Joaquim Pedro de Andrade

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[modifier] Biographie

Joaquim Pedro de Andrade, fils de Rodrigo Melo Franco de Andrade, fondateur de l’Institut du patrimoine historique et artistique national, et de Graciema Prates de Sá, naît le 25 mai 1932 à Rio de Janeiro, au Brésil, où il passe son enfance, ainsi que dans la région de Minas Gerais, côtoyant les plus grands intellectuels de l’époque. En 1950, il commence des études de physique à la Faculté nationale de philosophie de Rio, où il fréquente un ciné-club (le Centro de Estudos Cinematográficos) dirigé par Saulo Pereira de Melo et Mário Haroldo Martins. Il sera véritablement initié au cinéma par son professeur de mécanique analytique, Plínio Sussekind Rocha, fondateur du Chaplin Club. Durant cette période il écrit dans un journal universitaire et fait ses premières expériences cinématographiques en amateur. Parallèlement, il rencontre Sarah de Castro Barbosa, qui deviendra sa première épouse. Il fait l’acteur dans Les Thibault de Saulo Pereira de Melo et il est assistant-réalisateur sur le court métrage Caminhos de Paulo César Saraceni. Il abandonne définitivement la physique en 1957 pour se consacrer entièrement au cinéma. Il débute dans la réalisation avec les courts métrages O poeta do castelo et O mestre de Apipucos, financés par l’Institut national du livre brésilien. Les films montrent des instants de la vie intime de deux artistes âgés : le poète Manuel Bandeira, que de Andrade connaît depuis l’enfance, et le sociologue Gilberto Freyre. En 1960, il tourne le court métrage Peau de chat dans les rues de Rio avec des comédiens amateurs. En 1963, il réalise son premier long métrage, Garrincha, alegria do povo, documentaire sur un footballeur très populaire du moment, Manoel Francisco dos Santos. Puis, après avoir créé la société de production Filmes do Serro, il aborde la fiction avec Le Prêtre et la jeune femme en 1965. En 1969, il est emprisonné quelques jours par la dictature militaire au pouvoir au Brésil, puis débute le tournage de ce qui sera son plus grand succès critique, Macunaíma. En 1976, il se remarie avec l’actrice Cristina Aché, qu’il dirigera dans Guerre conjugale et Sentier tropical. Il est le père de l’actrice Maria Flor. Il meurt d’un cancer du poumon, le 10 septembre 1988, à 56 ans, au moment où il prépare l’adaptation du livre de Gilberto Freyre, Casa grande e senzala.

[modifier] Filmographie

Année Titre français Titre original Activité(s) Métrage Durée
1959 ' O poeta do castelo Réalisateur et scénariste (FD)
1959 ' O mestre de Apipucos Réalisateur et scénariste (FD)
1961 Peau de chat Couro de gato Réalisateur et scénariste (CM)
1963 Garrincha, héros du peuple Garrincha, alegria do povo Réalisateur et scénariste (FD)
1965 Le Prêtre et la jeune fille O padre e a moça Réalisateur et scénariste (LM)
1968 ' Brasilia, contradições de uma cidade Réalisateur et scénariste (LM)
1969 Macunaïma Macunaíma Réalisateur et scénariste (LM)
1970 Le Langage de la persuasion ' Réalisateur et scénariste (FD)
1972 Les Conspirateurs Os inconfidentes Réalisateur et scénariste (LM)
1975 Guerre conjugale Guerre conjugale Réalisateur et scénariste (LM)
1977 Sentier tropical Vereda tropical Réalisateur et scénariste (CM)
1978 O aleijadinho O aleijadinho Réalisateur et scénariste (FD)
1982 L’Homme du bois Brésil O homem do Pau-Brasil Réalisateur et scénariste (LM)

