Publics d'opéra en France

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Cette présentation des publics d’opéra en France est extraite d’une étude sociologique réalisée en 2001. Son auteur en est Gérard Doublet, né le 7 mars 1953 à Paris. Un ouvrage a été consacré à cette étude : Nouveaux publics, nouvelles pratiques, par son auteur. L’étude a fait l’objet d’une communication lors de Journées consacrées par le Ministère de la Culture aux publics des spectacles vivants (Colloque DEP/OFCE en partenariat avec le Musée du Louvre: LE(S) PUBLIC(S). POLITIQUES PUBLIQUES ET EQUIPEMENTS CULTURELS) co-organisées par l'Institut d'Etudes politiques de Paris. Diplômé de l’Institut d’Etudes Politiques de Paris, diplômé en sociologie et en philosophie politique, ancien élève de l’école HEC (ISA 1982), consultant en marketing et communication, spécialiste des analyses prospectives socio-culturelles,ancien consultant à la Cofremca et à l'Institut français de Démoscopie, il a mené depuis 1990 de nombreuses études sur les publics et les images d’entreprises et d’institutions. Il a collaboré avec des maisons d’opéra et des associations de théâtres lyriques en France et en Europe, comme l'Association Opéra Europa (Bruxelles) présidée par Bernard Foccroulle pour laquelle il a conduit en 2006 une étude auprès des publics de 10 maisons en Europe.Les résultats de l'étude européenne ont été présentés le 17 février 2007 à Opera national de Parisà l'occasion des premières Journées lyriques européennes Opera Days.

La problématique de départ de cette étude était celle du renouvellement des publics, notamment des publics jeunes. L'étude outre des données sociologiques inédites a permis d'éclairer la situation des publics d'opéra en France.

Sommaire

[modifier] Les publics d’Opéra en France à la fin du XXe siècle

L’opéra n’est plus un spectacle inaccessible. Quelle est l’image de l’opéra auprès des publics, s’agit-il d’un spectacle tellement unique qu’il serait perçu comme inaccessible au plus grand nombre et dès lors réservé à une élite sociale ? La question est pertinente, toutefois nous devons nous contenter dans cette étude de la réponse des publics qui fréquentent l’opéra et non pas de l’opinion de ceux qui ne le fréquentent pas.

La grande majorité des spectateurs considère que l’opéra est accessible à tous (62 %). C’est l’opinion notamment des plus jeunes les 25-34 ans. L’opéra en France a réussi à vaincre un certain nombre de préjugés : son caractère rétrograde, élitiste, et le fait qu’il serait inaccessible à ceux qui n’ont pas une solide culture musicale classique. Inaccessible, le spectacle d’opéra l’est encore, mais pour d’autres raisons, au même titre que toute manifestation culturelle et tout spectacle vivant en particulier. Pour des raisons de prix du billet, de localisation en centre ville et de rareté des représentations, et donc de places disponibles. Mais en cette fin de siècle, les règles ont changé. De nombreuses maisons d’opéras ont ouvert les abonnements à des revenus moyens et aux jeunes scolarisés et étudiants. Le prix de la place est ramené pour ces catégories au niveau d’une place de cinéma, moins cher que celle d’un concert pop, rock ou d’un match de foot ou de rugby.

Une minorité de spectateurs, 20% environ, estiment que l’opéra n’est toujours pas accessible à tous. Il ne s’agit en aucun cas des jeunes qui ont fait leur entrée en grand nombre à l’opéra dans les années 90 ou telle catégorie sociale défavorisée qui en serait exclue, mais ceux des publics qui ont découvert tardivement l’opéra et mesurent en quelque sorte la difficulté du chemin qu’ils ont parcouru pour y prendre goût. Cette difficulté est d’ordre esthétique. Si le spectateur n’a pas découvert jeune l’opéra, ses goûts seront formatés par d’autres spectacles, moins riches, compliqués ou complexes. Plus faciles ou légers. C’est bien dans ces termes que se pose en fait la question de l’inaccessibilité de l’opéra. L’offre de loisirs télévisuelle, cinématographique, facilement consommable, a désactivé depuis les années 60, la recherche motivée d’une sensation esthétique forte de la part de spectateurs prenant en main leur parcours et leur initiation à diverses offres culturelles et artistiques.

