Discuter:Malcolm Lowry

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Je suis en train de relire Sous le Volcan, pour la cinquième ou sixième fois. Cette fois-ci dans l’édition que Grasset a publiée. Je l’avais d’abord lu dans la traduction que Nadeau proposait chez Buchet Chastel, avec un autre titre, Au-dessous du Volcan, qu'on trouve encore peut-être en folio, et qui m’a toujours paru plus poétique, plus belle mais… moins claire ! … Et un peu de clarté, ce n’est pas mal venu dans ce brouillard infernal, au milieu des nuées fumeuses (évidemment !), de cette brume de cendres et de vapeurs éthyliques que déverse généreusement sur ses lecteurs la prose volcanique (évidemment !) et étouffante de Lowry. Oui ! Avec Lowry, on étouffe. On manque d’air. Tout est saturé. Pas d’interstices, de failles par lesquels notre imagination pourrait s’échapper, nous distraire un peu de cet univers où la moindre cigarette, celle par exemple que fume et que gravement considère, Hugh, tout en se baladant à cheval sur les flancs paradisiaques du Popocatépetl, en compagnie d’Yvonne, cet univers donc, où la moindre cigarette semble vouloir se consumer à l’image de cette stupide humanité  ! Ici tout est signe, symbole, avertissement. Voyez, encore Hugh qui s’adresse cavalièrement à Yvonne lors du passage d’un guet… - Votre cheval ne veut pas boire, ne tirez pas sur vos rênes, il veut juste se contempler dans le fleuve… Et elle, énervée, de répondre qu’elle sait, …Oui elle sait, mais elle tire quand même. Ah ! C’est bien les femmes, surtout les « stars » de cinéma, elles savent ! Elles savent, mais elles tirent quand même. Pauvre consul, pobrecito caballero, qui ne cherche pas tant à boire qu’à se découvrir enfin dans le miroir magique et fluide de son mescal… - Oh ! Miroir, mon beau miroir, suis-je vraiment le plus seul, le plus misérable, le plus définitivement maudit ? Suis-je bien le prince des damés ? …Oui, cher consul, c’est toi le plus beau… les chants les plus désespérés, n’est-ce pas ? Mais, non, Jeff, pardon, je veux dire Geoffroy, t’es pas tout seul ! Vois comme elle se démène, comme elle tire sur ta longe. Vois comme elle essaye de t’extirper de ce trou, de te sortir de cet enfer. Vois comme pour toi, et pour elle, vois comme elle se débat. Ta Mathilde… zut, bien sûr, c’est l’alcool ! … Ton Yvonne t’est revenue. Tout est signe, symbole, avertissement. Même, l’inoffensive pancarte interdisant de marcher sur les pelouses de ce jardin public, figure de l’Eden cela va soit, est une menace d’exclusion, un avis mortel à la population consulesque. -«  Il vous plaît ce jardin ? C’était le vôtre ! Vos enfantillages vous en ont exclu ! » Tout est saturé, pas de faille, pas d’interstice, notre lecture est totalement prisonnière d’un texte compact, fermé. Ah ! On est loin justement, de « l’œuvre ouverte » de l’autre Echo (j’ai pas pu m’en empêcher !) et de l’indéterminé comme catégorie du savoir. On est loin des jeux gratuits, grotesques, et savants d’Oulipo. On est loin du Zen approximatif de Delerme. Ici foin de petite gorgée… on boit au goulot goulûment. L’interactivité, l’œuvre créée de conserve, entre un lecteur créateur tout puissant et un auteur qui poliment s’efface, c’est pas la tasse de thé (beurk !) de Lowry. Pas de blanc qu’il faudrait que nous remplissions à sa place. Lowry généreusement donne tout. Le créateur c’est lui. Il nous faut seulement le suivre… Ce n’est pas d’abord notre imagination rêveuse qui est ici requise, mais notre attention soutenue… Si possible notre intelligence. L’auteur a même le culot d’insister pour qu’on le relise si d’aventure quelques passages paraissent obscurs. Voir la lettre qu’il fait parvenir à son éditeur où il explique la construction de son livre, et démontre qu’il a raison. Il a raison ! Donc je relis Sous le volcan ! Quelques passages ont dû me sembler obscurs. Je vais tenter de suivre encore le consul. C’est un bon marcheur, on dirait que l’ivresse le porte. J’ai peur de n’être pas à sa hauteur. De n’être qu’un très petit buveur. Et puis j’appréhende le chemin, je sens qu’il va être chaotique. J’ai peur aussi que le consul ne fasse le mauvais choix et comme à plaisir ne s’égare sur la route de Parian. Et toutes ces stations dans les cantinas, on dirait qu’il a du mal à grimper son Golgotha. Il a deviné depuis longtemps qu’il va mourir. Mais quelle originelle culpabilité a pu conduire à de tels excès… Ah, je sens que je vais jeter l’éponge (sans vinaigre !) et avant que le coq n’ait pu chanter trois pages j’aurais laissé le consul à sa solitude par trop contagieuse. Et puis je lui en veux par avance, je sais que dans un élan de bonté irréfléchie, il va libérer cette cavale imbécile, affolée, qui tuera Yvonne dans un éclair. Oui il mérite son sort, ce pauvre ivrogne prétentieux, dont on lance maintenant le cadavre dans le fossé, comme on ferait d’un chien, et qui ne saura même pas que son amour meurt, certes loin de lui, mais par sa main et dans le même temps. Oui! Au moment même où on le tue et balance dans le ravin, en dessous du volcan, sans autre forme de procès, la star, elle, est aspirée vers le ciel, vers les Pléiades, qui à peine se lèvent à l'horizon. Assomption d'une huitième étoile. Je lui en veux, je ne le plains pas… comment peut-on pardonner le meurtre d’Yvonne. Car moi je l’aime cette femme, moi je l’aurais sauvée. Je nous aurais sauvés. No se puede vivir sin amor. F.L

