Discuter:Glassharmonica

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[modifier] LE GLASSHARMONICA

un article écrit par Thomas BLOCH pour son disque paru chez Naxos, contribution de l'auteur, avec son aimable autorisation, droits de reproduction réservés, 2001.


L'auteur : parmi 2500 concerts et 80 enregistrements, Thomas Bloch (né en 1962) a joué les avec Radiohead, Tom Waits et Marianne Faithfull, dans le film "La Marche de l'Empereur", "Amadeus" de Milos Forman, avec de nombreux orchestres à travers le monde et en récital. Il est considéré comme un interprète majeur de cet instrument. Il a été l'élève de Jeanne Loriod, auprès de qui il a étudié les ondes Martenot au Conservatoire National Supérieur de Musique de Paris. Il enseigne cet instrument à Paris et au Conservatoire de Strasbourg.


Déjà connu des Perses, des Chinois (Shui Chan), des Japonais (Hi) et des Arabes (le Tusut est cité en 1406), le principe des bols plus ou moins remplis d’eau pour en faire varier la hauteur du son subit une mutation déterminante lorsqu’en 1743, l’Irlandais Richard Puckeridge imagine non plus de les frapper avec des baguettes, mais d’en frotter les rebords avec les doigts mouillés. Les verres étaient alors posés sur une table. Benjamin Franklin découvre cet instrument dénommé orgue angélique, puis plus tard verres musicaux et seraphim - dont le compositeur Glück joue - à l’occasion d’un concert donné par le virtuose anglais Delaval.

Franklin, fasciné par "le son doux et pur" des verres musicaux, y apporte des modifications afin d’en augmenter les performances. Il présente ces améliorations dans une lettre adressée au professeur Beccaria, de Turin, en 1762 et baptise l’instrument glass harmonica (ou armonica de verre, en français) en raison de la nature harmonieuse de ses sons. Benjamin Franklin fait souffler des verres de différents diamètres correspondant chacun à une note, au lieu de les remplir d’eau et les emboite chromatiquement, sans qu’ils se touchent, sur un axe horizontal dont la rotation est assurée par une pédale. Il est alors permis de jouer des accords complexes et d’obtenir une virtuosité plus grande.

De nombreux instruments dérivés voient le jour jusqu’à aujourd’hui: mélodion, eumélia, clavicylindre, transponierharmonica, sticcardo pastorale, spirafina, instrument de Parnasse, glasharfe, piano harmonica (de Tobias Schmidt qui construisit la première guillotine…), uranion, hydrodaktulopsychicharmonica, pour n’en citer que quelques un.

Le glass harmonica est très populaire dès son invention. On répertorie ainsi à ce jour 400 oeuvres composées pour lui, seul ou en ensemble (deux oeuvres de Mozart dont sa dernière de musique de chambre, Beethoven, Donizetti, CPE Bach, Hasse, Reicha...). De plus, on avance, sans certitude, le chiffre de 2000 instruments fabriqués pendant les 70 ans que dure son existence.

Adoré ou detesté, l’instrument suscite quelques passions. Si Paganini déclare "quelle céleste voix", si Thomas Jefferson témoigne que l’armonica est "le plus grand présent offert au monde musical de ce siècle" ou que Goethe, Mozart, Jean Paul, Hasse et Théophile Gautier le louent, un dictionnaire instrumental affirme que ses sons "sont d’une douceur presque céleste, mais (…) peuvent causer des spasmes". Un " Traité des effets de la musique sur le corps humain" (J.M. Roger en 1803) renchérit : "son timbre mélancolique nous plonge dans un profond abattement (…) au point que l’homme le plus robuste ne saurait l’entendre pendant une heure sans se trouver mal".

De plus, un certain nombre d’interprètes finissent dans des hopitaux psychiatriques dont l’une des plus réputées, Marianne Davies. Dans sa "Méthode pour apprendre soi même l’Armonica" (1788), J.C. Müller répond aux détracteurs : "il est vrai que l’armonica produit des effets extraordinaires sur les gens (…). Si tu es enervé ou si tu es troublé par de mauvaises nouvelles, des amis voire une amie décevante, abstiens toi d’en jouer, cela ne ferait qu’accroitre ton trouble".

