École de Notre-Dame

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L'École de Notre-Dame est un groupe de compositeurs ayant exercé à Paris entre 1170 et 1250. Mais le mouvement a influencé pendant deux siècles le destin de la musique dans toute l'Europe.

Sommaire

[modifier] Contexte

La construction de Notre-Dame de Paris à été décidée en 1160. Les travaux commencent en 1163 et se poursuivent jusqu'en 1245. Grâce aux séjours fréquents de la famille royale, à l'université réputée de la capitale et d'autres collèges en développement, Paris rayonne comme foyer culturel et artistique de toute la chrétienté. Les recherches musicales, d'abord éparpillées dans les monastères de province, se concentrent vers les villes et connaît un essor sans précédent.

L'Église multiplie le faste des cérémonies. Chaque chapelle rivalisant avec d'autres pour magnifier la liturgie ou les processions. La noblesse intègre la musique dans la vie domestique, la famille royale entretient une troupe de chanteurs disponibles dès qu'il le faut.

Le fondement du répertoire de l'école (et de ses imitations dans les grands centres européen), est donc liturgique. Il est destiné à accompagner les cérémonies et les processions. Mais l'exécution dépassait le cadre strictement liturgique. On le voit aux textes qui traversent les pièces : contenus amoureux, critiques du pouvoir religieux ou civil. La sophistication est parfois telle, que la musique ne pouvait s'adresser qu'à un milieu d'intellectuels et d'érudits : étudiants, médecins, théologiens ou juristes et bien sûr musiciens.


[modifier] Les compositeurs

Deux chantres du XIIe siècle sont restés célèbres.

Léonin d'abord (Leo ou magister Leoninus selon les textes), qui aurait exercé vers le milieu du siècle. Il compose surtout des organum à deux voix, mais rien n'infirme qu'il s'y soit cantonné absolument. On lui attribut le Magnus Liber Organi, puisqu'il aurait été le premier chantre de la nouvelle Cathédrale.

Puis Pérotin, (Perotinus magnus) actif vers la fin du XIIe et premier quart du XIIIe qui compose plutôt à trois ou quatre voix.

« Maître Léonin, d'après ce qu'on disait, fut le meilleur compositeur d'organum[1], il fit le grand livre des organa du Graduel et de l'Antiphonaire pour allonger le service divin. Ce livre fut en usage jusqu'au temps du grand Pérotin qui l'abrégea et fit des clausules ou sections très nombreuses et meilleurs parce qu'il était meilleur compositeur de déchant[2]. (Anonyme IV, 1275) »

Comme le manuscrit original a disparu et n'est connu que par des copies de dates diverses avec de sensibles modifications, il est probable que les pièces de Léonin retouchées par Pérotin lui soient attribuées faussement, ou que l'apport de l'un ne puisse être mesuré convenablement. Il est possible aussi qu'avec la sensible transformation des manières de noter la musique, le copiste ait volontairement transformé le texte parvenu jusqu'à nous.

[modifier] Sources

Le Magnus Liber Organi, qui a disparu, était un manuscrit, copié entre 1150 et 1200, où se trouvait noté le vaste répertoire de la Cathédrale. Le nom complet est Magnus liber organi de gradali et antiphonario, soit Grand livre d'organum pour le graduel et l'antiphonaire. Il était placé sur un lutrin, au milieu du Chœur lors des cérémonies. Il fut souvent copié partiellement ou intégralement et diffusé partout en Europe. Roesner[3] considère qu'il s'agit du premier corpus polyphonique écrit et non transmis oralement.

Il subsiste trois sources essentielles pour étudier ce mouvement, les manuscrits, le Traité du Vatican et les théoriciens :

[modifier] Manuscrits conservés

Les manuscrits disponibles sont très postérieurs à la composition des œuvres. Par exemple le Viderunt Omnes de Pérotin, l'une des pièces les plus emblématiques du répertoire, a été composée avant 1198, mais la source la plus ancienne n'apparaît que dans le W1 copié vers 1245.

