Philosophie africaine

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L'expression peut sembler problématique. D'un côté, l'expression désigne l'ethnophilosophie de l'Afrique: exposition et analyse de la sagesse ou mieux encore de sagesses africaines.

La problématique de l'ethnophilosophie africaine a vu le jour avec la publication en Janvier 1945 de « La philosophie bantou[1]» par Placide Frans Tempels (1906/1977). Cet ouvrage retentissant correspondait à son époque, à une réhabilitation des valeurs nègres fort ambigüe. Ironiquement, Tempels n'etait pas un philosophe. Et il n'était pas africain. C'était un moine franciscain belge et missionnaire au Congo.

Les idées de Tempels représentaient un progrès en substituant à la notion de "nègre sans culture" définie par Hegel dans ses Leçons sur la philosophie de l'histoire, la notion de "culture nègre". Mais tandis que chez Hegel, l'inertie des peuples noirs est irrémédiable parce qu'ils n'ont pas de culture, pour Tempels, cette inertie est culturelle. Selon Tempels, le dépassement de cette inertie est clair : « La civilisation bantoue sera chrétienne ou ne sera pas ». A la suite de Tempels, Alexis Kagame, philosophe rwandais (1912/1981), a publié, dans la même perspective d'évangélisation La philosophie bantu-rwandaise de l'Etre (1956) et La philosophie bantu comparée.

D'un autre côté, l'ironie de l'histoire a voulu que ce soient des philosophes africains contemporains (Hountondji, Boulaga) qui ont entamé la critique la plus radicale des thèses de Tempels sur la "philosophie bantou". D'autres critiques des thèses de Tempels se trouvent dans les oeuvres de Aimé Césaire, Frantz Fanon, et Emmanuel Chukwudi Eze.

Paulin J. Hountondji, philosophe d'origine béninois né en 1942, récuse fermement l'attitude qui consiste à appeler "philosophie" la vision du monde d'un peuple donné. Il propose l'usage discriminatif suivant :

" - Philosophie proprement dite (sans guillemets) : ensemble de textes et de discours explicites, littérature d'intention philosophique.

" - "Philosophie" au sens impropre, souligné ici par les guillemets : vision du monde collective et hypothétique d'un peuple donné.

" - Ethnophilosophie : recherche qui repose, en tout ou partie, sur l'hypothèse d'une telle vision du monde, essai de reconstruction d'une "philosophie" collective supposée".

Marcien Towa, philosophe camerounais né vers 1935 a pourfendu les thèses de Léopold Sédar Senghor sur la négritude qu'il assimile au néo-colonialisme. Dans « L'essai sur la problématique philosophique de l'Afrique », (1971), il dénonce l'éthnophilosophie qui assimile la philosophie à n'importe quelle vison du monde. Mais dans « L'idée d'une philosophie africaine » (1979), après avoir critiqué la pensée mythique, domaine de l'opinion reçue, il tente en s'appuyant sur les exemples empruntés à l'Égypte et aux contes de l'Afrique noire, de montrer qu'il y a une véritable tradition philosophique africaine.

La philosophie africaine de la période pharaonique est surtout étudiée et systématisée par le philosophe congolais Mubabinge Bilolo. Bilolo qui est égyptologue, politologue et historien de la philosophie africaine pré-tempelsienne ne se limite pas à la problématique de l'existence de la philosophie africaine antique, mais il en présente les différentes écoles et les différents thèmes abordés: création-devenir, la pensée de l'Un, le passage de l'Un aux multiples, théologie négative, éthique écologique, épistémologie, etc.

Dans l'Afrique anglophone, la tradition philosophique africaine moderne se compose des oeuvres de philosophes comme Anton Wilhelm Amo, Kwasi Wiredu, Kwame Gyekye, et Peter Bodunrin. La tradition philosophique postmoderne en Afrique est soutenue par les ouvrages d' Anthony Appiah, Achille Mbembe et V.Y. Mudimbe. Les autres, comme Emmanuel Chukwudi Eze, pratiquent la philosophie africaine postcoloniale.

Plus au Sud, le concept d'ubuntu, revitalisé par le Nobel de la paix d'Afrique du Sud, Mgr Desmond Tutu a permis de conceptualiser la réconciliation comme fondatrice de la démocratie, ainsi que le signale Edwy Plenel dans son compte-rendu de travaux de philosophie publiés sous le titre d' Amnistier l'apartheid et Vérité, réconciliation, réparation. Le concept ouvre sur un débat dont la revue Quest. African Journal of Philosophy se fait le forum.

[modifier] Bibliographie

  • Mubabinge Bilolo, Contribution à l’histoire de la reconnaissance de Philosophie en Afrique Noire Traditionnelle, (1978: Kinshasa, Facultés Catholiques de Kinshasa, Licence en Philosophie et Religions Africaines)
  • Mubabinge Bilolo, Les cosmo-théologies philosophiques de l'Égypte Antique. Problématiques, Prémisses herméneutiques et problèmes majeurs" [ Academy of Afrian Thought, Sect. I, vol. 1],(1986: Kinshasa-Munich-Libreville, African University Studies)
  • Paulin J. Hountondji, African Philosophy: Myth and Reality (1983: Bloomington, Indiana University Press)
  • H. Odera Oruka [ed.], Sage Philosophy [Volume 4 in Philosophy of History and Culture] (1990: E.J. Brill) ISBN 90-04-09283-8, ISSN 0922-6001
  • Placide Tempels, La philosophie bantoue, Elisabethville, 1945.
  • Kwasi Wiredu, Philosophy and an African, (1980: Cambridge University Press)
  • Amnistier l'apartheid, travaux de la Commission Vérité et Réconciliation sous la présidence de D Tutu, ouvrage sous la direction de Philippe-Joseph Salazar, Paris, Seuil, L'Ordre Philosophique, 2004.
  • Vérité, réconciliation, réparation sous la dir. de Barbara Cassin,Olivier Cayla et Philippe-Joseph Salazar, Le Genre Humain, 43, 2004.
  • Truth in Politics, special issue of Quest. An African Journal of Philosophy/Une Revue Africaine de Philosophie, XVI (1-2), 2002, 274 p. ISSN 1011-226X.


Voir aussi :