L’opéra s’est-il ouvert au plus grand nombre pour autant ? Les statistiques des opéras montrent un élargissement démographique du public, en termes d’âges et de classes sociales, mesuré à travers les catégories socioprofessionnelles de l’Insee. L’ouverture démographique se constate aussi en termes d’engouement pour l’opéra filmé retransmis à la télévision et au cinéma et à la vente de CD ou DVD d’œuvres lyriques. Il est vrai que la publicité commerciale a investi le répertoire lyrique pour magnifier des produits de grande consommation. La différenciation de valeurs par l’utilisation du prestige social anciennement lié à l’opéra a favorisé la démocratisation de l’image de l’opéra et l’engouement pour des airs d’opéra transformés en vecteurs musicaux de messages publicitaires.

Cependant des spectateurs potentiels de plus de 40 ans ne font plus la démarche de découvrir l’opéra. La base du public s’est élargie aux plus jeunes, mais cela suffit-il à moyen terme pour maintenir un public en nombre suffisant pour permettre aux maisons d’opéra de survivre avec moins de subventions de la part des collectivités locales et de l’état ? Le challenge commercial et de ce fait culturel pour les maisons d’opéra est d’attirer des catégories de spectateurs potentiels qui ressentent encore des freins psychologiques à l’égard de l’opéra. L’effort de sensibilisation se porte aujourd’hui sur des catégories d’âge comprises entre 26 et 40 ans et des catégories sociales : les ouvriers, les employés, les cadres moyens, professionnels du public et du privé pour lesquelles la notion du spectacle élitiste et bourgeois pourrait encore avoir un effet répulsif fort. La double appartenance à cette catégorie d’âge et à ces milieux socioprofessionnels est un facteur d’éloignement de l’offre lyrique.

L’écart générationnel et socioculturel entre l’opéra et un public potentiel vieillissant a été en partie gommé par des programmations accessibles à des néophytes plus âgés, des formules tarifaires et des efforts de communication de la part des maisons d’opéra. On peut considérer les efforts de relance de l’opérette tant à l’Opéra comique qu’au Théâtre du Châtelet comme des essais de reconquête de publics qui ne se sont pas préparés au lyrique sérieux et exigeant.

Le public de l’opéra dans les années 90, conjointement se rajeunit et se féminise. Les spectatrices représentent 59 % du public contre 41 % d’hommes. Le fait de la forte composante féminine du public est avéré dans l’ensemble des maisons d’opéra en France (et en Europe). Elle s’explique d’abord par la part importante des professions intellectuelles intermédiaires et des enseignantes parmi les spectateurs et ensuite par la proportion majoritaire des jeunes filles parmi les plus jeunes publics. Un autre facteur est mis en avant : les jeunes filles découvrent le répertoire lyrique à travers les spectacles de danse classique et les abonnements mixant le lyrique et le ballet. Adolescentes et jeunes adultes, elles y entraîneraient leur amis et compagnons les convaincant de diversifier leurs centres intérêts culturels et de loisirs. Ainsi s’expliquerait l’entrée plus tardive des jeunes hommes dans le public de l’opéra.

Les 15-34 ans représentent 20 % du public.56 % des spectateurs ont moins de 55 ans. La moyenne d’âge se situe en 2001 aux alentours de 47 ans alors qu’elle était de 65 ans en 1980 selon les données publiées par l’association française des théâtres lyriques. Le public de jeunes de moins de 25 ans représente nationalement plus de 12 % des spectateurs (16 % de la population nationale a moins de 25 ans, source recensement INSEE), soit un recouvrement de 75 % de la classe d’âge. La tranche d’âge du public des 25 à 49 ans représente environ 37 % des spectateurs (43 % de la population nationale), soit un recouvrement de 86 % de la classe d’âge. La tranche d’âge du public de 55 ans et plus représente 44 % des spectateurs (33 % de la population nationale), soit un recouvrement de 133 %. Cette dernière donnée indique une surreprésentation des plus âgés parmi les spectateurs. Mais cela ne doit pas masquer le fait que les nouveaux publics ne se recrutent pas parmi les plus âgés. Au contraire, au delà de 40 ans les néophytes sont minoritaires. Le renouvellement des publics et cela est un signe très encourageant pour l’opéra, est constitué de jeunes scolarisés et d’étudiants représentatifs de l’ensemble des catégories de la population française.