  • Manuscrit Pluteus 29.1 de la Bibliothèque Mediceo-Laurenziana de Florence. Il fut copié à Paris entre 1245 et 1255 et enluminé dans l'atelier de Jean Grush et contient 1023 compositions pour les grandes fêtes de Noël, Pâques, Pentecôte et Assomption ainsi que pour d'autres cultes pratiqués à Paris : Sainte Madeleine, Saint-André ou Saint Denis. Le tout correspond essentiellement au Magnus Liber Organi de Léonin (cent pièces attribuables) et aux ajouts de Pérotin et de son école.
  • Manuscrits W1 & W2[4] de la bibliothèque Herzog August de Wolfenbüttel. Le premier est une compilation de 1300, destinée au prieuré bénédictin de St Andrew en Écosse. Il contient un répertoire a deux voix relativement ancien par rapport à la date du recueil, ce qui constitue sa valeur. L'origine du W2 est française, copié entre 1250 et 1260, et contient une majorité de motets souvent en français. Le rythme y est noté plus précisément.
  • Manuscrit H 196 de la Bibliothèque de l'École de Médecine de Montpellier[5]. Copié et enluminé entre 1260 et 1280, il contient 345 compositions dont l'origine est probablement Paris. Essentiellement des motets profanes à deux ou trois voix, mais aussi quelques conductus, organa et hoquets. Certains organa sont copiés avec une transcription plus évoluée permettent de se faire une idée plus précise du rythme.
  • Manuscrit Lit. 115 / ED IV. 6 [incertitude] de la Staatsbibliothek de Bamberg. Copié entre 1270 et 1300, il contient 107 motets à trois voix en français ou en latin classés par ordre alphabétique, un conductus et sept closules. Beaucoup de ces motets sont de nature profane et plus ancien que la date de copie. L'essentiel du manuscrit se trouve dans celui de Montpellier. Le type de la notation est pré-franconienne[6].

On peut ajouter :

  • Manuscrit 20486 de la Bibliotheca Nacional de Madrid. Copié vers 1260, il contient une collection de conductus et de motets parfois en source unique.
  • Codex Las Huelgas du monastère de religieuses cisterciennes de Santa Maria la Real de Las Huelgas de Burgos. Assez tardif, il fut copié à la fin du XIIIe et le début du XIVe siècle. Il totalise 186 pièces. Malgré le mélange avec des pièces de Ars nova, il contient aussi des organa, conductus et motets de l'ancien style (moins d'une cinquantaine), d'origines hispaniques, parfois antérieures ou conformes à l'école et très proche du manuscrit W1. Le type de notation est franconienne.

[modifier] Traité du Vatican

  • Le traité de composition du Vatican[7], provient du nord de la France entre 1170 et 1180. C'est une sorte de manuel ou traité de l'organum à deux voix. Bien que regorgeant d'exemples, on ne fait mention à aucun moment du rythme.

[modifier] Les théoriciens

  • Anonyme IV, un étudiant anglais, qui a décrit les pratiques de Notre-Dame entre 1270 et 1275, c'est-à-dire un siècle après l'origine de l'activité des compositeurs. Ce texte cite des pièces importantes des manuscrits qui peuvent être attribuées à Léonin ou Pérotin. La nomination Anonyme IV provient du musicologue E. de Coussemaker[8].
  • Francon de Cologne, enseignant à Paris au milieu du XIIIe siècle et auteur probable du Ars cantus mensurabilis (vers 1260).
  • Jean de Garlande (mort vers 1240). Avec le précédent, c'est le plus important des théoriciens. Il enseigne à Paris à la même époque que Francon. Son De mensurabili positio (v. 1240) est le traité le plus précis et le plus clair sur la conception et la notation du rythme.
  • Pierre de Picard
  • Jérome de Moravie Plutôt écossais que morave, ce dominicain est actif à Paris jusqu'à la fin du XIIIe siècle. Il réalise dans son traité, Tractatus de musica, une somme des connaissances musicales de son temps[9].