[modifier] ...suite et fin!

Bon, voilà, c’est fait. Comme prévu, le consul a atteint son but. On vient de proprement l’assassiner, de jeter son cadavre dans le fossé, au flanc du volcan, et pour faire bonne mesure, on a lancé derrière lui, la carcasse du chien paria qui depuis l’aube le suivait comme son ombre, misérable ange gardien, néanmoins solidaire. Juste avant de mourir, le consul a croisé le regard désolé, plein de pitié, d’un vieillard. Cette pitié lui est d’abord, bien sûr, adressée, mais certainement aussi à tous les acteurs, du drame qui se déroule sous les yeux du vieil homme, assassin compris ! Car, n’est-ce pas, c’est pitié de constater la violence obligée, insane, stupide des hommes… Tout ce mal que l’humanité s’inflige à elle-même. Malédiction. Le gusta este jardin… Ah ! De cet Eden nous sommes bien définitivement bannis. Mais ce regard aperçu au dernier moment, c’est aussi la clé de l’énigme que tente de déchiffrer le consul depuis toujours… Qui suis-je ? Qui suis-je ? Qui suis-je ? … Ce regard, c’est évidemment celui de l’Humanité, blessée, souffrante, impuissante, mais compatissante, mais fraternelle. C’est grâce à cet ultime échange, en contemplant ce vieux visage, que le consul enfin sait qui il est. Dernière pensée étonnée du consul… «  j’étais donc un homme ! » On croirait lire une illustration des thèses de Levinas a propos du visage d’autrui. Malcolm Lowry, qui nous a baladé en enfer pendant quatre cents pages, explique à son éditeur qu’il faut voir dans cette ultime découverte de soi une note d’espoir… Quel salaud ! Entre parenthèse, savez-vous à quoi l’on reconnaît que l’on vient de lire, vraiment, un chef d’œuvre ? A ce que tout ce que vous entreprenez de lire pendant des semaines vous tombe des mains, à la déprime qui s’en suit. F.L.