Philip Agee

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Philip Burnett Franklin Agee (19 juillet 19357 janvier 2008) était un agent de la Central Intelligence Agency (CIA) et écrivain, connu principalement en tant qu'auteur du livre Journal d'un agent secret[1] (en anglais : Inside the Company: CIA Diary), publié en 1975 et relatant son expérience au sein de la CIA. Agee intégra la CIA en 1957. Il fut en poste successivement à Washington, D.C., en Équateur, en Uruguay et au Mexique. Après avoir démissionné de l'agence en 1968, il devint un opposant militant contre les pratiques de la CIA.[2],[3][4] Il est mort à Cuba le 7 janvier 2008.[5]

Sommaire

[modifier] Jeunesse

Agee est né à Tacoma Park (Maryland). Il est diplomé de l'Université Notre Dame en 1956.[6]

[modifier] Départ de la CIA

Agee affirma que sa conscience sociale catholique lui avait rendu de plus en plus désagréable son travail vers la fin des années 60, conduisant à sa désillusion vis-à-vis de la CIA et à sa défense de certains régimes autoritaires en Amérique latine. Lui et d'autres dissidents reçurent un soutien de la part de la Commission Church en 1975-1976, qui jeta un éclairage critique sur le rôle de la CIA dans divers assassinats, affaires d'espionnages et autres activités illégales.

Agee dénonce le massacre de Tlatelolco, perpétré en 1968 à Mexico, comme l'événement décisif l'ayant conduit à décider de quitter la CIA. Par ailleurs, il affirme[1] que la CIA était ravie de son travail, qu'elle lui avait proposé une promotion et que son supérieur fut surpris quand il lui annonça son projet de démission. Le journaliste et « chasseur au long cours d'agents communistes » John Barron affirme, quant à lui, qu'on l'a forcé à démissionner pour diverses raisons, notamment son penchant pour la boisson, ses privautés répétées envers des femmes d'ambassadeurs ainsi que ses problèmes financiers récurrents.[7]

[modifier] Accusations de liens avec le KGB

Oleg Kalugin, ancien directeur du département de contre-espionnage du KGB, affirme qu'en 1973, Agee entra en contact avec l'espion du KGB en poste à Mexico et lui proposa de lui dévoiler une mine d'informations. Mais le KGB , suspicieux, déclina son offre.[8] Il écrit : « Agee partit alors pour Cuba, qui l'accueillit à bras ouverts...Les Cubains partagèrent les informations d'Agee avec nous. Mais tandis que, assis dans mon bureau à Moscou, je lisais le flot sans fin des révélations d'Agee, je maudis nos agents d'avoir laissé filer une telle source. »[8] Pendant que Philip Agee écrivait son livre Journal d'un agent secret, le KGB aurait été en contact avec lui par l'intermédiaire d'un correspondant de l'agence de presse Novosti à Londres, Edgar Anatolievitch Tcheporov.[9]

[modifier] Publication du Journal d'un agent secret

À cause de problèmes légaux aux États-Unis en 1975, Journal d'un agent secret fut d'abord publié en Grande-Bretagne, au moment où Agee vivait à Londres. Il finit finalement par être publié internationalement, dans 27 langues. Le magazine Playboy (août 1975) publia des extraits de ce livre dans un article intitulé Ce que vous ne savez pas sur la CIA ! L'ancien agent Philip Agee révèle tout (en anglais : What You Still Don't Know About The CIA! Ex-Company Man Philip Agee Tells All).

Agee reconnu que les encouragements des représentants du parti communiste de Cuba furent bénéfiques, alors qu'il doutait être capable de trouver les informations supplémentaires qui lui manquaient.[1]

Le journal The London Evening décrivit le livre comme « un effrayant tableau de corruption, pressions, assassinats et complots ». Le journal The Economist le qualifia de « livre incontournable ». Miles Copeland, un ancien directeur du service de la CIA au Caire, déclara que ce livre était « une description parfaite du travail d'un espion, destinée à être publié partout »[10], ainsi qu'une « description authentique de la manière dont un agent britannique ou américain opère, tout cela présenté avec une précision extrême »[11].

