Bible historiale

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Première traduction complète en prose et en français de la Bible

Sommaire

[modifier] Introduction

Folio 1 du Ms Ars. 5057: le moine s'adresse aux femmes. On reconnaît le début du prologue de la Bible historiale: "Pource que le Deable qui chascun jour destourbe et enordut le coeur des hommes par oyseuse (ie: "paresse") et par mille lacs (ie: "lacets, cordes") qu'il a tendus..."
Folio 1 du Ms Ars. 5057: le moine s'adresse aux femmes. On reconnaît le début du prologue de la Bible historiale: "Pource que le Deable qui chascun jour destourbe et enordut le coeur des hommes par oyseuse (ie: "paresse") et par mille lacs (ie: "lacets, cordes") qu'il a tendus..."

On a coutume de considérer le Moyen Âge comme un temps très chrétien, obscurci par une foi aveugle et incapable de discriminer la merveille du miracle, le fait étonnant de l'intervention divine. On se représente aisément également la compagnie des clercs étudiant les exégèses ou la foule hérétique tentant de convertir la paysannerie à des doctrines dont la modernité a caricaturé la profondeur des messages. Pourtant il n'est pas un ouvrage docte ou grand public consacré à la Bible qui puisse répondre simplement à la question suivante: lisait-on la bible au Moyen Âge ? Et surtout, lisait-on a bible en français au Moyen Âge ?

C'est pourtant une question qui mérite d'être traitée pour peu que l'on s'interroge sur la nature de la relation entretenue par l'occident avec son Livre fondateur.

Comme on lira dans l'article, il est important avant tout de souligner que la Bible est lue au Moyen Âge. En latin, bien sûr. Mais pas sous la forme que nous lui connaissons absolument aujourd'hui. Diverses réformes du Texte ont lieu à différentes périodes - essentiellement la période Carolingienne autour de l'an 800 et la réforme franciscaine bien plus tard. Entre temps, le texte a été "corrompu" en quelque sorte, c'est-à-dire modifié par de mauvaises "leçons" (c'est-à-dire de mauvaises interprétations des copistes qui ne parvenaient pas à relire les textes antérieurs) ou faussement complété par des interprétations de maîtres locaux qui ajoutaient des gloses à l'intérieur de leurs copies.

Quant à l'aventure française, elle ne commence pas bien tard puisque les premières versions de textes bibliques apparaissent dès le XIe siècle. Toutefois, il faut bien comprendre que ces versions "romancées" sont des textes écrits en vers qui racontent la Bible mais qui ne prétendent pas se substituer au texte original. Et c'est une chose de raconter la Bible en vers (avec toutes les licences, les ellipses propres à ce travail), c'en est une autre de prétendre produire une page écrite en prose capable de ressembler à la Vulgate et donc de s'y substituer. Les essais de la Réforme vaudoise démontrent assez les incertitudes liées aus premières tentatives de traduction.

En revanche, les premières bibles officielles traduites en français et en prose apparaissent dans les milieux universitaires ou nobiliaires aux temps de saint Louis. Il s'agit de deux textes, deux bibles, qui présentent la particularité de traduire et la Vulgate et des commentaires de la tradition chrétienne. Comme dans la massorah on peut lire en les différents commentaires retenus par la tradition, ces premières traductions/traditions chrétiennes démontraient la vérité du texte étayé par des autorités universitaires.

[modifier] Les Bibles au Moyen Âge

La Bible en prose au Moyen Âge commence avec une première Bible, la « Bible de l'Université » plus pompeusement connue sous le nom de « Bible du treizième siècle ». Il s'agit d'un texte publié sous le règne de saint Louis (ca. 1250) et dont il n'existe que quelques manuscrits du Livre de la Genèse dont on sait depuis les études de Samuel Berger à la fin du XIXe siècle qu'ils ont servi à compléter des exemplaires incomplets de la Bible historiale de Guyart des Moulins avec qui les lecteurs la confondaient. L'histoire de la traduction moderne en prose à l'image de ce que nous connaissons aujourd'hui commence donc à la fin du XIIIe siècle avec la Bible historiale de Guyart des Moulins.

