Correction des eaux du Jura

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Situation hydrologique de la zone avant les travaux de correction.
Situation hydrologique de la zone avant les travaux de correction.

La correction des eaux du Jura représente une vaste entreprise réalisée en Suisse dans la région des trois lacs, Neuchâtel, Morat et Bienne. Débutée en 1868, elle a été réalisée en plusieurs étapes, avec pour but d'assainir une vaste zone marécageuse entre ces trois lacs et protéger la région contre les crues de l'Aar.

Sommaire

[modifier] Situation

La région des trois lacs est située sur le plateau suisse au pied du Jura. Au niveau hydrologique, cette région fait partie du bassin versant du Rhin que les différents cours d'eaux de la région rejoignent après s'être jetés dans l'Aar. La zone concernée par la correction des eaux du Jura s'étend sur environ 100 km entre La Sarraz et Luterbach sur le territoire des cantons de Vaud, Fribourg, Neuchâtel, Soleure, Berne et du Jura.

Avant que les travaux ne soient entrepris en 1878, l'Aar ne coule pas dans le lac de Bienne, mais se divise en plusieurs branches à partir de Aarberg pour rejoindre la Thielle, émissaire du lac, près de Büren an der Aare. Selon les conditions météorologiques et hydrologiques, les dépots alluvionnaires ainsi que différents objet charriés par le courant pouvaient former des bouchons sur le cours de celle-ci et ainsi engendrer une montée des eaux dans la région située en amont.

[modifier] Histoire

Des recherches archéologiques ont montrées que, depuis l'âge de bronze, le niveau des lacs et des rivières est monté de plusieurs mètres, devenant une menace pour la population dès 1500[1]. De fait, dès le XVe siècle, les chroniques relatent des crues et des inondations régulières dans la région marécageuse du Seeland (région des trois lacs en allemand). À cette époque il arrive même que les trois lacs débordent à des niveaux tels qu'ils n'en formaient plus qu'un seul. Un cas extrême est rapporté en 1651 lorsque l'Aar déborda à tel niveau en amont de Soleure, qu'elle forma temporairement un grand lac de Soleure.

Ces inondations ont eu de nombreuses conséquences sur les populations locales : dès la seconde moitié du XVIe siècle où les premières plaintes sont enregistrées, l'appauvrissement des récoltes couplé au le risque élevé d'épidémie poussent les habitants à abandonner leurs villages. Au cours des XVIIIe siècle et XIXe siècle, la recrudescence des crues que connait l'ensemble du bassin hydrographique suisse contribue à l'aggravation de la situation, forçant les autorités à prendre des décisions, afin de lutter contre ces inondations[2]. Plusieurs projets sont alors lancés et des mesures sont prises, en particulier la suppressions de différents ouvrages situés dans le lit de la Thielle à Brügg en 1674.

En 1707, un plan de la Thielle, du lac de Bienne jusqu'à son embouchure dans l'Aar, est dressé par Samuel Bodmer un lieutenant d'artillerie et géomètre bernois. Dans cet ouvrage, il propose la réduction du cours de la Thielle par la coupure d'un méandre. En 1749, Antoni Benjamin Tillier, premier fonctionnaire engagé par la Confédération pour ne s'occuper que de l'aménagement des rivières, fait curer le lit de la Thielle à Nidau et à Brügg.

La révolution française et l'occupation française de la Suisse permettent une disparition de la frontière entre Bienne et Nidau lors de la réunification des terres du prince-évêque de Bâle au canton de Berne. Plus tard, les deux inondations, de 1831 et 1832, auront pour conséquence la création d'un comité d'initiative à Nidau. Au milieu des années 1830, ce comité, présidé par Johann Rudolf Schneider, travaille sur un projet concret basé sur l'idée de détourner l'Aar dans le lac de Bienne. À cet effet, le comité contacte, en 1840, l'ingénieur en chef du canton des Grisons Richard La Nicca pour élaborer un projet de détournement de l'Aar[3].

[modifier] Le projet de Richard La Nicca

Deux ans plus tard, en 1842, Richard La Nicca présente son Rapport assorti de propositions en vue de corriger les eaux du Jura[4]. Ce rapport préconise la réalisation de différents travaux, à savoir le détournement de l'Aar d'Aarberg au lac de Bienne par le canal de Hagneck, celui de l'Aar augmentée de la Thielle à la sortie du lac de Bienne par le canal Nidau-Büren; la correction de la Broye entre les lacs de Morat et de Neuchâtel (canal de la Broye), de la Thielle entre les lacs de Neuchâtel et de Bienne (canal de la Thielle) et de l'Aar de Büren à l'embouchure de l'Emme à Luterbach. Enfin, le projet prévoit également l'assainissement des marécages dans le Grand Marais et les régions avoisinantes[5].