Aux États-Unis, le chef de la division Hémisphere occidental de la CIA, Ted Shackley, fut chargé d'empêcher la publication de ce livre, qui fut cependant publié six mois plus tard et devint très rapidement un best-seller.[9]

[modifier] Le Journal d'un agent secret

Le Journal d'un agent secret révèle les noms de 250 officiers et agents de la CIA.[2]

La première mission d'Agee hors du territoire américain eut lieu en 1960 en Équateur, et consistait à provoquer une rupture des relations diplomatiques entre l'Équateur et Cuba, quelles que pussent en être les conséquences sur la stabilité de l'Équateur, et ceci en recourant à la corruption, l'intimidation, les écoutes téléphoniques et la fabrication de faux. Agee passa quatre ans à infiltrer les politiciens équatoriens, et affirma que son action avait subvertit et détruit le système politique du pays.[4]

Agee aida à mettre sur écoute les chambres des codes des représentations des Émirats Arabes Unis à Montevideo en Uruguay, grâce à deux microphones collés au plafond de la pièce située au-dessous.[4] Agee rapporte que le 12 décembre 1965, lors d'une rencontre avec un officier de police urugayen au commissariat de police central de Montevideo, il réalisa que les cris qui provenait d'une cellule voisine était ceux d'un Urugayen qu'il avait signalé à la police comme étant une personne à surveiller. L'officier aurait alors simplement augmenté le volume d'une radio diffusant un match de football, afin de couvrir les cris.[4]

Agee participa également aux opérations de la CIA pendant les Jeux Olympiques de Mexico de 1968. Il partit ensuite pour Cuba pour quelques investigations entre mai 1971 et mai 1972, puis commença à travailler pour la CIA à Paris.[4][12]

Selon Philip, les présidents José Figueres Ferrer (Costa Rica), Luis Echeverría Álvarez (Mexique) et Alfonso López Michelsen (Colombie) auraient été des collaborateurs de la CIA.[12]

[modifier] Expulsion

Agee acquis une certaine célébrité au Royaume-Uni après la publication de son Journal d'un agent secret, où les noms de nombreux agents de la CIA en poste à Londres étaient révélés.[9] Après plusieurs plaintes du gouvernement américain ainsi qu'un rapport du MI6 rendant les révélations d'Agee responsables de l'exécution de deux agents du MI6 en Pologne, une expulsion du Royaume-Uni fut prononcée à l'encontre de ce dernier. Bien qu'il se défendit, avec le soutien de nombreux journalistes ou citoyens de gauche, il finit par quitter le pays le 3 juin 1977 pour les Pays-Bas.[13] Il fut ensuite également expulsé des Pays-Bas, puis successivement de la France, de l'Allemagne et de l'Italie.

Le 12 janvier 1975, Agee témoigna devant le Tribunal Russell à Bruxelles avoir personnellement procédé à une vérification des noms des employés vénézuéliens d'une succursale d'Exxon. Exxon laissait la CIA intervenir dans la gestion du personnel, et continuerait à le faire aujourd'hui. Agee explique que la CIA procédait ainsi pour les succursales de grandes compagnies américaines à travers toute l'Amérique latine. Un représentant d'Exxon a réfuté ces accusations.[11]

En 1978, Agee et un petit groupe de ses soutiens commenèrent à publier le bulletin d'information Covert Action Information Bulletin, qui promouvait une campagne internationale pour déstabiliser la CIA en dévoilant ses opérations et l'identité de ses agents. Mitrokhin affirme que ce bulletin fut aidé par les services soviétiques et cubains.[13] L'édition de janvier 1979 de ce bulletin publia le FM 30-31B forgery, un supplément au manuel d'instruction des soldats de l'US Army destiné notamment à enseigner les moyens de fomenter des troubles dans un pays étranger.[14]

En 1978 et 1979, Agee a publié deux livres révélant les noms de 2000 agents de la CIA (Dirty Work: The CIA in Western Europe et Dirty Work: The CIA in Africa). Agee a confié au journaliste suisse Peter Studer que "la CIA était entièrement engagé du mauvais côté, c'est-à-dire du côté du capitalisme. J'approuve les activités du KGB et des communistes en général. Entre l'activisme surdéveloppé de la CIA et celui, modeste, du KGB, il n'y a absolument aucune comparaison."[15],[16]

Philip Agee fut déchu de sa nationalité américaine en 1979.[17][18] EN 1980, le gouvernement de Maurice Bishop accorda la citoyenneté grenadienne à Agee, qui s'installa sur l'île. La contre-révolution le força ensuite à s'exiler de nouveau. Il reçut un passeport du gouvernement sandiniste du Nicaragua. Après un changement de gouvernement, ce passeport fut aussi annulé, en 1990. Il reçu alors un passeport allemand — la nationalité de sa femme, la danseuse de ballet Giselle Roberge. Il vécu par la suite à Cuba. Plus tard, Agee fut réadmis sur les territoires américain et britanniques.[19] La description de son odysée fut publiée par Agee lui-même en 1987, dans son autobiographie (titre anglais : On the Run).

[modifier] Intelligence Identities Protection Act

En 1982, le congrès des États-Unis adopta le décret Intelligence Identities Protection Act, qui semblait directement viser les activités d'Agee. Cette loi fut par la suite également utilisée lors du scandale Valerie Plame, lorsque des officiels du gouvernement de George W. Bush livrèrent aux médias le nom d'un agent de la CIA, comme mesure de rétorsion envers son mari.