A qui demanderait « quelle Bible lisait-on en français au Moyen Âge ? », il faudrait répondre en synthèse :

  • qu'il n’y a qu’une et une seule Bible française, la Bible historiale de Guyart des Moulins publiée à la fin du XIIIe siècle (n’ayant à ce jour fait l’objet d’aucun travail d’édition, et inaccessible à la communauté des chercheurs).
  • que si l’idée est communément répandue que le Moyen Âge est un temps « très chrétien », on a trop souvent tendance à reporter au temps de la Réforme la naissance d’un véritable travail d’édition de la Bible en ramenant toute tentative antérieure au prototype de l’hérétique ou du clerc isolé. Pourtant, à côté des bibles hérétiques comme « La Noble Leçon » des Vaudois, ont existé des bibles "universitaires" qui ont abondamment circulé dans le milieu des clercs de l'Universié parisienne et des Écoles entre 1250 et 1450. Il s'agit de la Bible dite "de saint Louis" ou "de l'Université" ou encore "du treizième siècle" et de la Bible historiale de Guyart des Moulins.
  • que le Moyen Âge connaissait donc naturellement les histoires de la Bible de manière érudite. Il les lisait dans une version française officielle, reconnue par l’Université et couramment possédée par les seigneurs dans leurs bibliothèques dès 1294. Ainsi, Paulin Paris chiffrait déjà à plus d’un millier le nombre d’exemplaires de l’ouvrage dans les collections de la bibliothèque du roi de France.

La Bible historiale est donc un ouvrage majeur. C’est un texte fondamental et très diffusé dont le projet encyclopédique est précieux mais qui est rendu inaccessible faute de projet de recherche.

[modifier] La Bible en France avant le XIIIe siècle

Entre la parution de la Vulgate et le XIe siècle en France, la Bible est essentiellement lue en latin.

  • La Réforme de la Vulgate dans l’Empire franc est l’œuvre de Charlemagne et la papauté n’a eu qu’une influence mineure. Le siècle de Charlemagne est[1] celui de « l’affrontement et de la dispersion de deux types de manuscrits, ceux émanant d’Angleterre et ceux circulant depuis l’Espagne ».
  • Deux hommes vont incarner cet antagonisme, Alcuin et Théodulfe. Le premier fait venir, en 796, de York, sa ville natale, la bibliothèque que lui a léguée son maître avec les meilleurs manuscrits de la Vulgate qu’il connaissait. Or ce dernier est l’héritier du travail déjà ancien entrepris auparavant en Angleterre sur la Bible où se développent précocement en Europe les premières traductions en langue vernaculaire du texte latin.
  • La période carolingienne est donc, avec Alcuin et Théodulfe, la grande période charnière de redécouverte du texte avant la grande réforme franciscaine des textes latins. Il est même important de rappeler que le texte, avant la réforme carolingienne ne connaissait le texte que de seconde main. Rappelons enfin que l'éradication des pratiques païennes dans les provinces bretonnes, par exemple, date du IXe siècle.
  • Entre le XIe et XIIIe siècles, on raconte la Bible en français. C'est-à-dire qu'on écrit un roman en vers qui expose les faits des héros bibliques. Il s'agit de longs poèmes en vers qui racontent de manière subjective ces aventures. Les récits sont parfois elliptiques ou romancés pour en faciliter le souvenir: il s'agit en fait d'une catéchèse.
  • En même temps, on raconte aussi les histoires de la Bible en latin: c'est le texte de Comestor intitulé « L'Historia Scholastica ». Il s'agit d'un ouvrage rédigé à l'intention des moines intinérants en guise de pro memoria dans la perspective des disputes qu'ils auraient pu avoir à soutenir. Il s'agit de petits ouvrages qui traitent de la matière biblique en la divisant en chapitres clairement distingués. Pour chaque personnage, on trouve mention d'une citation de la Glossa Ordinaria ou d'un fait d'érudition.

Le texte latin de l'« Historia Scholastica » de Petrus Comestor, vade-mecum des moines itinérants, premier livre d’histoire de la main de Petrus Comestor (1179), s’est imposé pendant une courte période de l’histoire comme référence incontestable et unique encyclopédie à portée de main tant des étudiants que des moines prêcheurs ou des femmes que l’on peut, à la lumière des belles histoires racontées par Le Mangeur, qualifier de romanesques.

L' influence de Pierre Comestor sur la perception du texte au XIIIe siècle est fondamentale. Son ambition pédagogique trouvera son aboutissement dans deux ouvrages qui vont révolutionner la pensée occidentale, l’Histoire générale d’Alphonse X et la Bible historiale de Guyart des Moulins. Cette dernière servira de base à plus d’une traduction moderne à commencer par celle tant reconnue de Jean de Rély, ce dernier s’étant simplement contenté d’y plaquer la division en versets. Jusqu’au XIIIe siècle, la Bible n’était qu’une collection de livres traduits rangés dans un ordre variable (Samuel Berger a recensé deux cents dispositions différentes). La Bible historiale se lit en chapitres avec, en tête, des rubriques ou des sommaires qui en résument le contenu, conformément à l’usage grec .

