Anne-Claus Messager

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Architecte français, né le 24 août 1899 à Saint-Étienne (Loire, France), mort le 2 juillet 1977, à Lyon (Rhône, France).


Sommaire

[modifier] Premières années

Anne-Claus grandit dans sa ville natale et commence à travailler avec son père menuisier dès l'âge de 10 ans. Il ne fréquente pas l'école primaire. Il n'apprend à lire et écrire que tardivement grâce à son oncle maternel, Martin Prêchat, ouvrier-typographe. Celui-ci est envoyé au bagne après une condamnation pour fausse-monnaie. Rétif au travail de menuisier, Anne-Claus quitte sa ville peu après la mort de sa mère, Adrienne, née Prêchat. Il fréquente les milieux des mariniers sur la Saône et s'installe à Lyon où il suit la classe au sein d'un phalanstère fondée par Faustin Loblat-Sanfroque. Il obtient son certificat d'études à l'âge de 14 ans seulement. Lorsqu'il se présente au rectorat de Lyon pour récupérer son diplôme, il est emmené par les gendarmes qui le reconduisent chez son père. Trois mois plus tard, Anne-Claus s'enfuit à nouveau. Il voyage en Suisse et en Italie, s'installe à Bologne où il travaille sur les chantiers, d'abord comme menuisier, puis comme charpentier. En 1915, l'Italie entre en guerre. Anne-Claus, aidé par un ingénieur qui a connu Loblat-Sanfroque, entre en tant qu'auditeur à l'Istituo degli Arti Industriali de San Carlo de Faena, dans les environs de Bologne. L'année suivante, c'est en tant qu'étudiant qu'il s'incrit dans le département d'architecture. En 1918, il obtient son diplôme.


[modifier] Un début italien

Messager est embauché par le cabinet Gardelli & Maser. En 1919, il participe au concours d'architecture pour la construction d'une annexe de la faculté de médecine de la ville. Son projet n'est pas retenu mais attire l'attention de Matteo Umberti qui lui propose de venir travailler à ses côtés à Turin. En septembre, il s'installe à Turin. Hélas les deux hommes ne s'entendent guère et Messager décide de retourner à Bologne où Gardelli vient de décéder de la grippe espagnole. Maser lui propose de devenir son associé et en février 1920, ils ouvrent le cabinet Maser & Messager. Sa première commande vient d'un petit industriel de Faenza, Rigoberto Lama. Il s'agit d'une villa au bord de la mer dans les environs de Rimini. Lama laisse une grande liberté à Messager qui propose une maison sur un plan unique. Déjà ennemi du béton, Messager utilise une alternance de bois et de briques très originale qui préfigure son invention du "gardo". Il reçoit la médaille d'or industrielle de la ville de Rimini pour cette réalisation. Les commandes se succèdent et il élabore plusieurs habitations de villégiature sur la côte adriatique. Toujours sur un plan unique, nettement influencé par le fonctionnalisme, il fait pourtant ici et là des citations discrètes de Palladio qui le rapprocherait d'un Mallet-Stevens si l'ensemble ne dégageait une netteté et une sûreté dans son geste de dessinateur étonnante pour un architecte encore jeune.


[modifier] Rencontre avec Walter Gropius

En 1924, Walter Gropius, en vacance dans la région, remarque le travail de Messager et l'invite à tenir un séminaire saisonnier au Bauhaus. Messager y rencontre à l'hiver 1924 tous les noms du premier Bauhaus. Il renouvellera l'expérience l'année suivante et ne cessera d'affirmer par la suite qu'il n'a rien enseigné au Bauhaus, qu'il y a tout appris. Il se marie quinze jours seulement après avoir rencontré une jeune assistante de Moholy-Nagy, Tatiana Bialynski, d'origine russe. Voyage de noces en Crimée. En 1926, il est invité à participer au concours pour le nouveau ministère de l'agriculture. Le concours est mal organisé, le terrain n'est pas même retenu et le cahier des charges présente de nombreuses contradictions. Encore une fois, c'est l'exposition des projets qui va donner à Messager une nouvelle opportunité.


