Discuter:Faïence de Rouen

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Par quel miracle la veuve de Michel Poterat serait-elle son héritière ? En fait, il est mort bien longtemps après elle et avait vendu sa fabrique en 1710. De même, le frère de Michel, Louis Poterat, est mort bien avant 1720 (1696). La porcelaine semble avoir continué à Rouen après sa mort, au moins jusqu'en 1712, et sans doute un peu plus : Caussy, dans son manuscrit, en décrit avec précision la fabrication, alors qu'il ne semble être arrivé à Rouen qu'en 1714, soit 7 ans après ses parents.

Le rouge n'apparaît guère avant 1708 à Rouen, date de la plus ancienne pièce polychrome datée connue ; polychomie encore très timide, où le rouge est effectivement plutôt orangé. Denis Dorio, en 1708, demande le droit de s'établir à Rouen, arguant de sa connaissance d'un émail rouge, qui n'est pas encore pratiqué à Rouen. Jusqu'en 1710, la faïence de Rouen est essentiellement en camaïeu bleu. C'est surtout à cette époque que se pratique le lambrequin rayonnant, ainsi que la faïence armoriée. L'erreur serait de prendre pour référence le saladier polychrome commémoratif daté "Brument 1699", et fait par Caussy autour de 1735.

Le rouge n'a jamais été maîtrisé à Rouen, où il n'a été utilisé qu'en hachure. Encore vers 1745, Caussy dans son manuscrit indique que personne à Rouen ne connaît le secret de faire du rouge en à-plats sans qu'il tourne au brun. On n'y emploie pas d'oxyde, et surtout pas de fer, qui donnerait du noir, mais une terre, le bol d'Arménie, qui reste évidemment en surface, puisqu'elle ne se fond pas, mais cuit comme la poterie. C'est pourquoi elle brunit au feu (comme Carla !).

Jamais Rouen n'a compté 22 fabriques. En 1757, début du déclin, il y en a 13, comptant 25 fours (3 fabriques en ont 3, 5 en ont 2, 6 n'en ont qu'1, dont 4 ne font que du brun). Seules 9 fabriques ont fait de la faïence blanche, dont en moyenne 5 l'ont peinte, pas toujours les mêmes. Il s'est ajouté ensuite les fabriques Dumont (1760), Lepage (1771) et Sturgeon (1781) ayant chacune un four, mais les deux dernières éphémères (5 à 6 ans), d'autres étant tombées ou fermées entre-temps. Mais nous étions alors loin de l'apogée (vers 1730 - 1745).

Parmi les faïenciers réputés, je ne crois pas qu'il faille retenir Mouchard, Vallet ni Fossé, qui ne connurent guère que la difficulté et dont on serait bien en peine de montrer de belles pièces.

L'application de l'or sur la faïence de Rouen, qui ne paraît avoir été pratiquée que vers 1712-1725, ne s'effectue pas à froid, mais au four de réverbère (cf Caussy).

Je n'ai jamais vu, dans les inventaires de fabricants, de marchands faïenciers ni de particuliers, de boules à éponge ou à savon, pas plus que de hanaps, ni de crucifix avant la faïence tardive de Delamettairie (dernier tiers du siècle). Quant aux bénitiers, si quelques-uns ont pu être fabriqués sur commande, seul Fouquay en fabrique en série, on en trouve 3 douzaines dans ses stocks à son décès en 1742, et on en trouve des tessons dans son site de fabrication. (voir la page Débats documentés sur mon site : http://home.tele2.fr/clubCaussy/INDEX.htm).