Le fait que l'on ait autant besoin de raconter suffit à prouver que les érudits de l'Université ne connaissaient pas bien le texte de la Bible et qu'ils avaient besoin d'acheter des copies en français pour leur permettre de travailler leurs références. ~

[modifier] Différences entre une bible officielle et une bible hérétique

Les différents caractères dans la Bible historiale (ici ms fr 155). On voit ici clairement comment se compose la page d'une Bible historiale : toute la partie située avant le titre est rédigée en petits caractères. Il s'agit en fait de la traduction de l'ouvrage de Comestor. Puis le titre en rouge, reprenant la division de l'ouvrage de Comestor. Enfin, en caractères plus gros, la traduction du texte de la Vulgate.
Les différents caractères dans la Bible historiale (ici ms fr 155). On voit ici clairement comment se compose la page d'une Bible historiale : toute la partie située avant le titre est rédigée en petits caractères. Il s'agit en fait de la traduction de l'ouvrage de Comestor. Puis le titre en rouge, reprenant la division de l'ouvrage de Comestor. Enfin, en caractères plus gros, la traduction du texte de la Vulgate.

Plutôt que de traiter de la Noble Leçon ou de l'Évangile de Jean des Cathares, il s'agit de parler de la naissance des bibles en prose française, bibles modernes comparables aux textes que nous connaissons aujourd'hui. Cependant la question existe d'une concurrence entre, d'un côté, les bibles universitaires en français et, d'un autre, les bibles hérétiques comme celle des Vaudois ou des Cathares.

La grande différence réside en fait dans la composition de l'ouvrage: la Bible hérétique prétend se substituer au texte latin en proposant une version plus facile d'accès. Les textes des Vaudois par exemple traduisent absolument le texte en lui-même - c'est-à-dire sans traduire les leçons que la tradition chrétienne avait tiré de chaque passage. En agissant ainsi, les hérétiques prétendent que le texte peut être lu en français et que tout un chacun peut y comprendre quelque chose et que « le sanctuaire biblique est ouvert aux profanes » pour paraphraser le titre d'un ouvrage fameux de la Contre-Réforme. Au contraire, La Bible "officielle" traduit toujours le texte de la Vulgate de manière fidèle et aussitôt après traduit immédiatement soit le texte de la Glossa Ordinaria (Bible du treizième siècle) soit le même chapitre traduit de l'Historia Scholastica de Comestor. D'un côté le texte traduit mais dont on souligne qu'il reste un sanctuaire fermé aux profanes, et de l'autre le sens de la leçon telle qu'elle est comprise par l'Université et la communauté universelle de l'Église.

[modifier] Contexte de publication de la Bible historiale

La Bible était donc racontée (c'est-à-dire écrite en vers et sans prétention de fidélité avec le texte original) en Français.

  • La Bible en français est bien connue quand paraît la Bible historiale grâce à de nombreux poèmes romancés écrits en vers destinés à raconter la Bible.
  • Vers 1090, Rashi propose pour la première fois un commentaire de la Bible hébraïque en se servant du champenois (c’est-à-dire de la langue vulgaire) de son temps pour expliquer les mots hébreux qui le nécessitent.
  • Vers 1190, Herman de Valenciennes est sur le point d’achever sa mise en vers de la première histoire sainte, Li Romanz de Dieu.
  • A la même époque circulent le poème anglo-normand en vers sur la Bible et la traduction anonyme des Quatre Livres des Reis.
  • Macé de la Charité produit un long poème racontant toute la Bible.

[modifier] La Bible était racontée mais en aucun cas traduite

En traduisant le texte en prose, les traducteurs ont franchi une étape fondamentale dans l’Histoire de la constitution d’une identité culturelle française en rendant le français digne de se substituer au latin et en forgeant une langue « lingua sacra ». Deux textes sont à citer et constituent le relevé exhaustif de ces ouvrages de traduction: la Bible de l'Université et la Bible historiale.

[modifier] La Bible historiale de Guyart des Moulins (1295) : texte fondateur

Folio XXV du Ms Ars. 5057: la Création de la femme du coté d'Adam. On voit clairement sous la miniature le titre rédigé en capitales rouges traduit de l'Historia Scholastica de Comestor: "du commandement et de la deffense de la pomme mangier et de la forsennerie de la femme et de la faute de l'homme et du nom de l'homme et de la femme et des prophéties Adam selon la Bible" suivi du texte traduit de la Vulgate (et non pas de Comestor): "Donc porta Notre Sire Dieu l'Homme et le mit en Paradis de Délices pour qu'il ouvrast et le gadast et commandast et dist: mangue de tous les fruiz..."
Folio XXV du Ms Ars. 5057: la Création de la femme du coté d'Adam. On voit clairement sous la miniature le titre rédigé en capitales rouges traduit de l'Historia Scholastica de Comestor: "du commandement et de la deffense de la pomme mangier et de la forsennerie de la femme et de la faute de l'homme et du nom de l'homme et de la femme et des prophéties Adam selon la Bible" suivi du texte traduit de la Vulgate (et non pas de Comestor): "Donc porta Notre Sire Dieu l'Homme et le mit en Paradis de Délices pour qu'il ouvrast et le gadast et commandast et dist: mangue de tous les fruiz..."

