est (U_n)_{n\in \N^*} avec pour tout n, Un la suite dont tous les termes sont nuls sauf celui d'ordre n qui vaut \frac1n. On a donc \left\|U_n\right\|=\frac1n. La famille de ces normes n'est donc pas sommable. En revanche la famille (U_n)_{n\in \N^*} elle même est sommable, de somme la suite U=(\frac1n)_{n\in \N^*} qui appartient bien à \ell^2.

[modifier] Sommabilité et forme linéaire

Soit un second espace vectoriel normé (F,\|.\|) et une application linéaire continue \lambda:(E,\|.\|)\rightarrow (F,\|.\|). Pour toute famille sommable (u_i)_{i\in I} de vecteurs de E, la famille (\lambda(u_i))_{i\in I} est sommable. De plus, on a :

\sum_{i\in  I}\lambda(u_i)=\lambda\left[\sum_{i\in I} u_i\right]

A partir de cette propriété on peut développer la notion de sommation faible. Une famille de vecteurs (u_i)_{i\in I} est dite faiblement sommable lorsque, pour toute forme linéaire continue λ de E, la famille de réels (\lambda(u_i))_{i\in I}. La propriété précédente se reformule ainsi : une famille sommable est faiblement sommable.

La sommabilité faible prend tout son sens lorsque le dual topologique 'E' sépare les points de E. Si tel est le cas, on appelle somme de la famille faiblement sommable (u_i)_{i\in I} l'unique élément y de E, vérifiant pour toute forme linéaire λ, l'identité : \lambda(y)=\sum_{i\in I}\lambda(u_i). On pose : y=\sum_{i\in I} u_i.

[modifier] Implication en dimension finie

En dimension finie le choix de la norme n'a pas d'importance : toutes les normes sur un espace vectoriel réel ou complexe en dimension finie sont équivalentes. Désignons par K le corps R ou C et considérons une famille (u_i)_{i\in I} de vecteurs de Kn. Pour le vecteur ui, on note les composantes (u_i^1,\dots,u_i^n). La famille (u_i)_{i\in I} est sommable si et seulement si les familles des composantes (u_i^1)_{i\in I}, ..., (u_i^n) sont sommables.

Le sens direct est une simple reformulation de la précédente propriété, le sens réciproque par contre demande à être rédigé mais ne présente véritablement aucune difficulté.

[modifier] Produit dans les algèbres de Banach

Si (A, | . | ) est une algèbre de Banach, il est légitime de se demander comment se comporte le produit vis-à-vis de la sommation. Si (u_i)_{i\in I} et (v_j)_{j\in J} sont deux familles sommables, alors la famille produit (u_iv_j)_{i,j\in I\times J} est sommable et l'on a :

\left[\sum_{i\in I} u_i\right].\left[\sum_{j\in J}v_j\right]=\sum_{(i,j)\in I\times J} u_iv_j

Cette propriété peut se réinterpréter à l'aide des séries doubles.

[modifier] Références complémentaires

[modifier] Liens internes

[modifier] Publications

  • Jean Dieudonné, Eléments d'analyse, t. I : Fondements de l'analyse moderne [détail des éditions]
  • Walter Rudin, Analyse réelle et complexe : cours et exercices [détail des éditions]
  • Laurent Schwartz, Méthodes mathématiques pour les sciences physiques, Paris, Hermann, 1965,2e édition, chapître 1