Hypothèse ergodique

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L'hypothèse ergodique fut formulée initialement par Boltzmann en 1871[1] pour les besoins de sa théorie cinétique des gaz, puis reprise par Maxwell[2] et, à sa suite, d'autres physiciens entre 1890 et 1910 pour tenter de justifier les fondements de la mécanique statistique alors naissante.

Le nom « hypothèse ergodique » ne fut introduit qu'en 1911 par les époux Ehrenfest dans leur célèbre article de revue sur les fondements de la physique statistique (cf. bibliographie). Il est construit à partir des termes grecs εργος, qui signifie « énergie », et οδος, pour « chemin ». Boltzmann utilisait pour sa part dès 1884 un mot voisin, « ergoden », mais il donnait à ce mot un sens assez différent[3].

En traitement du signal, l'hypothèse d'ergodicité consiste à admettre que l'évolution d'un signal aléatoire au cours du temps apporte la même information qu'un ensemble de réalisation. Elle est importante dans l'étude des chaînes de Markov, les processus stationnaires et pour l'apprentissage numérique.

Sommaire

[modifier] Rappels de mécanique hamiltonienne

Soit un système à N degrés de liberté décrits à l'instant t par :

  • les N coordonnées généralisées qi(t), (i = 1, \dots, N)
  • les N moments conjugués pj(t), (j = 1, \dots, N).

À chaque instant, les 2N coordonnées (qi(t),pj(t)) définissent un point x(t) dans l'espace des phases \Gamma = \mathbb{R}^{2N}.

[modifier] Flot hamiltonien

L'évolution dynamique du système selon les équations canoniques de Hamilton à partir d'une condition initiale  x_0 \ = \ (q^i_0,p_{j0}) engendre le flot hamiltonien \phi_t : \Gamma  \to \Gamma , c'est-à-dire le groupe continu à un paramètre tel que :

 x(t) \ = \ \phi_t(x_0)

La succession des positions x(t) dans l'espace des phases se traduit par une courbe continue, appelée orbite.

[modifier] Hypersurface d'énergie constante

Un système hamiltonien invariant par translation dans le temps satisfait toujours à la conservation de l'énergie :

 \forall \ t, \quad H(q^i(t),p_j(t)) \ = \ E

de telle sorte que sa dynamique est en fait toujours restreinte à une hypersurface S_E \subset \Gamma à 2N − 1 dimensions. On supposera dans la suite que le système hamiltonien considéré est invariant par translation dans le temps et qu'il ne possède pas d'autre constante du mouvement que l'énergie. [4]

[modifier] Les deux hypothèses ergodiques

On distingue aujourd'hui deux hypothèses ergodiques distinctes :

[modifier] Hypothèse ergodique (ergodicité forte)

Le point représentatif d'un système hamiltonien invariant par translation dans le temps passe au cours du temps par chaque point de l'hypersurface d'énergie constante.

[modifier] Hypothèse quasi-ergodique (ergodicité faible)

Le point représentatif d'un système hamiltonien invariant par translation dans le temps passe au cours du temps aussi près que l'on veut de chaque point de l'hypersurface d'énergie constante.

[modifier] Non-équivalence des deux hypothèses

Boltzmann et Maxwell utilisèrent dans leurs travaux les deux énoncés de façon indifférenciée[5]. La non-équivalence mathématique des deux hypothèses ergodiques précédentes n'a été reconnue explicitement qu'en 1910 par Paul Hertz[6].

[modifier] Le théorème « no-go » de Plancherel & Rosenthal (1912-1913)

Utilisant les progrès récents réalisés en mathématiques dans le cadre de la théorie des ensembles de Cantor d'une part, et de la théorie de la mesure de Lebesgue d'autre part, les deux mathématiciens Plancherel et Rosenthal ont démontré indépendamment le théorème suivant[7] :


Un flot hamiltonien ne peut pas être ergodique (au sens fort).


En revanche, il a été démontré depuis que certains systèmes pouvaient être ergodiques au sens faible ; cf. l'article théorie ergodique.

[modifier] Au fondement de la mécanique statistique ?

En dépit des importants progrès réalisés en théorie ergodique et en théorie du chaos, l'utilisation de l'hypothèse ergodique pour justifier l'utilisation de l'ensemble microcanonique en mécanique statistique reste à ce jour controversée [8].