Toutefois il existe un déficit important de spectateurs issus des catégories des jeunes salariés, sans qualification ou issus de cycles courts de formation professionnelle. Cela pose la question de l’accès à la culture en France qui dépasse le cas spécifique du théâtre lyrique. Si le milieu familial ou l’école ne favorisent pas, par la sensibilisation et la transmission, l’accès à une offre culturelle et artistique, non banalisée par la télévision, le jeune a peu de chance d’accéder à une offre culturelle qualitative et rare. Alors à la difficulté d’accès au répertoire lyrique du fait de l’environnement pédagogique et culturel, doublée de la cherté du billet d’opéra, se superpose une autojustification idéologique catégorielle de ne pas pouvoir accéder à la culture élitiste et bourgeoise. Se crée alors une sorte d’impossibilité complexe et durable d’accéder à l’opéra pour une catégorie de la population, la moins formée.

En France l’action des comités d’entreprise et des directions des ressources humaines pour faciliter l’accès à l’opéra des collaborateurs d’entreprise est presque inexistante. Une petite minorité de néophytes déclare avoir découvert l’opéra de cette façon. A la différence d’autres pays européens où l’action des associations en milieu professionnel est plus forte et incitative auprès des catégories qui sont les plus éloignées de l’attrait de l’offre lyrique. A cet égard il faut citer l’effort de l’opéra de Barcelone (Catalogne) qui propose plusieurs dizaines de formules d’abonnement, dont les formules dites populaires en direction des spectateurs des catégories ouvrières et des employés. L’action de promotion de l’opéra de Paris, menée par l’Arop (association pour le rayonnement de l’opéra) cible les catégories sociales supérieures et les dirigeants d’entreprise. L’association Arop vise à canaliser et à susciter le mécénat d’entreprise.

Le nouveau public dans la catégorie d’âge des 35/45 ans est constitué de membres de catégories socioprofessionnelles diverses : cadres moyens du secteur privé, fonctionnaires, enseignants du secondaire, ingénieurs,de niveaux de revenus variés. Mais peu de représentant des catégories d’ouvriers et d’employés. Cela corrige l’image d’un public constitué exclusivement d’une élite sociale telle que l’on se la représentait au milieu du siècle dernier. En fait et cela pourrait paraître paradoxal, mais les catégories les plus privilégiées en termes économiques, sont celles aussi dont les rythmes de travail et les modes de consommation éloignent le plus de l’opéra. C’est notamment vrai pour les jeunes cadres supérieurs et jeunes dirigeants qui sont minoritaires parmi les spectateurs. Il faut attendre que ces managers dépassent la cinquantaine pour voir augmenter sensiblement leur fréquentation et assiduité à l’opéra.

[modifier] Les goûts du public

L’opinion des spectateurs français à l’égard de la programmation lyrique et des mises en scène peut se résumer dans cette proposition axiomatique : leur goût est classique et traditionnel. Qu’est ce que cela signifie et présuppose ? Les spectateurs quelles que soient leurs expériences du théâtre lyrique s’accordent en majorité sur un point, la valeur du patrimoine et leur goût commun pour l'opéra italien 87% et l’opéra classique 82% Age classique des spectateurs français, répertoires qui assurent une saison lyrique pour la plupart des maisons d’opéra en France. Puis dans l’ordre des préférences : Le bel canto, l’opéra francais, l'opéra russe, l’opéra baroque, les comédies musicales. Moins de la moitié des spectateurs disent aimer l’opéra allemand, l’opéra post romantique ; l’opéra moderne et contemporain intéressent moins de 20% des spectateurs. Il faut être une grande maison comme l’opéra de Paris et réunir un large public pour tenter quelques programmations en dehors du répertoire classique.

Les spectateurs expérimentés jugent les chanteurs, la mise en scène et le chef d’orchestre. Ils exercent leur esprit critique et développent un jugement expert. Les néophytes et les spectateurs occasionnels, pour leur part, sont dans la découverte du patrimoine, des auteurs et des œuvres. Les uns et les autres sont satisfaits de retrouver des points de repère et de comparaison, mais craignent les mauvaises surprises de répertoires nouveaux et de mises en scène avant-gardistes.