Son projet final, qui sera par la suite mis en œuvre sous le nom de première correction des eaux du Jura, est soumit aux autorités en 1852 et propose différents traveaux qui sont classés en trois catégories[6] :

  • catégorie 1 : curages locaux des rivières émissaires des lacs et de l'embouchure de la Thielle dans l'Aar à Meienried, en amont de Büren ;
  • catégorie 2 : travaux de plus grande ampleur sur la Thielle et sur l'Aar, de manière à déplacer la confluence de la Thielle et de l'Aar plus en aval et ainsi rendre le niveau du lac de Bienne moins dépendant des objets charriés par l'Aar ;
  • catégorie 3 : détournement de l'Aar soit dans le lac de Bienne soit dans le lac de Neuchâtel, afin d'y déposer les débris qu'elle charrie.

[modifier] Première correction : 1868-1878

██ les tronçons transformés ou créés ██ les canaux d'assainissement
██ les tronçons transformés ou créés ██ les canaux d'assainissement

Un arrêté fédéral, pris en 1857, prescrit la réalisation du projet de Richard La Nicca en tant qu'œuvre commune de la Confédération et des cantons de Vaud, Neuchâtel, Fribourg, Berne et Soleure. Dans un premier temps, seuls des travaux de la première catégorie sont entrepris. Des travaux plus lourds (catégorie 2 ou 3) ne sont alors pas réalisables faute de moyens financiers, de vision politique et de connaissances techniques[7]. Cette décision est accompagnée d'un crédit de 5 millions de francs pour accomplir une première tranche de travaux.

Les travaux débutent en 1868, soit 28 ans après les débuts des travaux du comité. Selon l'arrêté fédéral de 1867, la Confédération devait assumer la charge de la surveillance des travaux; les autorités délèguent finalement cette charge à Richard La Nicca et William Fraisse[8] dont les tâches consistent à suivre les travaux et rapporter l'avancée de ceux-ci aux responsables politiques.

Pour les travaux de la première correction, deux corrections sont distinguées : inférieure et supérieure, la correction inférieure regroupant la déviation de l'Aar et ses travaux liés autour du lac de Bienne, la correction supérieure évoque les autres travaux situés en amont de la Thielle (lac de Neuchâtel et Morat). La correction inférieure est aussi appelée « correction bernoise », en effet les travaux concernant les zones situés en aval de Büren ayant été repoussés à des dates indéterminées la correction inférieure ne concernait plus que le territoire bernois.

[modifier] Correction inférieure dite bernoise

Les travaux débutèrent par la construction du canal de Nidau-Büren, avant de déverser les eaux de l'Aar dans le lac de Bienne, il était nécessaire d'aménager, et donc d'élargir, le cours de la rivière émissaire de ce lac. Lors de travaux de déviation de la Kander entre 1711 et 1714, la rivière avait été détourné dans le Lac de Thoune sans prévoir d'aménagements sur la rivière émissaire du lac, ce qui provoqua des inondations. Cet épisode servit de leçon aux travaux hydrologiques en Suisse. Dans le cas du lac de Bienne l'augmentation du débit entrant due à l'Aar est estimée à 290 %[9].

Peu après le début des travaux pour le canal de Nidau-Büren, le niveau du Lac de Bienne diminua, les travaux situés en amont de ce lac commencèrent. En 1873, le creusement du canal de Hagneck débuta. La principale difficulté de ses travaux fut la traversée des collines de Seerücken, ce passage long de 900 m et profond de 34 m engendra l'excavation d'un million de m3 de matériaux.

[modifier] Correction supérieure

L'ingénieur en chef dirigeant cette partie des travaux fut le neuchâtelois Henri Ladame. Les travaux débutèrent en 1874 par le canal de la Broye reliant les lacs de Morat et Neuchâtel. La Broye reliait déjà les deux lacs, les travaux ont eu pour but de rectifier le cours de la Broye et de l'élargir. En 1875, le canal de la Thielle fut entrepris entre les lacs de Neuchâtel et Bienne, ces travaux ayant le même but que pour le canal de la Broye ; rectification et élargissement du cours.

[modifier] Achèvement des travaux

La création de ces quatre canaux et de divers barrages de régulation diminua le niveau des trois lacs d'environ 2,5 mètres. Il fallu donc adapter de nombreuses choses à ce nouveau niveau. Des bateaux à vapeur de grandes tailles qui effectuaient déjà un certain trafic sur les lacs, les ports et les quais furent donc adaptés en conséquence.

Un vaste réseau de petits canaux de drainage fut aussi creusé afin d'assainir tous les marais situés entre les lacs. Ces travaux sont appelés correction intérieure.

[modifier] Conséquences

A la suite de ces travaux la situation hydrologique du Seeland devint la suivante :

Les trois lacs ont chacun diminué en taille, le lac de Neuchâtel perdant 23,7 km2, le lac de Bienne 3,3 km2 et le lac de Morat 4,6 km2. L'assainissement et l'aménagement des terrains plats entre les trois lacs à pris quelques décennies mais ils sont devenus de vastes zones fertiles dédiées à l'agriculture.

Les travaux de la première correction des eaux du Jura ont eu les effets escomptés et sont considérés comme un succès, cependant des soucis virent le jour, notamment liés à l'affaissement d'anciennes tourbières. Les sols n'étant plus saturés d'eau, la tourbe s'oxyda entrainant un affaissement du sol.

La Nicca avait prévu la nécessité de réaliser la deuxième correction des eaux du Jura. Le but de cette deuxième correction étant de consolider le travail effectué lors de la première.