L’armonica est accusé de tous les maux : troubles nerveux et même mortels, scènes de ménage, accouchements prématurés et convulsions des animaux. Un décret de police interdit même l’instrument dans une ville allemande pour nuisance à la santé et à l‘ordre public. En effet, un enfant est mort pendant un concert. Franz Anton Mesmer, médecin installé a Vienne, connu pour ses expériences diverses (le mesmérisme) et pour avoir employé l’hypnose dans le traitement de ses patients, conditionne ces derniers en leur jouant du glass harmonica. Il est chassé de sa ville après avoir rendu la vue à une pianiste aveugle, Marie Paradies, mais au détriment de sa santé mentale. Cet épisode et la rumeur contribuent à la disparition de l’armonica, dont on parle, dès 1829, comme "l’accessoire à la mode des parloirs et des salons". Bien que Röllig tente d’y adjoindre un clavier afin d’éviter le contact présumé nocif des doigts sur les verres en cristal, peu de compositeurs s’intéressent ensuite à l’instrument. Sa sonorité délicate et sa fragilité ne les incitent plus à l’employer avec un orchestre devenant de plus en plus sonore. Deux exceptions notables: "Lucia di Lammermoor" (1835) de Donizetti ("air de la folie"!…) où il est rapidement remplacé par deux flûtes et "Die Frau ohne Schatten" (1914 - 1917) de Richard Strauss.

C’est en grande partie grâce à un interprète allemand, Bruno Hoffmann, qui joue sur une glasharfe (verres posés sur une table) et non sur un glass harmonica et à un maître verrier d’origine allemande installé près de Boston, Gerhard Finkenbeiner, qu’une nouvelle génération d’interprètes, de compositeurs et de facteurs d’instruments a redécouvert, depuis 1982, l’armonica de verre. Depuis, un nouveau répertoire est né et l'instrument est également employé dans la musique de film et la chanson (Björk, Tom Waits, "Amadeus" et "Vol au dessus d'un nid de coucou" de Milos Forman, "la Marche de l'Empereur"...).

Gerhard Finkenbeiner (1930 - 1999) pui son assistant, emploient aujourd’hui le quartz. Le matériau se présente, lorsqu’il arrive sur le tour à chauffe du maître verrier, sous la forme d’un long cylindre. Chauffé, soufflé à haute température (1700°), divisé en sphères coupées en leur milieu afin d’obtenir deux bols, le quartz est immergé dans de l’acide hydrofluorique qui en modifie l’épaisseur. Un accord plus fin est alors obtenu. Au XVIIIè siècle, c’est le cristal, composé à 40% de plomb, que les facteurs utilisaient. Une meule d’émeri permettait d’user ou d’accorder les verres. Diminuer la profondeur permettait de hausser l’intonation. Les couleurs de l’arc-en-ciel coloraient parfois les verres, indiquant les sept degrés diatoniques, tandis que le noir était reservé aux notes altérées. Gerhard Finkenbeiner utilise la transparence et emploie l’or, comme Röllig au XVIIIè siècle, pour colorer le rebord des verres qui correspondent aux touches noires du clavier.

Le glass harmonica fait partie de la famille des instruments autophones frottés. Le principe de mise en vibration des verres est dit de "relaxation": lorsque le bol est frotté, le doigt accroche et décroche successivement. Ce mouvement produit une série d’impulsions qui le mettent en vibration. Le processus est très complexe et le talent du maître verrier personnalise l’instrument. En effet, de nombreux paramètres entrent en jeu, modifiant le timbre, le mode et la composition harmonique des bols. Ainsi, deux verres donnant à entendre la même note pourront avoir un timbre différent selon leur matériau, leur forme, leur épaisseur, leur dimension ou leurs vices cachés.

Si l’on a coutume de dire que les sons et les bruits sont intimement liés à une époque, il serait certainement intéressant de chercher les causes qui conduisent aujourd'hui à la renaissance de l’armonica de verre et à la passion qu’il semble à nouveau susciter. Peut-être sont-elles simplement liées à cette exigence qui guide actuellement les pas des musicologues et des interprètes dans leur quête d’authenticité.

Quoiqu’il en soit, comme le chante Lucia di Lammermoor: "Un’ armonia celeste, di’, non ascolti ?" ("N’entends-tu pas une harmonie céleste ?").