Trop novatrice, la programmation serait mal perçue et mal acceptée par une grande majorité du public. Dans la mesure où les spectateurs attendent une programmation à l’image de leur connaissance du patrimoine lyrique et de leurs goûts ils sont satisfaits. Sont-ils pour autant fermés à toute innovation et ouverture du répertoire ? Les réponses aux enquêtes qualitatives et aux questionnaires montrent qu’ils sont ouverts à une certaine “dose” d’innovation. L’innovation signifie pour les spectateurs, un spectacle neuf, créatif, mais respectueux des éléments scéniques, de décors et de costumes qui servent l’œuvre et la compréhension de son contexte. Les solutions minimalistes de décors et de mises en scène modernes sont perçues par une majorité des spectateurs comme un défaut ou un parti pris esthétisant privant le public du plaisir du spectacle total. Mais les plus jeunes et les jeunes adultes sont plus ouverts à l’innovation pourvu qu’elle ne complique pas la compréhension et n’altère pas le sens de l’œuvre. Il en va de l’opéra comme de tout autre domaine artistique; anciens et nouveaux publics s’affrontent sur ce qui est possible et tolérable dans le respect de la tradition.

Le nouveau public de l’opéra est plus éclectique que ses aînés au point d’accepter d’ouvrir l’offre des opéras à des œuvres inconnues alors que l’ancien public demeure très conservateur sur ce point. 66 % des 15-24 ans sont favorables à une ouverture de l’opéra à des œuvres qui ne font pas partie du répertoire lyrique classique. En moyenne, sur ce critère d’ouverture, les spectateurs les plus ouverts à l’innovation représentent environ 56 % des spectateurs et la grande majorité des spectateurs de moins de 54 ans. Le nouvel éclectisme des spectateurs pose le problème de la spécificité de l’opéra par rapport à d’autres genres de spectacles chantés comme lacomédie musicale. La question est posée par la position des publics les plus conservateurs, les gardiens du lyrique classique qui n’envisagent pas une ouverture du répertoire. Mais n’en a-t-il pas été toujours ainsi entre les Anciens et les Modernes dans l’histoire des modes et des courants artistiques ? Certes, mais ce dont il est question ici dépasse la simple notion de modes et de courants. « Une symphonie mise en images » comme se propose d’être La Petite Fille aux allumettes de Helmut Lachenmann, ou un spectacle chanté dans la tradition du théâtre chinois, sont ils des œuvre lyriques susceptible d’entrer dans le répertoire ou simplement des spectacles répondant aux attentes, sinon à la curiosité d’un certain public cultivé ?

Autrement dit en 2001 et encore aujourd’hui, la question suivante se pose aux responsables des maisons d’opéra. Le répertoire de l’opéra classique peut-il cohabiter dans la même offre d’une saison avec des spectacles chantés d’un genre différent ? Le public lyrique est-il en mesure de concilier le classique et le moderne, apprécier l’un et l’autre sous un même concept élargi de spectacle musical chanté ? Selon les réponses données à cette question, selon les stratégies de programmation, le public du XXIe siècle évoluera et fera évoluer l’opéra ou le fera disparaître.

[modifier] Les principaux attraits de l’opéra pour le spectateur français

L’œuvre, l’abonnement et le compositeur sont les premières motivations pour choisir un spectacle d’opéra : 56 % de spectateurs choisissent un opéra pour l’œuvre, 41 % pour le compositeur, mais aussi 46 % parce le spectacle était proposé dans l’offre d’abonnement. Dans la quasi majorité des maisons d’opéra dont le nombre de spectacles annuels est limité, l’abonnement à la saison garantit la place. L’abonnement propose un choix d’œuvres du répertoire, mixant les genres lyriques voire des spectacles non lyriques comme les concerts, la danse moderne et le ballet. Il faut en tant que spectateur une certaine expérience du répertoire pour se repérer dans le programme d’une saison d’opéra. Le spectateur assidu a acquis au fil des années une culture lyrique suffisante pour choisir en connaissance de cause, sans risque. Cela se passe assez tôt, après quelques années de fréquentation de l’opéra vers 25-30 ans. Les plus assidus des spectateurs font du choix de l’œuvre leur principal critère de sélection. A l’inverse les primo-spectateurs ont des difficultés pour choisir : ils sont seulement 27 % contre 56 % pour l’ensemble des spectateurs à choisir l’œuvre. Leur première motivation sera la sortie avec des amis.

