L'Après-midi d'un faune

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Frontispice pour l'Après-midi d'un faune par Édouard Manet.
Frontispice pour l'Après-midi d'un faune par Édouard Manet.

L'Après-midi d'un faune est un poème en cent dix alexandrins du poète français Stéphane Mallarmé, publié en 1876, avec des illustrations d'Édouard Manet. Il s'agit du monologue d'un faune qui évoque les nymphes et la nature qui l'entoure, dans une succession d'images poétiques.

Le poème fit l'objet d'une mise en musique par Claude Debussy qui composa le Prélude à l'après-midi d'un faune, sur lequel Vaslav Nijinski créa une chorégraphie en 1912.

L'Eglogue

LE FAUNE.


Ces nymphes, je les veux perpétuer.

Si clair, Leur incarnat léger, qu’il voltige dans l’air Assoupi de sommeils touffus. Aimai-je un rêve ?

Mon doute, amas de nuit ancienne, s’achève En maint rameau subtil, qui, demeuré les vrais Bois mêmes, prouve, hélas ! que bien seul je m’offrais Pour triomphe la faute idéale de roses —

Réfléchissons…

ou si les femmes dont tu gloses Figurent un souhait de tes sens fabuleux ! Faune, l’illusion s’échappe des yeux bleus Et froids, comme une source en pleurs, de la plus chaste : Mais l’autre, tout soupirs, dis-tu qu’elle contraste Comme brise du jour chaude dans ta toison ? Que non ! par l’immobile et lasse pamoison Suffoquant de chaleurs le matin frais s’il lutte, Ne murmure point d’eau que ne verse ma flûte Au bosquet arrosé d’accords ; et le seul vent Hors des deux tuyaux prompt à s’exhaler avant Qu’il disperse le son dans une pluie aride, C’est, à l’horizon pas remué d’une ride, Le visible et serein souffle artificiel De l’inspiration, qui regagne le ciel.

Ô bords siciliens d’un calme marécage Qu’à l’envi des soleils ma vanité saccage, Tacites sous les fleurs d’étincelles, CONTEZ « Que je coupais ici les creux roseaux domptés Par le talent ; quand, sur l’or glauque de lointaines Verdures dédiant leur vigne à des fontaines, Ondoie une blancheur animale au repos : Et qu’au prélude lent où naissent les pipeaux, Ce vol de cygnes, non ! de naïades se sauve Ou plonge… »

Inerte, tout brûle dans l’heure fauve Sans marquer par quel art ensemble détala Trop d’hymen souhaité de qui cherche le la : Alors m’éveillerais-je à la ferveur première, Droit et seul, sous un flot antique de lumière, Lys ! et l’un de vous tous pour l’ingénuité.


Autre que ce doux rien par leur lèvre ébruité, Le baiser, qui tout bas des perfides assure, Mon sein, vierge de preuve, atteste une morsure Mystérieuse, due à quelque auguste dent ; Mais, bast ! arcane tel élut pour confident Le jonc vaste et jumeau dont sous l’azur on joue : Qui, détournant à soi le trouble de la joue, Rêve, en un long solo, que nous amusions La beauté d’alentour par des confusions Fausses entre elle-même et notre chant crédule ; Et de faire aussi haut que l’amour se module Évanouir du songe ordinaire de dos Ou de flanc pur suivis avec mes regards clos, Une sonore, vaine et monotone ligne.

Tâche donc, instrument des fuites, ô maligne Syrinx, de refleurir aux lacs où tu m’attends ! Moi, de ma rumeur fier, je vais parler longtemps Des déesses ; et par d’idolâtres peintures, À leur ombre enlever encore ces ceintures : Ainsi, quand des raisins j’ai sucé la clarté, Pour bannir un regret par ma feinte écarté, Rieur, j’élève au ciel d’été la grappe vide Et, soufflant dans ses peaux lumineuses, avide D’ivresse, jusqu’au soir je regarde au travers.

Ô nymphes, regonflons des SOUVENIRS divers. « Mon œil, trouant les joncs, dardait chaque encolure Immortelle, qui noie en l’onde sa brûlure Avec un cri de rage au ciel de la forêt ; Et le splendide bain de cheveux disparaît Dans les clartés et les frissons, ô pierreries ! J’accours ; quand, à mes pieds, s’entrejoignent (meurtries De la langueur goûtée à ce mal d’être deux) Des dormeuses parmi leurs seuls bras hasardeux ; Je les ravis, sans les désenlacer, et vole À ce massif, haï par l’ombrage frivole, Des roses tarissant tout parfum au soleil, Où notre ébat au jour consumé soit pareil. »

Je t’adore, courroux des vierges, ô délice Farouche du sacré fardeau nu qui se glisse Pour fuir ma lèvre en feu buvant, comme un éclair Tressaille ! la frayeur secrète de la chair : Des pieds de l’inhumaine au cœur de la timide Que délaisse à la fois une innocence, humide De larmes folles ou de moins tristes vapeurs.

« Mon crime, c’est d’avoir, gai de vaincre ces peurs Traîtresses, divisé la touffe échevelée De baisers que les dieux gardaient si bien mêlée ; Car, à peine j’allais cacher un rire ardent Sous les replis heureux d’une seule (gardant Par un doigt simple, afin que sa candeur de plume Se teignît à l’émoi de sa soeur qui s’allume, La petite naïve et ne rougissant pas :) Que de mes bras, défaits par de vagues trépas, Cette proie, à jamais ingrate se délivre Sans pitié du sanglot dont j’étais encore ivre. »

Tant pis ! vers le bonheur d’autres m’entraîneront Par leur tresse nouée aux cornes de mon front : Tu sais, ma passion, que, pourpre et déjà mûre, Chaque grenade éclate et d’abeilles murmure ; Et notre sang, épris de qui le va saisir, Coule pour tout l’essaim éternel du désir. À l’heure où ce bois d’or et de cendres se teinte Une fête s’exalte en la feuillée éteinte : Etna ! c’est parmi toi visité de Vénus Sur ta lave posant tes talons ingénus, Quand tonne un somme triste ou s’épuise la flamme. Je tiens la reine !

Ô sûr châtiment… Non, mais l’âme De paroles vacante et ce corps alourdi Tard succombent au fier silence de midi : Sans plus il faut dormir en l’oubli du blasphème, Sur le sable altéré gisant et comme j’aime Ouvrir ma bouche à l’astre efficace des vins !

Couple, adieu ; je vais voir l’ombre que tu devins


[modifier] Lien externe

Le texte et des documents sur le site mallarme.net