[modifier] L'époque russe

La Russie soviétique connaît alors les débuts de la NEP. Le beau-frère de Tatiana, Youri Byalinski, est professeur à l'Ecole des Vignes de Yalta. Les locaux ne conviennent plus et l'industrie vinicole en Union Soviétique se réorganise sous l'impulsion de la Nouvelle Politique Economique. Des contacts sont renoués avec les Occidentaux et en particulier l'Institut d'Agronomie de Rome. Des intérêts privés ayant repris le contrôle de l'Ecole des Vignes à Yalta, les autorités italiennes sont favorables à une coopération. A la fin de l'année 1925, Messager s'installe à Théodosie, au bord de la mer Noire, avec sa femme Tatiana, pourtant très hostile aux Soviets. Il dessine et supervise de très près la construction de la nouvelle Ecole des Vignes. Messager reste fidèle au plan unique, systématise son emploi du "grado". L'ensemble comprend plusieurs bâtiments dont la maison du directeur de l'école qui suscitera une polémique quarante ans plus tard, lorsque sera révélée la grande similitude entre cette villa de 1926 et la célèbre Villa Blanquart, à Biarritz, bien postérieure.

Après l'Ecole des Vignes, les autorités soviétiques recherchent les services de Messager et lui propose de s'intéresser à Ekaterinbourg alors en plein essor industriel. Les Messager y passeront trois ans, jusqu'à l'année 1929. Anne-Claus y construira la Maison de l'Electricité, l'Ecole Communale n° 107, le Lenin Mir, le Dôme de la Révolution. Tous disparus dans les bombardements de la Luftwaffe de 1941-42. Ce sont ces bâtiments que les architectes contemporains ne connaissent pour la plupart que d'après les clichés du fonds Grossman, qui vont faire de Messager l'architecte à la fois le plus copié et le plus méconnu de sa génération. Le Lenin Mir a sans doute inspiré le United Nations Building à New York, à ce sujet la correspondance Le Corbusier-Breuer est assez éloquente. En octobre 1929, Messager, sous la pression de Tatiana, souhaite rentrer en Occident. Mais Lénine est mort et Staline affermit son contrôle sur la société russe. Un des chefs du NKVD, originaire d'Ekaterinbourg et admirateur du travail de Messager, profitant de la nationalité "soviétique" de Tatiana, soumet l'émission d'un passeport de sortie au nom de Tatiana Messager à la condition d'un ultime travail d'Anne-Claus. Il s'agit de la très controversée Maison Centrale des Enquêtes du NKVD, futur KGB, dirigé par le colonel Chtchoubanski, cousin de Béria. Aucune image, aucun plan (Messager a toujours refusé de les redessiner de mémoire) n'existent de cette oeuvre de Messager. Un seul témoignage, celui d'un architecte russe, Viktor Kadachenko, nous permet de nous faire une idée : "Jamais la destination d'un bâtiment n'a été aussi éloignée du génie qu'il a fallu pour le concevoir. Chaque fois que je sortais de ma cellule, (un miracle d'intelligence de six mètres carré seulement), et que je traversais les coursives, jusqu'au "bloc" des Enquêtes, j'étais émerveillé par cette architecture, comme si une civilisation supérieure avait construit tout ça, une civilisation supérieure pour laquelle j'étais une bestiole de laboratoire, un cobaye destiné à une expérience intitulée Résistance à l'absurde et à l'injustice chez le mammifère." (in "Dans le palais des bourreaux", de Iasha Stern, trad. Sophie Forêt, Flammario, 1979) Enfin, au printemps 1930, les Messager sont autorisés à quitter l'Union Soviétique.