L’abonnement est la moins mauvaise solution pour être sûr d’assister à un spectacle d’opéra. C’est la meilleure du moins pour les plus assidus et les plus passionnés des spectateurs qui sont sûrs, grâce à l’abonnement, d’obtenir des places pour les spectacles que l’opéra leur propose dans ses différentes formules. Le choix de l’abonnement est plus fréquent chez les spectateurs de 45 ans et plus. Il nécessite un règlement à l’avance ou des règlements échelonnés et un engagement sur des dates. Mesures à différents égards plus difficiles pour les plus jeunes spectateurs.

L’abonnement est moins souvent cité comme raison du choix parmi les spectateurs de Paris que dans les maisons de province où le taux d’abonnement est supérieur. La diversité et l’importance de l’offre lyrique à Paris joue en défaveur de l’abonnement. Face à une offre riche, le spectateur peut être enclin à privilégier la diversité à la certitude d’obtenir une place à l’Opéra de Paris grâce à l’abonnement. Se dessine ainsi une catégorie de spectateurs qui préfèrent la multiplicité des spectacles de tout type à l’abonnement qui peut être vécu comme contraignant et limitatif.

La quatrième motivation par ordre d’importance est la sortie en famille, couple ou entre amis. Aller seul à l’opéra est une pratique rare, réservée aux experts et aux passionnés. Aller au spectacle avec des amis, un conjoint est une modalité courante de la fréquentation d’une maison d’opéra. Le spectacle d’opéra garde une fonction sociale qui fait partie de son attrait, C’est à la fois une belle sortie qui est un cadeau que l’on fait à sa famille ou à des amis, ce peut être encore la façon d’entretenir un réseau social et de s’y montrer surtout dans les villes de province. Cette fonction mondaine persiste même si elle est sans commune mesure avec ce qu’elle était au début du XXe siècle et avant.

Choisir un opéra pour les chanteurs : 12,5 %, le chef d’orchestre : 8,7 %, le metteur en scène : 4,2 % sont les motivations des connaisseurs et des experts parmi le public, et notamment les spectateurs de 65 ans et plus (16 %) qui ont davantage de temps à consacrer au choix motivé d’un opéra sur des critères liés à leur connaissance du répertoire et des artistes musiciens ou chanteurs. On peut toutefois s’étonner de la faiblesse de la performance de ces 3 critères de choix dans la motivation du public qui aurait la réputation d’élitisme et d’expertise culturelle. Cela prouve que le public a changé ou du moins que l’opinion commune se trompe sur son compte. En fait le processus de choix est banal et dépend de l’offre des maisons proches auxquelles le spectateur a aisément accès. Les spectateurs voyageurs en France ou à l’étranger sont une très petite minorité. Le choix des chanteurs et du chef d’orchestre : c’est le privilège des grandes maisons et de l’Opéra de Paris en particulier de pouvoir produire des artistes de renommée internationale qui méritent que l’on se déplace pour les applaudir. Celui du metteur en scène : même les spectateurs les plus experts lui accordent une importance très relative. Autrefois les mises en scène se réduisaient à de simples régies. Dans les années 70, Patrice Chéreau, Lavelli ont ouvert une nouvelle période donnant au metteur en scène un rôle essentiel. Si l’opéra a trouvé un nouvel élan dans les années 70 et 80, c’est aussi en partie grâce aux metteurs en scène qui ont su servir les œuvres magistralement en innovant.

L’opéra a fait son entrée à la télévision et au cinéma, mais pour beaucoup de spectateurs “ce n’est pas l’opéra”. Il n’y a pas de doute dans l’esprit des spectateurs à cet égard quoique 57 % des spectateurs d’opéra aiment à les regarder à la télévision sur des chaînes spécialisées ou plus rarement sur les principales chaînes du PAF. Ce sont les catégories de spectateurs les plus âgés, 55 ans et plus et tout particulièrement les retraités, qui disent être téléspectateurs d’opéras. L’opéra à la télévision demeure donc une affaire de passionnés, voire d’experts, car la télévision permet à moindre coût d’accéder à un plus large répertoire lyrique et à des mises en scène inédites