[modifier] Contexte historico-esthétique et analyse des films

On peut effectuer un parallèle entre la bossa nova et le Cinema Novo, nés au même endroit, Rio de Janeiro, quasiment au même moment, le milieu des années 50. La bossa nova est la synthèse du jazz cool américain et de la samba brésilienne. Le Cinema Novo, comme toutes les principales vagues cinématographiques d’après-guerre (y compris la française), s’inspire essentiellement du néo-réalisme italien. Ce mouvement artistique radical met fin au règne de la chanchada brésilienne, comédie musicale souvent bêtifiante. Les cinéastes vont tourner dans les rues des histoires de prolétaires souvent interprétées par des non professionnels. Le véritable précurseur du Cinema Novo sera Nelson Pereira dos Santos avec le film Rio, 40 graus, en 1955 ; une journée dans la vie de cinq habitants des favelas. A la suite de quoi, un groupe d’étudiants cinéphiles, s’engouffrant dans la brèche réaliste ouverte par dos Santos, se lance dans la réalisation au début des années 1960. Le chef de file officieux de ce mouvement informel, rebaptisé Cinema Novo par la presse, sera Glauber Rocha, le plus lyrique et politique des cinéastes sud-américains. Ses amis cinéastes, comme Carlos Diegues, Leon Hirszman, et Joaquim Pedro de Andrade collaborent aux films des uns et des autres. Mais comme tous les mouvements, le Cinema Novo reste une étiquette réductrice. De Andrade, qui a fait en 2007 l’objet d’une rétrospective et de l’édition intégrale de ses films (remarquablement restaurés) en DVD, est très difficilement réductible au Cinema Novo et comparable à Glauber Rocha. Le style des premiers courts métrages de de Andrade, des documentaires, reste assez académique. Mais le troisième, Peau de chat, rejoint les préoccupations esthético-sociales de dos Santos. Une incursion dans le néo-réalisme à la brésilienne qui sera de courte durée. Après un documentaire sur le football, où le cinéaste fait ses gammes de monteur, il aborde le long métrage avec Le Prêtre et la jeune femme, au thème gentiment progressiste (un prêtre tombe amoureux d’une jeune femme), qui sera finalement le seul film “novo” du cinéaste. Toujours fidèle au filmage graphique en noir et blanc, très classique, le cinéaste conjugue, selon Rocha, le rigorisme de Bresson et l’étrangeté de Buñuel. Un film moderne indéniablement, mais pas révolutionnaire. La véritable rupture se produira avec son deuxième film, Macunaïma, qui par la même occasion sort du mouvement novo, trop occidentalisé, pour en inaugurer un autre, plus durable et plus proche des racines primitives du Brésil, qui aura également son équivalent musical : le tropicalisme. Synchrone avec tous les soubresauts politico-moraux qui agitent le monde à l’époque, avec le Flower Power, le tropicalisme brésilien est une agit-prop carnavalesque qui jette à la face du régime fasciste en place depuis 1964 une explosion de couleur et de liberté. Le baroquisme sud américain, renoue avec la fantaisie débridée de la chanchada, mais sur un mode bien plus sauvage. Macunaïma, adaptation du roman précurseur du réalisme magique de Mario de Andrade, est un conte philosophique à la fois farcesque, truffé d’ellipses abruptes, de métamorphoses naïves, qui contient pratiquement tous les thèmes ultérieurs de l’œuvre de Pedro de Andrade : le sarcasme, l’érotisme et l’engagement politique. Le tout est exprimé sur un mode pop ultra-coloré et stylisé, synchrone avec le meilleur Godard ou William Klein de l’époque. Macunaima, candide noir né petit mais adulte d’une horrible mère archaïque, se transforme en beau jeune homme blanc qui va traverser la jungle des villes et des hommes comme dans un rêve sensuel et absurde – vivant au passage une aventure avec une pasionaria féministe qui mitraille à tout va. Sans clairement dénoncer une situation précise, car il travaillait sous un régime fasciste, Pedro de Andrade n’aura de cesse d’attaquer l’establishment par tous les bouts, même dans ses documentaires de commande, qu’il avait le don de détourner subtilement. Son troisième long métrage, Les Conspirateurs, illustration de fin de la vie d’un héros national, Tiradentes, martyr de l’indépendance brésilienne, était une manière de dénoncer la dictature sans s’attirer ses foudres. Quant à Guerre conjugale, qui entremêle trois histoires, le cinéaste y pousse le sensualisme dans ses retranchements pervers, en relatant sur un mode grinçant des cas de frustration sexuelles divers et variés ; cette satire hilarante du machisme montre ce qu’aurait pu être la comédie à l’italienne (Risi, Scola), si elle avait été un peu plus fine et profonde. Mais le sommet érotique du cinéaste sera un Sentier tropical, court métrage où de Andrade renoue en quelque sorte avec ses débuts semi-documentaires. D’une grande liberté documentaire, le film, tourné dans les rues parmi les passants, met en scène un jeune prof qui raconte à une jeune fille son obsession onaniste pour les pastèques. A la suite de quoi, ils vont au marché choisir des légumes avec lesquels ils s’apprêtent à tenter des expériences érotiques… On regrette que le cinéaste n’ait pas poursuivi sur ce mode naturaliste pour son dernier long métrage, L’Homme du bois Brésil, évocation libre et (trop) apprêtée à la fois, des expériences d’un groupe de poètes des années 30.