[modifier] Dernières activités

Depuis 2000 et jusqu'à sa mort, Agee tint un site Web à La Havane, Cubalinda.com[20][21], qui organisait des séjours touristiques à Cuba en jouant sur les failles de la loi américaine qui interdisait aux citoyens américains de dépenser de l'argent sur le territoire cubain (Trading with the Enemy Act). Dans les années 1980, le fondateur de l'organisation NameBase, Daniel Brandt, enseigna à Agee comment utiliser les ordinateurs et les bases de données pour ses recherches.[22] Selon une biographie publiée en même temps qu'un essai d'Agee en mars 2007 dans le magazine américain Counterpunch, Agee a vécu depuis 1978 avec sa femme en Allemagne, à Hambourg, voyageant fréquemment à Cuba et en Amérique latine.

Le 16 décembre 2007, Agee a été admis dans un hôpital de la Havane, et une opération chirurchicale fut tentée pour le sauver d'un ulcère perforé. Il est mort le 7 janvier et a été incinéré.

[modifier] Bibliographie

  • Agee, Philip (1975). Inside the Company: CIA Diary. Penguin. ISBN 0-14-004007-2. Traduction française (1976) : Le journal d'un agent secret. Seuil. ISBN 2020043203
  • Agee, Philip; Louis Wolf (Editor) (1978). Dirty Work: The CIA in Western Europe. Lyle Stuart. ISBN 0-88029-132-X.
  • Agee, Philip; Louis Wolf (Editor) (January 1979). Dirty Work 2: The CIA in Africa. Lyle Stuart. ISBN 0-81840-294-6.
  • Agee, Philip (June 1987). On the Run. L. Stuart. ISBN 0-8184-0419-1.
  • Agee, Philip (1982). White Paper Whitewash. Deep Cover Books. ISBN 0-940380-00-5.

[modifier] References

  1. abc p. 551—552
  2. ab Andrew, Christopher; Vasili Mitrokhin (2000). The Sword and the Shield: The Mitrokhin Archive and the Secret History of the KGB. Basic Books. ISBN 0-465-00312-5.  p. 230
  3. Agee, Philip (1975). Inside The Company: CIA Diary. Penguin Books. ISBN 0-14-004007-2. 
  4. abcde Jonathan Kapstein, « Philip Agee: The spy who came in and told; Inside the Company: CIA Diary », dans Business Week, p. 12 [texte intégral]
  5. Philip Agee, l’insider qui fit trembler la CIA, est mort, 2008
  6. « The Spooks who Rush Into Print », dans Newsweek, p. 28 [texte intégral]
  7. Barron, John (1983). KGB Today: The Hidden Hand. Readers Digest Assn. ISBN 0-88349-164-8.  pg. 227-230
  8. ab Andrew p. 230, citant Kalugin, Oleg (1995). Spymaster: The Highest-ranking KGB Officer Ever to Break His Silence. Blake Publishing Ltd. ISBN 1-85685-101-X. . p. 191-192, Andrew écrit : « Les fichiers du KGB vus par Mitrokhin décrivait Agee comme un agent de Cuba et donnait des détails sur sa collaboration avec le KGB, mais il n'était pas considéré comme un agent du KGB ou des services cubains ». vol. 6, ch. 14, parts 1,2,3; vol. 6, app. 1, part 22.
  9. abc Andrew, p. 231
  10. Andrew, p. 231 citant Agee, Philip (June 1987). On the Run. L. Stuart. ISBN 0-8184-0419-1.  p. 111-112, 120-121.
  11. ab « Book details CIA activities », dans Facts on File World News Digest, p. 37 B3 [texte intégral]
  12. ab « Secret agent; Inside the Company: CIA Diary. By Philip Agee. Penguin. 640 pages. 95p. », dans The Economist, p. 87
  13. ab Andrew, p. 232-233.
  14. CovertAction, Number 3, January 1979.
  15. David Horowitz, « The Politics of Public Television », dans Commentary Magazine, 92 [texte intégral]
  16. William E. Simon. You can't trust the news, The Saturday Evening Post, December 1980.
  17. Andrew, p. 231, affirme de manière erroné que ceci eut lieu en 1981.
  18. « U.S. Revokes Agee Passport », dans Facts on File World News Digest, p. 991 C2
  19. Duncan Campbell. The spy who stayed out in the cold, The Guardian, 2007-01-10. Consultée le 2007-03-10.
  20. Cuba Travel Agency, cubalinda.com. Consulté le 2006-07-30
  21. Spy's Tourist Agency, cvni.net. Consulté le 2006-07-30
  22. Hand, Mark (January 3 2003). "Searching for Daniel Brandt". CounterPunch