Les spectateurs expriment un souhait : être mieux sensibilisés au lyrique. Il faut réinterpréter ce souhait des spectateurs en besoin de disposer de plus d’informations sur l’opéra, l’œuvre et son histoire d’une part, la mise en scène et ses options d’autre part, par les journaux de l’opéra, des sites internet et la presse grand public. Les néophytes ne savent pas où trouver les informations qui leur seraient utiles. Les plus jeunes spectateurs, au cours de tables rondes, évoquent les journaux des cinémathèques et des théâtres par exemple, distribués à l’entrée même de l’opéra annonçant les futurs programmes et l’absence de documents du même genre pour le lyrique pour se faire une opinion, à défaut de pouvoir choisir. Quant aux adultes, ils dénoncent la difficulté à comprendre les critiques des revues spécialisées réservées à un microcosme d’experts, ou l’évidente complaisance de la presse locale sur la qualité de la dernière production ou l’absence de reportage de la télévision régionale.

[modifier] Les souhaits et les préférences des spectateurs en diverses matières

L’abonnement à l’opéra est une pratique encore si répandue pour plus de la moitié des spectateurs en France qu’il est nécessaire de nous pencher sur cette question. Les spectateurs abonnés sont majoritairement satisfaits des formules d’abonnement qui leur sont proposées. Cette opinion est partagée par toutes les catégories de spectateurs abonnés, plus particulièrement par les 15-25 ans bénéficiant des formules économiques.

L’expression de cette satisfaction semble confirmer le potentiel que constituent les catégories des jeunes spectateurs pour le public de demain. Beaucoup de spectateurs abonnés souhaiteraien davantage de flexibilité dans le choix des spectacles et des dates. Le souhait de flexibilité est une donnée importante qui éclaire d’un jour nouveau les souhaits des spectateurs. Il s’explique par les contraintes et le manque de disponibilité d’un public très investi dans la vie professionnelle. Cette tendance ne fera que croître dans le cadre d’un rajeunissement et de l’élargissement de la base du public. Les formules d’abonnement libre, “à la carte” de l’Opéra national de ParisOpera national de Paris vont à la rencontre de ce public actif de cadres intermédiaires et supérieurs, responsables de grandes entreprises, catégories bien représentées dans le public de la capitale.

A propos de l’information sur les spectacles d’opéra. 80 % des spectateurs sont satisfaits des modes d’informations qu’utilisent les opéras pour les informer sur la programmation des saisons lyriques. Ce taux ne peut gommer les remarques faites sur des pistes d’amélioration, notamment quant au contenu pédagogique des supports qui permettent aux spectateurs de se faire une opinion et d’exercer leur choix. Les spectateurs demandent en effet des repères avant de choisir une œuvre, cela est vrai principalement des jeunes publics. L’information souhaitée est d’ordre factuel, mais aussi critique, historique et lyrique. Le programme acheté avant le spectacle est perçu comme le seul moyen de s’informer. Les supports de presse grand public qui informent et expliquent simplement l’opéra sont rares. Existent seulement des revues spécialisées qui se consacrent à l’opéra, mais hors de portée de la majorité des spectateurs, en raison de leur contenu, leur tonalité et intérêt. Les sites internet des opéras sont encore trop rares ou trop pauvres en contenus.

Les modes d’information préférés par les spectateurs sont ceux auxquels ils ont le plus facilement accès : la brochure de la saison pour les abonnés, les affiches pour les jeunes et les actifs et le journal local pour les plus âgés. La brochure de la saison diffusée par l’opéra est le moyen d’information préféré ; il est le plus complet. Viennent ensuite l’affiche en ville, aisément repérable et les journaux locaux. Ces trois préférences sont globalement partagées par tous les publics : Toutefois les préférences désignent plus précisément des catégories spécifiques de spectateurs selon leur assiduité à l’opéra et leur groupe d’âges. La brochure de la saison est le mode d’information idéal des abonnés qui la reçoivent à domicile. L’affiche dans la ville s’adresse au plus grand nombre résidant dans un espace urbain bien quadrillé de panneaux et de supports mobiles (transports en commun). L’impact de l’affichage est moindre en périphérie des villes. Les plus jeunes sont les plus sensibles à ce mode d’information, ils sont néophytes et occasionnels, ils ne reçoivent pas la brochure de la saison, ils circulent en ville et utilisent les moyens de transport en commun. Les journaux locaux informent leurs lecteurs, principalement les personnes âgées de 55 ans et plus, lectorat principal de ces titres.

