Horum omnium fortissimi sunt Belgae

Un article de Wikipédia, l'encyclopédie libre.

Horum omnium fortissimi sunt Belgae est une locution latine généralement traduite par : De tous les peuples [de la Gaule], les Belges sont les plus braves. Elle est parfois réduite à cette forme : Fortissimi sunt belgae (En français : Les Belges sont les plus braves [ou les plus valeureux/courageux]). Cette phrase, communément appelée l'éloge de César aux Belges[réf. nécessaire], est extraite des Commentaires sur la Guerre des Gaules [1] de Jules César et devint, au XIXe siècle, un mythe national belge.

Sommaire

[modifier] Critique de cet « éloge de Jules César aux Belges »

Trois critiques peuvent être soulevées face à ce mythe national. Il faut pour cela replacer la citation de César dans sa phrase :

«  L’ensemble de la Gaule est divisé en trois parties : l’une est habitée par les Belges, l’autre par les Aquitains, la troisième par le peuple qui, dans sa langue, se nomme Celte, et, dans la nôtre, Gaulois. Tous ces peuples diffèrent entre eux par le langage, les coutumes, les lois. Les Gaulois sont séparés des Aquitains par la Garonne, des Belges par la Marne et la Seine. Les plus braves de ces trois peuples sont les Belges, parce qu’ils sont les plus éloignés de la Province romaine et des raffinements de sa civilisation, parce que les marchands y vont très rarement, et, par conséquent, n’y introduisent pas ce qui est propre à amollir les cœurs, enfin parce qu’ils sont les plus voisins des Germains qui habitent sur l’autre rive du Rhin, et avec qui ils sont continuellement en guerre.[2] »

[modifier] Un éloge ?

S’il est vrai que César loue les qualités martiales du peuple belge, pour mettre en garde la société romaine contre la décadence de ses mœurs, il n’en reste pas moins que la citation de César a été réutilisée dans un sens nationaliste par certains historiens belges du XIXe siècle. Ainsi ils ont procédé à des coupes dans le texte originel de César et ont donc escamoté la suite de la phrase à des fins idéologiques (voir ci-dessous), de sorte qu’on ne connait généralement plus que deux formes raccourcies de la citation initiale :

  • « De tous les peuples de la Gaule, les Belges sont les plus braves » (Horum omnium fortissimi sunt belgae) ;
  • « Les Belges sont les plus braves » (Fortissimi sunt belgae).

Formes qui ne peuvent paraître qu’élogieuses et qui travestissent la description acerbe que César fait réellement des Belgae. Plus loin dans son ouvrage, il présente les Belges qu’il a vaincu comme des individus déloyaux et des traîtres et les nomme même à plusieurs reprises « barbares » [3]. Lorsque César écrit les Commentaires sur la Guerre des Gaules, il s’agit d’un moyen de propagande en sa faveur : la férocité des peuplades germaniques, la détermination bestiale des Belges à mourir plutôt qu'à se rendre,... Tout cela est une mine d’arguments particulièrement bienvenus pour valoriser la victoire de César [4]. On comprend donc mieux le poids des paroles de César, et « l'éloge de César » retrouve ainsi toute sa signification : celle du courage mais aussi celle de la barbarie, de la sauvagerie et de la bestialité[5]. Or toutes ces nuances dépréciatives disparaissent lorsqu’on retire la citation de sa phrase et de son contexte historique.

[modifier] Contexte de la conquête de la Gaule belgique

Édition de 1783 des Commentaires sur la Guerre des Gaules
Édition de 1783 des Commentaires sur la Guerre des Gaules

Jules César, chef militaire dévoré d’ambition, cherche la notoriété pour, un jour, prendre le pouvoir seul à Rome. Il a donc besoin de gagner les batailles qu’il mène au nom du Sénat et du Peuple de Rome et ses victoires doivent être acquises de façon éclatante de manière à renforcer sa popularité auprès des Romains. Il importe donc de déshumaniser ses adversaires, de les représenter comme des monstres, des animaux. Bien sûr, Jules César rend hommage, dans ses Commentaires sur la Guerre des Gaules, à la force, la résistance et la vaillance des peuples qu’il a à combattre mais il révèle également leur côté bestial, cruel et irrationnel : « ils se jettent au combat sans stratégie cohérente, se vendent au plus offrant, renient leurs engagements selon leurs fantaisies, ne montrent aucune prudence lorsqu’ils exposent leurs femmes et enfants aux représailles de l’occupant, sont dirigés par des chefs qui les exploitent sans pitié, etc »[6]. La description d'une telle sauvagerie, fut-elle réelle ou exagérée, est destinée à renforcer la gloire du conquérant romain.