Les assiettes peintes de Rouen sont tardives et rares : le marché local est arrosé d'abord par Delft (jusque vers 1725) puis surtout par Nevers, qui produisent à beaucoup moins cher. Mais vers 1750, montée en puissance, l'assiette représente 50 % des stocks des marchands, quand elle n'en représentait pas 10 % 25 ans plus tôt. On peut prendre pour exemple Caussy, qui a les plus grosses capacités de cuisson d'assiettes : il n'en a pas fait en "violet" (dit aujourd'hui bleu empois, qu'il est le seul à faire à Rouen, comme tous les fonds colorés, noirs, jaunes, verts, rouges, etc., grâce à son four à gorge), production qui date des années 1735-1740. Il n'en a pas fait non plus en ocre niellé, dont est sûr qu'il a produit au moins une partie, mais que l'on n'a jamais pu attribuer à qui que ce soit d'autre, et surtout pas à Lecoq de Villeray, toute petite faïencerie en 1726, date de cette production. Quant aux assiettes et plats à la crevette, on peut affirmer sans se tromper que 95 % sont du Caussy, particulièrement quand le décor comporte des personnages. Pour les pagodes, style "famille verte" chinoise, on peut en attribuer plus à Guillibaud, surtout quand le dessin est raide... ou plutôt à sa veuve, puisque Guillibaud est mort en 1739, à un moment où plats et assiettes n'adoptaient guère encore la forme chantournée que l'on assignera au style Louis XV.

L'étude des armoiries et des décors montre nettement que les saupoudreuses "balustre", d'abord avec une monture en étain, puis avec un pas de vis en poterie intégré, sont antérieures aux saupoudreuses tronconiques.(cf production des Caussy). Levavasseur tente son "petit feu" vers 1776 et ne le pratique que peu de temps. Ce n'est donc pas à la fin du siècle (après la Révolution).

Les décors "rocaille" cités ne datent pas de 1740, mais sont des productions simultanées des Caussy père et fils à Rouen et surtout à Quimper, entre 1747 et 1759. Ils ne sont donc pas emblématiques de Rouen, seulement d'une famille.

S'il restait 15 fabriques à la veille de la Révolution, c'est donc qu'il n'y en avait aucune de fermée ! Ce qui est presque vrai : en fait, certaines, très mal en point, existent toujours et sont en recherche d'acquéreur. Ce que l'on doit retenir, c'est qu'à elles toutes, elles n'emploient plus que 110 à 120 ouvriers "faiblement occupés", au lieu de 359 en 1757.

Le déclin n'est pas dû à la porcelaine, que l'on ne trouve guère dans les foyers de l'époque. La première cause est la fermeture du principal débouché (l'Amérique) de la principale production rouennaise de la seconde moitié du siècle : le cul-noir, apport des Caussy dès 1707 et qui a fait la richesse de Rouen, toues les manufactures essayant d'en fabriquer. Comme l'explique Caussy, syndic de la profession et son délégué auprès de l'Intendant, en 1753 : "le brun est le plus courant de la vente, les plats et assiettes sont beaucoup plus rares."

Si l'on devait citer des produits concurrents à la faïence de Rouen dans cette seconde moitié du siècle, ce seraient la terre d'Angleterre du Pont-aux-Choux, la terre de pipe, la faïence de petit feu de l'Est, tous produits moins chers, moins lourds, plus fins et plus solides. L'importation des faïences anglaises à partir de 1786 lui donne le coup de grâce. Très vite, cette faïence de Rouen (dite "à l'italienne" 50 ans plus tard) sera rangée dans la "grossière poterie" du fait de son inadaptation au service quotidien, dès lors que d'autres produits la remplacent avantageusement.

Jamais Rouen n'a appliqué 2 couches d'émail à ses pièces. D'ailleurs, il ne les applique pas, il les trempe dans un bain : les tremper une seconde fois enlèverait la première couche. La terre à faïence n'a jamais changé, sa provenance est toujours la même et la tendance, pour contrecarrer la concurrence, serait plus à alléger les pièces qu'à les alourdir, sous peine de perdre toute la clientèle.

Chez Lambert, comme chez Delamettairie au XIXe, qui n'ont plus de peintre en faïence, il est hors de question de reproduire les décors du XVIIIe de Guillibaud et Levavasseur : leur production se limite au cul-noir, comme presque partout en France pour la faïence stannifère. Quant à la reprise du décor à la corne au XIXe, ce n'est pas une imitation de Rouen, mais des Caussy, surtout de Quimper où cette production s'est poursuivie jusqu'à la Révolution d'une façon industrielle dont aucune manufacture de Rouen n'eût été capable ; cela explique pourquoi on en trouve tant encore aujourd'hui. Christian De la Hubaudière