Les jeunes et les actifs sont davantage exposés aux radios nationales et locales. Les jeunes spectateurs de 15 à 35 ans ont des préférences plus marquées pour l’affichage, les tracts et tous les supports simples à diffusion ciblée, les journaux locaux spécialisés dans les spectacles et les événements culturels, l’internet et les magazines culturels.

Internet est un des moyens d’information préféré par 23 % des spectateurs, et en forte progression dans les groupes d’âges et socioéconomiques pour lesquels son usage est quotidien et banalisé. Les catégories professionnelles supérieures considèrent Internet comme un moyen idéal pour connaître les propositions d’une maison d’opéra. On peut imaginer la puissance ce moyen qui peut propager à la fois de l’information pratique, de la sensibilisation et de l’information culturelle. Les étudiants partagent cette préférence. Les préférences des spectateurs d’opéra en termes de supports de presse leur apportant des informations sur les spectacles : principalement les journaux locaux, le journal de l’opéra, les magazines culturels et les revues spécialisées. Il faut noter que les lecteurs sont principalement des lectrices, à l’exception des journaux régionaux et des revues musicales.

[modifier] Conclusion

L’enquête menée par l’équipe de Gérard Doublet et initiée par les responsables des opéras en France d’abord sur un questionnement quant au renouvellement du public, a sensiblement élargi la problématique de départ au fur et à mesure de son déroulement. Les jeunes publics constituent le réservoir naturel des futurs spectateurs, mais ils ne sont pas les seuls à pouvoir être attirés vers l’opéra et être fidélisés dans un deuxième temps. Les jeunes publics ont été progressivement attirés vers les maisons d’opéra grâce à des politiques, efficaces de tarification et de formules flexibles permettant de découvrir plusieurs spectacles lors d’une même saison. Un spectateur est gagné à la cause du lyrique lorsqu’il fréquente l’opéra au moins 3 fois lors d’une première saison. Mais comment fidéliser ces publics au moment de leur entrée dans la vie active à un âge où ils ne peuvent plus bénéficier de formules avantageuses ?

Une nouvelle problématique qui est posée par l’étude est celle de la versatilité d’un public qui « consomme » l’opéra avec moins de conformisme social et culturel que les générations précédentes. Ces publics ressentent l’abonnement dont les avantages sont certains par ailleurs, comme une contrainte incompatible avec leur façon hédoniste d’aborder la culture, c’est-à-dire comme un loisir.

L’opéra a élargi sa base démographique au cours des dernières décennies, des catégories de la population dont les profils sociologiques sont mieux connus grâce à cette enquête échappent toutefois aux efforts des maisons d’opéra d’élargir leur public. Il s’agit des catégories des salariés, non cadres, du secteur privé. Les spectateurs d’opéra n’ont pas le sentiment de faire partie d’une élite sociale et culturelle, ils considèrent que les prix des places dans les maisons de province sont abordables pour toutes les bourses et que les freins sont davantage psychologiques que matériels. Les catégories des salariés non cadres ont les capacités culturelles et financières d’assister à des spectacles d’opéra, d’y prendre du plaisir et d’y revenir, mais elles ne le font pas. Les « nouvelles élites » indisponibles pour l’Opéra ? Les «descendants» présumés des anciennes « élites » et les nouvelles « élites » professionnelles auraient-elles abandonné aujourd’hui la pratique sociale et culturelle de l’opéra. Les modes de vie des jeunes« élites » et plus prosaïquement des catégories des cadres et des dirigeants, les plus aisées des actifs du secteur privé, des responsables d’entreprise ne vont pas (ou plus) à l’opéra faute de temps et de motivation pour des spectacles parfois difficiles et ennuyeux. Ce constat montre la difficulté des maisons de conserver l’acquis d’une clientèle traditionnelle qui tend à disparaître. Le renouvellement du public par les jeunes «élites » n’est plus assuré, car elles sont trop occupées par leur activité économique. Leurs modes de vie et de consommation culturelle ont radicalement changé. En résumé, les «élites » actives ne sont plus disponibles pour l’opéra. Sous de nombreux aspects cela constitue une opportunité pour les maisons d’échapper au conservatisme et de renouveler leurs publics avec des propositions de répertoires non-conformistes.