[modifier] La notation

fin du XIIe siècle La notation de la musique de la fin du XIIe siècle se fait sur quatre ou cinq lignes. Les clés sont d'ut ou de fa (très exceptionnellement celle de sol ou d'ut à l'octave). Les notes sont réduites au carré. Les notes longues sont figurées par un rectangle plus ou moins allongé. Les groupes neumatiques sont séparés par des traits verticaux et une double barre indique la fin du morceau. Pour les altérations, on trouve l'indication du bémol, du bécarre et courant XIIIe siècle apparaît le dièse.

[modifier] Les formes et les genres

formes

  • Organum : est une polyphonie très ornée et sophistiquée qui se développe sur une section de plain-chant. D'abord procédé d' écriture qui remonte selon les premiers écrits au IXe siècle, l' organum a évolué en une véritable forme musicale à part entière. Sur une phrase en valeurs égales, un plain-chant appelé cantus firmus, vient s'ajouter la voix organale, sorte de contrepoint note à note. Partant de l'unisson, elle progresse jusqu'à la quarte inférieure s'y maintient en mouvements parallèles. A partir du XIIe siècle apparaît le déchant. La voix organale est remplacé par le discantus qui se place cette fois-ci au dessus du cantus firmus qui passe à la basse et prend le nom de teneur qui donnera notre moderne ténor. Cette voix use d'une grande liberté de mouvements contraires, abandonnant le parallélisme ancien. Cette voix est couramment improvisée et ornée ; c'est tout ce qui n'apparaît pas dans les sources qui nous restent. On distingue deux styles, l'un dit fleuri et l'autre en déchant (note contre note). Suivant le degré de solennité de la cérémonie, l' organum était d'autant plus lent.
    • Organum Duplum (à deux voix ou diaphonie)
    • Organum Triplum
  • Conductus : ou conduit est un chant mono ou polyphonique destiné à accompagner une procession durant l'office. Écrite à la manière de l' organum mais elle s'en distingue en cela que la teneur n'est pas basée sur un chant liturgique.
    • Conduit monophonique
    • Conduit polyphonique
  • Motet : (de motulis, mot) un chant polyphonique de type organum sur lequel on ajoute un texte nouveau. Pour citer un motet il faut citer les deux ou trois textes qui composent le morceau.

genres

  • La trucatio vocis, ou hoquet (hoquetus)[10]

[modifier] Discographie sélective

Anthologie

Léonin & Pérotin

  • Pérotin - The Hilliard Ensemble, Dir. Paul Hillier (1989, ECM 1385)
  • Pérotin et l'Ars Antiqua - The Hilliard Ensemble, Dir. Paul Hillier (Concert 1er août 1996, Hilliard live HL 1001)
  • École de Notre-Dame de Paris, Permanence et Rayonnement XIIe, XIIIe & XIVe siècles - Ensemble Gilles Binchois, Dir. Dominique Vellard (1993, Harmonic Records H/CD 9349)
  • Pérotin & l'École de Notre-Dame, 1165-1245 - Ensemble Gilles Binchois, Dir. Dominique Vellard (Ambroisie AMB 9947)1165-1245 [11]
  • École de Notre-Dame : Léonin, Pérotin, Plein-chant et organum tiré du Magnus Liber Organi - Ensemble Orlando Consort (1997, Archiv)
  • L'âge des Cathédrales, Musiques extraites du Magnus Liber Organi - Theatre of Voices, Dir. Paul Hillier (1995, Harmonia Mundi HMU 90 7157)
  • Vox Humana, Vokalmusik aus dem Mittelalter - Studio der frühen Musik, Dir. Thomas Binkley (1976, Emi "Reflexe" CDM 7 63 148-2)