[modifier] Quelles sont les populations réellement désignées par César ?

Parmi les Bellovaques, les Suessions, les Nerviens, les Atrébates et la dizaine d'autres nations belges qui ont crée une vaste coalition d’opposition à César et ses alliés belges [7], seules trois ou quatre d’entre elles vivaient effectivement sur le territoire actuel de la Belgique[8]. En réalité, la plupart des tribus belges habitaient dans ce qui constitue aujourd’hui le nord de la France (jusqu’à la Seine), le sud des Pays-Bas et la Rhénanie allemande[9]. Ce qui suffit à démontrer que l’on parle d’un autre territoire belge, d’une toute autre réalité culturelle et de deux peuples différents que ceux visés par les historiographes et apologistes de la Belgique du XIXe siècle siècle[10].

[modifier] Récupération idéologique

Statue d'Ambiorix érigée sur la Grand-place de Tongres en pleine vague romantico-nationaliste (XIXe siècle).
Statue d'Ambiorix érigée sur la Grand-place de Tongres en pleine vague romantico-nationaliste (XIXe siècle).

Au XIXe siècle, la Belgique prit part au mouvement romantico-nationaliste qui gagnait l’Europe et cette définition a priori élogieuse du « peuple belge » devint, dès cette époque, un des mythes fondateurs du Royaume de Belgique. Cette citation de Jules César, écartée de son contexte historique et retirée du reste de la phrase devint, pour les historiographes de la Belgique de 1830, le fondement justifiant et légitimant l’indépendance de cet État [11]. Les « nouveaux belges », étant supposés descendre en ligne directe des « anciens belges », devaient « en sortant du tombeau »[12] retrouver leur identité (« leurs droits, leur nom, leur drapeau »[13]) miraculeusement préservée au fil des siècles. Une sorte d’équivalence frauduleuse fut ainsi créée entre la Gaule belgique et le Royaume de Belgique ; comme s’il ne s’agissait pas d’entités politiques, ethniques, historiques radicalement différentes.

En réalité, la précarité de l’unité de la Belgique[non neutre] de 1830 et sa faiblesse tant territoriale que militaire et politique nécessitait un fondement plus rassembleur pour le Royaume que d’être simplement issu de la volonté des grandes puissances européennes[non neutre][14]. L’affirmation de la bravoure des belges est, pour Baudouin Decharneux et Anne Morelli, une sorte « de prix de consolation visant à lever les angoisses d’un petit pays incapable de résister à quiconque et dont le plus grand titre de gloire fut d’adapter avec constance la fragilité de son existence aux tribulations de l’histoire. »[15]

Le jeune État tente de combler le vide culturel de la formation artificielle de la Belgique[non neutre], notamment à travers les manuels scolaires[16]. Voici un exemple parmi tant d’autres de la mythologie nationaliste belge inculquée aux enfants : en 1931, V. Colbert écrit dans ses Leçons d’histoire aux élèves du degré moyen des Écoles Primaires : « Admirons la bravoure de nos ancêtres. L’union fait la force était déjà leur devise. A la voix de leur chef, ils ont marché contre les innombrables légions de César, ils ont arrosé de leur sang le sol sacré de la Patrie »[17]. La description de la conquête de la Gaule belgique est donc limitée à la bataille opposant les Légions romaines aux Nerviens, c’est-à-dire, au seul peuple plus ou moins réellement localisé dans l’espace territorial actuel du Royaume de Belgique[18]. La carte de la Gaule belgique qui illustre l’ouvrage de Colbert montre, en pointillé, les frontières du nouveau royaume belge, comme si l’actuelle Belgique était déjà en germe sous César.[19]