[modifier] Budapest

Dès les premiers mois de 1931, Anne-Claus trouve un environnement favorable à Budapest où une partie de sa belle-famille est installée depuis une dizaine d'années. La cousine de Tatiana, Katia von Hlau, est marié au directeur de cabinet du docteur Laszlo, ministre de l'Industrie. Anne-Claus travaille dans un des plus importants cabinets d'Europe centrale, le Groupe Fink. Les talents et les projets ne manquent pas, bien qu'on s'y affiche volontiers communiste et surtout anarchiste. Hélas, les commandes publiques sont hors de question au sein de ce cabinet, l'organisation souffre de dissensions entre anarchistes, sociaux-démocrates, marxistes pro-soviétiques. Anne-Claus navigue malgré tout entre les factions et un ami de Katia von Hlau passe commande d'une villa, la célèbre Jelcek Haus[1], à cinquante kilomètres de Budapest. Messager revient au plan unique, abandonne le "grado" pour une pierre volcanique locale, utilise la déclivité du terrain et la présence du lac. La première sensation du visiteur est celle d'une harmonie irréelle entre le bâtiment et son site, la villa ne semble pas avoir été construite mais comme retrouvée, en dépit de ses lignes pures, de la déclinaison de la forme rectangulaire, d'une certaine rigueur du dessin compensée par un atticisme sans concession. Les pièces sont d'une variété étonnante et pourtant d'une énergie commune. On ne retrouve pas la dichotomie pièces de service/pièces des maîtres, inévitable à cette époque partout ailleurs ni celle entre pièces de travail ou de jour/pièces de repos. Le projet est modifié plusieurs fois par Anne-Claus en cours de réalisation. La durée du chantier s'allonge mais les solutions révolutionnaires pour l'utilisation de la lumière et de la chaleur à chaque saison, le cycle de l'eau de la maison en lien avec les eaux du lac en font la première habitation au coût écologique nulle. Au bout de quatre ans, les Jelcek s'installent. Entre-temps, les deux couples se sont appréciés, jusqu'à une liaison amoureuse croisée qui finit mal. Anne-Claus, épuisé par son travail, séparé de Tatiana, tente peut-être de se suicider. Les témoignages restent sujets à caution. Sauvé d'une intoxication médicamenteuse, il quitte la Hongrie précipitamment et rejoint Paris seul.


[modifier] En France

Ce n'est qu'en 1937 que la présence de Messager est certifié dans le pays basque. Il y construira deux maisons de maître. La première à Anglet, détruite par un incendie en 1943, n'est pas connue. Une seule photo, prise depuis l'extérieur vers des personnes à l'identification controversée, permette de deviner une terrasse classique dans le travail de l'architecte. Il serait possible que les personnes soient Jacques Rigaut, sa femme et Pierre Drieu la Rochelle. Le seconde travail de la période basque, situé à l'entrée de Biarritz sur la route de Saint-Jean-de-Luz et achevé à l'été 1939, a connu un destin étrange. Construite sur verrin, ses panneaux de bois, de papier et d'aluminium qui se dédoublent sont admirés par les Parisiens qui fréquentent la côte, les témoignages sont nombreux et Cocteau comme Picasso entrent en contact avec Messager pour passer commande. La guerre remet à plus tard ces projets. La propriétaire de la maison, Agata Ocampo, de la célèbre famille Ocampo, fait démonter la maison pièce par pièce et projette de la reconstruire sur le site de Pechon, en Cantabrie. La villa Ocampa restera dans des caisses sur place jusqu'en 1950 où elle sera transportée en Argentine, à bord du Pasteur. La villa est enfin remontée, avec l'aide de Messager invité par Agata Ocampo, sur le site de La Plata où un jeu de photographies témoigne de sa parfaite intégration sur le terrain choisi. Peu après la mort d'Agata Ocampo, la maison est à nouveau démonté par son acquéreur, Jose Pablo Hammer qui projette de la ré-installer à Punta del Este, en Uruguay, de l'autre côté de l'estuaire. Il ne reste de cet épisode que les documents de douanes, qui attestent du passage des éléments. Mais la villa ne sera jamais à l'endroit projeté et des apparitions de la Villa Ocampo, canulars ou pistes plus sérieuses, se chiffrent aujourd'hui par dizaines. La présence de Messager, de moins en moins actif, assez isolé après la mort d'Agata Ocampo semble plausible en Argentine jusqu'en 1958. Les années de guerre passées en France et en Algérie ne laissent pas de témoignages importants de sa carrière. Messager a travaillé au moins deux ans aux services d'urbanisme de la ville d'Oran, sans qu'il soit possible de déterminer la nature de ce travail.

[modifier] Références

1 - "Jelcinek Haus, Geschichte und Bildung" Bauer Verlag, Hambourg, 1972, rééd. 1999, 112 pages (épuisé)