[modifier] Articles liés

[modifier] Bilbiographie

  • Anouk Barberousse, La Mécanique Statistique - De Clausius à Gibbs, Collection Histoire des Sciences, Belin (2002), ISBN 2-7011-3073-5. On consultera le chapitre 4, § 3 : L'hypothèse ergodique : une histoire souterraine pp. 144-149.
  • Paul et Tatiana Ehrenfest, The Conceptual Foundations of the Statistical Approach in Mechanics, Dover, Inc. (1990), ISBN 0-486-66250-0. Réédition d'un article classique paru initialement en allemand en 1912. Niveau second cycle universitaire. Il en a existé une traduction française, réalisée par le mathématicien Émile Borel : Encyclopédie des Sciences Mathématiques 4(1.1) (1915) 188.
  • Stephen G. Brush, The Kind of Motion we call Heat - A History of the Kinetic Theories of Gases in the 19th Century (2 vols.), North-Holland (1976). Tome 2 : Statistical Physics and Irreversible Processes, ISBN 0-444-87009-1. Histoire érudite du développement de la théorie cinétique des gaz, par un professeur de Mécanique des Fluides de l'Université du Maryland (États-Unis). Niveau second cycle universitaire.
  • Gérard Emch et Chuang Liu, The logic of thermo-statistical physics, Springer-Verlag (2002), ISBN 3-540-41379-0
  • A.I. Khinchin, Mathematical Foundations of Statistical Mechanics, Dover (1949), ISBN 0-486-60147-1. Ouvrage classique sur les fondements de la physique statistique, notamment l'hypothèse ergodique. Niveau second cycle universitaire.
  • Carlo Cercignani, Ludwig Boltzmann - The man who Trusted Atoms, Oxford University Press (1998), ISBN 0-19-850154-4. Biographie scientifique du grand professeur Boltzmann, qui a porté la théorie cinétique des gaz à son acmée. Par un professeur de Physique Mathématique de l'Université de Milan (Italie), spécialiste de l'"équation de Boltzmann". Niveau plutôt second cycle universitaire.
  • Giovannni Gallavotti, Ergodicity, ensembles, irreversibility in Boltzmann and beyond, (1994). Texte complet disponible sur l'ArXiv : chao-dyn/9403004.

[modifier] Notes

  1. Ludwig Boltzmann ; K. Akademie der Wissenschaften (Wien) 63 (1871) 679.
  2. James Clerk Maxwell ; Transaction of the Cambridge Philosophical Society 12 (1879) 547.
  3. Ludwig Boltzmann ; K. Akademie der Wissenschaften (Wien) 90 (1884) 231. Pour plus de précisions sur ce point, on consultera le chapitre 10.10 du livre de Stephen G. Brush cité dans la bibliographie.
  4. Cette dernière hypothèse implique qu'il ne peut pas s'agir d'un système isolé. En effet, tout système isolé possède :
    • une quantité de mouvement totale constante
    • un moment cinétique total constant
    Ces deux constantes du mouvement vectorielles sont équivalentes à six constantes du mouvement scalaires. Un système isolé possède donc a priori sept constantes du mouvement.
  5. Pour plus de précisions, on consultera le chapitre 10.10 du livre de Stephen G. Brush cité dans la bibliographie.
  6. Paul Hertz ; Annalen der Physik 33 (1910), 225 et 537.
  7. Michel Plancherel ; Archives des Sciences Physiques & Naturelles (Genève) 33 (1912) 254. Michel Plancherel ; Annalen der Physik 42 (1913) 1061. A. Rosenthal ; Annalen der Physik 42 (1913) 796. Une traduction anglaise de ces articles se trouve dans : Stephen G. Brush ; Milestones in mathematical physics - Proof of the impossibility of ergodic systems: the 1913 papers of Rosenthal and Plancherel., Transport Theory & Statistical Physics 1 (1973) 287-298.
  8. Lire par exemple :
    • George W. Mackey ; Ergodic Theory and its Significance for Statistical Mechanics and Probability Theory, Advances in Mathematics 12(2) (1974), 178-268.
    • Oliver Penrose ; Foundations of Statistical Mechanics, Report on Progress in Physics 42 (1979), 1937.
    • Domokos Szasz ; Botzmann's ergodic hypothesis, a conjecture for centuries ?, Studia Scientiarium Mathematicarum Hungarica (Budapest) 31 (1996) 299-322. Texte au format Postscript.