Conduits & Organum

  • "Le chant des Cathédrales", École de Notre-Dame de Paris 1153-1245, Monodies et polyphonies vocales - Ensemble Gilles Binchois, Dir. Dominique Vellard (1986, Harmonic Records H/CD 8611)
  • Vox Sonora, Conduits de l'École de Notre-Dame - Diabolus in Musica, Dir. Antoine Guerber (1997, Studio SM 2673)
  • Paris expers Paris, École de Notre-Dame, 1170-1240, Conductus & Organum - Diabolus in Musica, Dir. Antoine Guerber (2006, Alpha 102)

Messes

  • École Notre-Dame : Messe du jour de Noël - Ensemble Organum, Dir. Marcel Pérès (1985, Harmonia Mundi HMA 1901148)
  • École Notre-Dame : Messe de la Nativité de la Vierge - Ensemble Organum, Dir. Marcel Pérès (1995, Harmonia Mundi HMC 901538)

Dévotion mariale

  • La Bele Marie, Conductus & chants pour la Vierge au XIIIe siècle - Ensemble Anonymous 4 (2001, Harmonia Mundi HMU 907312)
  • Dame de Flors, École Notre-Dame XII-XIIIe siècle, Motets, Conduits, Organum - Ensemble Discantus, Dir. Brigitte Lesne (1996, Opus 111 OPS 30-175)

Musique profane

  • "Les écoliers de Paris", Motets, Chansons et Estampies du XIIIe siècle - Ensemble Gilles Binchois, Dir. Dominique Vellard (1992, Harmonic Records H/CD 9245)

Codex Bamberg

  • Codex Bamberg - Camerata Nova, Luigi Taglioni (1997, Stradivarius STR 33476)

[modifier] Editions

  • Magnus Liber Organi, sous la direction de Edward Roesner, éd. de L'Oiseau Lyre, Monaco 1993.

[modifier] Bibliographie

  • Bernard Gagnepain, Histoire de la musique au moyen âge, Seuil, coll. « Solfèges », 1996 (ISBN 2-02-018165-7)
  • Françoise Ferrand (sous la direction), Guide de la Musique du Moyen âge, Fayard, coll. « Les Indispensables de la Musique », 1999 (ISBN 2-213-03063-4)
  • Juan Carlos Asencio, L'École Notre-Dame, in Goldberg n° 24 pp. 52-59 (2003)

[modifier] Liens

[modifier] Notes & références

  1. optimus organista
  2. optimus discantor
  3. Magnus Liber Organi, sous la direction de Edward Roesner, éd. de L'Oiseau Lyre, Monaco 1993, p. XIII.
  4. Ou Wolfenbüttel 1, cod. Guelf. 628 Helmstad & Wolfenbüttel 2, cod. Guelf. 1099 Helmstad.
  5. Publié par Yvonne Rockseth, Paris 1936.
  6. Franconnien, c'est-à-dire qu'il correspond à la notation que présente Francon de Cologne dans son traité, vers 1260.
  7. Rome, Bibliothèque Ap. Vaticane, Ottobonianus 3025.
  8. De Coussemaker, Scriptores de musica medii aevi. L'ouvrage comporte 4 volumes publiés entre 1861 et 1876.
  9. Jérome de Moravie : un théoricien de la musique dans le milieu intellectuel parisien du XIIIe siècle sous la direction de Michel Huglo et Marcel Pérès, Éd. Créaphis, Paris, 1992. Jérome de Moravie, Tractatus de musica. Traduction par Esther Lachapelle, Guy Lobrichon et Marcel Pérès - texte latin par Christian Meyer, Éd. Créaphis, Paris, 1996. La rationalisation du temps au XIIIe siècle. Sous la direction de Marcel Pérès. Éd. Créaphis, Paris, 1995.
  10. Célèbres hoquets dans le manuscrit de Bamberg
  11. Le texte de présentation est de Edward Roesner.