Il s’agit avant tout d’une traduction exhaustive, fidèle et cultivée de la Bible latine rédigée par Guyart des Moulins, un clerc familier du texte. Comme le décrit E. Reuss[réf. nécessaire] dans ses Fragments littéraires et critiques « Guyart des Moulins se fonde sur le texte authentique de Comestor […]. Cependant le texte littéral et authentique de la Vulgate n’avait point été transcrit dans le Comestor […]. Son ouvrage par l’addition du texte est bien devenu une Bible glosée ». C’est également une traduction de l’Historia Scholastica parce que l’ouvrage respecte la division en chapitres de Comestor et traduit, en caractères plus petits entre chaque extrait de la Vulgate, un paragraphe de Comestor. Ce Livre a été largement diffusé et lu. Il constitue le versant officiel de l’Histoire de la Bible en français au Moyen Âge.

[modifier] Notes et références

  1. , Samuel Berger dans De l’Histoire de la Vulgate en France : leçon d’ouverture faite le 4 novembre 1887,

[modifier] Bibliographie

  • S. Berger :
    • La Bible romane au Moyen Âge : Bibles provençales, vaudoises, catalanes, italiennes, castillanes et portugaises, Genève, Slatkine Reprints (réimpression des articles extraits de Romania XVIII-XXVIII, 1889-1899), 1977.
    • Histoire de la Vulgate pendant les premiers siècles du Moyen Âge, Paris, Hachette, 1893.
    • De l’histoire de la Vulgate en France. Leçon d’ouverture faite le 4 novembre 1887, Paris, Fischbacher, 1887.
    • Des Essais qui ont été faits à Paris au treizième siècle pour corriger le texte de la Vulgate, Paris, Fischbacher, 1887.
    • La Bible française au Moyen Âge : étude sur les plus anciennes versions de la Bible écrites en prose de langue d’oil, Genève, Slatkine Reprints (Fac Similé de l’édition originale Paris, 1884), 1967.
  • Guyart des Moulins
    • Bible historiale ou Bible française, édition de Jean de Rely, 1543.
  • J. J. Rive (un élève de), La Chasse aux antiquaires et bibliographes mal avisés, Londres, N. Aphobe, 1787.
  • P. Paris, Les Manuscrits français de la bibliothèque du roi, Paris, Techener, place du Louvre, 1836, I-VII.
  • M. Quereuil [dir.], La Bible française du XIIIe siècle édition critique de la Genèse, Genève, Droz, « Publications Romanes et Françaises », 1988.
  • X.-L. Salvador
    • Vérité et écriture(s)¸Paris, Champion, 2005 (avec une édition critique du Livre de la Genèse de la Bible Historiale mentionnant les emprunts à Comestor et les citations de la Glossa)
    • « L’utilisation du pont dans la théologie chrétienne médiévale », Les Ponts au Moyen Âge, Paris, Presses universitaires de France, 2005.
    • « La Réécriture argumentative impliquée par la traduction du livre de la Genèse : l'exemple des énoncés car q dans The Medieval translator, the Theory and practice of translation in the middle ages, R. Ellis [ed.], Paris, Brepols, 2005.
    • « L’Enceinte sacrée des traductions vulgaires de la Bible au Moyen Âge », La Clôture – Actes du colloque qui s’est déroulé à Bologne et à Florence les 8, 9 et 10 mai 2003, Préface de Claude Thomasset, textes réunis par Xavier-Laurent Salvador, Bologna, Clueb, 2005.
    • « L’exemple de "derechief" dans la traduction de la Bible historiale », Actes des XIe journée d’ancien et de moyen français (Anvers 2005), en cours de publication.
    • « Une Autre définition de l’étymologie : dire le Vrai dans la Bible au Moyen Âge », Mélanges en l’honneur de Claude Thomasset, Paris, Presses universitaires de Paris-Sorbonne, 2003.
    • « Les "Biblismes", un système de définition original du lexique dans le discours pédagogique de la Bible Historiale », dans Lessicologia e lessicografia nella storia degli insegnamenti linguistici, Quaderni del Cirsil - 2 (2003), 14-15 novembre 2003, Bologna, http://amsacta.cib.unibo.it/archive/00000931/.
    • « Des Coffres hébraïques aux bougettes françaises, La translation du sacré à travers les traductions médiévales de la Bible », Coffres et contenants au Moyen Âge, Paris, Presses universitaires de France, en cours de parution.
  • F. Vieillard, « Compte rendu de l’édition de la Bible du XIIIe », Romania, n°109, p. 131-137.
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