Signe linguistique

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Un signe linguistique désigne une unité d'expression du langage, communément un mot, une entité formée par la réunion d'un signifié (un concept) et d'un signifiant (une forme sonore ou image acoustique). Par exemple, le mot français arbre est un signe linguistique associant le concept d'arbre à la forme sonore /arbr/.

Le signifiant y est d'abord défini comme un support neutre, mais la question de la motivation des mots (autrement dit de l'empreinte signifiante de ce support) est de plus en plus soulevée, en particulier en psychanalyse.

Sommaire

[modifier] Linguistique

La notion de signe linguistique a été définie par Ferdinand de Saussure dans son Cours de linguistique générale (1906-1910). Saussure a souligné quatre caractéristiques importantes du signe linguistique :

  1. L'arbitraire du signe : le lien entre le signifiant et le signifié est arbitraire (c'est-à-dire immotivé), car un même concept peut être associé à des images acoustiques différentes selon les langues.
  2. Le caractère linéaire du signifiant : « le signifiant, étant de nature auditive, se déroule dans le temps ». Les éléments des signifiants se présentent donc obligatoirement les uns après les autres, selon une succession linéaire : ils forment une chaîne.
  3. L'immutabilité du signe : le signifiant associé à un concept donné s'impose à la communauté linguistique : un locuteur ne peut décider de le modifier arbitrairement.
  4. La mutabilité du signe : les signes linguistiques peuvent néanmoins être modifiés par le temps, par l'évolution linguistique (modification du signifiant, du signifié ou de leur rapport).

La science étudiant les signes - qu'ils soient verbaux ou non-verbaux - est la sémiotique (ou sémiologie, selon le sens donné à ce dernier terme), celle étudiant les concepts d'un point de vue linguistique est la sémantique, tandis que la phonétique et la phonologie décrivent l'image sonore des signes linguistiques.

[modifier] La question de la motivation des mots

[modifier] Une question très ancienne

Quatre cents ans avant J.-C., dans Le discours de Cratyle, Platon expose les deux thèses opposées sur la nature des mots : pour Hermogène, partisan de l’arbitraire du signe, il n'y a entre signifiant et signifié qu'un lien abstrait et extrinsèque, établi par convention, tandis que pour Cratyle, partisan de la motivation, les mots sont une peinture des choses, ils ressemblent à ce qu'ils signifient, ce sont des symboles.

Un signe est une chose qui tient lieu d'une autre. Il peut être purement conventionnel, tel le galon des militaires, tel le noir, symbole de deuil en Occident ou le blanc en Chine. Le signe peut être un fait naturel que l'esprit humain convertit en signal, comme le départ des hirondelles, signifiant la fin de l'été, ou la fumée signant l’existence du feu. Si ce signe du présent est relié à une réalité absente ou invisible qu'il représente, on parle alors de symbole, comme le signe de Croix, symbole à la fois de mort et de résurrection. Chez les Grecs les symboles sont les paroles ou les signes auxquels se reconnaissaient les initiés aux mystères de Démeter, de Cybèle, de Mithra et d'Eleusis. Le symbole est primitivement un bâton coupé en deux dont deux amis conservent chacun une moitié, qu'ils transmettent à leurs enfants. Les deux parties complémentaires réunies (sumbalein veut dire réunir) permettaient à leurs propriétaires de se reconnaître pour continuer les relations amicales antérieures. Par la suite, les symboles furent les jetons que les juges recevaient à Athènes au tribunal et contre lesquels ils touchaient leur solde, d'où le sens plus général d'un objet ayant valeur de signe.

À partir du XIXe siècle, la linguistique nie l’existence d’analogie entre forme et contenu du signe ; la théorie de Saussure, élevée au rang de dogme, impose l’arbitraire du signe, transformant le mot conscient en un couple signifié/signifiant immotivé, coupé du référent.

Saussure définit le mot comme l’unité indéfectible de deux éléments psychiques : en bas le signifiant (image acoustique), tel [aRbR(e)], et en haut le signifié (l’idée), tel le concept d'arbre. Il n’attribue de signification au signe (mot) qu’en termes de valeur discriminatoire par rapport aux autres signes de la langue (arbre/plante ; animal/végétal). Pour autant, Saussure a peut-être subodoré autre chose dans la matière du signifiant comme le suggère son grand intérêt pour les anagrammes. La motivation des mots serait-elle définitivement morte ?

[modifier] Une motivation inconsciente ?

Pour la linguistique classique consciente, le signe verbal n’est plus concret, il est abstrait et ne serait rien en dehors de l'idée qu'il signifie par convention. Cependant les onomatopées malgré quelques variations interlinguales ont une structure semblable et échappent à la définition saussurienne car leur signifié se confondrait avec le signifiant.