De cette manière, tout au long du XIXe siècle, XXe siècle et parfois encore au XXIe siècle , l’idée que la Belgique existe depuis l’Antiquité, et qu'elle vécut sous domination étrangère jusqu'en 1830, fut insufflée dans l’esprit des citoyens belges. Or il n'a jamais existé qu'une partie de la Gaule nommée « belgique » (telles les Gaules celtique et aquitaine, selon la toponymie des Romains) et qui ne correspond que vaguement au territoire du royaume de Belgique. En 1830, les révolutionnaires belges, recherchant une légitimité historique à cet État fragile dont l’Europe venait d’accoucher, se rappelèrent le nom « Belgique » et le transposèrent sur un territoire regroupant de petits États n’ayant auparavant jamais porté ce nom de manière officielle : « Belgique ». Il s’agit donc d’une manipulation identitaire visant à asseoir la légitimité de l'État belge dans une continuité historique millénaire.[non neutre]

[modifier] Notes

  1. Commentaires sur la Guerre des Gaules, livre premier, 58 av. J.-C., 1
  2. En latin : Gallia est omnis divisa in partes tres, quarum unam incolunt Belgae, aliam Aquitani, tertiam qui ipsorum lingua Celtae, nostra Galli appellantur, Hi Aquitanis omnes lingua, institutis, legibus inter se differunt. Gallos ab Aquitanis Garumna flumen, a Belgis Matrona et Sequana dividit. Horum omnium fortissimi sunt Belgae, propterea quod a cultu atque humanitate provinciae longissime absunt, minimeque ad eos mercatores saepe commeant atque ea quae ad effeminandos animos pertinent important, proximique sunt Germanis, qui trans Rhenum incolunt, quibuscum continenter bellum gerunt.
  3. Jules César, Commentaires sur la guerre des Gaules, Livre I, XXXI ; L. II, XXIV ; L. V, XXXIV, etc.
  4. Anne Morelli, Op. Cit., p.22
  5. Pour Anne Morelli et Baudouin Decharneux, la « bravoure » des Belges est « une composante de leur condition de barbares », de « sauvages indomptés » et « bestiaux ». C.F.Anne Morelli, Op. Cit., p.22
  6. Anne Morelli, Op.cit., p.22
  7. Plusieurs tribus belges, tels les Rèmes ou les Eduens, se sont alliées à César pour l'aider à envahir la Gaule belgique
  8. Anne Morelli, Op.cit., p.25
  9. Anne Morelli, Op.cit., p.25
  10. Anne Morelli, Op.cit., p.25
  11. Anne Morelli, Les grands mythes de l'histoire de Belgique, de Flandre et de Wallonie, Evo-histoire, Bruxelles, 1995, p.21
  12. Paroles de la Brabançonne
  13. Idem
  14. Anne Morelli, Op.cit., p.23
  15. Anne Morelli, Op.cit., p.31
  16. Anne Morelli, Op.cit., p.68
  17. V. Colbert, Leçons d’histoire aux élèves du degré moyen des Écoles Primaires et des sections préparatoires des Écoles moyennes, Lambert-de-Roisin, Namur, 1931
  18. Anne Morelli, Op.cit., p.28
  19. Anne Morelli, Op.cit., p.28

[modifier] Voir aussi

[modifier] Articles connexes

[modifier] Bibliographie

  • Anne Morelli (dir.), Les Grands mythes de l'histoire de Belgique, de Flandre et de Wallonie, Vie Ouvière, Bruxelles, 1995, 312 p. (ISBN 9782870033012)
  • Jean Stengers, La déconstruction de l'État-nation: Le cas Belge, in Vingtième Siècle. Revue d'histoire, no. 50 (Avril-juin 1996), pp. 36-54.
  • Jean Stengers, Histoire du sentiment national en Belgique - Les racines de la Belgique jusqu'à la Révolution de 1830, Racine, Bruxelles, 2000, 304 p. (ISBN 9782873862183)
  • Eliane Gubin, Jean Stengers, Histoire du sentiment national en Belgique - Le grand siècle de la nationalité belge 1830-1918, Racine, Bruxelles, 2002, 240 p. (ISBN 9782873862497)
  • Sébastien Dubois, L'invention de la Belgique: genèse d'un Etat-nation, 1648-1830, Racine, Bruxelles, 2005, 440 p. (ISBN 2873864028)
  • Herman van der Linden, « Histoire de notre nom national », dans Bulletin de la classe des lettres et des sciences morales et politiques (Académie Royale de Belgique), no 5, 1930, 16, p. 160-174
  • (en) Joseph Theodoor Leerssen, « Image and Reality - Belgium », Europa Provincia Mundi, Joseph Theodoor Leerssen & Karl Ulrich Syndram, Amsterdam, 1992, 281-292 p. (ISBN 9051833814)

[modifier] Wikisource