[modifier] 1939 : Mise en service du barrage de régulation de Port

Pendant les travaux de la première correction un barrage provisoire fut édifié sur le canal de Nidau-Büren afin de maintenir le niveau d'eau dans le lac de Bienne. Il fut très vite remplacé par un nouvel ouvrage en 1887. Cependant, ce barrage montra ses limites notamment lors d'une crue en 1910.

La construction du barrage de régulation de Port fut entreprise en 1936. Achevé en 1939, ce barrage a pour but de contrôler le niveau des trois lacs et le débit de l'Aar, les trois lacs servant de zone tampon pour absorber les eaux de l'Aar en cas de crue.

[modifier] Seconde correction

Les travaux de la seconde correction furent des travaux moins lourds que ceux de la première. Ils furent en partie déjà envisagés par La Nicca. Ces travaux se sont déroulés entre 1962 et 1973 avec :

  • construction de la centrale de Flumenthal comme barrage de régulation
  • correction de l’Aar entre Büren a. A. et Flumenthal, avec la disparition du verrou de l’Emme
  • élargissement, approfondissement et aménagement des rives des canaux de la Broye, de la Thielle et du canal de Nidau à Büren
  • aménagement du cours de l’Aar entre Büren et Flumenthal.

Grâce à la seconde correction des eaux du Jura, on a pu encore diminuer les variations du niveau des lacs du Pied du Jura : d’une part, le niveau des hautes eaux a été adapté à l’affaissement des terres, soit abaissé d’un mètre environ. D’autre part, le niveau d’étiage a été relevé de presque un mètre, au profit de la navigation fluviale, de la pêche et du paysage.

Les buts sont atteints : depuis l’achèvement de la seconde correction des eaux du Jura, aucune grande inondation n’a eu lieu dans le Seeland.

L'Aar est navigable entre Bienne et Soleure, un service régulier de bateaux y a été établi.

[modifier] Condition de Murgenthal

La condition de Murgenthal est une règle fixée dans le cadre de la correction des eaux du Jura. Cette règle stipule que le débit de l'Aar ne doit pas dépasser 850 m3/s à la station limnimétrique de Murgenthal[10]. Murgenthal est situé en aval de la confluence de l'Aar et de l'Emme.

Quand le débit de l'Emme augmente le débit de l'Aar augmente aussi en aval de leur confluence, et peut engendrer des crues en aval dans les cantons de Soleure et d'Argovie. Ainsi, la condition de Murgenthal fixe le débit que l'Aar ne doit pas dépasser. Si le débit augmente trop, le barrage de Port limite le débit de l'Aar en amont, les trois lacs servant à absorber la crête de la crue de l'Aar, une fois que le débit de l'Emme le permet le barrage de régulation de Port laisse de nouveau passer l'Aar avec un fort débit.

[modifier] Situation actuelle

La correction des eaux du Jura a mis en place un système de gestion du débit de l'eau dans l'Aar. Cette situation a cependant montrée ses limites au cours des inondations de l'été 2007. En effet, en août 2007 le débit de l'Aar est monté à 1 260 m3/s à Murgenthal et le lac de Bienne a dépassé sa limite de crue de 54 centimètres[11].

[modifier] Notes et références

  1. Histoire de la protection contre les crues en Suisse
  2. [pdf] Mario Annoni, « "Terres du lac" - L'histoire de la correction des eaux du Jura » sur www.schlossmuseumnidau.ch, Fondation du château de Nidau. Consulté le 21 mai 2008
  3. La Nicca, Richard en français, allemand et italien dans le Dictionnaire historique de la Suisse en ligne.
  4. Richard La Nicca, Rapport et propositions concernant la correction des eaux du Jura : Présenté à la Direction de la Société de fondation pour la correction de ses eaux., J. A. Weingart, Berne, 1842 (OCLC 79116561)
  5. Correction des eaux - Les grandes déviations des XVIIIe et XIXe siècles en français, allemand et italien dans le Dictionnaire historique de la Suisse en ligne.
  6. Selon Peter cité dans Histoire de la protection contre les crues en Suisse, page 106
  7. Selon Peter cité dans Histoire de la protection contre les crues en Suisse, page 106
  8. Selon Alphonse Alexis Debauve, Manuel de l'ingénieur des ponts et chaussées, rédigé conformément au programme annexé au décret du 7 mars 1868 réglant l'admission des conducteurs des ponts et chaussées au grade d'ingénieur, Dunod, Paris, 1871
  9. Selon Schnitter en 1992, cité dans Histoire de la protection contre les crues en Suisse, page 111.
  10. Communiqué de la confédération suisse au sujet des inondations de 2007
  11. Communiqué de la confédération suisse au sujet des inondations de 2007

[modifier] Sources

  • Histoire de la protection contre les crues en Suisse, Daniel L. Vischer, Rapports de l'OFEG (Office fédéral des eaux et de la géologie), 2003
  • Source du document

[modifier] Bibliographie

  • Matthias Nast, Terres du lac, L'histoire de la correction des eaux du Jura.

[modifier] Voir aussi

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