Des catégories nouvelles de publics occupant des fonctions intellectuelles intermédiaires et supérieures dans le secteur public et privé, résidant en centre ville ou proche périphérie ont accédé à l’opéra. Que recouvre cette répartition socioprofessionnelle ? L’émergence d’une nouvelle élite? Non au sens du 19ème et du début du 20ème siècle. Oui en ce sens que le temps libre et la disponibilité sont devenus des privilèges. La durée du déplacement pour se rendre à l’opéra, les résidences principales en dehors des centres villes sont les nouveaux facteurs de « discrimination » et des obstacles concrets à la fréquentation de l’opéra. La disponibilité pour les spectacles et aux événements culturels est inégale entre les catégories de population. Elle discrimine les spectateurs non plus sur les seuls critères économiques et culturels. Le principal obstacle à l’accès à l’opéra : le temps. Le risque principal pour l’Opéra ne serait-il pas, en forçant à peine le trait, de devenir en fait le spectacle des très jeunes et des étudiants, des personnels de l’administration publique, des enseignants et des spectateurs du troisième âge et des jeunes retraités. Entre les deux groupes d’âge jeunes et vieux, les spectateurs actifs du secteur privé seraient dans l’impossibilité grandissante de bénéficier de l’offre lyrique et du service public. Ces publics actifs se caractérisent socio-culturellement par l’hyperactivité professionnelle et donc par leur indisponibilité aux spectacles d’opéra faute de temps et de motivation. 69 % des spectateurs préparent un spectacle en consultant le programme, en lisant un livre et en écoutant un disque. 57 % des spectateurs regardent des opéras à la télévision. Les actifs n’ont pas le temps de préparer une sortie à l’opéra. A cela s’ajoute que l’abonnement à l’opéra impose de réserver des dates longtemps à l’avance, ce que les hyperactifs sont souvent incapables de faire. Or l’enquête montre que l’intérêt pour l’œuvre, l’auteur et le fait d’être abonné sont les principales raisons qui attirent le spectateur vers l’opéra. Si ces motivations sont absentes, les obstacles à l’accès deviennent difficilement surmontables pour toutes les catégories d’actifs qui ont peu de temps libre, et a fortiori pour les non-publics peu ou pas informés qui représentent un potentiel de spectateurs. Quel est le comportement d’un non-spectateur actif, c’est-à-dire d’un actif, employé, cadre moyen ou supérieur, de formation intermédiaire ou supérieure qui n’a pas de tradition familiale lyrique et musicale, qui n’a pas pu ou su en son temps bénéficier de formules tarifaires réservées aux jeunes spectateurs. Est-il informé des possibilités que lui offre une maison d’opéra de découvrir des œuvres faciles d’accès, à un tarif raisonnable, en compagnie de sa femme et de ses enfants ? Est-il en contact avec un comité d’entreprise ou une antenne entreprise de l’opéra de sa région qui va faciliter sa démarche vers un type de spectacle qu’il ne connaît pas ? Où trouve-t-il l’information nécessaire pour se faire une opinion et se décider d’y inviter son(sa) conjoint(e). Il ne reçoit pas la brochure de l’opéra ; il ne lit pas de revue culturelle, peu ou pas du tout la presse régionale. Il fréquente rarement le centre ville, il travaille et vit plutôt en périphérie de la ville, où il organise ses loisirs et ses sorties dans le centre commercial. A-t-il vraiment une occasion de rencontrer un message de l’opéra qui susciterait sa curiosité ? Non. L’enquête montre qu’en 2001, les néophytes âgés de 35 et plus représentent moins de 5% des spectateurs de ces classes d’âge.

La question du renouvellement du public ne concerne donc pas les seules catégories des jeunes spectateurs potentiels, d’autant plus que des dispositifs ont été mis en place dans la plupart des maisons d’opéras pour leur faciliter l’accès dans les années 90. L’effort devra se porter vers d’autres catégories de spectateurs potentiels actifs des classes d’âge intermédiaires.

[modifier] Bibliographie

  • Les jeunes et l'opéra
  • Le développement des actions en direction de la jeunesse dans les théâtres lyriques de France de 1980 à 2000, Sylvie Saint-Cyr - Préface de Laurent Henart
  • Vers une démocratisation de l'opéra, Sylvie Saint-Cyr - Préface de Robert Abirached, L'Harmattan 2005 (en ligne)
  • Opéra Nouveaux publics, Nouvelles pratiques, Gérard Doublet, 2003 DIFPOP