Saussure ne reconnaît pas les faits symboliques dans la langue, prise comme ensemble de signes arbitraires, et refuse de déceler de la motivation dans les mots même dans ceux des langages inventés, tels la glossolalie sanscritoïde ou « martienne » de Mademoiselle Smith, qui intriguait les milieux linguistiques genevois à la fin de XIXe siècle. Un professeur de sanscrit (comme Saussure), Victor Henry prospectera et découvrira dans cette glossolalie « un travestissement enfantin du français » grâce à des analogies auditives, qui résultent de procédés inconscients et subconscients du langage. « Le langage est le produit de l’activité inconsciente d’un sujet conscient », écrivait-il avec pertinence dans Antinomies linguistiques en 1896. C'est pourtant la vision consciente étriquée de Saussure qui est passée à la postérité, donnant par son cours ses fondements à la linguistique consciente naissante. Un demi-siècle après Saussure, le linguiste Émile Benveniste cherche à amender l’arbitraire du signe, trop dogmatique, en introduisant la notion de référence. En plus de sa valeur différentielle, le mot (signe verbal) possède un sens, qui réside dans le rapport à un objet du monde ; mais Benveniste ne fait que déplacer l’arbitraire du signe non plus dans la relation signifiant/signifié, mais dans la relation signe/référent. Si en français le signifié arbre est inséparable du signifiant [aRbR(e)], la relation du mot arbre à l’objet réel est arbitraire et conventionnelle comme en témoigneraient les mots tree et Baum, qui n’ont aucun son commun, alors qu'ils renvoient au même objet arbre (Problèmes de linguistique générale 1971). Autant dire que c'est toujours le règne de l’arbitraire du mot conscient.

Les maîtres de l’inconscient, Freud et Lacan, ne sont pas restés muets face au mystère des mots, à leur face cachée inconsciente, mais ne sont jamais parvenus à décrypter un code précis de lecture. Freud pourtant affirme que « c'est par la langue que l’essentiel se révèle. Comprendre, c’est zurückführen, littéralement conduire en arrière, ramener la langue vers son fondement, cette Grundsprache, langue des profondeurs ou Seelesprache, langue de l'âme ». Dans La Science des rêves, Freud annonce que le rêve est un rébus et qu'il faut l’entendre à la lettre. Cette structure à base de lettres ou de phonèmes, qui articule le signifiant dans le discours, est un élément dynamique du rêve, telle la figure de l’homme à tête de virgule. Pour Lacan « les images du rêve ne sont à retenir que pour leur valeur de signifiant », pour ce qu’elles permettent d’épeler du proverbe (préverbe) proposé par le rébus du rêve.

L’expérience psychanalytique de Lacan découvre qu’il n’y a pas d’inconscient sans langage et que ‘‘l’inconscient est structuré comme un langage”, mais il n’est pas toujours facile de suivre les arcanes alambiquées du style lacanien : d’après lui, la discipline linguistique tient «dans le moment constituant de l’algorithme S/s, signifiant sur signifié, le sur répondant à la barre qui en sépare les deux étapes». Pour reprendre le mot arbre, Lacan affirme que « ce n’est pas seulement à la faveur du fait que le mot barre est son anagramme, qu’il franchit celle de l’algorithme saussurien. Car décomposé dans le double spectre de ses voyelles et de ses consonnes, il appelle avec le robre et le platane les significations dont il se charge sous notre flore, de force et de majesté». Il semble que Lacan, même s’il n’en tire aucune conclusion linguistique, ait bien perçu que le signifié arbre était spécifique au français et renvoyait à des référents habituels de la flore de France, ce qui aurait dû le conduire à évoquer la variabilité systématique du signifié en fonction des langues. Pour Lacan, le signifiant prime sur le signifié. Ce franchissement de la barre entre signifié et signifiant se ferait pour Lacan par le jeu des signifiants entre eux, chez chaque individu, avec un glissement incessant du signifié sous le signifiant qui s’effectue en psychanalyse par les formules de la métonymie et de la métaphore, qu’il nomme « lois du langage » de l’inconscient.

[modifier] Références

  • Benvéniste Emile (1966), Elements de linguistique Générale.
  • Dufour Christian (2006) Entendre les mots qui disent les maux Ed du Dauphin Paris
  • Kristeva Julia (1981) Le langage cet inconnu Points
  • Lacan Jacques (1966), Ecrits I. Ed du Seuil
  • Perrot Jean (1967) La linguistique. Que sais-je PUF
  • de Saussure Ferdinand (1995), Essai de Linguistique générale, Payot (Collection: Grande bibliothèque Payot) -